• Vais-je souhaiter un joyeux Noël à mes amis qui viennent lire et écrire sur ce blog nouvellement créé ? Même si c'est conventionnel et sans originalité, foin des réticences, je vais le  faire, en m'adressant aux grands enfants qui se cachent en nous tous, quelle que soit la lettre qu'ils ont pu écrire au Père Noël ou au Petit Jésus (même sans l'envoyer ... dans leur tête, seulement) ...

    Oui, je souhaite un joyeux Noël aux grands enfants qui ont eux-mêmes des enfants et des petits-enfants et qui revivent à travers eux leurs Noëls passés, ou les Noëls qu'ils n'ont pas eus.

    Je souhaite à ceux qui n'aiment pas cette période festive obligatoire, parce qu'ils se sentent plus seuls que d'habitude ou parce qu'ils détestent les réunions de famille, que ce temps des sapins et des guirlandes, du foie gras, de la dinde ou du chapon passe le plus vite possible.

    Alors, bonne messe de minuit à tous ceux qui vont y aller (mais souvent la tradition est ébréchée, car l'heure de la dite messe est avancée) et grande paix royale à ceux qui se calfeutrent chez eux, en dégustant des huitres s'ils les aiment et s'ils peuvent s'en offrir, ou un peu de saumon fumé, tout en regardant un passionnant DVD !

    Bises virtuelles

    Lenaïg

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  • Du café, je n’ai que ce mot à la bouche et j’ai encore une tasse devant moi. J’aime bien aussi le thé, mais comme je suis droguée, c’est là que mon goût porte bien plus volontiers. La machine m’a lâchée, pas grave. Je commence à me réhabituer au filtre en plastique posé sur la verseuse rescapée. Debout dans ma cuisine sans fenêtre (il y a eu des architectes qui ont osé concrétiser cette hérésie et cette inhumanité), dans ma cuisine donc, où se tenir à deux relève de l’intime, je prends le temps de le préparer, la radio allumée.

    Des radios, j’en ai dans toutes les pièces, je peux continuer à écouter, même dans les "cabinets" !
    Les cabinets, en fait, ne sont pas séparés, ils font corps avec la salle de bain. Trente mètres carrés à tout casser, il ne faut pas rêver. Mais c’est mon trou, ma tanière, mon terrier, je ne m’y ennuie jamais. Le lapin s’y sent bien, la loutre un peu moins, sauf quand elle se plonge dans le luxe d’un bain. Un bain, c’est devenu très rare, l’eau est un bien précieux. Un bain avec de la mousse ou des clapotis bleus, j’ai quand même testé. Je n’ai jamais eu de canard (ah, celui-là, il arrive à pointer son bec là !), mais une grenouille verte, offerte par ma Mère dans un petit élan de tendresse spontané, ça j‘ai. Elle est à remonter, ensuite elle se met à nager. Elle a perdu presque ses yeux peints, qui se sont effacés. Pauvre grenouillette ! Elle a vieilli encore plus vite que moi. Quoique mes yeux à moi, je ne peux pas m’en vanter.

    Après tout, la myopie et l’astigmatisme présentent de la magie. Quand on ne porte ni ses lentilles ni ses lunettes, on distingue flous les formes et les contours, mais on voit les couleurs et elles éclatent dans toute leur splendeur. Quand j’étais petite, encore bébé, c’était le pissenlit ma belle fleur préférée. Dans la traction avant (ça, c’était de la bagnole !), quand mon Père conduisait et que je criais "F’eur !", il saisissait l’urgence et il s’arrêtait et sortait, pour cueillir la dite "f’eur" et il me la donnait. Ce soleil miniature me faisait rêver tout au long du trajet, sous l’œil amusé du Papa, qui pointait quelquefois dans le rétroviseur. Et, toujours sans prothèse, si on regarde par la fenêtre la nuit, on n’est pas déçu, les globes des réverbères se transforment en milliers de taches de lumière groupées en boules mystérieuses, surgies d’un autre monde, car je ne distingue pas … les pieds !
    Tiens, de fil en aiguille, je repense à mon Frère, un jour de fantaisie, qui m’avait lancé "viens voir à la fenêtre, un troupeau passe, elles se sont échappées !". "Qui ?" avais-je demandé sans me déplacer, car je le connaissais. "Ben ! Qu’est-ce que tu es en train de cuisiner ?" vint-il me dire, car c’était de l’autruche que je préparais ! C’est fou ce qu’on peut voir à la fenêtre quand on "sait" regarder.

