• ÇA S'APPELLE "REVIENS !" - RAHAR

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Guy d’Ondevellau écarta avec le bout de son fusil la ramure qui lui barrait le passage. Il avançait sans se presser, restant parfaitement vigilant. La veille, il avait relevé des empreintes d’un suidé sauvage dans le jardin potager du chalet. Au vu de leur profondeur, Guy estima que leur auteur devait peser pas loin de la demi-tonne. Dans cette partie de la forêt, les rares chasseurs étaient souvent confrontés à des phacochères de trois-cents à quatre-cents kilos. Ce gigantisme monstrueux était dû certainement aux conditions particulières du milieu, à la générosité de la forêt et à l’absence relative de prédateurs.

    Guy n’était pas un chasseur sanguinaire, mais il n’aimerait pas qu’un solitaire hargneux prît la fâcheuse habitude de rôder autour du chalet, sans parler des dégâts causés au précieux jardin de sa femme. Le voisin le plus proche était à plus d’un demi-mile. Ce qui l’avait décidé à traquer la bête était la taille monstrueuse de celle-ci ; sur une saute d’humeur, elle pourrait mettre à mal le petit RAV4 et il n’était pas évident pour sa femme et lui de rejoindre la civilisation à pieds. Il fallait abattre ce dangereux vagabond par sécurité.

    Généralement, les animaux restaient à l’écart des humains, et Guy n’eut pas trop de difficulté à pister le monstre : cet animal était le seul à s’aventurer près d’une habitation humaine, les traces étaient claires. Son audace venait sûrement du fait que le chalet n’était habité que quelques semaines par an. Il pourrait pousser l’effronterie jusqu’à défoncer la porte et foutre le bordel dans l’habitation.

    Guy arriva en vue de la petite falaise sans rencontrer le phacochère. La bête avait fait un crochet et notre chasseur allait suivre ses traces, quand un reflet métallique l’attira vers la falaise. C’était une petite voiture qui s’était fracassé contre un arbre. Elle avait dû rater le virage en haut, à cause fort probablement d’une vitesse excessive. Il était heureux qu’elle n’eût pas explosé.

    En approchant l’épave, Guy vit tout de suite que le conducteur était mort, l’airbag n’avait pas été suffisant pour amortir le choc. Mais le passager était vivant, quoiqu’arborant une vilaine estafilade. C’était un jeune de la vingtaine. L’accident venait probablement de se produire, à moins que le gamin ne se fût évanoui. Guy contourna la voiture et ouvrit la portière. Il détacha la ceinture du gamin encore hébété et vit que son poignet gauche était enflé et saignait.

    « Comment te sens-tu ? lui demanda-t-il.
    — Je crois que mon poignet est brisé et j’ai une entorse au pied.
    — Attends, je vais te sortir de là et t’examiner. »

    Guy ne vit pas d’autre blessure. Il s’insinua dans l’épave et déchira la chemise du mort pour avoir de quoi bander la main du jeunot. Ce fut alors qu’il constata que la manche du manteau noir du macchabée était imprégnée de sang : une balle avait traversé le gras de son triceps.

    Le chasseur se rappela le flash qu’il avait entendu avant de sortir : la supérette du bourg avait subi un holdup ce matin et les policiers arrivés presqu’aussitôt avaient blessé l’un des malfrats, lesquels avaient réussi à s’enfuir en voiture. Ils avaient raflé un butin conséquent : la recette avant le transfert à la banque. La radio n’avait pas donné le signalement des bandits, ni celui de leur voiture, mais Guy se doutait qu’il les avait trouvés. Il ne montra aucune émotion et revint bander le gamin comme si de rien n’était.

    « Je m’appelle Guy d’Ondevellau. Mon chalet est un peu plus loin, par là-bas.
    — Gard, Gard Neuman… Mon pote s’appelait Mac Habey… Vous êtes un chasseur ? Qu’est-ce qu’il y a donc à chasser ici ?

