• Velib

     

    Extrait du journal intime d'Adèle Chémen (18 ans).

     

    C'est guedin ! Déjà, j'ai dégoté un job de vacances : je fais le ménage chez … je n'en reviens toujours pas : Lee McHaeden. Ouiii, trop cool, le scénariste écossais, qui commence à cartonner !

     

    J'ignorais que son épouse est française et que Lee vient souvent séjourner dans l'appartement de sa femme à Paris. La boîte à lettres est au nom de celle-ci. Je suis tenue au secret. Depuis que j'ai commencé mes heures chez eux, je n'ai rencontré que Madame, qui officie dans la cuisine et me fais parfois goûter ses gâteaux ou ses entrées. Dans le bureau de Monsieur, je dois passer l'aspirateur. Il m'est interdit de toucher à son bureau, d'y déplacer le moindre objet ou document. Mais on m'a demandé de vider tous les jours sa corbeille à papiers. Comme il dispose d'une broyeuse, j'imagine qu'il fait disparaître ce qu'il ne veut pas voir piraté et n'attache aucune importance à ce qu'il jette dans sa corbeille.

     

    Hier matin, sous un amoncellement d'emballages de barres énergétiques, de mouchoirs et boulettes de papier, deux ou trois canettes de bière et de soda, voilà que je découvre, repassée au-dessus dans mon sac poubelle encore ouvert, une feuille à peine froissée, même pas salie, détachée d'un bloc, couverte de lignes manuscrites, en anglais, agrémentée de dessins plus ou moins abstraits, de ceux qu'on réalise machinalement, quand on est au téléphone, par exemple. Mon employeur a l'air de beaucoup se servir de son ordinateur … A-t-il rédigé ces deux paragraphes dans le bus ou le métro, dans un square sur un banc ? Mais c'est un trésor que je tiens entre les mains ! Le nom Ladyblue m'a mis la puce à l'oreille ! Il y a un jeu du même nom sur internet et on a annoncé la sortie d'un roman et le prochain tournage d'un film, de coproduction et de distribution internationale, mettant en scène cette héroïne. Ce fut la révélation : j'étais chez Lee McHaeden !

     

    Scarlett O'Hara - Vivian LeighJ'ai dû plier la feuille en deux pour la glisser dans ma poche. Suis-je une voleuse ? Je n'en sais rien mais cela m'a passionnée, hier soir, de traduire les lignes manuscrites et de taper le tout sur mon disque dur. Ouah, quelle découverte excitante ! Je vais bien le croiser un jour, avant la fin du mois et, pour la conduite à tenir, selon l'évolution de la situation, je lui dirai, ou pas. Ou j'en parlerai à sa femme. Aucune idée de la stratégie à appliquer … Je pourrais mettre en avant mes études d'anglais, leur dire que je me suis ainsi entraînée à faire de la traduction, leur demander ce qu'ils en pensent et, si j'ai de la chance, le papier sera dédicacé …

     

    Fin de l'extrait du journal.

    ***

     

    Traduction des lignes manuscrites de Lee McHaeden par Adèle Chémen.

     

    236704-toujours-dejantee-lady-gaga-637x0-4La liberté, c'est de se retrouver, ni vu ni su (mises à part quelques complicités), à Paris, au mois d'août, quand on vous croit parti aussi et qu'on vous envoie des cartes postales et des bisous, d'un peu partout ! Comme une fugue à l'envers ! Moins d'embouteillages ou de pagaille dans les rues, c'est le moment de se risquer à pédaler sur un Vélib', à jouer le patineur sur trottinette en chassant de son ventre le trac de celui qui n'a pas pratiqué depuis des années.

     

    Saperlipopette, pas de quoi mourir d'ennui, bien au contraire ! Savourer cette source de petits plaisirs sans avoir à se méfier des entourloupes et intrigues de la rentrée de septembre. L'après-midi, après la sieste, au frais derrière ses volets, se mettre à son pupitre, transformant l'idée en plan de roman selon le gré du moment, ou lâcher la bride à l'inspiration ; poursuivre alors sans effort les chapitres de la vie étrange et mouvementée de Ladyblue, l'héroïne pour grands enfants, une Scarlett O'Hara devenue Lady Gaga !

    ***

     

    Lenaïg, pour le jeu du mardi de L'Esprit de la lettre, sur facebook.

    Les mots imposés sont en gras (uniquement dans la deuxième partie de texte).