    Pour en revenir à la "buvaison", je crois pas que le mot existe dans le dictionnaire et je ne veux pas vérifier, il est "trop" magnifique et Hosannam l’a inventé. Il évoque pour moi l’étanchement de la soif sous des frondaisons, ou à l’abri dans sa maison. Nous disons "une boisson", nos amis canadiens disent "un breuvage" ;  je le sais car, en Italie, je l’avais appris à leur contact, quand nous étions tous assis à boire des sodas. Breuvage, c’est bien mieux, n’est-ce pas la Fée ? C’est nous, traites français, qui avons abandonné ce beau mot dans la vie courante, quelle erreur ! Pour en revenir donc à la buvaison de thé ou de café, la question me transporte car j’aime voyager, ne serait-ce que par la pensée.

    Chez mes logeurs anglais, Mr and Mrs Smith pour ne pas les nommer (je garde leur nom secret, oh puis non, ils s’appelaient Pitters), c’est du thé qu’on buvait. J’aurais pu m’obstiner, me faire du café, mais je voulais avec eux partager le goût du thé au lait. Je me trouvais en Angleterre à travailler et je voulais m’immerger. Quand je reviens sur cette année-là, j’avoue que ce fut une des plus belles de ma vie. Mais c’est une autre histoire, peut-être à raconter. Et le laitier ? Qui vers six heures du matin s’arrêtait devant toutes les maisons, pour déposer aux portes une, deux, trois bouteilles de lait frais. Le bruit de son véhicule à trois roues sonnait le réveil, l’heure du lever. Il n’était pas anglais ce monsieur, c’était un Allemand ayant fui les horreurs de son pays troublé, il avait fait son trou en Angleterre, il était accepté. J’acceptais même de Mrs Pitters le week end à l’heure du déjeuner une tasse de café au lait (jamais de lait en France, pour moi, dans le café), c’était si naturellement et gentiment proposé et je voulais avec eux "communier".

    Et voilà qu’il paraît que le lait dans le thé, c’est pas bon pour la santé, le lait annihilant certaines propriétés du thé. Pourtant, pour le moral et pour défatiguer, qu’est-ce que c’était bon ces nice cups of tea with a cloud of milk ! On vient de nous dire aussi que ce n’est pas la peine de s’évertuer à boire des litres d’eau dans la journée, que cela n’apporte rien à la santé. Quand je vous disais qu’on n’en finit pas de jouer les apprentis sorciers. Sans que cela ait un rapport direct avec ce que je viens de dire, il se dit que certains scientifiques se laissent payer par des firmes dévergondées pour asséner des vérités qui par tout le monde sont gobées et c’est comme cela que certaines habitudes alimentaires sont créées.
    Bon, il est temps d’arrêter mes divagations et de vaquer à de plus prosaïques préoccupations. Cela m’a permis une pause dans les dures réalités, la grève des enseignants, les miennes, la catastrophe en Chine, la misère des Birmans, les attentats, les assassinats. Je tâcherai d’aller faire un clin d’œil au Canard de Tof’, mais je travaille dur sur mon effet papillon et mes castors bien mignons, il va falloir que je m’y remette. J’accoucherai (encore !) peut-être d’une souris, faute d’inspiration et de connaissances poussées, mais une souris, c’est gentil aussi, c’est sa prolifération qui pose question ! Pour finir ici, j’ai entendu ce matin que le pigeon ramier, s’il a perdu ses dents, en a eu dans le temps, car son ancêtre, c’est le T-Rex !

    Jeudi 15 mai 2008

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  • "Pseudotanka" des sapins de Noël


    C'est bientôt Noël.

    Je n'ai pas fait de sapin,

    Routine rompue.

    Me contenter d'admirer

    Tous ceux qui sont déjà faits.


    Guirlandes et boules

    n'étincelleront donc pas

    Cet hiver chez moi.

    J'irai contempler ailleurs

    Ces symboles du bonheur.


