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Par lenaig boudig le 19 Juin 2011 à 22:54
- La perquisition de l'après-midi avait pour but de vérifier les déclarations du matin de Matteo, sur de prétendus cadeaux, représentant tous une certaine valeur, qu'il aurait reçu de ses maîtresses, ainsi que les conditions dans lesquelles ils auraient été octroyés, souligna Gasser. La perquisition se limita à sa chambre et dura une quarantaine de minutes. De cette perquisition, commissaire, je retiens trois choses: la première est que le jeune homme avait dit vrai... on a retrouvé l'ensemble des présents dans son placard, ainsi qu'une assez forte somme d'argent dans un tiroir; la deuxième est que l'on a recensé, grâce à divers messages sur son ordinateur et sur le site de rencontres auquel il est abonné depuis deux ans, pas moins de neuf femmes généreuses, de vingt-cinq à trente-deux ans, sincèrement éprises du garçon, semble-t-il...
- Fort bien, Gasser, interrompit le commissaire, et la troisième chose?
- La troisième chose, commissaire, est que l'on a retrouvé tous ces cadeaux, encore confectionnés dans leurs emballages d'origine. Cela m'a semblé curieux, d'autant que ce sont essentiellement des fringues, à sa taille, toutes de marque, du parfum, une montre qu'il aurait très bien pu exhiber, comme n'importe quel mec de son âge... De ces choses-là, les jeunes d'aujourd'hui en raffolent, et il les portent même pour aller au lycée ou à la fac...
Un brouhaha confus suivit l'énoncé de ces faits qui n'étaient pas connus de tous. Chacun y alla de son commentaire, alors que Silvana entra dans la pièce pour y disposer un tableau chevalet papier avec des feutres assortis.
- Évidemment, on a cherché une explication auprès du gamin, s'écria le commissaire, en avançant ses paumes de mains vers l'assistance, les doigts écartés, comme pour tenter d'obtenir le silence. Et sa réponse a été surprenante, n'est-ce pas Gasser?
- Oui, commissaire... Le jeune homme, continua le vice-inspecteur, aurait amassé tous ces objets, d'un certain prix, je le rappelle, non pour son usage personnel, mais pour les revendre sur internet... Et le résultat de ses ventes devait... devait être remis à ses parents, dont il dit, qu'ils connaissent de graves difficultés financières... C'est ce qu'il prétend, en tout cas...
Un nouveau brouhaha envahit la salle. Malgré le bruit, perceptible de l'extérieur, Farina entrebâilla les trois larges fenêtres, pour aérer les esprits, autant que le local. L'agent Kempf se remit à noircir le tableau, mais cette fois, les feuilles de papier pivotèrent vers l'arrière du chevalet, bien trop vite au goût du commissaire. Gasser reprit la parole.
- Nous avons discuté avec les parents qui semblent dépassés par les évènements, bien qu'ils aient conscience de la gravité des faits reprochés à leur fils. Ils ne démentent pas connaître des problèmes financiers, mais ils les relativisent. Ils doivent payer leurs traites, comme tout le monde, répètent-ils... et à l'évidence, leur modeste restaurant ne fait pas recette tous les jours... La crise est générale, et ils admettent une chute de fréquentation de la clientèle depuis deux ans déjà... Ils affirment également ne pas en avoir discuté véritablement avec leurs deux fils, pour les laisser en dehors de tout ça... Bien entendu, nous vérifierons la solvabilité des Degasperi, auprès des deux banques créancières, la Raiffeisen et la banca popolare dell'Alto Adige...
- J'ajoute que Farina n'est pas le seul à avoir fait pleuré le gamin, Gasser a également réussi ce tour de force... précisa Rizzoli. Quant à moi, je suis parvenu, à mon corps défendant, à faire sangloter la mère... Nous avons eu droit à un grand débordement d'émotions, hier après-midi! Pour ma part, la sincérité de tous m'a paru évidente, et je crois que Gasser n'est pas loin d'avoir ressenti la même chose...
Le vice-inspecteur hocha la tête en signe d'approbation.
