• Les nouvelles de RFI me réveillent à six heures pile. J’ouvre les yeux. Je bâille à me décrocher la mâchoire, puis pousse un grand soupir. Je m’étire comme un chat et repousse le drap rose. Je me frotte les yeux en me redressant, et rejette mes cheveux en arrière. J’entoure mes genoux de mes bras et jette un regard à la fenêtre. Je vois un pan de ciel bleu. Je bâille encore une fois et me lève enfin. J’ouvre la fenêtre et effectue quelques mouvements d’assouplissement devant elle, me délectant de l’air encore pur du matin. Puis j’enfile mon peignoir et mets mes sandales. Je m’astreins à faire mon lit en arrangeant les oreillers. Je sais que le lit est devenu bien trop grand pour moi, depuis la mort d’Armand, mais j’ai la flemme d’en prendre un plus petit.

    Je rejoins la cuisine et me verse un demi-verre de jus d’orange pour donner un coup de fouet à mon organisme. Je branche la cafetière et me prépare des œufs brouillés au bacon. Tout en dégustant mon petit-déjeuner, je réfléchis à ce que je vais faire de ma journée. J’ai reçu une invitation de Maryse pour lécher les vitrines d’un centre commercial qui vient d’ouvrir. À la septantaine, j’ai un corps bien conservé, grâce à mes origines asiatiques, et on me donnerait facilement dix ou quinze ans de moins, si on ignorait mes pattes d’oie, et je suis encore coquette. Ma pension et celle que m’a laissé ce cher Armand, ancien agent de renseignement mort en mission — on dit qu’un excellent agent n’est jamais en retraite — me permettent quelques fantaisies.

    UNE OMBRE QUI PASSE - RAHAR

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    http://www.eminza.com/linge-de-maison/housse-de-couette-240-cm-uni-bonbon.html

     

    Judith m’a aussi invité à déjeuner au nouveau restaurant en vogue. J’aurais voulu qu’elle nous accompagne, Maryse et moi, mais je sais qu’elle doit assister au vernissage de l’expo de l’une de ses nièces. Je n’ai pas été invitée, car sa nièce sait que je n’apprécie pas trop l’art dit moderne.

    Je réserve mon après-midi à l’écriture. J’avais constaté que mes petits-enfants adoraient mes histoires teintées d’exotisme, mais je n’étais pas souvent disponible pour eux. Mes enfants m’avaient donc proposé de coucher par écrit mes histoires, ce qui amènerait aussi leurs rejetons à aimer la lecture. J’avais trouvé l’idée excellente, et comme le mari d’Odette était éditeur, il ne m’avait pas été trop difficile de me faire publier. D’autre part, les droits que je perçois mettent un peu plus de beurre dans mes épinards.

    J’ai mis un chemisier lavande et un pantalon gris souris ; une écharpe de soie tabac complète ma tenue. J’ai noué mes cheveux en queue de cheval et pris des boucles d’oreille de jade. Je prends mon sac noir et sors rejoindre Maryse.

    UNE OMBRE QUI PASSE - RAHAR

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    http://www.lessisrare.fr/bijoux/mode/boucle_d_oreilles-fonsi-634.html

     

    Je retrouve mon amie à la galerie marchande. Nous léchons consciencieusement les vitrines élégamment achalandées. J’étais en train d’examiner une robe de soirée, quand mes yeux sont attirés par un homme qui passait près des cabines d’essayage. J’ai eu un haut-le-cœur. Ce n’est pas possible !

    « Qu’y a-t-il, Minah ? Tu es toute pâle. »

    Je me nomme Min Ha, mais tout le monde m’appelle Minah et, lasse de vouloir corriger les gens, j’ai fini par m’en accommoder.

    « Non… Rien… Enfin, tu vas me trouver folle, mais j’ai cru voir Armand.

    — Quoi ? Mais enfin Minah, cela va faire un an qu’Armand est… parti. Je pensais que tu étais allée de l’avant.

    — Allons Maryse, tu crois que j’ai halluciné ? Je t’assure que j’ai fait mon deuil, je n’ai plus pensé à lui il y a longtemps. Mon inconscient ne devrait pas me jouer un tel tour.