    Un bonheur factice ?

    Obligé feu d'artifice ?

    Juste une imposture ?

    C'est sans trêve ni repos

    Pour la misère et la guerre.


    Si l'adulte est las

    De ce qui ne change pas,

    l'enfant fait sa lettre.

    Pèr' Noël, enfant Jésus,

    Il ne faut qu'il soit déçu.

    ***

     

    "Néo-tanka" du nez en hiver


    J'ai le nez glacé

    Qui ne se réchauffe pas.

    C'est qu'il est trop grand

    Et ne fait que dépasser

    Du bord du col relevé.


    Un verre en carton

    Contenant du café chaud

    A sauvé mon nez.

    Ce verre était assez large,

    Mon nez en a profité.


    Mon nez s'est penché

    Dans le grand verre en carton

    De café fumant

    Pendant que je le buvais.

    Ce fut un double bienfait.


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  •  Fée Dodue est restée seule dans l’appartement, elle attend, et finit par s’endormir. Elle n’a pas eu son compte de sommeil cette nuit. Avant que Lena ne sorte, elles ont choisi ensemble un prénom pour la Chef : Cassandra. Cela lui ira bien : Cassandre était celle qui prophétisait, et qu’on ne croyait pas ! En plus, c’est une façon de conjurer le sort : cette Cassandre-ci n’annonce pas le malheur … Avant de sombrer dans le sommeil, Dodue voit défiler ce que Néan lui a déjà montré.

    La marche d’un condamné à mort aux Etats-Unis soudainement interrompue car un nouveau témoin, rongé par des années de remords et de peur pour sa personne, est venu le disculper. Le condamné n’est pas un ange, mais le verdict sera changé : « homicide involontaire » … Le témoin, ne s’expliquant toujours pas d’où il tient son courage, sera protégé.

    Puis une vieille femme mal fagotée, les cheveux en broussaille, les yeux bouffis, en train de dévorer un sandwich et de boire du gros rouge à même la bouteille, protégée par la nuit. « Vieille femme » ? Non, quand on la regarde de près, elle n’a que la quarantaine à peine dépassée. Cette SDF sur son banc fut une avocate de renom, qui a un jour perdu pied. Elle se sent condamnée, elle aussi. Elle a commencé à boire avant de lâcher la profession, elle perdait tous ses procès, quand elle plaidait, ça se voyait et s’entendait qu’elle buvait. Mais alors qu’elle mastique son pain sous son réverbère, un déclic se produit. Chassé le ressassement de ses échecs, la douleur d’un amour perdu, une jeune fille lui crie « Merci ! » à la fin d’un procès célèbre, et le merci s’amplifie à l’infini _ Souvenir ! Un type, qu’elle a défendu aussi, après un casse, est en train de passer la tête à la porte d’une chambre, contemple un instant son fils endormi avant de rejoindre sa femme et se dit : « Où peut donc bien être Maître Duchemin, on n’entend plus parler d’elle. Elle a su trouver les mots justes pour me parler et pour plaider. C’est à elle que je dois de m’en être sorti. J’espère qu’elle continue» _ Vision ! Grande décharge d’adrénaline chez Maître Duchemin sur son banc. Jusque-là, elle a découragé, envoyé promener toutes les aides qui se présentaient. Demain, elle ira frapper à la porte de son frère, il l’a toujours laissé grand ouverte pour elle, c’est elle qui n’est jamais allée, par dégoût d’elle-même, par fierté.