- Cependant, admit le commissaire, une fois encore, le gamin ne nous a pas tout dit... Comment comprendre qu'il se baladait les poches bourrées de préservatifs, dont il usait au lit de ses maîtresses, et qu'avec Lisa, il s'est laissé aller à un comportement, disons... à risques?
- C'est simple à comprendre, proposa Trevisan. Matteo se serait aperçu avec le temps, qu'il pouvait soutirer aux femmes aveuglées par leurs problèmes, quelques avantages matériels, bien dérisoires, qui serviraient à soulager les dettes de ses parents, tandis que la petite Lisa, pour lui, c'était autre chose... C'était une jeune fille de son âge, et à mon avis, il l'aimait vraiment...
- Pour ma part, ajouta Kempf, Matteo savait que Lisa était enceinte, et il savait que c'était de lui...
- Nous n'en avons pas encore la preuve! rétorqua Luciani.
- Nous l'aurons bientôt... s'avança Kempf, sûre de son fait.
- Qui nous prouve qu'il était sincèrement amoureux de Lisa? s'emporta Luciani. Après tout, les Innerhofer sont pleins aux as, et l'adolescent aurait très bien pu vouloir soutirer des avantages matériels à cette famille... Gogo pour gogo... Le dimanche du meurtre, les deux jeunes se sont disputés, Lisa reprochant à Matteo de jouer double jeu... ou bien, l'un voulait garder le bébé, et l'autre pas...ou bien pour un tout autre motif, même futile, et lui ne l'a pas supporté...
Une querelle sur un motif futile qui aurait mal tourné... c'était le scénario que le commissaire avait envisagé un temps, le pire des scénarios, pensait-il, un scénario qu'il avait bien vite abandonné, justement parce que c'était le pire...
L'agent Kempf fit le point des signes plus et moins... Il ne lui fallut pas même cinq minutes pour déclarer à la cantonade, que les moins l'emportaient sur les plus. L'équipe du commissaire Rizzoli, à la majorité de ses membres, considérait que les charges actuellement retenues contre le gamin n'étaient pas suffisantes.
Le commissaire resta néanmoins prudent.
- A condition, prévint-il, que le garçon reconsidère sa déclaration sur ses derniers moments passés avec Lisa. Qu'il nous précise ce qu'il sait sur la grossesse de sa petite amie, et les raisons pour lesquelles elle a quitté la douceur des pommiers, seule, sans lui... C'est pas fortuit, à mon avis!
Gute Idee, Fräulein, mit Nutella für mich, bitte! : Bonne idée, mademoiselle, avec la Nutella pour moi, s'il vous plaît!
Fin de chapitre
Note :
Giro d'Italia: le tour d'Italie cycliste, rendez-vous sportif traditionnel du mois de mai.
Denis Costa,
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Par lenaig boudig le 18 Juin 2011 à 00:00
Rizzoli laissa entrouverte la porte de son bureau, et au lieu de gagner son fauteuil, il s'approcha de l'une des fenêtres en manifestant une certaine impatience. Il observa au dehors, les passants qui se croisaient dans la rue. La foule piétinait le macadam sans logique apparente, dans un mouvement confus qui ne privilégiait aucune direction. « Si à l'extérieur de la questura, ça part dans tous les sens, puisse à l'intérieur, que notre enquête prenne la bonne direction! », soupira le commissaire.
La signorina Silvana avait déjà fait couler le café dans la grosse cafetière électrique, récemment achetée sur les cotisations du personnel du service. A la réunion du matin, assisteraient pas moins de sept personnes, l'équipe restreinte du commissaire qui travaille directement sur l'affaire Lisa Innerhofer, devenue depuis peu, l'affaire Matteo Degasperi. Outre l'inspecteur-chef Farina et le vice-inspecteur Gasser, le commissaire avait convoqué l'assistant Kallmünz, et les agents Mauro Luciani, Anna Trevisan, et Laura Kempf.
Les collaborateurs de Rizzoli s'installèrent, au fur et à mesure de leur arrivée, autour de la table de conférence, décidément moins large que celle qui trônait dans le bureau du vice-questeur. Farina en fit la remarque, notant narquois qu'à la questura, la taille des tables de conférence était inversement proportionnelle à la qualité des services rendus. Anna Trevisan arriva avec quelques minutes de retard, ce qui irrita le commissaire. Mais les mines se détendirent lorsque l'agent sortit d'un sachet papier, quelques croissants encore tièdes, fourrés à la marmelade ou au chocolat. Gute Idee, Fräulein, s'exclama Kallmünz... mit Nutella für mich, bitte!
