• Ils sont là ! Chapitre 5 - Lenaïg

     Fée Dodue est restée seule dans l’appartement, elle attend, et finit par s’endormir. Elle n’a pas eu son compte de sommeil cette nuit. Avant que Lena ne sorte, elles ont choisi ensemble un prénom pour la Chef : Cassandra. Cela lui ira bien : Cassandre était celle qui prophétisait, et qu’on ne croyait pas ! En plus, c’est une façon de conjurer le sort : cette Cassandre-ci n’annonce pas le malheur … Avant de sombrer dans le sommeil, Dodue voit défiler ce que Néan lui a déjà montré.

    La marche d’un condamné à mort aux Etats-Unis soudainement interrompue car un nouveau témoin, rongé par des années de remords et de peur pour sa personne, est venu le disculper. Le condamné n’est pas un ange, mais le verdict sera changé : « homicide involontaire » … Le témoin, ne s’expliquant toujours pas d’où il tient son courage, sera protégé.

    Puis une vieille femme mal fagotée, les cheveux en broussaille, les yeux bouffis, en train de dévorer un sandwich et de boire du gros rouge à même la bouteille, protégée par la nuit. « Vieille femme » ? Non, quand on la regarde de près, elle n’a que la quarantaine à peine dépassée. Cette SDF sur son banc fut une avocate de renom, qui a un jour perdu pied. Elle se sent condamnée, elle aussi. Elle a commencé à boire avant de lâcher la profession, elle perdait tous ses procès, quand elle plaidait, ça se voyait et s’entendait qu’elle buvait. Mais alors qu’elle mastique son pain sous son réverbère, un déclic se produit. Chassé le ressassement de ses échecs, la douleur d’un amour perdu, une jeune fille lui crie « Merci ! » à la fin d’un procès célèbre, et le merci s’amplifie à l’infini _ Souvenir ! Un type, qu’elle a défendu aussi, après un casse, est en train de passer la tête à la porte d’une chambre, contemple un instant son fils endormi avant de rejoindre sa femme et se dit : « Où peut donc bien être Maître Duchemin, on n’entend plus parler d’elle. Elle a su trouver les mots justes pour me parler et pour plaider. C’est à elle que je dois de m’en être sorti. J’espère qu’elle continue» _ Vision ! Grande décharge d’adrénaline chez Maître Duchemin sur son banc. Jusque-là, elle a découragé, envoyé promener toutes les aides qui se présentaient. Demain, elle ira frapper à la porte de son frère, il l’a toujours laissé grand ouverte pour elle, c’est elle qui n’est jamais allée, par dégoût d’elle-même, par fierté.

    Dans une cave de HLM, une jeune fille a été entraînée par un groupe de caïds de la cité. Sandra a eu le tort de s’habiller comme elle veut. Tops très décolletés, jeans serrés, robes minis. Ils s’apprêtent à la violer et la force à boire de la bière, ils sont déjà bien imbibés. Ils sont en train de rigoler et la salissent par leurs mots. Sandra est horrifiée, ne crie plus et ne se débat plus, presque inconsciente de terreur et de dégoût. Tout d’un coup, c’est l’immobilité, le silence se fait. Sandra commence à respirer plus normalement et sent l’espoir gonfler en elle. Les jeunes mecs se sont tous assis et ont arrêté de boire. Ils se regardent et comprennent que le même film est en train de se dérouler dans leurs têtes simultanément. Sandra est dans sa chambre avec une amie, c’est samedi après-midi et elles se préparent pour leur sortie. Chaque garçon a l’impression de voir la scène par les yeux de cette amie. « - T’es vraiment canon, toi » dit l’amie, « moi, j’ai un gros cul, je ne peux pas mettre toutes ces tenues, je plais moins, j’suis un boudin ! » « - Mais, Coralie, moi je te trouve très jolie, tu as de beaux yeux, de beaux cheveux, mets en valeur tes atouts. Je vais te faire un brushing, je vais t’aider à te maquiller. » « - Tu connais plein de garçons, toi, dans ton lycée. T’as même eu un copain, même si ça n’a pas duré. Moi je n’en ai jamais eu et je n’ai jamais couché. » «  - Coralie, qu’est-ce que tu crois ? Moi, non plus ! Je viens d’avoir quinze ans, toi tu les as même pas ! Je fais semblant, c’est pour avoir l’air cool ! Avec Cedric, on n’a rien fait, enfin presque. Mais il était trop égoïste, fallait que je me coltine tous les matches à la télé, même quand on aurait pu aller danser ! » «  - Ah bon ! Mais je croyais que … Avec les autres filles du lycée, quand vous parlez des garçons, moi j’ai l’impression que vous faites collection ! » «  - Ecoute, t’es mon amie, je suis bien avec toi. Tout à l’heure en rentrant on fera nos devoirs ensemble. Alors, je ne vais pas garder le masque de la fille que je ne suis pas. Les autres meufs font ce qu’elles veulent, moi je te dis la vérité. D’accord, je suis coquette, j’aime bien provoquer. Sentir que je plais aux garçons, ça me provoque des frissons. Mais je n’ai aucune envie qu’ils me sautent dessus ! Tu sais, avant d’aller faire du shopping, on se cherchera des boucles d’oreilles, hein ?, on traversera la place où ils font du skate, j’espère que Farid y sera. Lui, j’aimerais bien qu’il me regarde. Au lycée, on ne s’est pas encore beaucoup parlé, mais je me sens attirée …