     


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  • fromage-coulantIl sursauta en ouvrant son quotidien. Eustache Trompette, lorsqu'il prenait son petit déjeuner, savourait la satisfaction de tourner les pages de L'Ornithorynque Libre, que son majordome palefrenier néanmoins ami était au préalable allé chercher à la boîte aux lettres, parcourant les cinq cents mètres entre le mur d'enceinte et la coquette maison d'habitation.

     

    ***

     

    Eustache s'arrêtait d'abord sur la page des mots croisés, jaugeait la difficulté de la grille du jour, vérifiait la solution de la veille et, seulement après, s'intéressait aux nouvelles de la région. Ensuite, à son programme quotidien, il avait le soin des vaches laitières et surtout de ses chevaux de courses, sa fierté ! Eustache ne lésinait pas à la tâche, malgré son âge, et s'y employait presque aussi dur que son majordome et néanmoins ami Gaétan. En soirée, les deux compères s'accordaient une chevauchée sur Boniface et Carpaccio, leurs purs-sangs préférés. Puis venait l'instant délicieux des mots croisés ! Ceux de L'Ornithorynque Libre étaient corsés, les définitions subtiles et pleines d'esprit ! Comme il se délectait de cette gymnastique mentale et de ses recherches fébriles dans son dictionnaire !

     

    ***

     

    Mais ce matin-là, Eustache fut envahi par la stupéfaction et la panique. Point de mots croisés à la page habituelle, même pas la solution de ceux de la veille, non ! Juste de la pub, pour des glaces et des crèmes sucrées à souhait, et lui qui les avait en horreur ! Car, en dessert, rien ne valait un bon camembert. Il eut beau passer à la loupe toutes les pages du quotidien, rien ! Et pas un mot d'excuse ni d'explication !

     

    ***

     

    Eustache s'empara de son vuvuzela, qu'il s'était fait livrer directement d'Afrique du Sud, un vrai de vrai, et souffla furieusement dedans. Gaétan avait un peu protesté devant cette gaminerie remplaçant la cloche traditionnelle, mais il répondait à l'appel de son patron et néanmoins ami. Enfin, en principe car, ce matin-là, il ne se pointa pas !

     

    ***

     

    Eustache cria trois fois : "Gaétan !" et le son de sa propre voix de stentor le réveilla. Ce n'était qu'un vulgaire cauchemar eut-il le temps de se dire en entendant Gaétan qui grimpait l'escalier quatre à quatre et déboulait dans sa chambre. "Qu'est-ce qui t'arrive, Eustache ? Une urgence, un malaise ?" Puis, constatant l'air mi penaud mi rigolard d'Eustache, Gaétan se reprit et formula son verdict sur le mode qu'il affectionnait sans y être nullement tenu : "Je vois. J'avais pourtant mis Monsieur en garde hier soir. Un camembert entier au dîner, cauchemars assurés !"

     

    ***

     

    Revigoré par une bonne douche, Eustache ouvrit son journal, non sans une certaine appréhension. Ouf ! Tout était en ordre. Il vérifia le résultat de ses cogitations de la veille. Un mot lui avait résisté et son dictionnaire ne l'avait pas aidé.

    ***

    Les "éponges anciennes" (définition : importants fossiles du cambrien, constructeurs de récifs calcaires, peut-être des éponges), étaient des : ARCHAEOCYATHIDES ! Eustache avait glissé un "l" au lieu d'un "y", sans certitude et sans pouvoir recouper son choix avec le mot horizontal du fait que la lettre inconnue se nichait entre deux cases noires. Finalement, il ne s'en était pas mal tiré.

     

     

    Lenaïg

    ***

    Merci, Mona de m'avoir donné de l'inspiration. Si on aime, comme ma Fée Dodue et moi passer les frontières (ou ne pas y faire attention !), se promener sur d'autres sites, forums, communautés ou blogs, en plus d'OB, si on dispose de temps pour cela, on pourra aller voir sur Plumes au vent de Marc Varin, les différents essais proposés. On verra que la phrase du début imposée était légèrement différente.

    En ce moment, je n'arrive pas à être sur plusieurs fronts à la fois ; désolée de ne pas être donc de tous les défis, ce qui ne m'empêche pas d'aller apprécier ce que les amis de plume ont fait !

     


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  • 450px-Paris Montmartre fontaine Wallace dsc07302Lydie éprouve un gros ras le bol : empathie, impuissance, colère, chagrin et doux souvenirs, tout se mêle et se bouscule dans sa tête. Son sac à main déjà à l'épaule, elle avale quelques dernières gorgées de café avant de rincer sa tasse vite fait, d'empoigner l'étui de son instrument favori et de sauter dans le bus 33 en direction du cimetière.