Rizzoli attendit que les viennoiseries aient rempli les estomacs, dans un chahut de collégiens en récré, avant de lancer officiellement la discussion. Le café fumait encore dans les tasses.
- Tout le monde doit s'exprimer, précisa-t-il, et ne craignez pas de dire des bêtises. Laura écrira sur le tableau Velleda, toutes les idées, remarques ou propositions que vous aurez émises... ensuite, on fera le tri. Le but, vous l'aurez compris, c'est d'avancer dans cette enquête... Vous savez tous ici, que si une enquête n'est pas bouclée dans les dix jours qui suivent le crime, alors il y a fort à parier qu'elle ne sera jamais bouclée, du moins de façon positive... Notre cible, c'est Matteo Degasperi, mais pas seulement... Chacune de vos interventions sera affublée du signe plus ou moins: plus, à charge et moins, à décharge.
En préambule, le commissaire informa l'auditoire de l'appel dans la soirée du docteur Gruber. A l'énoncé de la grossesse de Lisa, la consternation fut perceptible sur tous les visages, et les commentaires, moralisants puis acerbes, allèrent bon train. Rizzoli dut recadrer son équipe, en se gardant bien de préciser la grande émotion qu'il avait lui-même eu la faiblesse de laisser transparaître à l'annonce de la nouvelle.
- Je comprends vos réactions, mais il convient de les dépasser. Elles relèvent de l'émotionnel, voire de la sensiblerie, moi je veux du rationnel, de la méthode!
- Qui aurait été le père, Matteo, un autre, peut-être? se demanda l'agent Luciani. Ce jeune homme ne nous a pas tout dit, commissaire...
- Pour moi, c'est Matteo, décréta Kallmünz. D'après l'enquête que nous avons faite auprès des Innerhofer, Lisa n'était pas du genre à courir les garçons. C'était tous les témoignages concordent, une fille plutôt sage. L'assistant Kallmünz avait utilisé le terme allemand, Tugendhaft, « vertueuse ».
- Se pose alors la question de savoir si Matteo savait... Trois hypothèses: ou le garçon ignore que sa petite amie était enceinte, ou bien, il l'a appris de sa bouche, le matin du meurtre, et il a piqué une grosse colère, ou bien pire encore, Lisa lui a avoué que l'enfant n'était pas de lui... Dans les deux derniers cas, ils se seraient disputés, puis... continua Gasser.
Le commissaire fit signe à l'agent Kempf, d'un hochement de tête, qu'elle pouvait transcrire sur le tableau, les premières réflexions du groupe.
- Elle a eu un rapport avec Matteo, le matin du meurtre, rappela l'agent Trevisan.
- Ça, on le savait déjà, le garçon nous l'avait confiés, renchérit Kempf, un rapport consenti... Sinon, comment comprendre qu'elle portait des bottines... pas pratique pour pédaler! Le vélo n'était qu'un simple moyen pour se transporter d'un endroit à un autre. Elle savait qu'elle irait faire l'amour avec Matteo, à l'ombre des pommiers, et elle ne s'entraînait pas pour participer au giro d'Italia!
- Consenti, certes, mais sans aucune protection, et elle ne prenait pas la pilule, selon ses parents... Matteo ne pouvait pas l'ignorer, et pourtant, il a fait rentrer toute la sauce, s'amusa Luciani... C'est qu'il savait pertinemment qu'elle était enceinte...
- Oui, mais ça, c'était la lune de miel dans les pommiers... et après... le slip remis de travers? Elle ne s'est tout de même pas baladée ainsi, du verger jusqu'aux rives de l'Adige, sur cinq kilomètres... objecta Gasser. A-t-elle eu un second rapport sur les rives de l'Adige, là où un homme l'a tuée?
- Le sperme retrouvé provient d'une seule personne: Matteo, répliqua le commissaire.