    Dans une cave de HLM, une jeune fille a été entraînée par un groupe de caïds de la cité. Sandra a eu le tort de s’habiller comme elle veut. Tops très décolletés, jeans serrés, robes minis. Ils s’apprêtent à la violer et la force à boire de la bière, ils sont déjà bien imbibés. Ils sont en train de rigoler et la salissent par leurs mots. Sandra est horrifiée, ne crie plus et ne se débat plus, presque inconsciente de terreur et de dégoût. Tout d’un coup, c’est l’immobilité, le silence se fait. Sandra commence à respirer plus normalement et sent l’espoir gonfler en elle. Les jeunes mecs se sont tous assis et ont arrêté de boire. Ils se regardent et comprennent que le même film est en train de se dérouler dans leurs têtes simultanément. Sandra est dans sa chambre avec une amie, c’est samedi après-midi et elles se préparent pour leur sortie. Chaque garçon a l’impression de voir la scène par les yeux de cette amie. « - T’es vraiment canon, toi » dit l’amie, « moi, j’ai un gros cul, je ne peux pas mettre toutes ces tenues, je plais moins, j’suis un boudin ! » « - Mais, Coralie, moi je te trouve très jolie, tu as de beaux yeux, de beaux cheveux, mets en valeur tes atouts. Je vais te faire un brushing, je vais t’aider à te maquiller. » « - Tu connais plein de garçons, toi, dans ton lycée. T’as même eu un copain, même si ça n’a pas duré. Moi je n’en ai jamais eu et je n’ai jamais couché. » «  - Coralie, qu’est-ce que tu crois ? Moi, non plus ! Je viens d’avoir quinze ans, toi tu les as même pas ! Je fais semblant, c’est pour avoir l’air cool ! Avec Cedric, on n’a rien fait, enfin presque. Mais il était trop égoïste, fallait que je me coltine tous les matches à la télé, même quand on aurait pu aller danser ! » «  - Ah bon ! Mais je croyais que … Avec les autres filles du lycée, quand vous parlez des garçons, moi j’ai l’impression que vous faites collection ! » «  - Ecoute, t’es mon amie, je suis bien avec toi. Tout à l’heure en rentrant on fera nos devoirs ensemble. Alors, je ne vais pas garder le masque de la fille que je ne suis pas. Les autres meufs font ce qu’elles veulent, moi je te dis la vérité. D’accord, je suis coquette, j’aime bien provoquer. Sentir que je plais aux garçons, ça me provoque des frissons. Mais je n’ai aucune envie qu’ils me sautent dessus ! Tu sais, avant d’aller faire du shopping, on se cherchera des boucles d’oreilles, hein ?, on traversera la place où ils font du skate, j’espère que Farid y sera. Lui, j’aimerais bien qu’il me regarde. Au lycée, on ne s’est pas encore beaucoup parlé, mais je me sens attirée …

    Le premier film s’estompe, une nouvelle séquence apparaît aux garçons, qui se retrouvent cette fois dans la tête de Sandra. Celle-ci rentre chez elle, ce mardi soir, ça caille, elle est pressée, alors elle coupe par le terrain vague, tête baissée. On lui barre le passage, on la traite de tous les noms, on lui caresse le derrière, elle enlève une main de sa poitrine, mais on l’empoigne, on l’entraîne dans la cave. On la force à boire, en lui tirant les cheveux. FIN DE LA SEQUENCE. Les gars reviennent à eux, ils sont sonnés. Ils ont du mal à se remettre dans leurs personnages. Après s’être incarnés en Coralie, puis en Sandra, leur vision du monde a changé. Sur les filles en tous cas ; pour les trafics, le racket, les caisses de bière ça c’est pas gagné ! «  - Bon, excuse-nous, tu vois bien qu’on était bourrés ! » dit un grand malabar noir, qui a l’air d’être le chef. « Mais dis donc, ‘tit’ sœur, arrête de nous aguicher. Ça fait longtemps qu’on t’a repérée. On ne te demande pas de te couvrir de la tête aux pieds, mais là, t’en fais trop ! Si tu n’as pas compris, nous on te le dit ! T’as bien un gilet, mais, dessous, t’as les seins qui sortent presque et ton string qui dépasse du jean. » «  - T’as raison, Ibrahim. Ouais, tu veux jouer les filles trop libérées, nous on décode : « pute » ou « nympho » grommelle un autre, l’air penaud ; c’est Jason, les bras couverts de tatouages sur ses « biscottos » blancs. Ibrahim reprend les choses en main : « T’es une fille bien, il ne t’arrivera rien. T’inquiète, dans le quartier, on gardera un œil sur toi. Comme sur nos frangines. D’ailleurs va peut-être falloir qu’on révise un peu notre position, elles en ont marre de rester enfermées. » «  - Et un œil sur ta copine, la boulotte, celle qui est toujours avec toi, ajoute un troisième, bien enrobé lui-même, puis il tourne la tête, l’air gêné.