    — Que tu crois ! Depuis quand nous connaissons-nous ? J’ai été témoin de votre amour, j’ai rarement vu une telle profondeur d’affection entre deux êtres. Cela doit laisser d’inaltérables traces. Alors, ne te voiles pas la face, personne… enfin, sauf peut-être les fakirs, personne ne maîtrise son inconscient… Oublions ça, allez viens, on continue. »

    J’ai retrouvé Odette à midi. Son papotage et la bonne chère m’ont fait oublier l’incident. Mais revenue chez moi, je suis désemparée, je repense aux évènements du matin. Je ne crois pas que ce fût une hallucination. J’ai vu l’homme… Armand, bousculer légèrement un autre homme et s’excuser. Une hallucination ne peut pas élaborer un détail pareil. J’ai de bons yeux, je SAIS que j’ai vu Armand. J’ai reconnu le blouson que je lui ai offert deux ans plus tôt, ainsi que son foulard fétiche qu’il ne met jamais en mission. J’ai aussi reconnu sa démarche.

    UNE OMBRE QUI PASSE - RAHAR

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Les passants de la rue Saint-Denis
    http://cengcorang.com/caf-67-strasbourg/

     

    Parmi les amis et relations, je ne connais pas de réducteur de tête. Mais j’ai besoin d’en parler à quelqu’un. Maryse n’est pas appropriée, par son scepticisme. Je ne vois que Bernadette, prof de philo à l’esprit très ouvert, qui m’a été bien souvent de bon conseil. Je l’appelle et lui demande si elle pouvait passer me voir après ses cours.

    Bernadette est une pétulante quinquagénaire un peu enveloppée, perpétuellement de bonne humeur, avec une énergie contagieuse, ce qui fait son charme. Nombre de ses élèves mâles tombent immanquablement amoureux d’elle, avec sa frimousse craquante.

    Je lui raconte l’incident du centre commercial. Je lui expose mes arguments en faveur d’une apparition réelle. Elle garde un moment de silence, comme si elle se recueille. Puis elle me sourit.

    « Nous devons envisager trois possibilités. D’abord, l’hallucination. Est-ce que ces temps-ci, y a-t-il eu quelque chose ou quelque incident qui aurait pu te faire penser à Armand ?

    — Ben non, je ne vois pas. La dernière fois où j’ai pensé à lui, c’était il y a plus de six mois, quand j’ai dû changer la roue crevée de la voiture.

    — Très bien, considérons le cas d’une manifestation paranormale. Comme tu le sais, j’en ai été témoin de certaines. Je connais aussi votre attachement profond. Peut-être voulait-il se rappeler à ton souvenir, te rassurer sur son sort, ou te réconforter.

    — Mais Bernadette, pourquoi près d’un an après son décès ? C’est… c’est irrationnel. Et puis si c’est pour me réconforter ou m’encourager dans quelque épreuve, je t’assure qu’en ce moment, je n’ai aucun problème, aucun souci, je vis bien et j’ai l’esprit serein... Enfin, j’avais.

    — C’est vrai, la dernière fois qu’on s’est vues, j’ai constaté que ta joie de vivre était communicative.

    — Tu as parlé de trois possibilités. Quelle est la troisième ?

    — Hum… Elle pourrait ne pas te plaire.

    — Dis quand même, je pense que je peux le supporter.

    — Tu m’as dit que ton mari était un agent des renseignements.

    — Armand était cryptologue et informaticien. Parfois, il accompagnait des agents de terrain.

    — Très bien. Supposons qu’il était tombé sur un cas exceptionnel qui a mis sa vie en danger. Ou peut-être même, mis VOS jours en danger. Il n’avait probablement eu d’autre solution que de disparaître, autant pour sa sécurité que pour la tienne… et pour ses enfants.

    — Ce n’est pas un peu tiré par les cheveux, ton hypothèse ?

    — Peut-être, mais il faut l’envisager.

    — Quelle est la plus plausible, à ton avis ?