Les avis des uns et des autres fusèrent alors, à la vitesse des balles que lancent dans toutes les directions, les machines d'entraînement que l'on voit sur les cours de tennis. Le commissaire tournait la tête dans un sens, puis dans l'autre, un doigt appuyé sur une télécommande fictive, au cas où des propos s'éloigneraient exagérément du sujet.
- Entre midi-trente et une heure, le bonhomme n'a pas d'alibi... Il prétend avoir pris le soleil et s'être endormi quelque temps sur l'herbe, après le départ de Lisa qui souhaitait rentrer rapidement chez papa et maman. C'est sa version, en tout cas, car il se pourrait qu'ils se soient disputés, comme on l'a dit à l'instant... et qu'elle ait voulu rejoindre plus vite que prévu le domicile de ses parents, en pleurs...
- On ne retrouve Matteo qu'à une heure trente-cinq, en compagnie de ses copains, dans une pizzéria à la sortie de Merano... Il aurait donc eu le temps matériel de la tuer... Mais pourquoi sur les berges du fleuve, et comment y serait-il allé? Elle, en amazone sur le cadre de sa bicyclette? Pas crédible... A moins, qu'il l'ait suivie discrètement en vélo pour contrôler qu'elle rentrait bien chez elle? Mais pourquoi le vélo de la fille a-t-il été retrouvé, bien posé contre une haie, à proximité des habitations de la petite chapelle de Santa Agatha?
- Aurait-elle fait une rencontre avec un tiers, au niveau de la chapelle, alors qu'elle rentrait tranquillement chez ses parents?
- Quelqu'un qu'elle connaissait, alors? il n'y eut ni violence ni enlèvement de force, sinon, on aurait retrouvé sa bicyclette gisant parterre sur la route ou sur le bas-côté.
- Pourquoi avoir consommé une orange sur les bords du fleuve... qui la lui aurait offerte? Pourquoi la police scientifique n'a-t-elle pas retrouvé de pelures d'orange sur la berge?
- J'ai l'impression que cette orange, c'est la Golden offerte à Blanche-neige par la vilaine sorcière... Elle l'a conduite à la mort, mais aujourd'hui, il n'y a plus de prince charmant.
L'agent Kempf avait fini par noircir le Velleda, et elle supplia du regard le commissaire qui demanda à la signorina Silvana, de bien vouloir leur trouver un tableau sur pied, quitte à le subtiliser d'un autre bureau.
- Je pense que l'on a bien avancé, indiqua Rizzoli... même si les pourquoi l'emportent sur les parce que... En attendant l'arrivée du tableau, le vice-inspecteur va nous préciser ce qu'il a tiré de la perquisition d'hier... Allez-y, Gasser!
Le vice-inspecteur ne sembla pas surpris, ou feignit de ne pas l'être. Il ajusta sa voix, tout comme sa cravate, sourit au commissaire et amorça son discours. Rizzoli l'écouta attentivement, tout en l'observant. Pour la première fois sans doute, il éprouva pour Gasser de la sympathie, et il se dit qu'après tout, ce jeune inspecteur avait tous les atouts pour faire un bon, voire un excellent flic. Il avait comme beaucoup, les défauts de ses qualités et les qualités de ses défauts, expression que le commissaire privilégiait à toute autre, sans savoir exactement ce qu'elle signifiait. Il suffirait seulement que cet inspecteur soit bien encadré, et de créer une ambiance de travail propice où il se sentirait en confiance... Rizzoli se promit d'être à l'avenir, moins sarcastique avec lui, plus cordial en somme. Il en toucherait deux mots à Farina.
A suivre
Denis Costa,
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Par lenaig boudig le 17 Juin 2011 à 21:51
Rizzoli se cala profondément dans un fauteuil du salon, désemparé. Il s'attendait à de mauvaises nouvelles du bureau, mais le pire venait de lui être communiqué d'ailleurs, à près de quatre cents kilomètres d'ici, sans prévenir, par le biais d'un portable qui crachotait à son oreille. Alice qui était accourue, vint s'asseoir dans le fauteuil d'à côté, silencieuse.
