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Jeu n° 2 d'Hélène-le-Calame-et-la-plume - Le temps du muguet - Lenaïg
Lydie éprouve un gros ras le bol : empathie, impuissance, colère, chagrin et doux souvenirs, tout se mêle et se bouscule dans sa tête. Son sac à main déjà à l'épaule, elle avale quelques dernières gorgées de café avant de rincer sa tasse vite fait, d'empoigner l'étui de son instrument favori et de sauter dans le bus 33 en direction du cimetière.
Il est déjà là, l'homme à la mine patibulaire, le clochard joueur d'accordéon, le frère d'infortune du défunt Sacha Kourkoff, dissimulant sa peine sous son air bourru. En apercevant Lydie, il grimace l'ébauche d'un sourire. Sacha Kourkoff était SDF lui aussi, ancien professeur de musique, violoniste accompli, détruit par l'alcool. Lydie le retrouvait le soir près de la fontaine ; elle sortait son violon et jouait pour lui ; sous les tilleuls de la place, Sacha redevenait l'homme qu'il était avant, l'écoutant attentivement et lui prodiguant des conseils précieux qui la faisait jouer encore mieux.
Il y a déjà longtemps, Sacha avait été mis à la porte de chez lui, ne pouvant plus payer son loyer, simplement muni d'une petite valise. L'heure n'est plus à la révolte, se dit Lydie, qui avait tellement souhaité que l'argent qu'elle filait souvent à Sacha eût servi à ce qu'il se paie une bonne nuit d'hôtel et un peu de confort mais se doutait bien que tout partait en gros rouge abrutissant ; la cirrhose a eu raison de lui.
Tandis que les employés des Pompes funèbres effectuent la descente du cercueil, Lydie, sans prêter attention au fait que ses talons aiguille s'enfoncent à moitié dans la terre de l'allée, accompagnée par l'homme à l'accordéon,transforme ce qui n'aurait pu être qualifié que d'enterrement de troisième classe en un vibrant dernier hommage.
Voici que s'élève, en effet, ce matin, au milieu des joyeux chants des merles, couvrant le bruit de la scie d'un chantier plus loin, la mélodie du Temps du muguet, suivie de bien d'autres chansons. Les sanglots longs des violons de l'automne n'ont pas leur place dans ce cimetière où même les croque-morts ont l'air ému. C'est le printemps, que diable !, Sacha est parti mais qui sait s'il n'entend pas, là où il est, le message d'amitié porté sur les notes jouées par l'homme à l'accordéon et la femme au violon.
Lenaïg
Illustration :
Copyright © 2005
Paris, Montmartre, Fontaine Wallace David Monniaux
Les fontaines Wallace sont des points d'eau potable publics qui se présentent sous la forme de petits édicules en fonte présents dans plusieurs villes dans le monde. C'est à Paris qu'elles furent implantées en premier et qu'on en trouve le plus grand nombre. Elles tiennent leur nom du philanthrope britannique Richard Wallace qui finança leur édification. D'une grande réussite esthétique, elles sont reconnues dans le monde entier comme un des symboles de Paris (Source (!) Wikipedia).
En illustration sonore, si on veut, on peut écouter Le temps du muguet, chanson populaire russe joliment reprise par Francis Lemarque (lui-même d'origine russe). Deezer étant indisponible depuis hier, je ne peux pas l'insérer ici.
Tags : sacha, lydie, homme, fontaine, temps
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Commentaires
Quel bel hommage Lénaïg enfin un texte qui n'est pas agressif avec ces douze mots qui nous y plongeaient tout droit !! j'aime ce petit détour par Paris en plus m^me si c'est pour un enterrement on visite grâce à tes mots et ta belle fontaine Wallace !! bizzzoux du soir
Bon jour Lenaïg,
La forme, le style, une parcelle de vie écrite comme je les aime. Bravo. Merci à toi
Max-Louis
Bonjour Lenaïg
J'aime beaucoup ton histoire, ce défi est relevé brillamment !
Grand bravo
Belle journée, bises, Lyly
C'est plus qu'un jeu..cette histoire est prenante et très bien racontée qui plus est. Mais dis moi pourquoi, je ne passe pas ici plus souvent ?? j'ai un truc..pour mémoire.
coucou en vitesse.... Lyly a fait tout un tas d'articles sur le mobiler durbain de Paris je crois que c'était en Avril l'histoire de la fontaine wallace je crois bien y est !! je suis fan de toutes ces choses, ancienne Parisienne ce sont mes souvenirs d'enfance que je retrouve !! bizzzoux je n'ai pas encore diné après je reviens lire les beautés, mais pas trop tard, suis out of order!!!
Bravo, un très beau texte qui se joue de la contrainte pour nous raconter une belle et triste histoire. Très bien mené.
Amitiés.
Anne
Bonjour une belle histoire que celle du clochard et celle d'une amitié... bravo
défi relevé avec classe.
Arlette
11AnaëlleVendredi 6 Juillet 2012 à 08:55Une histoire touchante que celle de cet ancien violoniste devenu SDF. Heureusement, il n'a pas été enterré comme un chien, grâce à la présence de son frère et de cette femme à son enterrement, deux êtres qui savent voir au delà des apparences!
12jill billVendredi 6 Juillet 2012 à 08:55Bonjour lenaïg, j'arrive un peu en retard à cet enterrement, heureusement tu a mis ce billet d'hommage que j'ai pu lire... Régistre différent, approche personnelle et humaniste sur le sort d'un pauvre musicien... J'applaudis doucement pour ne pas troubler le repos du cimetière.... Bisou de jill
13Mona lVendredi 6 Juillet 2012 à 08:55
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tu as joliment réussi le défi, le mien auss i parlera de mort mais on change le point de vue et il sera après demain
Bisous Lénaig