     

     

    Il est déjà là, l'homme à la mine patibulaire, le clochard joueur d'accordéon, le frère d'infortune du défunt Sacha Kourkoff, dissimulant sa peine sous son air bourru. En apercevant Lydie, il grimace l'ébauche d'un sourire. Sacha Kourkoff était SDF lui aussi, ancien professeur de musique, violoniste accompli, détruit par l'alcool. Lydie le retrouvait le soir près de la fontaine ; elle sortait son violon et jouait pour lui ; sous les tilleuls de la place, Sacha redevenait l'homme qu'il était avant, l'écoutant attentivement et lui prodiguant des conseils précieux qui la faisait jouer encore mieux.

     

     

    Il y a déjà longtemps, Sacha avait été mis à la porte de chez lui, ne pouvant plus payer son loyer, simplement muni d'une petite valise. L'heure n'est plus à la révolte, se dit Lydie, qui avait tellement souhaité que l'argent qu'elle filait souvent à Sacha eût servi à ce qu'il se paie une bonne nuit d'hôtel et un peu de confort mais se doutait bien que tout partait en gros rouge abrutissant ; la cirrhose a eu raison de lui.

     

     

    Tandis que les employés des Pompes funèbres effectuent la descente du cercueil, Lydie, sans prêter attention au fait que ses talons aiguille s'enfoncent à moitié dans la terre de l'allée, accompagnée par l'homme à l'accordéon,transforme ce qui n'aurait pu être qualifié que d'enterrement de troisième classe en un vibrant dernier hommage.

     

     

    Voici que s'élève, en effet, ce matin, au milieu des joyeux chants des merles, couvrant le bruit de la scie d'un chantier plus loin, la mélodie du Temps du muguet, suivie de bien d'autres chansons. Les sanglots longs des violons de l'automne n'ont pas leur place dans ce cimetière où même les croque-morts ont l'air ému. C'est le printemps, que diable !, Sacha est parti mais qui sait s'il n'entend pas, là où il est, le message d'amitié porté sur les notes jouées par l'homme à l'accordéon et la femme au violon.

     

     

    Lenaïg

     

    Illustration :

     

    Copyright © 2005

    Paris, Montmartre, Fontaine Wallace David Monniaux

     

    Les fontaines Wallace sont des points d'eau potable publics qui se présentent sous la forme de petits édicules en fonte présents dans plusieurs villes dans le monde. C'est à Paris qu'elles furent implantées en premier et qu'on en trouve le plus grand nombre. Elles tiennent leur nom du philanthrope britannique Richard Wallace qui finança leur édification. D'une grande réussite esthétique, elles sont reconnues dans le monde entier comme un des symboles de Paris (Source (!) Wikipedia).

     

    En illustration sonore, si on veut, on peut écouter Le temps du muguet, chanson populaire russe joliment reprise par Francis Lemarque (lui-même d'origine russe). Deezer étant indisponible depuis hier, je ne peux pas l'insérer ici.

     


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  • salers-tourisme.fr/infolive/agenda/_bal.gifC'était maintenant devenu un évènement annuel : le petit bal rétro du 14 juillet à Vieillesouche en Terre, charmante localité de la France dite profonde, douillettement entourée de verdure, de rivières et de lacs. Josiane et son mari, tous deux en retraite, venaient de s'installer dans la commune, après avoir eu le coup de foudre pour une vieille bâtisse du cru, qu'ils comptaient retaper et aménager afin d'y recevoir enfants et petits-enfants pendant les vacances.

     

     L'une de leurs petites-filles était déjà là pour une semaine, avant de s'envoler vers d'autres cieux pour le reste de l'été. Géraldine était tout excitée à la perspective du bal, dont la réputation n'était plus à faire dans la région. Toutes les générations se rassemblaient à ce fameux bal et cette année, le thème était les années 60. Josiane et Géraldine s'étaient bien diverties : d'abord en se choisissant les tenues vestimentaires adéquates, jupe à carreaux Vichy, corsage à manches ballon et ballerines, couettes à la Sheila pour Géraldine, robe droite en soie imprimée, chignon postiche et escarpins pour Josiane ; ensuite elles avaient appris ou revu les mouvements du twist, les pas du madison et du rock. Géraldine, plus habituée aux teufs de son époque, trouvait cela "cool !" Grand-père Philippe assistait à ces répétitions à la fois amusé et méfiant. Il n'aimait plus danser, le bruit l'incommodait ; il avait prévenu : "Vous irez à ce bal sans moi !" mais il sentait bien que Josiane n'avait pas renoncé à le persuader.

