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LE SONGE D’UNE NUIT D’AUTOMNE - RAHAR
Le dieu Tezcatlipoca représenté avec son frère Quetzalcoatl le serpent à plumes
http://fr.wikipedia.org/wiki/TezcatlipocaL’équipe archéologique avait trouvé des artefacts relativement intacts, sur le site du temple aztèque. Le problème était que le sponsor avait imposé des membres. Il en résultait quelques frictions au sein du groupe. Le chef de l’équipe devait distiller au compte-gouttes sa confiance, mais il ne pouvait pas être partout sur le chantier.
C’est ainsi que le docteur Jonas Aumeil, un membre désigné de l’expédition, dissimula une petite boîte d’obsidienne, dédiée à Tezcatlipoca, le dieu de la Nuit et du Vent. Ce n’aurait été presque rien, si le dieu n’était pas si insaisissable, très peu documenté, les prêtres étaient seuls à contempler sa statue. Quoi qu’il en fût, Jonas put retourner à la civilisation sans problème.
Le nombre de scientifiques véreux n’avait pas fait l’objet de statistique, mais on trouvait des brebis galeuses dans toutes les disciplines. Toutefois, il se passerait encore du temps, avant qu’on dénichât des informations d’importance sur le redoutable dieu aztèque.
Jonas chercha bien un acquéreur, déployant des trésors d’ingéniosité pour garder son anonymat sur le net, mais les amateurs traînaient du pied. La méfiance était de mise, de toute évidence : l’objet n’avait pas été officiellement répertorié, et aucun artefact ne pouvait être pris comme référence pour l’authentifier.
Le savant était pressé, mais il devait faire contre mauvaise fortune bon cœur, il était contraint de ronger son frein, mais quelqu’un finirait par être intéressé. En attendant, il avait posé l’objet sur sa table de chevet, ne se lassant pas de le contempler.
C’était une petite boîte, dont le couvercle, sur lequel était gravée la représentation du dieu, était ajusté au millimètre. Il y avait une sorte de double-fond percé de sept trous. Jonas se demandait comment techniquement ce double-fond — et même la boîte — avait pu être réalisé, et avec quel outil. Il s’interrogeait aussi sur la finalité de ce dispositif. Dans la somnolence précédant le sommeil, il eut l’impression de sentir une vague odeur douceâtre qu’il ne put identifier.
Jonas était adossé à un rocher, et Jessica était adossée contre lui, il l’avait entourée de ses bras. L’air était pur et légèrement frais. Devant eux s’étalait une symphonie de rouge, d’orange et d’or, les couleurs de l’automne.
« C’est la saison que je préfère. Tu te rappelles le moment où tu m’as demandé la main il y a vingt ans ?
— Comment pourrais-je oublier, ma petite Jess. On jouait à se poursuivre, tu as trébuché et tu es tombée sur les feuilles mortes. Une étoile dorée s’est emmêlée dans tes cheveux…
— Allons, c’était juste une petite feuille d’érable, Jonas.
— Je me souviens encore comment tu m’as regardé. Des étincelles jouaient dans tes yeux.
— Ah oui, je voyais mille étoiles. J’étais sur un nuage rose. Tu bredouillais, toi, un habitué des amphithéâtres, la terreur des étudiants.
— Mon cœur battait la chamade, mes mains étaient moites. Mais je crois que c’était le meilleur moment de ma vie, quand tu as accepté.
— Et voilà pourquoi on est ici de nouveau.
— J’aimerais que ce moment dure à jamais, ma petite Jess.
— Rassure-toi mon Jonas, cet instant sera éternel, on ne se quittera plus. »
Dans sa félicité, Jonas ne remarquait pas que les ombres ne bougeaient pas, le soleil était stationnaire, le temps était figé. À un certain moment, Jessica tourna son visage vers lui. Son cœur se glaça : l’espace d’une fraction de seconde, un autre visage s’était superposé à celui de sa femme, la figure décharnée et toute ridée d’un vieil homme. C’était très fugace, et il se demanda s’il n’avait pas été l’objet d’une hallucination. Il ferma les yeux.
Jonas était adossé à un cocotier, Jessica était adossée contre lui, il l’entourait de ses bras. Le clapotis des vagues les berçait, le vent déformait le cri strident des mouettes.
« Pourquoi as-tu fait ça, Jonas ?
— Mais je voulais te sauver, ma petite Jess.
— Cela valait-il que tu sacrifie ton honneur ?
— Je ferai tout pour toi, mon cœur. Je ne veux pas te perdre pour tous les honneurs de la Terre.
— Il n’est pas seulement question d’honneur, Jonas. Tu prives l’humanité d’une connaissance peut-être importante.