    Personne, ô chose étrange, n’a semblé se demander d’où venaient tous ces flashes et ces nouvelles idées. Cela s’est installé le plus naturellement du monde. Dodue sourit en y pensant et reçois cinq sur cinq un message exprès de Néan : « au-delà de la sympathie, Fée Dodue, notre secret dans ce que vous avez vu, c’est l’empathie, se mettre dans la tête des gens en face de vous. Vous en êtes capables, si vous le voulez, humains terriens, même si vous n’en êtes qu’au début. Nous ne faisons qu’utiliser votre potentiel caché ». Cette phrase que Néan a lancée, même Lena l’a captée, au dehors, dans sa tête, elle a hâte d’en savoir plus par Dodue, quand elle sera revenue.

     

    A suivre

     

    Lenaïg


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    Mon compagnon de cellule est grand et mince, tout en muscles. C’est un mineur, et les lignes noires de sa paume l’attestent : aucun savon, aucun détergent ne peut plus extirper la poussière minérale profondément incrustée. On l’a surpris en train de voler une patate dans la gamelle du chef d’équipe. Il m’a jeté laconiquement que ce n’était pas pour lui, mais pour son jeune frère qui mourait de faim : il était malade et, ne pouvant travailler, ne touchait donc pas de salaire, et celui de mon gaillard n’était même pas suffisant pour lui-même.


    J’en ai eu des frissons. Heureusement que je ne suis pas citoyen de ce pays soumis à une dictature impitoyable. Si le simple vol d’une patate vous amenait ici, qu’est-ce que vous dégustez pour un vol de bagnole ? Il fallait le voir pour le croire, ça dépasse toutes les rumeurs que nous avons entendues sur ce régime.

    Moi, je suis électromécanicien. Je gagne assez bien ma vie, chez nous.

    Evidemment, pour les fêtes de fin d’année, il me fallait du rab : dame ! en ce mois, on dépense facilement le double de ce que l’on gagne d’habitude. Il y a les nippes de madame et de mademoiselle, promises depuis des mois ; je sais bien que c’est pour parader à la messe de minuit, mais si ça leur fait plaisir… Je dois aussi m’acheter des pompes, car mes godasses fatiguées ne vont plus avec mon costume naphtaliné. La petite m’a taquiné comme chaque année en me priant de transmettre au Père Noël son pli ; elle y demandait un scooter… pour ne pas arriver fatiguée au lycée. Hum… Si j’ai de la chance, ce ne sera pas un gros problème, sinon, elle devra se contenter d’un VTT.


    J’ai donc profité des congés pour jeter mon filet dans le lac poissonneux que nous partageons avec notre voisin de sinistre réputation. Comme la frontière est assez floue, j’ai pris la précaution de rester en-deçà du milieu du lac. Ma première fournée n’a pas suffi, et j’ai dû retourner au charbon pour pouvoir acquérir le fameux scooter.


    J’ai été si absorbé que je ne me suis pas rendu compte que le temps s’était gâté. Une pluie diluvienne m’était tombé dessus, on n’y voyait plus à trois mètres. J’ai souqué un peu au hasard, quand le grondement du moteur d’une vedette a percé le vacarme de la pluie.


    Un espion, moi ? Non, mais… Je ne suis qu’un innocent pêcheur, et d’abord j’étais du bon côté de la frontière, je n’étais même pas au milieu du lac. Ces soudards n’ont rien voulu entendre ; barque confisqué, filet retenu, poisson saisi… et bibi en prison, sans autre forme de procès. Enfin, LE procès se fera après les fêtes, on ne va déranger aucun juge pour si peu. Non, aucun coup de téléphone pour un espion, ni avocat, cela va sans dire.


    ***


    J’ai fini par m’apercevoir qu’une dalle de notre cellule donnait un son différent des autres. La prison est une ancienne école transformée : elle était trop éloignée des bidonvilles pour les enfants malnutris. Au début, mon compagnon a fait le rabat-joie ; personne ne s’est encore évadé de cette prison, et puis, comment creuser sans instrument, puisque la fouille est systématique en entrant dans la cellule ?