     

     Soudain, alors que Josiane passait devant la chambre de Géraldine un soir, en fredonnant "La plus belle pour aller danser", ce fut "Love me tender" qu'elle capta, en se figeant. Une intense émotion l'envahit : ce garçon dont elle était amoureuse au lycée, avec qui elle avait tant espéré danser lors de la boum de fin d'année … ce garçon en avait invité une autre sur ce slow d'Elvis et sur tous les autres après. Elle s'était enfuie, torturée par le chagrin, en avait pleuré toute la nuit, ou presque. Elle avait tout à fait occulté ce poignant souvenir et le voilà qui la reprenait à la gorge ! Elle haïssait cette chanson !

     

     Elle se secoua, se rappela que ce n'était plus elle qui avait seize ans, éprouva le besoin de rejoindre Philippe au jardin. L'entourant par surprise de ses bras, submergée par la tendresse, alors qu'il était en train de regarder ses tomates cerise pousser, elle lui déclara : "Tu sais, en fait, je n'irai pas non plus au bal, finalement, je préfère rester avec toi !" Philippe, ému, garda le silence mais, au dîner, il annonça à Josiane et Géraldine médusées :"Bon, les filles, je ne vais pas continuer à jouer les vieux barbons, je vous accompagne à ce bal, histoire de voir de quoi il retourne, mais je ne veux pas m'y éterniser. J'ai envie de vous admirer dans vos jolies robes aussi !"

     

     Ce qui fut dit fut fait. Josiane et Philippe, pris par l'ambiance, effectuèrent un madison en règle et même un rock avant de quitter les lieux des festivités bras dessus bras dessous, laissant Géraldine en conversation animée avec les jeunes du village, dont un grand escogriffe qui semblait bien lui plaire. Auparavant, Grand-père avait juste indiqué à sa petite-fille : "j'aimerais que tu ne t'attardes pas jusqu'à la fin, choupette. On sait que l'alcool, ou je ne sais quoi aidant, l'atmosphère finit par se gâter. En cas de problème, tu nous appelles. Sinon, fais-toi raccompagner jusqu'ici. Promis !"

     

     Au petit déjeuner, Josiane et Philippe commentaient le fameux événement annuel, favorablement impressionnés par la qualité de l'orchestre et la jovialité de l'ensemble. Géraldine finit par faire surface, traînant les mules, dans son pyjama short. Grand-père risqua une petite remarque : "Alors, tu as fait une touche ? Y avait un grand gaillard avec qui tu discutais sec quand nous sommes partis !" Géraldine s'assombrit quelques secondes en même temps qu'elle grommelait : "Ah, celui-là … nul, sans intérêt ! Au premier slow, "Love me tender", il a invité la fille de l'épicière et je ne l'ai plus revu ! Mais j'aime bien Justin, le fils de vos voisins ; c'est lui qui m'a raccompagné ; je pense qu'on va se revoir."

    Josiane dissimula le choc que la brève confession de sa petite-fille lui apportait et, bizarrement rayonnante, s'écria : "Ah ah ! Et il est bien mignon ce Justin !" Géraldine, au lieu de rougir comme elle-même aurait fait, haussa légèrement les épaules et , devant l'air réjoui de sa grand-mère, éclata de rire.

     

    Géraldine avait pris l'avion en destination d'un chantier de fouilles en Grèce. En l'attente d'autres visiteurs qui débarqueraient bientôt, avec Philippe, Josiane continua à rendre la demeure aussi accueillante que possible avant les grands travaux de septembre.

    Elle rassembla les CD des Sixties ; sur une vive impulsion, elle saisit celui des tubes de Presley, le fourra dans son sac et sortit faire des courses. Les Chaussettes Noires, les Surf, Sylvie, Françoise et compagnie eurent la vie sauve mais, en passant, elle jeta Elvis dans un conteneur à ordures.

     

    Lenaïg

    ***

     

    Nouveau jeu : le texte sandwich !!!

    Première phrase : C'était maintenant devenu un évènement annuel.

    dernière phrase : Elle jeta Elvis dans un conteneur à ordures.