- Commissaire, ça va? s'enquit la médecin, surprise par la réaction émotionnelle que sa nouvelle venait de provoquer chez son interlocuteur. Je suis loin de vous, mais j'entends comme une respiration hachée, et cela m'inquiète... Vous prenez cette affaire trop à cœur, commissaire... ce n'est pas conseillé!
- Ça va, madame, ça va, je vous assure... Vous pouvez continuer, je vous écoute...
- Eh bien, commissaire, il est encore trop tôt pour vous préciser si l'embryon d'environ six semaines, provient d'une gamète du jeune Matteo, mais en tout cas, c'est son ADN qui a été retrouvé sur le corps de Lisa... et elle venait d'avoir un rapport non protégé avec lui, pratiquement dans l'heure qui a précédé son décès, un rapport complet, les traces de son sperme le confirment, poursuivit la médecin.
- Hum, répondit Rizzoli, qui venait tout juste de surmonter les effets du premier choc. Il était redevenu lucide, suffisamment en tout cas pour se demander comment ces gens de science pouvaient fournir ce genre de détails intimes avec autant de détachement... Et puis? poursuivit-il, en tentant d'adopter le même ton neutre et professionnel que la médecin.
- Je vous confirme la mort de la petite par strangulation, une strangulation exercée par des mains d'homme, il n'y a aucun doute là-dessus, vu la force et surtout les dégâts occasionnés à la trachée... La date du décès remonte à dimanche, entre midi-et-demi et une heure, je ne serais pas crédible si je me faisais plus précise... Le corps n'a pas été transporté, il n'a pas non plus séjourné dans l'eau...
- Ah! le corps n'a pas été transporté... ça c'est intéressant, c'est l'un des détails qui nous manquait... Lisa a donc été tuée sur les bords de l'Adige et non dans les vergers...
- C'est exact, commissaire, on retrouve cependant de la terre, la notre, bien meuble et bien riche, sous ses bottines et de façon incidente, sous ses ongles également. Pas de lutte, ni de griffure, la petite ne s'est pas défendue. D'après les marques de doigts, je peux assurer qu'on l'a étranglée alors qu'elle était de dos.
- Elle était... habillée, vous me confirmez?
- Oui, à part le slip maladroitement remonté, comme je vous l'avais fait remarquer la dernière fois, un peu comme s'il avait été relevé à la va-vite, vous voyez? … Elle portait un soutien-gorge aussi, mais là, je n'ai rien trouvé d'anormal, il était correctement ajusté...
- Rien d'autre? poursuivit le commissaire, qui se refusa d'imaginer l'ajustement du sous-vêtement, comme l'y invitait le docteur Gruber.
- Ah si, dernier élément... pas d'alcool dans le sang, on a retrouvé dans son estomac des résidus de féculents et céréales, de la bouillie très fine, ce qui correspond à un petit-déjeuner pris vers les huit heures, mais surtout... Lisa a consommé une orange, juste avant sa mort... une orange entière semble-t-il....
- Une orange en plein pays des pommes? s'interrogea tout haut Rizzoli... curieux choix, non?
- Curieux choix avant de mourir, vous voulez dire commissaire, ou bien curieux choix d'avoir consommé ce fruit-là? Je ne ferai pas de commentaire sur la première hypothèse... quant à la seconde, vous savez commissaire... les pommes de l'année n'en sont qu'au stade de l'après-floraison, s'amusa le docteur.
Le souffle rauque émis par Rizzoli, pouvait passer pour une approbation. Il abrégea la communication et remercia obligeamment le docteur Gruber. Elle lui précisa avant de raccrocher, qu'un premier compte-rendu lui avait été porté par un coursier, en fin d'après-midi. Il l'aurait assurément demain matin sur son bureau.
De ses premières réflexions, le commissaire Rizzoli ne retira qu'une succession d'images, de couleurs et d'odeurs, un kaléidoscope embrouillé, encore à décortiquer, d'où ressortait, quelque soit le bout par lequel on le prenait, le visage zoomé de Matteo. Le commissaire semblait déçu. Le gamin ne lui avait sans doute pas tout dit. En tout cas, pas dans les détails qu'il aurait voulu entendre de sa propre bouche, malgré le ton paternel qu'il avait adopté avec le jeune homme, et la confiance qu'il pensait avoir instauré avec lui, lors de la perquisition de l'après-midi chez ses parents.
