• Mots de tête n° 26 jeu de Brunô : Un enterrement invraisemblable - Lenaïg

    Cyprien était quelqu'un de bien !LA GAZETTE DE JOLIBOURG

    Samedi 2 avril 2015

     

    Cyprien était quelqu'un de bien !

     

    Cyprien Chapiteau vient de mourir à l'âge vénérable de 95 ans. Sa veuve Paulette, 90 ans seulement, est inconsolable, mais chaleureusement entourée de sa nombreuse progéniture et ses voisins.

     

    Paulette Chapiteau est une croyante fervente et pratiquante, à l'opposé de son mari, qui ne mettait -nous a-t-on rapporté- les pieds à l'église que pour les grandes occasions et avait l'habitude de lui dire :

    "Paulette poulette, t'en sais rien, ce qu'il y a après ... Peut-être rien ! Alors, dis-toi que c'est le Grand Repos ... Mais comme tout est possible, ne m'oublie pas dans tes prières, des fois que cela puisse me servir !"

     

    Son enterrement a eu lieu hier, 1er avril. Ce jour précis était la volonté de Cyprien qui, à bout de souffle et de force, avait été transporté au CHU de la ville, malgré lui d'ailleurs, il y a quinze jours.

     

    Monsieur Chapiteau a gardé sa bonne humeur jusqu'au bout. Derrière son masque à oxygène, il faisait des clins d'oeil à sa femme et, surtout, il a reçu tous ses potes pêcheurs, jeunes et vieux, pour un entretien à huis clos. On a pu voir ces derniers ressortir de la chambre en s'essuyant les yeux tout en riant à moitié. Ceci est un détail important pour la suite ...

     

    Les funérailles de Cyprien se sont placées sous le signe de l'allégresse et de la farce bon enfant. Des touristes stupéfaits ont pu voir, tandis que le cercueil était hissé sur le corbillard tiré par un superbe percheron -choix du défunt là aussi-, une assistance nombreuse et bigarrée qui sortait de l'église en s'esclaffant tandis que deux compères clowns, postés de chaque côté du porche, épinglaient dans le dos de chacun des poissons de carton ...

     

    De la couleur ! avait également souhaité Monsieur Chapiteau. Même sa veuve portait son manteau gris perle et, autour du cou, le foulard de soie rose éclatant cadeau de son mari. Personne ne portait du noir, les enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants du défunt avait endossé qui veste ou chemise, ou les deux, bleues, orange, rouges, violettes, qui T-shirts rigolos ...

     

    Le cortège s'est acheminé gaiement jusqu'au cimetière, les amis pêcheurs de Cyprien scandant la marche en soufflant dans des mirlitons. Il convient de rappeler que Monsieur Chapiteau, qui portait bien son nom de famille, avait une passion pour les clowns, dont il endossait lui-même l'habit lors des fêtes et banquets et ses prestations remportaient toujours un franc succès.

     

    Chacun a écrit un petit mot sur son poisson de carton, destiné à Cyprien, et l'a déposé dans une grande corbeille au milieu des gerbes de fleurs qui attendaient déjà, plus traditionnelles mais néanmoins pimpantes. Le curé, mis au préalable dans la confidence, n'a rien eu à y redire. Après tout, ces petits poissons représentaient un symbole chrétien !

     

    Clou de la fête, car il n'est pas saugrenu de nommer ainsi cet invraisemblable enterrement : un petit avion a survolé le cimetière, déroulant dans son sillage une large banderole bleue dont les immenses lettres orange formaient la phrase :

    Cyprien était quelqu'un de bien ! Cela, c'était une idée originale des amis du Club de pêche. Le reste est sorti de l'imagination de Cyprien lui-même, avant qu'il ne décède tout doucement le 29 mars à l'approche de minuit, sa femme endormie dans le fauteuil à côté de lui.

     

    Même le seul ennemi connu de Cyprien était présent à l'enterrement : son voisin, fâché de longue date pour une histoire de mur mitoyen ... Il secouait la tête d'un air désapprobateur mais des témoins ont cru discerner dans son regard une lueur d'envie et l'entendre maugréer : "Au fond, ce n'était pas un mauvais bougre" ... Il se pourrait qu'il rêve secrètement d'un aussi bel enterrement, quand son heure sera venue.