    — Eh bien ma chère Minah, je n’en ai aucune idée.

    — Mais que me conseillerais-tu de faire alors ?

    — Écoute, tu as déjà fait son deuil. Si, et je dis bien si, il était encore vivant et qu’il ne t’a pas contacté, et que tu cherches après lui, tu pourrais vous mettre en danger.

    — Mais s’il y avait une autre femme ?

    — Qu’importe. Mais vous connaissant, je ne pense pas. Quoiqu’il en soit, je te conseille de continuer ta vie et de l’oublier. Tu te ferais du mauvais sang pour rien, et je n’aimerais pas que tu perdes ta belle sérénité.

    — Tu as peut-être raison, Bernadette.

    — J’AI raison, quel que soit le cas qu’on envisage. Comme je te l’ai dit, continue ta vie. »

     

    RAHAЯ

     

    http://www.dailymotion.com/video/x5tqea_nuages-en-accelere_creation


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    Pour une petite bête, Rahar se fait poète !

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Oyez, oyez, bonnes gens,

    Ceci n’est point réjouissant.

    Je ne suis pas vraiment beau,

    C’est ce qu’on dit des crapauds.

    Les pustules qui sont mes armes,

    Ne sont pas des objets de charme.

    Contrairement à la grenouille,

    Au grand jamais je ne me mouille,

    Je n’en suis pas pour autant sale ;

    Les insectes que j’avale,

    En rebuterais plus d’un,

    Je comprends votre dédain.

    Pas de fée pour me transformer

    En un prince avec un baiser ;

    Même pour me prendre dans les mains,

    On objecte que ce n’est pas sain.

    J’ai bien une douce dulcinée,

    Mais elle est loin, de l’autre côté

    De la vaste chaussée toute noire,

    Dangereuse du matin au soir.

    Traverser de nuit est-il plus sûr ?

    La nuit n’arrête pas les voitures.

    Eh bien, jouons à pile ou face,

    Vite, sinon la donzelle se lasse

    Et finit par agréer la cour

    D’un prétendant sans atours.

    Cahin-caha, béni par les dieux,

    J’arrive enfin au mythique lieu

    Des délices et des félicités,

    Où doit m’attendre ma dulcinée.

    Mais hélas, j’arrive bien trop tard,

    Un autre aux pustules plus rares

    Est en train de chevaucher ma belle,

    Et je ne peux que cracher du fiel.

     

    RAHAR

     

    La complainte du crapaud - RAHAR

     

     

     

    http://www.mille-traces.org/appel-a-benevoles-crapauds-sur-la-route-ralentissez/1989


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    Le dieu Tezcatlipoca représenté avec son frère Quetzalcoatl le serpent à plumes
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Tezcatlipoca

     

    L’équipe archéologique avait trouvé des artefacts relativement intacts, sur le site du temple aztèque. Le problème était que le sponsor avait imposé des membres. Il en résultait quelques frictions au sein du groupe. Le chef de l’équipe devait distiller au compte-gouttes sa confiance, mais il ne pouvait pas être partout sur le chantier.

    C’est ainsi que le docteur Jonas Aumeil, un membre désigné de l’expédition, dissimula une petite boîte d’obsidienne, dédiée à Tezcatlipoca, le dieu de la Nuit et du Vent. Ce n’aurait été presque rien, si le dieu n’était pas si insaisissable, très peu documenté, les prêtres étaient seuls à contempler sa statue. Quoi qu’il en fût, Jonas put retourner à la civilisation sans problème.

    Le nombre de scientifiques véreux n’avait pas fait l’objet de statistique, mais on trouvait des brebis galeuses dans toutes les disciplines. Toutefois, il se passerait encore du temps, avant qu’on dénichât des informations d’importance sur le redoutable dieu aztèque.

     

    Jonas chercha bien un acquéreur, déployant des trésors d’ingéniosité pour garder son anonymat sur le net, mais les amateurs traînaient du pied. La méfiance était de mise, de toute évidence : l’objet n’avait pas été officiellement répertorié, et aucun artefact ne pouvait être pris comme référence pour l’authentifier.