Rizzoli prit le téléphone et composa le numéro de la permanence. Après avoir relaté au vice-inspecteur Gasser, l'essentiel de l'exposé de la légiste, il ajouta: « demain matin, huit heures quinze, tout le monde sur le pont dans mon bureau, brainstorming avec l'équipe au grand complet! ». Puis il poursuivit: « on vous a appris ce terme barbare à l'école de police, n'est-ce pas Gasser? »
Fin du chapitre
Lexique:
les trois mafias existant en Italie (hormis les mafias importées, russe, chinoise et maghrébine):
la mafia sicilienne, la camorra napolitaine et la 'ndrangheta calabraise.
brainstorming: technique de résolution créative d'un problème sous la direction d'un animateur (remue-ménage).
Denis Costa,
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Par lenaig boudig le 16 Juin 2011 à 22:18
Au cours du diner, Rizzoli se fit moins loquace que d'habitude. Il songeait aux différents rebondissements de l'enquête qu'il aurait bien voulu partager avec sa femme, mais hors de la présence des jumeaux. Pour l'heure, Alice ne l'écoutait pas. Elle avait les yeux rivés sur les images du journal de vingt-heures qu'elle commentait aux enfants qui la pressèrent de questions.
On y voyait un certain nombre de mafieux présumés, menottés, et jetés de force dans des voitures bleues, qui, toutes sirènes hurlantes, crissaient leurs pneus sur l'asphalte. La journaliste présentait le énième coup de filet des forces de l'ordre contre la camorra napolitaine et la 'ndrangheta calabraise. Mais ce jour-là était tout à fait exceptionnel, car les arrestations concernèrent quatre-vingt personnes simultanément, tant à Naples que dans la province de Vibo Valentia, à l'extrême sud de la Botte.
- Qu'ont-ils fait de mal ces gens-là? demanda la petite Viola.
- Ce sont tous des criminels, ma chérie... certains ont tué, ou bien ont vendu de la drogue aux jeunes, ce qui est pareil. D'autres ont volé l'État... dans le lot, il y a même des élus locaux...
- On dirait des personnes normales, s'étonna la fillette, il y a aussi des femmes qui se font emmener...
- Tu sais, Viola, la Mafia est très dangereuse, justement parce qu'elle ne se découvre pas... elle montre un visage rassurant, elle se présente sous nos propres traits... et elle s'insinue partout.
- Ils sont même ici, dans notre ville? demanda-t-elle, inquiète à sa mère, qui répondit par un hochement de tête.
Son frère semblait lui, plus impressionné par les véhicules de police.
- Papa a la même à la questura, précisa fièrement Osvaldo, pas vrai papa? C'est comme ça que tu arrêtes les méchants?
- Tout ça, c'est du cinéma, fiston, répondit Rizzoli, qui n'appréciait guère les mises en scène. De toute façon, un coup de pied dans la fourmilière ne signifie pas que l'on ait résolu le problème. C'est comme les Bin Laden, on en trucide un, mais derrière... combien y a-t-il de terroristes en short, burqa ou niqab, pour prendre sa place?
En tant que représentant des forces de l'ordre, Rizzoli aurait dû rappeler que, sous la direction énergique du gouvernement, la police et les carabiniers étaient parvenus à ébranler gravement les organisations mafieuses. Mais il préféra ajouter:
- Dire que ce sont les Américains qui les ont amenés ici, empaquetés dans leur barda militaire, pour nous débarrasser du fascisme, puis du... du... communisme, après la guerre! Du coup, la Mafia s'est installée, elle s'est étendue, et elle sera là jusqu'à la fin des temps, je vous le dis!
- C'est quoi burq... et l'autre mot que tu as dit, papa? questionna Osvaldo, intrigué par ce nouveau vocabulaire qui lui semblait exotique.
Rizzoli ne s'attendait pas à une telle demande de la part de son fils. Il sourit, pensant que le sujet de la Mafia avait dérapé sur un autre thème, tout aussi dramatique. Mais après tout, c'était lui qui avait fait cette digression, et il lui revenait de l'expliquer.