     

    Lenaïg

     

     


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  • Commentaires

    1
    Dimanche 4 Avril 2010 à 22:23
    Hélène, le-calame-et

    Un enterrement dont nous serions tous un peu jaloux...

    Cela me rappelle l'enterrement de mon Grand-Père, farceur impénitant, et bouffeur de curés...

    Il a eu pourtant un enterrement religieux, et je me suis fendue d'un discours en son honneur. Toute notre famille, comme moi le lisant, pleurait et riait en même temps...

    Et nous avons partagé un joyeux déjeuner, où chacun se souvenait de ses expressions favorites...

    Merci pour cette "fraîcheur"!

    2
    Dimanche 4 Avril 2010 à 23:13
    Brunô

    Beaucoup, de leur vivant, souhaitent un enterrement joyeux comme celui de Cyprien mais devant le deuil personne ne respecte les dernières volontés du défunt. Pour une fois, grâce à ton récit, c'est le "bon vivant" qui garde le dernier mot d'humour.

    Merci pour ton texte.

    Bises

    3
    Lundi 5 Avril 2010 à 01:30
    foulard en soie

    "Un foulard en soie rose" un cadeau magnifique, rien de mieux pour mettre en valeur la féminité.

    4
    Lundi 5 Avril 2010 à 11:43
    Hélène, le-calame-et

    Tu as snti ton Père, comme moi mon Grand-Père... Les morts, je crois, restent auprès de nous lorsque nous les aimons... Comme ils ont envie d'être aimés...

    Pour Pagnol, ??? L'école m'en a dégoûté il y a bien longtemps...

    Amitiés

    5
    Mardi 6 Avril 2010 à 03:28
    marie-louve

    Je tiens à féliciter la reporter Lenaig Boudig de La Cazette de Jolibourg pour avoir su présenter à ses lecteurs un compte-rendu fidèle des funérailles colorées du bien aimé Cyprien Chapiteau qui nous a quittés dans la joie et la bonne humeur. Rien ne sert de mourir, il faut vivre à temps et joyeux. :-))

    Je sors ma boucle papillon rouge en hommage à Cyprien !

    C'est super sympa un tel enterrement ! Bonne semaine Léna !

    6
    Mardi 6 Avril 2010 à 14:45
    marie-louve

    Merci de ces mots qui viennent à point. Comment as-tu fait pour savoir que cette fois, je ressens le besoin de courage pour faire ce voyage ? Mon Loup n'y sera pas et si ce n'était de ces enfants, je ne ferais pas. Ce que j'anticipe le plus, c'est la gestion de ces lourds bagages à traîner et encore pire, " leurs douanes à eux " !!  Me faudra un ange gardien vif d'esprit, mais je sais qu'il sera là comme toujours. Plus, je me sens plus fatiguée que d'habitude et je sais que nous ne pourrons y retourner avant possiblement janvier prochain. J'efface tout ça de mon cerveau et je ferai un pas à la fois. C'est plus léger ainsi. :-)) Bisous.

    7
    Samedi 10 Avril 2010 à 20:13
    SAM ELEON

    Un texte très original ! Et oui, pourquoi ne pas faire de son enterrement un jour de fête, qui plus est le 1er avril !

    8
    Jeudi 15 Avril 2010 à 16:50
    Parisianne

    Les repas de famille les plus drôles ont souvent été ceux qui suivaient un enterrement... comme si chacun prenait conscience de la nécessité de profiter au maximum de la vie. Un texte sympathique pour un personnage attachant ! J'aime !

    9
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:56
    Mona															l

    Bravissimo, belle amie! J'ai bien ri. J'allais m'épivarder joyeusement mais comme hier j'ai payé ma courte incursion sur plumes au vent d'une bonne demi-heure de douleur au bras, ce sera pour un peu plus tard... tendres bisous!

    10
    Anaëlle
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:56
    Anaëlle

    Très joli texte, très joli enterrement! La mort fait partie de la vie et à quatre-vingt quinze ans, on peut dire qu'on a fait son temps! Alors, pourquoi ne pas partir en chantant ? Il faut dédramatiser la mort, à chaque fois que c'est possible!

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