    Hier, j’ai acquis la sympathie d’un détenu politique, un binoclard aussi frêle qu’un phasme, mais au verbe haut. Sa petite cellule (le cagibi de l’ex surveillant de l’ancienne école) est juste au-dessus de la mienne. Traité avec dédain par les gardes, et considéré comme inoffensif, cet intellectuel va pouvoir contribuer à mon projet.


    Mon compagnon a fini par être convaincu, quand le binoclard a éjecté un nœud du plafond et laissé tomber par le trou une manche de cuillère aiguisée, puis une barre de fer, ensuite une bougie et des allumettes, et enfin une torche-crayon que j’ai rattrapé à temps. Mon mineur connaît son affaire. Malgré quelques ongles cassés, nous avons pu desceller la dalle et commencer à sonder le sol avec la barre de fer ; je me suis fait des ampoules, mais en fouaillant, j’ai fait tomber la terre en-dessous : il y a une cavité. On s’acharne et nous découvrons un sous-sol. Heureusement, nous n’avons pas eu à déblayer de terre, les inspections ne se font pas souvent, mais sont imprévisibles. Nous remettons la dalle en place, les travaux se poursuivront cette nuit. On prépare les polochons qui vont abuser une quelconque inspection surprise, ne dépassant heureusement pas un regard par le guichet.

    Le sous-sol est une pièce condamnée, murée. Nous trouvons parmi les rebuts une pelle à charbon. Ça va faciliter le creusement du tunnel vers la liberté. Avec la barre de fer, on descelle les briques du sous-sol et mon mineur entame le forage de la terre pas trop dure. Je suis plus petit, mais j’abats autant que lui. Il est vrai que lui est sous-alimenté comme beaucoup de ses concitoyens.

    Le binoclard a décidé de nous accompagner ; il pense pouvoir être plus utile libre, même en exil. Il va arracher une planche du plafond et se laisser descendre dans notre cellule, cette nuit. Je lui ai donné une liste de bricoles comme en écrivant mes désidérata au Père Noël, au fond, je n’espérais pas grand’chose. Pourtant, ce diable d’homme s’est débrouillé pour rassembler tout ce que je voulais. Chapeau !


    Le régime est moyennement paranoïaque, comparativement à d’autres dictatures. Les dirigeants se fient à l’atmosphère de terreur pour tenir la population ; à preuve l’absence de toute tentative d’évasion jusqu’ici. En cette période proche des fêtes, les patrouilles de frontière se relâchent un peu, et même les chiens ont été rentrés. Néanmoins, le terrain de part et d’autre de la route menant au lac, est miné. Mais le binoclard nous rassure, il se fait fort de nous mener indemnes jusqu’au lac. Je suppose qu’il connaît les horaires des patrouilles, de sa fenêtre il a une bonne vue sur la route et le lac.


    Cette nuit, on se fait la belle. On retourne nos vêtements, car on va se salir dans le tunnel élaboré par mon mineur. On remet en place, tant bien que mal la planche du plafond, ce qui n’est pas évident d’en bas, mais on espère qu’il n’y aura pas de problème, surtout qu’il fait noir, sinon très sombre. On a aussi du mal à remettre la dalle ; pourvu que les polochons fassent illusion assez longtemps. Je suis claustrophobe, mais mon désir de liberté, ma peur des sévices et tortures que m’ont promis mes geôliers, et surtout mon désir de passer les fêtes auprès de ma famille, ont réussi à lever mon inhibition. Dans l’étroite galerie, je suis quand même baigné de sueur et je sens que mon pouls est trop rapide. On débouche à cinquante centimètres du mur. Il n’y a pas d’enceinte : les autorités sont trop arrogantes pour même penser à en construire.


    Tout en retournant mes vêtements après les avoir secoués, je demande au binoclard de nous mener au garage. Comme de bien entendu, il n’y a pas de garde ; je m’affaire sur les jeeps, j’ai à peine besoin de l’éclairage de la petite torche. Je sais que le temps file, mais je dois être méticuleux. Puis on file : on profite du passage d’un nuage pour courir courbés jusqu’au bosquet. Le mineur allait rejoindre la route, quand mon binoclard le retient : on va passer par la garrigue. Fichtre ! Mais ce type est ouf à lier ! Et les mines ?