- Vous avez appris les dix commandements à l'école, les enfants, non? eh bien, la vie n'est faite que de biens et de maux... de choses qu'il faut faire, et d'autres qu'il faut éviter de faire...
- Oui, comme tu ne tueras point, tu ne voleras point, précisa Viola.
- Exactement ma fille... la Mafia, par exemple, c'est mal, parce qu'elle tue et vole son prochain. De même qu'il est répréhensible de se cacher le visage derrière un voile ou un masque pour accomplir des méfaits, incognito... c'est ça la burqa ou le niqab... deux vêtements prisons que portent sur la tête, certaines femmes musulmanes... Oui, bon, pas forcément pour faire du mal, se rattrapa Rizzoli, devant les gestes désapprobateurs de sa femme qui fronça également des sourcils.
- En fait, c'est plus compliqué que cela, les enfants, poursuivit Alice, ce que votre père tente de vous expliquer, c'est qu'il vaut mieux être du côté du bien. En tout cas, il faut s'y efforcer...
- Oui, mais Zorro, papa, il porte un masque et un chapeau, et c'est pas un méchant! fit remarquer Osvaldo.
- Papa, dans ma classe, j'ai une copine, elle s'appelle Leila, elle est musulmane et elle ne se cache pas le visage avec ce que tu dis... et elle est très gentille, renchérit Viola.
Alice éclata de rire.
- Vous voyez, les enfants, le bien, le mal, c'est tout, sauf simple... à vivre, comme à expliquer... Mieux vaut entamer le dessert, ma salade de fraises, les toutes premières de la saison... Je suis certaine qu'elles feront l'unanimité!
***
Alors qu'Alice rangeait la vaisselle et qu'il balayait le sol carrelé de la cuisine, Guido voulut faire le point de l'enquête avec sa femme. Il eut le temps de bredouiller quelques mots, avant que ne sonne son portable. Il était près de vingt-et-une heures, et Rizzoli, qui avait reconnu la sonnerie bureau, s'attendit au pire. Le jeune vice-inspecteur Gasser était de permanence, qui sait ce qui pouvait arriver... Un éventuel appel de sa part pouvait aussi bien signifier l'incompréhension d'une consigne pour laquelle il solliciterait un simple éclaircissement, que l'annonce d'une rixe en ville, avec dégâts matériels et corporels, ou pire encore, un deuxième meurtre en moins d'une semaine... Ce serait alors la série noire! redouta Rizzoli.
- Allo? interrogea-t-il, fébrile, qui parle?
- Allo, commissaire? c'est le docteur Gruber, à l'appareil... je ne vous dérange pas? je sais qu'il est un peu tard...
- Ah docteur! j'avoue que je ne m'attendais pas à votre appel, comme ça, en soirée... Mais, c'est vrai que l'on s'était échangés nos numéros de portable, l'autre jour, au bord du fleuve... Eh bien, bonsoir. Si vous m'appelez à cette heure-ci, c'est que c'est important...
- Oui, je voulais vous informer des premiers résultats de l'autopsie. En fait, je vous téléphone de Turin, où je viens d'arriver. Demain, nous avons un colloque... et comme je ne serai de retour que vendredi...
- Je comprends mieux votre appel, docteur... alors, ces premiers résultats?
- Eh bien voilà, avant toute chose, je dois vous annoncer que la petite Lisa était enceinte...
- Comment... enceinte? c'est pas possible... quelle tragédie!... Attendez docteur, je m'assois...
A suivre
Denis Costa,
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Par lenaig boudig le 13 Juin 2011 à 12:00
- Comme lors de l'interrogatoire d'hier après-midi, le garçon a craqué, mais cette fois, il a réussi à contenir ses larmes, précisa Farina.
- Il a paru fébrile, c'est certain, nota Gasser.
- Il a confirmé ses déclarations sur l'attirance qu'exerce sur lui, le savoir-faire des femmes plus âgées, poursuivit le commissaire.
- Mais... il a parlé de cadeaux... rajouta le vice-inspecteur.
- Et de cela, hier, il ne m'en a pas parlé, renchérit Farina.