    Ces phrases sont les première et dernière de Millénium 1 de Stieg Larson, à vous d'en faire votre propre histoire...

    Amicalement vôtre

    Marc

    Forum Plumes au vent.

     

     

     

    Image : salers-tourisme.fr/infolive/agenda/_bal.gif


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  • Cyprien était quelqu'un de bien !LA GAZETTE DE JOLIBOURG

    Samedi 2 avril 2015

     

    Cyprien était quelqu'un de bien !

     

    Cyprien Chapiteau vient de mourir à l'âge vénérable de 95 ans. Sa veuve Paulette, 90 ans seulement, est inconsolable, mais chaleureusement entourée de sa nombreuse progéniture et ses voisins.

     

    Paulette Chapiteau est une croyante fervente et pratiquante, à l'opposé de son mari, qui ne mettait -nous a-t-on rapporté- les pieds à l'église que pour les grandes occasions et avait l'habitude de lui dire :

    "Paulette poulette, t'en sais rien, ce qu'il y a après ... Peut-être rien ! Alors, dis-toi que c'est le Grand Repos ... Mais comme tout est possible, ne m'oublie pas dans tes prières, des fois que cela puisse me servir !"

     

    Son enterrement a eu lieu hier, 1er avril. Ce jour précis était la volonté de Cyprien qui, à bout de souffle et de force, avait été transporté au CHU de la ville, malgré lui d'ailleurs, il y a quinze jours.

     

    Monsieur Chapiteau a gardé sa bonne humeur jusqu'au bout. Derrière son masque à oxygène, il faisait des clins d'oeil à sa femme et, surtout, il a reçu tous ses potes pêcheurs, jeunes et vieux, pour un entretien à huis clos. On a pu voir ces derniers ressortir de la chambre en s'essuyant les yeux tout en riant à moitié. Ceci est un détail important pour la suite ...

     

    Les funérailles de Cyprien se sont placées sous le signe de l'allégresse et de la farce bon enfant. Des touristes stupéfaits ont pu voir, tandis que le cercueil était hissé sur le corbillard tiré par un superbe percheron -choix du défunt là aussi-, une assistance nombreuse et bigarrée qui sortait de l'église en s'esclaffant tandis que deux compères clowns, postés de chaque côté du porche, épinglaient dans le dos de chacun des poissons de carton ...

     

    De la couleur ! avait également souhaité Monsieur Chapiteau. Même sa veuve portait son manteau gris perle et, autour du cou, le foulard de soie rose éclatant cadeau de son mari. Personne ne portait du noir, les enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants du défunt avait endossé qui veste ou chemise, ou les deux, bleues, orange, rouges, violettes, qui T-shirts rigolos ...

     

    Le cortège s'est acheminé gaiement jusqu'au cimetière, les amis pêcheurs de Cyprien scandant la marche en soufflant dans des mirlitons. Il convient de rappeler que Monsieur Chapiteau, qui portait bien son nom de famille, avait une passion pour les clowns, dont il endossait lui-même l'habit lors des fêtes et banquets et ses prestations remportaient toujours un franc succès.

     

    Chacun a écrit un petit mot sur son poisson de carton, destiné à Cyprien, et l'a déposé dans une grande corbeille au milieu des gerbes de fleurs qui attendaient déjà, plus traditionnelles mais néanmoins pimpantes. Le curé, mis au préalable dans la confidence, n'a rien eu à y redire. Après tout, ces petits poissons représentaient un symbole chrétien !

     

    Clou de la fête, car il n'est pas saugrenu de nommer ainsi cet invraisemblable enterrement : un petit avion a survolé le cimetière, déroulant dans son sillage une large banderole bleue dont les immenses lettres orange formaient la phrase :

    Cyprien était quelqu'un de bien ! Cela, c'était une idée originale des amis du Club de pêche. Le reste est sorti de l'imagination de Cyprien lui-même, avant qu'il ne décède tout doucement le 29 mars à l'approche de minuit, sa femme endormie dans le fauteuil à côté de lui.

     

    Même le seul ennemi connu de Cyprien était présent à l'enterrement : son voisin, fâché de longue date pour une histoire de mur mitoyen ... Il secouait la tête d'un air désapprobateur mais des témoins ont cru discerner dans son regard une lueur d'envie et l'entendre maugréer : "Au fond, ce n'était pas un mauvais bougre" ... Il se pourrait qu'il rêve secrètement d'un aussi bel enterrement, quand son heure sera venue.

     

    Lenaïg

     

     


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