    — Oh, il y a de jolies pintades bien dodues. Mais sinon, il n’y a pas de vrai gibier à se mettre sous le canon. Les phacochères sont trop dangereux. Les chasseurs ne sont pas très attirés par le coin. D’ailleurs, cette forêt est plutôt difficile, on peut facilement s’y perdre.
    — Mais vous, vous chassez seul.
    — Bah, j’ai grandi ici, je connais bien cette forêt.
    — Vous vivez ici ?
    — Non, fit Guy en riant, ma femme et moi prenons quelques jours à l’écart de la civilisation, mais nous n’en dédaignons par pour autant un minimum de confort.
    — Donc vous avez une bagnole ?
    — Il le faut voyons, on ne rejoindrait pas la ville à pinces… Il faut te faire soigner à l’hôpital, je ne suis pas infirmier, encore moins médecin. »

    Une fois sa main bandée, Gard sortit un petit pistolet et en menaça Guy qui n’en fut pas impressionné pour un sou.

    « Drôle de façon de montrer sa reconnaissance, se contenta-t-il de jeter.
    — Je sais que vous savez… Vous allez m’aider à m’enfuir. Je veux votre bagnole.
    — Et puis tu vas me buter après.
    — Mais non, quand j’aurais votre voiture, je ne vois pas pourquoi j’aurais besoin de vous tuer… Allons… Non, non, ne touchez pas au fusil !
    — Écoute gamin, tu ne connais pas cette forêt. Il n’y a pas de lion ni de tigre, d’accord. Mais on risque de rencontrer un phacochère solitaire, ou une femelle avec ses petits, de trois ou quatre quintaux, et ton petit pétoire ne servira à rien.
    — Bon, d’accord. Vous allez enlever vos cartouches et les mettrez dans votre poche, vous aurez bien assez de temps pour charger votre carabine, le cas échéant. »

    Ouvrant la marche, Guy entraîna Gard qui claudiquait en grimaçant. Le chasseur avançait avec prudence. Il se sentait un peu frustré, le monstre d’une demi-tonne lui échappait pour le moment, contre son gré, mais il savait que la bête ne perdait rien pour attendre. Il avait d’abord un problème à résoudre rapidement.
    Après une dizaine de minutes de marche, il s’arrêta au bord d’un dénivelé et s’appuya sur son fusil en faisant face au petit malfrat.

    « Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi vous arrêtez-vous ?
    — Écoute petit, j’ai un marché à te proposer. Je veux bien t’aider à fuir, te montrer l’itinéraire à suivre pour échapper à la police et arriver sauf à la frontière, contre le butin.
    — Non, mais vous êtes dingue ! Vous, les prétendus honnêtes gens, n’avez pas le cran de faire ce que nous faisons, et cependant, vous n’hésitez pas à vous approprier le produit de la sueur de notre front.
    — Oh, moi ce que j’en dis… Mais réfléchis bien. Je t’ai amené tout au cœur de la forêt. Tu peux me tuer, ça m’est égal, mes enfants sont déjà grands et ma femme n’a aucun souci. Mais tu ne sortiras pas vivant de cette forêt, tu tourneras en rond jusqu’à épuisement. Puis la faim t’accablera, tu ne sais pas quels fruits, quels champignons sont comestibles, tu finiras par rencontrer un monstrueux phacochère hargneux… Crois-moi, ta vie ne sera pas cher payée. Penses-y.
    — Et pourquoi t’écouterais-je ? Avec la bagnole, je saurais me débrouiller.
    — Et tu suivras les routes qui te mèneront directement aux flics. Tu ne connais pas les chemins qui peuvent les contourner.
    — Et tu accepterais de m’accompagner jusqu’à la frontière ?
    — Bah, le butin vaut bien ce détour, pour moi. »

    Gard prit le temps de réfléchir. Il ne pouvait pas tuer le chasseur à ce stade. Il était un citadin et était incapable de se débrouiller seul dans cette forêt, il ne savait même pas s’orienter. C’était vrai que sa vie valait beaucoup plus que ce pognon. Mais ce Guy ne perdait rien pour attendre.

    « C’est d’accord… Tenez, fit-il en sortant deux paquets de son manteau, et que ce fric vous étouffe !
    — Tu es raisonnable, ricana Guy en attrapant le butin, je ne t’ai pas menti en disant que la mort ne m’impressionnait pas… Allons donc. »

    Le chasseur sauta allègrement la dénivellation et attendit Gard. Celui-ci sauta à son tour. Mais il présuma de ses forces, la hauteur était trop grande pour sa jambe valide et il s’affala en couinant pitoyablement, laissant échapper le petit pistolet. Guy balaya du canon de son fusil l’arme ridicule et se l’appropria. Il rechargea sa propre arme, puis redressa le malfrat en l’empoignant par son col.