    Le savant était pressé, mais il devait faire contre mauvaise fortune bon cœur, il était contraint de ronger son frein, mais quelqu’un finirait par être intéressé. En attendant, il avait posé l’objet sur sa table de chevet, ne se lassant pas de le contempler.

    C’était une petite boîte, dont le couvercle, sur lequel était gravée la représentation du dieu, était ajusté au millimètre. Il y avait une sorte de double-fond percé de sept trous. Jonas se demandait comment techniquement ce double-fond — et même la boîte — avait pu être réalisé, et avec quel outil. Il s’interrogeait aussi sur la finalité de ce dispositif. Dans la somnolence précédant le sommeil, il eut l’impression de sentir une vague odeur douceâtre qu’il ne put identifier.

     

    Jonas était adossé à un rocher, et Jessica était adossée contre lui, il l’avait entourée de ses bras. L’air était pur et légèrement frais. Devant eux s’étalait une symphonie de rouge, d’orange et d’or, les couleurs de l’automne.

    « C’est la saison que je préfère. Tu te rappelles le moment où tu m’as demandé la main il y a vingt ans ?

    — Comment pourrais-je oublier, ma petite Jess. On jouait à se poursuivre, tu as trébuché et tu es tombée sur les feuilles mortes. Une étoile dorée s’est emmêlée dans tes cheveux…

    — Allons, c’était juste une petite feuille d’érable, Jonas.

    — Je me souviens encore comment tu m’as regardé. Des étincelles jouaient dans tes yeux.

    — Ah oui, je voyais mille étoiles. J’étais sur un nuage rose. Tu bredouillais, toi, un habitué des amphithéâtres, la terreur des étudiants.

    — Mon cœur battait la chamade, mes mains étaient moites. Mais je crois que c’était le meilleur moment de ma vie, quand tu as accepté.

    — Et voilà pourquoi on est ici de nouveau.

    — J’aimerais que ce moment dure à jamais, ma petite Jess.

    — Rassure-toi mon Jonas, cet instant sera éternel, on ne se quittera plus. »

    Dans sa félicité, Jonas ne remarquait pas que les ombres ne bougeaient pas, le soleil était stationnaire, le temps était figé. À un certain moment, Jessica tourna son visage vers lui. Son cœur se glaça : l’espace d’une fraction de seconde, un autre visage s’était superposé à celui de sa femme, la figure décharnée et toute ridée d’un vieil homme. C’était très fugace, et il se demanda s’il n’avait pas été l’objet d’une hallucination. Il ferma les yeux.

    Jonas était adossé à un cocotier, Jessica était adossée contre lui, il l’entourait de ses bras. Le clapotis des vagues les berçait, le vent déformait le cri strident des mouettes.

    « Pourquoi as-tu fait ça, Jonas ?

    — Mais je voulais te sauver, ma petite Jess.

    — Cela valait-il que tu sacrifie ton honneur ?

    — Je ferai tout pour toi, mon cœur. Je ne veux pas te perdre pour tous les honneurs de la Terre.

    — Il n’est pas seulement question d’honneur, Jonas. Tu prives l’humanité d’une connais­sance peut-être importante.

    — C’est toi qui es important pour moi, sans toi le reste ne m’est rien. »

    L’espace d’un bref instant, Jonas eut la désagréable impression que ses bras enserraient une autre personne de laquelle émanait une odeur subtile douceâtre et écœurante. Il frissonna. Puis tout redevint normal.

     

    Les médecins étaient perplexes. Tous les examens et les analyses semblaient être normaux. Ils ne s’expliquaient pas le coma de leur patient. Un de ses collègues, intrigué par son absence de trois jours, avait fini par aller prendre des nouvelles de Jonas Aumeil. Il l’avait trouvé comme sans vie dans son lit, et avait alerté les urgences.

    Le docteur ne s’était pas drogué, n’avait même pas pris de somnifère, le bilan sanguin était tout à fait normal. Toutefois, le coma était particulier, l’EEG montrait une activité insolite, on aurait dit — mais c’était impensable — qu’il était simplement plongé dans un profond sommeil.