— C’est toi qui es important pour moi, sans toi le reste ne m’est rien. »
L’espace d’un bref instant, Jonas eut la désagréable impression que ses bras enserraient une autre personne de laquelle émanait une odeur subtile douceâtre et écœurante. Il frissonna. Puis tout redevint normal.
Les médecins étaient perplexes. Tous les examens et les analyses semblaient être normaux. Ils ne s’expliquaient pas le coma de leur patient. Un de ses collègues, intrigué par son absence de trois jours, avait fini par aller prendre des nouvelles de Jonas Aumeil. Il l’avait trouvé comme sans vie dans son lit, et avait alerté les urgences.
Le docteur ne s’était pas drogué, n’avait même pas pris de somnifère, le bilan sanguin était tout à fait normal. Toutefois, le coma était particulier, l’EEG montrait une activité insolite, on aurait dit — mais c’était impensable — qu’il était simplement plongé dans un profond sommeil.
Les collègues de Jonas remarquèrent immédiatement la boîte d’obsidienne. Ils se rendirent compte qu’elle devait faire partie des artefacts trouvé sur le site du temple aztèque. En cherchant à comprendre l’indélicatesse du docteur, ils constatèrent qu’il avait un besoin pressant d’argent, sa femme était hospitalisée depuis deux ans, attendant une greffe de rein. On trouva sur son ordinateur des mails venant d’Inde, réputée pour la vente d’organes. On trouva aussi l’offre de vente de l’artefact, mais les enchères tardaient à décoller.
Les archéologues examinèrent la boîte, ils étaient intrigués par le double-fond. Avec une petite caméra flexible, ils en explorèrent le dessous. Ils détectèrent une substance noirâtre et en prélevèrent. L’analyse avait fait découvrir des molécules inconnues, visiblement psychotropes.
À l’hôpital, une analyse du liquide céphalorachidien de Jonas avait mis en évidence la présence d’une des molécules de la substance. La boîte avait était ouverte durant la nuit, le docteur avait dû inhaler des émanations pendant tout ce temps, et c’était sûrement trop pour son cerveau. Après cette longue exposition à l’air, l’activité de la matière noire s’était très affaiblie.
Jessica s’était éteinte doucement, le visage paisible, voire avec un semblant de sourire aux lèvres. Jonas se dépérissait, malgré sa perfusion, et pourtant il semblait serein. Il s’en alla après une semaine. L’infirmière avait eu la plus grosse frayeur de sa vie : elle avait cru voir, l’espace d’une fraction de seconde, un visage de vieillard émacié se superposer à celui de l’agonisant.
Fin
RAHAЯ
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Commentaires
Coucou Jill, oui, une histoire d'amour qui ne veut pas se laisser interrompre par la maladie, en effet, mais le vol de la boîte n'a pas eu l'effet escompté, ce qui était dedans, si, apparemment ! Ce dieu Tezcalipoca serait-il moins terrible qu'on penserait ? Ou : qui est ce vieillard qui interfère, venu du fond des âges ? Le mystère n'est pas dévoilé, mais bravo, maître Rahar ! Bizzz à toi, Jill et à Rahar !
PS : je repense au film Les visiteurs du soir, les deux amants transformés en statues de pierre mais dont les coeurs battent toujours, ensemble pour l'éternité !
3victoriaLundi 16 Mars 2015 à 05:25Une très belle histoire que je savoure de bon matin avec mon café. Merci Rahounet. Mais de quoi te couper l'envie de dénicher les petits objets anciens lors de vide-greniers comme j'aime le faire. Sait-on jamais.
Bonjour nous vous souhaitons un agréable début de semaine bises de l'équipe Radio du sud ouest Aquitaine Pascale Nous sommes nouveau sur eklablog bienvenue a toutes et a tous5JosetteLundi 16 Mars 2015 à 09:51vivre ensemble sans ressentir la "grande séparation" un rêve... où trouve t on ce talisman...
Bonjour Victoria, Radio 33 et Josette ! Bonne semaine à vous, merci d'être passés par ici ! Bizzz.
je te souhaite un très bon Lundi il fait pas très beau chez nous la semaine dernière il a fait très beau et j'ai beaucoup travaillé dans mon jardin ,bises
Bonsoir Jean Marie, bonsoir Durgalola.
Merci pour ta visite, Jean Marie, je suis déjà allée jeter un oeil sur tes narcisses, je vais retourner, avec plaisir.
Merci pour ta lecture, Durgalola, Rahar va apprécier ton commentaire.
Bises à vous deux.
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Bonsoir tout le monde... ah par amour de l'autre, malade, hélas... bien mal acquis ne profite jamais dit-on.... tenter le tout pour le tout, même un vol, pour sauver sa moité, je ne condamne pas... merci, JB