    Les policiers furent bien contents de récupérer le braqueur. Guy leur avait indiqué l’endroit de l’accident où ils trouveraient le corps du second malfrat. Gard eut un sourire sournois. Il appela l’inspecteur.

    « C’est cette crapule qui a le butin.
    — Je sais.
    — Hein ?
    — Ben oui, monsieur Guy d’Ondevellau est le proprio de la supérette que vous avez braqué.
    — Mais alors, pourquoi a-t-il fait tout ce cinéma pour me le soutirer ?
    — Oh, monsieur Guy aime bien jouer au cabotin… Et puis, je crois bien qu’il met un point d’honneur à reprendre lui-même son bien, quels qu’en soient les risques.

    RAHAR
    Texte et choix de photos

     

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    La petite fille au ballon rouge, oeuvre de Banksy

     

    La société Fissié & Tcherno était une entreprise de démolition. En fait, cette société avait tout l’aspect d’une entreprise familiale : deux enfants d’Arthur Fissié – que tout le monde sans distinction appelait Artie – et deux autres de William Tcherno – dit familièrement Bill – étaient entrés dans la boîte après leur ingéniorat. Il y avait bien sûr d’autres techniciens et des employés administratifs, mais juste le minimum indispensable pour rentabiliser l’entreprise.

    Arthur et William se complétaient parfaitement. Le premier prospectait et se battait dans les appels d’offre, bref il était l’homme d’affaire du tandem ; le second s’occupait de l’organisation et de la logistique, appuyé par les enfants. Il se chargeait également de la formation des nouveaux entre deux
    « boulots ».

    Ce jour-là, Arthur était parti assister au dépouillement de l’appel d’offre pour la démolition d’une HLM vétuste. Bill en profita pour organiser une séance de formation pour les employés, tandis que les enfants s’occupaient des préparatifs, au cas où ils décrocheraient le marché.

    « … Souvenez-vous : toujours être méticuleux quand il est question de sécurité. Ne vous laissez surtout pas aller à la routine, ça peut être mortel.

    — Mais m’sieur Bill, chaque démolition est pratiquement unique, comment une routine pourrait-elle s’installer ?

    — Ce que je veux dire, c’est que rien ne va de soi. Mieux vaut prendre son temps pour vérifier tout, surtout tous les recoins imaginables dans le cas d’un immeuble. Voilà pourquoi il est préférable de subir un retard de l’opération que de faire face à une tragédie… Je vais vous raconter la mésaventure d’un « démolisseur ». Cela s’est passé il y a une vingtaine d’années.

    — Mais m’sieur, la technologie a évolué depuis.

    — Ce n’est pas la technologie qui nous intéresse dans ce cas. Quoiqu’on ait essayé d’automatiser l’opération avec des minuteurs, et les talkies n’étaient pas aussi performants comme aujourd’hui

    ***

    Barnaby n’avait pas la trentaine. Il avait encore l’enthousiasme et le dynamisme de la jeunesse. Il était obnubilé par la renommée et l’argent. Son associé Mark, plus pondéré, tentait toujours de tempérer sa fougue et sa précipitation, la démolition était un métier assez dangereux.

    Au début, chacun se mettait à la recherche de marchés. Dans le cas où ils en trouvaient simultanément, ils choisissaient la plus rentable, ils ne pouvaient pas s’éparpiller : l’étude et la préparation prenaient du temps et les deux associés étaient consciencieux. Mark se rendait bien compte que son associé était frustré, il était atteint par l’appât du gain.

    Barnaby se mit alors à prendre des risques. Il persuada Marc d’accepter des marchés rapprochés. Il était un excellent ingénieur et un artificier expérimenté, mais sa soif d’honneur et de fortune ne suffisait pas à maîtriser le temps. Et pour gagner du temps, pour pouvoir honorer à temps l’autre marché, il décida de rogner sur tous les délais de sécurité. La seule précaution qu’il s’efforçait de respecter était la vérification minutieuse des cordons Bickford : la honte, si un seul faisait long feu. Évidemment, dès qu’ils étaient allumés, on ne pouvait plus les arrêter, ce n’était pas comme de nos jours où les explosions étaient déclenchées électriquement.