    Les collègues de Jonas remarquèrent immédiatement la boîte d’obsidienne. Ils se rendirent compte qu’elle devait faire partie des artefacts trouvé sur le site du temple aztèque. En cherchant à comprendre l’indélicatesse du docteur, ils constatèrent qu’il avait un besoin pressant d’argent, sa femme était hospitalisée depuis deux ans, attendant une greffe de rein. On trouva sur son ordinateur des mails venant d’Inde, réputée pour la vente d’organes. On trouva aussi l’offre de vente de l’artefact, mais les enchères tardaient à décoller.

    Les archéologues examinèrent la boîte, ils étaient intrigués par le double-fond. Avec une petite caméra flexible, ils en explorèrent le dessous. Ils détectèrent une substance noirâtre et en prélevèrent. L’analyse avait fait découvrir des molécules inconnues, visiblement psychotropes.

    À l’hôpital, une analyse du liquide céphalorachidien de Jonas avait mis en évidence la présence d’une des molécules de la substance. La boîte avait était ouverte durant la nuit, le docteur avait dû inhaler des émanations pendant tout ce temps, et c’était sûrement trop pour son cerveau. Après cette longue exposition à l’air, l’activité de la matière noire s’était très affaiblie.

    Jessica s’était éteinte doucement, le visage paisible, voire avec un semblant de sourire aux lèvres. Jonas se dépérissait, malgré sa perfusion, et pourtant il semblait serein. Il s’en alla après une semaine. L’infirmière avait eu la plus grosse frayeur de sa vie : elle avait cru voir, l’espace d’une fraction de seconde, un visage de vieillard émacié se superposer à celui de l’agonisant.

    Fin

    RAHAЯ

     


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    LE ROBOT IDÉAL - RAHAR

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    https://www.pinterest.com/nelska79/mona-lisa/

     

    Watanabe était enfin satisfait. Dix ans ! Dix ans de dur labeur pour enfin aboutir à cette merveille. De Aibo à Asimo, les progrès avaient été fulgurants. La marche bipède avait été améliorée… quoiqu’il y eût encore plusieurs imperfections à corriger ; Asimo par exemple, pouvait marcher — d’une drôle de façon, mais enfin… — éviter les obstacle, et même courir. Les mouvements fins, et la sensibilité donnaient plutôt satisfaction : prendre un œuf sans le casser, servir à boire sans renverser une goutte, dévisser une bouteille… tout cela constituait une belle performance, bien qu’il manquât encore la prestesse et la fluidité propre à la créature vivante. La reconnaissance des expressions élémentaires, comme la joie, la colère, la tristesse, l’indifférence, avait donné du fil à retordre, mais une équipe avait fait des prouesses.

    Concurremment, certains chercheurs avaient travaillé sur l’habillage, l’industrie de la silicone avait trouvé un autre débouché. Ils espéraient créer des hôtesses d’accueil qui interagiraient de façon basique… si les concepteurs d’intelligence artificielle voulaient bien collaborer. Ces derniers s’étaient triturés la cervelle pour créer un programme évolutif, pouvant permettre à un robot d’apprendre.

    Le robot de Watanabe intégrait toutes les avancées récentes. Bien entendu, il avait aussi apporté ses améliorations. Il était prêt pour la présentation au groupe financier intéressé par sa production industrielle. Bien évidemment, le groupe avait son avocat du diable, Suzuki, un cybernéticien expert doublé d’un sociologue.

    Mona Lisa entra dans la grande salle de conférence d’une démarche apparemment tout à fait naturelle. Elle s’assit avec grâce et sourit à l’assistance. Elle lança un « Bonjour » mélodieux de soprano. Watanabe, qui était entré à sa suite, s’assit à sa droite. Les financiers ouvraient des yeux tout ronds et la mâchoire de certains pendait.

    « Mona Lisa, veuille bien servir à boire à nos honorables invités.