    Le premier film s’estompe, une nouvelle séquence apparaît aux garçons, qui se retrouvent cette fois dans la tête de Sandra. Celle-ci rentre chez elle, ce mardi soir, ça caille, elle est pressée, alors elle coupe par le terrain vague, tête baissée. On lui barre le passage, on la traite de tous les noms, on lui caresse le derrière, elle enlève une main de sa poitrine, mais on l’empoigne, on l’entraîne dans la cave. On la force à boire, en lui tirant les cheveux. FIN DE LA SEQUENCE. Les gars reviennent à eux, ils sont sonnés. Ils ont du mal à se remettre dans leurs personnages. Après s’être incarnés en Coralie, puis en Sandra, leur vision du monde a changé. Sur les filles en tous cas ; pour les trafics, le racket, les caisses de bière ça c’est pas gagné ! «  - Bon, excuse-nous, tu vois bien qu’on était bourrés ! » dit un grand malabar noir, qui a l’air d’être le chef. « Mais dis donc, ‘tit’ sœur, arrête de nous aguicher. Ça fait longtemps qu’on t’a repérée. On ne te demande pas de te couvrir de la tête aux pieds, mais là, t’en fais trop ! Si tu n’as pas compris, nous on te le dit ! T’as bien un gilet, mais, dessous, t’as les seins qui sortent presque et ton string qui dépasse du jean. » «  - T’as raison, Ibrahim. Ouais, tu veux jouer les filles trop libérées, nous on décode : « pute » ou « nympho » grommelle un autre, l’air penaud ; c’est Jason, les bras couverts de tatouages sur ses « biscottos » blancs. Ibrahim reprend les choses en main : « T’es une fille bien, il ne t’arrivera rien. T’inquiète, dans le quartier, on gardera un œil sur toi. Comme sur nos frangines. D’ailleurs va peut-être falloir qu’on révise un peu notre position, elles en ont marre de rester enfermées. » «  - Et un œil sur ta copine, la boulotte, celle qui est toujours avec toi, ajoute un troisième, bien enrobé lui-même, puis il tourne la tête, l’air gêné.

    Personne, ô chose étrange, n’a semblé se demander d’où venaient tous ces flashes et ces nouvelles idées. Cela s’est installé le plus naturellement du monde. Dodue sourit en y pensant et reçois cinq sur cinq un message exprès de Néan : « au-delà de la sympathie, Fée Dodue, notre secret dans ce que vous avez vu, c’est l’empathie, se mettre dans la tête des gens en face de vous. Vous en êtes capables, si vous le voulez, humains terriens, même si vous n’en êtes qu’au début. Nous ne faisons qu’utiliser votre potentiel caché ». Cette phrase que Néan a lancée, même Lena l’a captée, au dehors, dans sa tête, elle a hâte d’en savoir plus par Dodue, quand elle sera revenue.

     

    A suivre

     

    Lenaïg


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