    Une fois, Mark avait décroché un vieil immeuble de plusieurs étages, mais Barnaby trouva aussi un vieux pont à démolir. Ce dernier était évidemment le plus facile, mais c’était l’immeuble qui devait être détruit en premier, selon les calendriers fixés.

    La commune avait procédé à l’expulsion des squatters qui étaient assez nombreux, malgré l’insalubrité du bâtiment. Certaines parties tombaient d’ailleurs déjà en ruine et des murs lézardés menaçaient de tomber d’eux-mêmes. Mais l’on sait bien que parmi les squatters, beaucoup étaient des drogués, et il y avait des enfants, la plupart élevés dans le dénuement et la rudesse des conditions de l’immeuble. Beaucoup étaient devenus farouches et précocement indépendants. Certains petits explorateurs finissaient par connaître par cœur les moindres recoins du bâtiment, au mépris des dangers que pouvait recéler un édifice branlant.

    Tandis que Mark plaçait les charges, Barnaby devait effectuer une dernière vérification de tous les étages de l’immeuble, des fois que quelque malade ou personne âgée eût été oublié. Mais il le faisait sans grande conviction : jusque-là, l’entreprise n’avait eu affaire qu’à des bâtiments déjà vides depuis longtemps. Mark réunit les cordons au rez-de-chaussée et déroula le cordeau principal jusqu’à la sortie. Quelques vandales avaient percé les plafonds sur plusieurs étages et Mark en avait profité pour y faire passer des cordons, gagnant ainsi plusieurs mètres à économiser.

    Les deux associés regagnèrent leur abri à plusieurs dizaines de mètres du bâtiment, derrière les cordons de sécurité. Mark mit le feu à la mèche et Barnaby observa l’immeuble, toujours fasciné par le spectacle d’une démolition. Il jetait de temps en temps un regard à sa montre : le vieux pont les attendait.

    Un mouvement furtif au premier étage attira son attention. Ses courts cheveux se hérissèrent : malgré la distance, il n’avait aucun doute, il y avait un enfant dans l’immeuble censément vide. Il s’était certainement trouvé une bonne cachette. Mais Barnaby ne pouvait nier sa responsabilité, bonne cachette ou non, il n’avait pas été consciencieux.

    Sans réfléchir, il se rua vers l’immeuble, n’entendant pas les cris de Mark et des spectateurs. Le cordon grésillant ne pouvait pas être éteint et Barnaby n’avait pas de couteau. Il entra en trombe dans le bâtiment et hurla à l’enfant de sortir immédiatement, tout allait sauter. La vitesse d’ignition du cordon lui était sortie de la tête, il ne pensait qu’à l’enfant. Il se rua vers l’escalier tout en criant. Il entendit un tintamarre à l’étage. L’enfant devait être bouleversé, il devait avoir compris le sens de « sauter ».

    Barnaby le vit, c’était une petite fille dans une robe trop grande pour elle. Dans son affolement, elle avait bousculé les ustensiles d’une cuisine déjà en désordre. Certains avaient basculé dans le gros trou du plancher, et un tranchoir y était en équilibre précaire, hésitant à tomber.

    Dehors, Mark s’était déjà résigné à la tragédie, la mèche grésillante allait atteindre le réseau de cordons d’une seconde à l’autre et son associé n’aurait jamais le temps d’atteindre la zone de sécurité, avec ou sans l’enfant qu’il avait prétendu voir.

    Barnaby se précipita vers la petite fille effrayée et l’entraîna vivement vers l’escalier. Ce n’était qu’en descendant que son esprit d’artificier reprit le dessus. Il sut qu’il était trop tard, tous les autres cordons allaient brûler. De rage et de désespoir, il donna un violent mais futile coup de pied au mur.

    C’est alors que le tranchoir en équilibre au bord du trou du plafond bascula, tomba le fil en avant et trancha net le cordon principal à quelques centimètres du réseau.

