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LE ROBOT IDÉAL - RAHAR - Conte SF philosophique
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Watanabe était enfin satisfait. Dix ans ! Dix ans de dur labeur pour enfin aboutir à cette merveille. De Aibo à Asimo, les progrès avaient été fulgurants. La marche bipède avait été améliorée… quoiqu’il y eût encore plusieurs imperfections à corriger ; Asimo par exemple, pouvait marcher — d’une drôle de façon, mais enfin… — éviter les obstacle, et même courir. Les mouvements fins, et la sensibilité donnaient plutôt satisfaction : prendre un œuf sans le casser, servir à boire sans renverser une goutte, dévisser une bouteille… tout cela constituait une belle performance, bien qu’il manquât encore la prestesse et la fluidité propre à la créature vivante. La reconnaissance des expressions élémentaires, comme la joie, la colère, la tristesse, l’indifférence, avait donné du fil à retordre, mais une équipe avait fait des prouesses.
Concurremment, certains chercheurs avaient travaillé sur l’habillage, l’industrie de la silicone avait trouvé un autre débouché. Ils espéraient créer des hôtesses d’accueil qui interagiraient de façon basique… si les concepteurs d’intelligence artificielle voulaient bien collaborer. Ces derniers s’étaient triturés la cervelle pour créer un programme évolutif, pouvant permettre à un robot d’apprendre.
Le robot de Watanabe intégrait toutes les avancées récentes. Bien entendu, il avait aussi apporté ses améliorations. Il était prêt pour la présentation au groupe financier intéressé par sa production industrielle. Bien évidemment, le groupe avait son avocat du diable, Suzuki, un cybernéticien expert doublé d’un sociologue.
Mona Lisa entra dans la grande salle de conférence d’une démarche apparemment tout à fait naturelle. Elle s’assit avec grâce et sourit à l’assistance. Elle lança un « Bonjour » mélodieux de soprano. Watanabe, qui était entré à sa suite, s’assit à sa droite. Les financiers ouvraient des yeux tout ronds et la mâchoire de certains pendait.
« Mona Lisa, veuille bien servir à boire à nos honorables invités.
— Avec plaisir, Watanabe san. »
Le robot se leva, prit une des bouteilles d’eau minérale, versa adroitement le liquide dans chaque verre, reboucha le récipient avant de le reposer, puis rejoignit sa place en ondulant légèrement des hanches. Le leader du groupe se racla la gorge.
« Monsieur Watanabe, on doit convenir que votre création est pour le moins impressionnante. Énumérez-nous donc ses spécifications et ses qualités.
— Certainement monsieur Lozeye. Pour l’aspect extérieur, une silicone spéciale a été utilisée. Vous noterez que le toucher est très fidèle, un fin réseau de conducteur maintient tiède la peau. La perruque est faite de cheveux naturels. Les mouvements du visage sont contrôlés par un processeur quadricore ; je n’ai pas intégré l’expression de la colère qui est inutile. J’ai acquis sous licence le programme de la marche bipédique, ainsi que celui des mouvements fins. La reconnaissance faciale a une efficacité de 70%.
— Qu’en est-il de l’interaction ?
— L’intelligence artificielle a été conçue pour soutenir une conversation minimale. Je dois avouer qu’il faut introduire un programme pour chaque environnement.
— Vous voulez dire qu’il faut un programme pour en faire une hôtesse d’accueil, et en changer pour que le robot devienne un baby-sitter ?
— Euh… Je sais que c’est encore une limitation, mais nous y travaillons.
— À combien estimez-vous le coût de la production de Mona Lisa ? »
Watanabe avança un chiffre suivi de plusieurs zéro.
« Mais comprenez bien que l’investissement serait amorti après quelques petites années.
— Qu’en pensez-vous, monsieur Suzuki ? »
L’expert fit craquer ses doigts, afficha une moue, regarda le plafond et se lança.
« Monsieur Watanabe, est-ce que votre robot peut jouer au football ?
— Euh… Mona Lisa n’a pas été conçue pour ça… »
Suzuki lança son stylo à la tête du robot qui bougea à peine.