    Le binoclard nous dit de nous accroupir et d’attendre. Bien, le temps passe vite et monsieur nous dit d’attendre. Alors attendons. Un croissant de lune éclaire vaguement le paysage. Une mangouste apparaît à gauche. Elle renifle par terre en zigzagant, puis s’immobilise, en arrêt. Elle a repéré quelque chose. Je regarde dans la direction. Une forme vague. Un serpent. La mangouste reprend son manège tout en se rapprochant de sa proie.


    Une patrouille passe sur la route d’un pas relativement nonchalant. On voit bien que le cœur n’y est pas et que les pensées sont tendues vers les fêtes proches. Le binoclard nous fait signe de le suivre, dos courbé. Ce petit cachottier a une mémoire d’éléphant et avoue être un amoureux de la nature qu’il adore observer. Nous suivons les traces de la mangouste qui sait déjouer les pièges mortels ; je suis tout de même sidéré et tout à la fois plongé dans une peur angoissée, par son agilité, harcelant le serpent tout en évitant les mines.


    On arrive sauf, mais trempés de sueur – du moins le mineur et moi – à l’étroite plage. On doit faire vite, la patrouille va repasser. Le mineur s’engage rapidement mais silencieusement sur le ponton du débarcadère, la barre de fer à la main, et s’approche en rampant de la vedette. Le vent nous apporte l’écho d’une animation joyeuse. Les soudards se donnent du bon temps entre deux patrouilles. Le mineur se redresse et bondit sur les trois hommes en brandissant sa barre. Le binoclard et moi ne distinguons pas bien ce qui se passe, mais un coup de feu assourdi éclate. Nous restons figés de terreur de longues secondes. Mais rien ne bouge sur la vedette. Nous nous enhardissons et courons vers l’embarcation. Nous distinguons quatre corps. Le mineur n’a pas eu de chance : il a chopé une balle à bout touchant, ce qui a assourdi la détonation. Je le respectais et l’estimais beaucoup, et la tristesse me paralyse ; si j’étais une gonzesse, j’aurais pleuré comme une madeleine.


    Le binoclard me secoue doucement, il faut respecter le plan que j’ai moi-même élaboré. Une lueur s’élève du côté de la prison. Les jeeps que j’ai sabotées ont pris feu et l’explosion des réservoirs ne tarde pas. Je dis à mon compagnon de sauter et de monter dans ma barque. Je finis mon bricolage sur la vedette et je rejoins le binoclard. La patrouille ne va pas tarder à rappliquer. Le moteur vrombit alors, et la vedette, libérée de son amarre, file sur l’eau, parallèlement à la plage. Nous commençons à souquer.


    La patrouille n’a pas été leurrée par la vedette. Les rafales nous poursuivent. On fait une mauvaise cible, mais des balles nous atteignent. La barque commence à faire eau. Un projectile a éraflé la tête du binoclard qui s’abat, ensanglanté et étourdi. Mon ange gardien m’a préservé, et je m’acharne à atteindre au moins le milieu du lac. En face, une vedette s’est approchée, mais s’arrête bientôt, ne voulant pas franchir la frontière imaginaire.


    La barque va sombrer. Je ne sais pas si le binoclard – qui a perdu ses bésicles - sait nager. Je nous déshabille et essaie de le ranimer avec des claques. Ouf ! Il sait nager, peut-être pas bien, mais il ne va pas couler. Quand même, après une centaine de mètres, je dois l’aider. Je n’ai pas le droit de traiter les types de la vedette de salauds, ils ne peuvent se permettre un incident de frontière.

    Le binoclard a demandé à passer Noël avec nous, avant de poser sa demande d’asile politique. Il n’a plus de famille, ses parents ont été exécutés comme dissidents, et sa sœur est morte d’anorexie dans une autre prison.

    - Je suis désolé ma puce, j’ai égaré ta lettre au Père Noël.

    - M’en fiche, te revoir vivant est un cadeau de loin meilleur qu’un scooter, papa.

    - Tu sais que j’ai vraiment eu chaud. Mais ne t’en fais pas, tu auras au moins un VTT.


    Auteur : Rahar.

     

    Illustration :

    Le Père Noël en prison

    www.cartoonstock.com


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