    — Avec plaisir, Watanabe san. »

    Le robot se leva, prit une des bouteilles d’eau minérale, versa adroitement le liquide dans chaque verre, reboucha le récipient avant de le reposer, puis rejoignit sa place en ondulant légèrement des hanches. Le leader du groupe se racla la gorge.

    « Monsieur Watanabe, on doit convenir que votre création est pour le moins impressionnante. Énumérez-nous donc ses spécifications et ses qualités.

    — Certainement monsieur Lozeye. Pour l’aspect extérieur, une silicone spéciale a été utilisée. Vous noterez que le toucher est très fidèle, un fin réseau de conducteur maintient tiède la peau. La perruque est faite de cheveux naturels. Les mouvements du visage sont contrôlés par un processeur quadricore ; je n’ai pas intégré l’expression de la colère qui est inutile. J’ai acquis sous licence le programme de la marche bipédique, ainsi que celui des mouvements fins. La reconnaissance faciale a une efficacité de 70%.

    — Qu’en est-il de l’interaction ?

    — L’intelligence artificielle a été conçue pour soutenir une conversation minimale. Je dois avouer qu’il faut introduire un programme pour chaque environnement.

    — Vous voulez dire qu’il faut un programme pour en faire une hôtesse d’accueil, et en changer pour que le robot devienne un baby-sitter ?

    — Euh… Je sais que c’est encore une limitation, mais nous y travaillons.

    — À combien estimez-vous le coût de la production de Mona Lisa ? »

    Watanabe avança un chiffre suivi de plusieurs zéro.

    « Mais comprenez bien que l’investissement serait amorti après quelques petites années.

    — Qu’en pensez-vous, monsieur Suzuki ? »

    L’expert fit craquer ses doigts, afficha une moue, regarda le plafond et se lança.

    « Monsieur Watanabe, est-ce que votre robot peut jouer au football ?

    — Euh… Mona Lisa n’a pas été conçue pour ça… »

    Suzuki lança son stylo à la tête du robot qui bougea à peine.

    « Mais qu’est-ce que vous faites ? demandèrent les autres, interloqués.

    — Votre robot manque singulièrement de réactivité.

    — Mais c’est normal, toutes ses ressources sont utilisées par ses fonctions. N’oubliez pas que les recherches continuent.

    — Très bien. Vous soutenez que votre robot peut jouer le rôle d’une hôtesse d’accueil, d’une aide-soignante, ou d’un barman. Vous prétendez que son coût serait amorti en quelques années. Et quelle est donc sa durée de vie ?

    — Eh bien, ce robot pourrait être fonctionnel pendant plusieurs dizaines d’années… et même plus.

    — Mais et l’entretien ? Je suppose qu’il intègre des tas de micromoteurs, de servomoteurs et des pièces mécaniques qui vont s’user. Vous en avez calculé le coût ?

    — C’est comme tout appareil électromécanique, comme une automobile, des pièces doivent être régulièrement remplacées.

    — Comme par exemple l’onéreuse batterie au lithium qui a une durée de vie déterminée. Mais voyez-vous monsieur Watanabe, j’ai beaucoup mieux que votre robot. Une bonne réactivité, une adaptation satisfaisante au contexte, une certaine polyvalence sans changement drastique de programme, une sincérité chaleureuse, un entretien minimal avec une longévité acceptable, pas de recyclage onéreux de pièces au rebut.

    — Mais c’est une utopie, monsieur Suzuki. On est encore loin de pouvoir concevoir ce robot idéal.

    — Pas du tout… Parce que c’est l’être humain. Quelque génie que vous soyez, vous ne pourrez jamais égaler le cerveau humain. Votre… Mona Lisa aura une fonction sans commune mesure avec son coût. Ce robot n’est en réalité qu’un témoignage futile, aussi artistique soit-il, d’une prouesse technologique. Par ailleurs, il priverait des humains d’emplois dont ils ont plus besoin, compte tenu de la politique de résorption du chômage. Si vous voulez vraiment contribuer à quelque chose d’utile monsieur Watanabe, concevez des robots réellement indispensables, je veux dire des machines qui peuvent travailler là où de simples humains sont vulnérables, par exemple dans un milieu toxique, dans les mines, etc. alors, on pourrait envisager quelque accord de partenariat. »

    RAHAЯ


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    http://marvelll.fr/critique-avatar/

    — Ca… Calme-toi, Lizzy… Tu… Tu n’as pas aimé un androïde... Tu as aimé Ran… Randy.