     ***

    « Eh bien, ce Barnaby l’a vraiment échappée belle, m’sieur Bill !

    — Eh oui, une chance sur un milliard.

    — Et qu’est-il devenu, m’sieur ? Il a quitté la profession ?

    — Non, mais il ne va plus sur le terrain. Il ne s’occupe désormais que de l’administration…Vous voyez ainsi les gars, l’importance de la conscience professionnelle et de la minutie.

    ***

    Arthur qui passait par là, avait entendu la dernière phrase de Bill. Personne ici ne savait que son deuxième prénom était Barnaby, et que celui de Bill était Mark.

     

    RAHAR


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  • Mais qui est donc ce monsieur ?

    Il s'appelle :

    William Bickford (1774–1834)

    ***

    C'est l'inventeur du cordon
    qui porte son nom !

    ***

    Et que vient-il faire
    dans notre galère ?
    Demain, pas plus tard,
    vous l'allez le voir !
    Petit ... artifice,
    un peu de malice,
    pour vous annoncer :
    Rahar a frappé !

    Lenaïg

    http://zezete2.centerblog.net/rub--feu-artifice-.html

     


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  • Un rien qui vaut cher - 2/2 - RAHAR

    J’étais assez déconcerté, serais-je un peu trop prétentieux pour m’estimer plus chanceux que d’autres qui s’étaient penchés sur le sujet pendant des semaines ? Malgré mes origines asiatiques, je n’avais pas plus d’intuition que le simple vulgum pecus, j’estimais seulement avoir un bon sens de l’observation et de la perspicacité.

    Un rien qui vaut cher - 2/2 - RAHARLa vidéo semblait ne receler aucun indice exploitable. Eva y disait seulement qu’elle allait partir et prendre du recul, réfléchir pour décider de ce qu’elle allait faire. Cet enregistrement ne servait à RIEN.

    – Ninie, vous qui avez étudié la psychologie, dites-moi si son expression est naturelle ou si elle s’exprime sous la contrainte.

    – Mon cher Lock – elle se permettait de m’appeler par mon nom quand nous étions seuls – je puis vous assurer qu’elle a fait ça de plein gré, je ne vois sur son visage aucun signe douteux.

    – Donc elle est partie d’elle-même…

    – Vous soupçonniez que son mari l’a tuée ? En fait, c’est une hypothèse très plausible, s’il n’y avait cet enregistrement. Mais c’est vrai que c’est assez troublant qu’on ne puisse pas retrouver une personne en plus de deux mois, dans notre société très policée. C’était comme si Eva était entrée dans le système de protection des témoins du FBI.

    – Cette mission semble quasi impossible… Je vous retiens, vous et votre maudite sensiblerie. Nous aurions dû avoir déjà une autre affaire bien plus rentable.

    – Ne soyez donc pas si avide, mon cher Lock. Et puis nous n’en sommes qu’au deuxième jour seulement. Boostez donc vos précieuses neurones… Tenez, allons donc interroger Jesse à sa galerie.

    – Hé hé ! « Nous » hein ? Qu’est-ce que c’est que cet engouement subit à vouloir m’accompagner, petite cachottière ?

    – Euh… Enfin, je suis curieuse de voir les tableaux qu’il expose, pendant que vous discutez.

    – Quelle mauvaise foi ! comme si vous vous y connaissiez en peinture. Et si un client se pointait ?

    – Bah, il y a le répondeur, et puis il n’en sera pas à un jour près, non ?

     

    Un rien qui vaut cher - 2/2 - RAHARÀ la galerie, Ninie n’avait même pas jeté un seul coup d’œil aux tableaux, mais je ne fis pas de remarque ironique.

    – Eva et son mari se disputaient souvent ?

    – Eh bien, en vérité, je le soupçonnais seulement. Vous savez, Eva n’est pas de nature à se confier facilement. C’est comme pour la première fois…

    – Ah, parce qu’elle est déjà partie une fois ?

    – Euh… oui. C’était l’année dernière. Elle ne m’a contacté que trois jours après son départ.

    – Mais elle est revenue cette fois-là.

    – Oui, Jean l’a retrouvée et l’a supplié de revenir et qu’il allait changer… Mais je constate qu’il n’a pas changé. J’ai entendu des échos de ses frasques, alors qu’il est lui-même d’une jalousie maladive.