« Mais qu’est-ce que vous faites ? demandèrent les autres, interloqués.
— Votre robot manque singulièrement de réactivité.
— Mais c’est normal, toutes ses ressources sont utilisées par ses fonctions. N’oubliez pas que les recherches continuent.
— Très bien. Vous soutenez que votre robot peut jouer le rôle d’une hôtesse d’accueil, d’une aide-soignante, ou d’un barman. Vous prétendez que son coût serait amorti en quelques années. Et quelle est donc sa durée de vie ?
— Eh bien, ce robot pourrait être fonctionnel pendant plusieurs dizaines d’années… et même plus.
— Mais et l’entretien ? Je suppose qu’il intègre des tas de micromoteurs, de servomoteurs et des pièces mécaniques qui vont s’user. Vous en avez calculé le coût ?
— C’est comme tout appareil électromécanique, comme une automobile, des pièces doivent être régulièrement remplacées.
— Comme par exemple l’onéreuse batterie au lithium qui a une durée de vie déterminée. Mais voyez-vous monsieur Watanabe, j’ai beaucoup mieux que votre robot. Une bonne réactivité, une adaptation satisfaisante au contexte, une certaine polyvalence sans changement drastique de programme, une sincérité chaleureuse, un entretien minimal avec une longévité acceptable, pas de recyclage onéreux de pièces au rebut.
— Mais c’est une utopie, monsieur Suzuki. On est encore loin de pouvoir concevoir ce robot idéal.
— Pas du tout… Parce que c’est l’être humain. Quelque génie que vous soyez, vous ne pourrez jamais égaler le cerveau humain. Votre… Mona Lisa aura une fonction sans commune mesure avec son coût. Ce robot n’est en réalité qu’un témoignage futile, aussi artistique soit-il, d’une prouesse technologique. Par ailleurs, il priverait des humains d’emplois dont ils ont plus besoin, compte tenu de la politique de résorption du chômage. Si vous voulez vraiment contribuer à quelque chose d’utile monsieur Watanabe, concevez des robots réellement indispensables, je veux dire des machines qui peuvent travailler là où de simples humains sont vulnérables, par exemple dans un milieu toxique, dans les mines, etc. alors, on pourrait envisager quelque accord de partenariat. »
RAHAЯ
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Commentaires
Bonjour Martine. Ah, il sera content, Rahar, que tu aies apprécié, comme moi d'ailleurs. La conclusion est superbe ! A plus tard, bises.
Tout à fait d'accord... Du robot oui mais à bon escient.. et encore s'il ne supprime pas une main d'oeuvre qui compte sur un p'tit boulot même de m.... ! Merci, jill Bises
5JosetteLundi 2 Mars 2015 à 16:22je me souviens il y a des lustres d'un projet pour un automate (pas tout à fait un robot) pour ramasser des fruits...rentable dans nos contrées mais pas en Amérique du sud où le coût du travail de l'homme est insignifiant !
6VictoriaLundi 2 Mars 2015 à 21:25Jolie morale pour cette histoire, Rahar. J'aime l'idée d'utiliser des robots dans des endroits dangereux ou toxiques pour l'homme.
Bonjour Josette et Victoria. Un flagrant exemple du cynisme des gens de pouvoir que tu donnes, Josette. En tout cas, Monsieur Suzuki dans l'histoire n'a pas ce cynisme-là. Bizzz à vous deux.
8JosetteMardi 3 Mars 2015 à 09:45à propos de cynisme je me souviens du mal pour imposer les tests de dépistage de la rubéole et leur remboursement dans les années 70, la sécu ayant fait le calcul de probabilité elle estimait moins cher le cas de enfants atteint de maladies tératogènes au coût de ce dépistage !
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C'est vrai qu'elle a une tête de robot La Joconde avec son sourire figé. J'aime bien ton conte.... La robotique est fantastique dans l'industrie car elle soulage l'homme de tâches très difficiles mais aussi elle supprime des emplois. Belle semaine