    — Ben oui, merde ! Mais je ne savais pas que vous étiez un androïde, ça me fait une belle jambe, tiens !... Quelle humiliation ! »

    La créature commença et réussit à se redresser sur son séant, mais son œil clignotait. La jeune femme, quant à elle, se recula encore en rampant. La voix de l’androïde se raffermit.

    « Écoute Lizzy, ce que tu vois là, n’est qu’un simple relais, un simple automate télécom­mandé.

    — Mais vous… Euh, vous êtes fait de chair et de sang…

    — Oui je sais, notre technologie permet de créer un réceptacle biologique à un cerveau artificiel. Des scientifiques avaient étudié votre physiologie et votre anatomie.

    — Mais où êtes-vous donc ?

    — Dans une base, sur la face cachée de la Lune.

    — N’importe quoi ! Vous mentez !

    — Quoi ? Pourquoi te mentirais-je ?

    — Il faut au moins une seconde de décalage pour que vous transmettiez vos ordre au robot.

    — Ah c’est ça ! Mais ma transmission ne se fait pas à la vitesse de la lumière, elle est instantanée.

    — Bobard ! Vous croyez que je suis une débile, rien ne dépasse la vitesse de la lumière.

    — Eh bien si, les particules corrélées. Tu dois réviser votre mécanique quantique… si tu l’as étudiée, évidemment.

    — Admettons. Pourquoi ce subterfuge ? Vous êtes différent de nous ? Je ne supporterais pas votre vue ? Et puis, m’avez-vous jamais aimé ?

    — Lizzy… Ça n’a pas été programmé, mais je suis tombé amoureux de toi… enfin, le vrai moi. Il n’y a que quelques détails mineurs qui nous différencient, l’androïde et moi.

    — Alors… Vous êtes comme Jake Sully dans Avatar, vous contrôlez votre androïde dans un caisson ?

    — L’analogie est amusante. Non, je ne suis pas dans un caisson. Je suis en quelque sorte en quarantaine sur la Lune : on devait m’inoculer tous les anticorps des micro-organismes pathogènes que mon corps ne connait pas, avant de venir sur Terre. Mais j’étais impatient, alors j’ai envoyé mon androïde personnel pour avoir un avant-goût de votre vie.

    — Bon, c’est bien beau tout ça, mais qu’est-ce qu’on va faire de votre… avatar ? Le choc semble l’avoir euh… détraqué un chouia. Et puis sa plaie laisse voir son circuit.

    — Je suis prêt, Lizzy. Je vais nous intervertir cette nuit-même… À moins que tes sentiments pour moi aient changé. Alors je disparaîtrai, je ne suis qu’un ET.

    — Non, non ! Je veux vous… Je veux te voir, Randy ! Et au diable l’apparence !... À moins que tu ne me considères comme une pauvre primitive.

    — Lizzy ma petite fleur, je ne suis pas plus supérieur à toi que toi d’une femme du XXe siècle, le fait que nous avons des glisseurs au lieu de véhicules à roues par exemple, n’amène pas de différence notable entre nos cultures. Enfin, notre civilisation est peut-être beaucoup plus pacifique que la vôtre.

    — Et… Et si tu m’emmenais voir ton monde ?

    — Tu seras évidemment la bienvenue. Je sais que tu es une sacrée journaliste, mais je te préviens, personne ne croira à ce que tu raconteras à ton retour.

    — Si jamais je reviens.

    — Très bien. Mais d’abord, je veux poursuivre mon programme en séjournant sur ta planète si tu permets.

    — Je pourrais t’accompagner ?

    — Mais j’y compte bien mon cœur, je crois que vous appelez ça une « lune de miel », non ? »

    Fin !

    RAHAЯ

     

    L'INTRUS - 4/4 - RAHAR

     

     

     

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