    Je ne savais ce qui avait pris à Ninie, mais son regard qu’elle avait savamment détourné de celui de Jesse tomba sur un tableau.

    – Dites monsieur Trist, combien vaut ce tableau ?

    – Vous semblez avoir du goût, mademoiselle, mais je suis désolé, il est déjà vendu.

    Un rien qui vaut cher - 2/2 - RAHAREffectivement, c’était un beau tableau, quand bien même je serais un profane. J’étais toutefois certain que même avec les primes que je lui accordais, Ninie ne pourrait pas se le payer. Mais nous n’étions pas venus pour ça, j’allais poser une autre question, quand mon regard se posa sur un petit tableau à côté.

    – Monsieur Trist, j’ai vu un tableau du même style que celui-ci chez les Nuwi, est-ce que…

    – Oui monsieur Kwan, Eva a acheté une toile du même artiste il y a quatre ou cinq mois.

    – Alors, je suis vraiment désolé de vous apprendre que votre sœur est morte.

    Le commissaire avait pris en main lui-même l’interrogatoire de Jean Nuwi. Ce policier expérimenté et hargneux se faisait fort d’obtenir des aveux en peu de temps. L’enregistrement d’Eva avait été fait dans le living. Le petit tableau au-dessus des bibelots n’y figurait pas. La vidéo avait donc dû être effectuée quand Eva était partie pour la première fois, l’année dernière. Jean Nuwi l’avait sortie et montrée à la police pour la convaincre qu’Eva était partie de son plein gré. Le labo avait fini par dénicher la date réelle de prise de vue.

    Un rien qui vaut cher - 2/2 - RAHAR– Encore une affaire menée rondement, mon cher Lock… Avouez quand même que j’ai contribué un peu à sa résolution.

    – Je suis d’accord, même si c’était involontaire… Enfin, cela aura une répercussion sur votre prime, je pense.

    – Euh… Lock, ça ne vous fait rien si je prends mon après-midi ?

    Alors que je regardais distraitement par la fenêtre, je vis Jesse sortir de sa voiture et se diriger vers notre immeuble. Kwan Lock Investigations avait déjà été payé, je ne pensais absolument pas que ce jeune homme venait pour moi. Sacrée Ninie !

    Fin

    RAHAR

    Un rien qui vaut cher - 2/2 - RAHAR

    Images du net. 


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    Un rien qui vaut cher - RAHAR

    Un rien qui vaut cher - RAHARJ’étais en train de rédiger un quelconque rapport, quand Ninie m’interrompit.

    – Un client sans rendez-vous, patron.

    – Pas intéressé, ma chère. Envoyez-le vers un collègue.

    – Allons patron, je sais bien que vous venez de boucler une affaire juteuse, mais ce jeune homme est tellement… désemparé.

    – Un jeune homme, hein ?... Et je suppose qu’il est beau et mignon.

    – Patron !... Eh bien, c’est peut-être vrai, mais son cas vous intéressera, j’en suis sûre… Vous avez toujours confiance en ma perspicacité, n’est-ce pas ?... Allons, consacrez-lui juste cinq minutes, et si vous n’êtes pas convaincu, je n’insisterai pas.

    – Hmm… Très bien Ninie, faites-le entrer.

    Comme je l’avais supposé, le jeune gars de vingt-cinq ans était beau et je ne m’étonnais plus que ma secrétaire eût craqué. Mais je la croyais assez consciencieuse pour avoir une assez bonne maîtrise de ses émotions et sentiments. Je pensais donc que le charme du jeune homme n’avait pas été suffisant pour l’inciter à me persuader de m’occuper de l’affaire.

    Je laissais le gars Jesse Trist m’exposer calmement son problème. Sa sœur jumelle Eva avait disparu depuis deux mois. Suite à une dispute avec son mari, elle avait profité du fait qu’il était à son bureau pour enregistrer une vidéo de rupture. On pouvait supposer que la dispute avait été très sérieuse, et pour qu’elle eût laissé ce message inhabituel, elle devait redouter quelque réaction violente de son mari pour éviter un affrontement pénible. Ce dernier, Jean Nuwi, était un homme impulsif, plutôt jaloux et exclusif malgré son charme trompeur, et Jesse ne serait pas étonné qu’il fût parfois brusque et violent dans l’intimité, quoique sa sœur ne se fût jamais plaint ni confiée à lui.

    Contrairement aux vrais jumeaux, Eva et Jesse n’avaient pas ce lien spécial qui unissait les homozygotes, leur faisant ressentir les émotions de l’autre. Toutefois, rien que par leur lien fraternel normal, Eva aurait dû contacter son frère, à défaut de leurs parents résidant au loin, à la limite une semaine après son départ.

    Jesse avait fini par s’inquiéter et avait rendu visite à Jean. Celui-ci avait manifesté son étonnement et avait montré la vidéo à son beau-frère. Les deux hommes avaient donc résolu d’avertir la police, plus d’une semaine de silence était inquiétant. Eva n’avait pas de revenu, ne s’étant plus présentée à son travail, et sa cagnotte – si cagnotte il y avait – aurait déjà fondu depuis longtemps.

    La police avait fait chou blanc. Eva n’avait laissé aucune trace. Depuis son départ, elle n’avait pas utilisé sa carte et la banque n’avait enregistré aucun mouvement, ni de débit ni de crédit. Comment avait-elle donc vécu ? Même si elle avait effectué de petits boulots, elle aurait quand même laissé des traces, même minimes.

    Les deux hommes avaient engagé successivement trois détectives. Aucun de ceux-ci n’avait obtenu de résultat. En désespoir de cause, Jesse Trist se rabattit sur Kwan Lock Investigations. Mes tarifs étaient plutôt extravagants, même pour un jeune entrepreneur comme ce Jesse ; je ne me justifierais pas, je ne faisais que suivre la loi de l’offre et de la demande : le nombre d’affaires délicates bouclées, parfois en quelques heures, témoignaient pour moi.

    Ma visite au commissariat, où j’avais quelques bons amis et d’anciens collègues, ne m’apprit rien d’intéressant, le dossier était quasiment vide. Eva Nuwi était partie avec très peu d’affaires dans une petite valise. Une enquête de proximité ne donna que des résultats décevants : le quartier était très animé et Eva aurait très facilement passée inaperçue ; aucun commerçant n’avait remarqué rien de particulier.

    Je me résolus à rendre visite au mari, Jean Nuwi. C’était un bellâtre au tempérament ombrageux, toisant hautainement ce petit détective chinetoque qui prétendait faire mieux que les autres. Je ne comprenais pas comment la gente féminine était attirée par ce type plein de suffisance, mais je ne suis pas une femme. Je le trouvais immédiatement antipathique.

    – Monsieur Nuwi, pourriez-vous me dire pourquoi votre femme vous a quitté ?

    – Oh, nous avions eu une discussion peut-être plus violente que d’habitude.

    – C’était à propos de quoi ?

    – De son travail. Elle rentrait trop souvent tard.

    – Et je suppose qu’à son lieu de travail il y avait un peu trop de jeunes et beaux internes.

    – J’avoue que je suis un peu jaloux.

    – J’ai cru entendre que vous-même êtes entouré de charmantes collaboratrices…

    – Et alors ? Ça ne veut pas dire que je me les farcissais. J’aime ma femme et je voudrais qu’elle revienne. Je veux changer pour la retenir.

    Un rien qui vaut cher - RAHARPar automatisme, j’avais mentalement photographié le living et sa décoration. J’y avais noté la touche féminine raffinée d’Eva par le choix des tableaux et des bibelots.

    – La police ne m’a pas permis de voir son message vidéo.

    – Eh bien, tenez ! voici une copie si cela peut vous aider.

    A suivre

    RAHAR

    Note de Lenaïg :
    pour vérifier si on a l'oeil d'un détective, on peut essayer de trouver les 7 différences entre les deux chats ci-dessus. Moi j'en ai trouvé assez facilement cinq, puis six, je chercher encore la septième !
    Voir le jeu chez Superblogules.

     

    Un rien qui vaut cher - RAHAR

    Photos : Nestor Burma (Guy Marchand) et sa secrétaire Hélène (Géraldine Cotte).

     


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