- De cadeaux, il s'agirait de deux montres d'une certaine valeur, d'une chaînette en or avec une médaille, d'un porte-cartes de marque, et de plusieurs centaines d'euro... précisa Gasser.
- Et tu oublies, Andreas, le polo Lacoste, les Geox à cent-cinquante euro la paire, ainsi que divers parfums, Armani et Dolce Gabbana pour homme...
Farina avait pris l'habitude de tutoyer son jeune collègue qu'il appelait par son prénom, Andreas, ce que Rizzoli admettait sans réserve, tous deux faisant partie du même corps des inspecteurs. Lui-même tutoyait Farina, avec lequel une grande complicité s'était établie durant toutes ces années, mais il refusait de se laisser couler dans le moule des relations amicales avec ce nouveau venu, par pur souci de préserver son autorité. C'était en tout cas l'explication qu'il donnait au vouvoiement systématique vis-à-vis du jeune vice-inspecteur, qui de toute façon, n'aurait pas été à son aise s'il en avait été autrement.
- Il reconnaît de multiples partenaires, mais ce n'était pas suffisant, il a fallu qu'il joue aussi au gigolo, ce Matteo, conclut Gasser. Comment comprendre autrement toutes ces largesses extorquées à ses différentes maîtresses? Dire qu'il fréquente encore le lycée... Il passe son bac dans deux ans, si j'ai bien compris, je doute qu'il l'obtienne dans ces conditions...
- Ne nous voilons pas la face, ces comportements sont critiquables et réprouvés par la morale chrétienne, mais cela ne constitue pas pour autant un délit... Tout ce petit monde était consentant, non?... Et puis Gasser, je ne vous suis pas lorsque vous utilisez les termes, gigolo et extorquer. Nous vérifierons bien entendu, dans quelles conditions ont été effectués ces cadeaux, précisa Rizzoli.
Le commissaire avait peine à réfréner la mauvaise humeur qui montait en lui. Il se refusait à comprendre l'acharnement de ses collègues contre le gamin, un acharnement déjà puissamment partagé par ses supérieurs et largement diffusé dans la presse régionale, unanime pour une fois, dans le discrédit, la dénonciation et les suspicions à l'encontre de l'adolescent. Rizzoli se sentait isolé dans son approche de la situation, et cela le perturbait. Peut-être, faisait-il fausse route, après tout... Gasser affirmait de manière à peine voilée que Matteo pouvait avoir offert son corps contre des contreparties? Impensable selon Rizzoli... Comme si un adolescent tout juste majeur pouvait donner une tournure aussi vénale à des relations sentimentales... Matteo un gigolo? vraiment, ce Gasser n'y allait pas par le dos de la cuillère! Comment peut-il être aussi péremptoire, ce jeune flic?
Le commissaire se reprochait également sa propension à rechercher le consensus à tout prix. Il savait Farina très croyant et devinait en Gasser, un habitué des églises, comme le sont en général les montagnards tyroliens. C'était sans doute ce qui expliqua l'idée saugrenue qui lui était soudainement venue, de mêler la morale chrétienne à une affaire déjà suffisamment compliquée. Le commissaire s'en voulut, d'autant qu'il était devenu athée avec l'âge. Bercé pendant son enfance par le mythe du gentil petit Jésus, né dans une crèche d'étable, crucifié par Ponce Pilate, puis ressuscité pour sauver l'humanité de ses péchés, le jeune Guido n'y voyait déjà qu'une belle histoire, générant réunions de famille, des présents en nombre et des jours de classe en moins. Il avait traversé son adolescence à contester l'ordre établi, puis il était devenu officier de police, et il se surprit à voter à gauche... Rien de contradictoire dans tout cela. Il militait simplement dans la sphère privée, pour une société meilleure, plus solidaire et surtout débarrassée de ses crucifix, pendus un peu partout dans les administrations italiennes. Alice n'était pas loin de penser comme lui, mais elle tenait, par tradition familiale sans doute, à ce que leurs jumeaux Osvaldo et Viola suivent les cours de catéchisme à l'école, et fassent leur communion solennelle. Ses deux enfants étaient libres de suivre leur mère, mais rien n'aurait pu lui ôter de l'esprit que la religion n'était que roba da donna, avant tout une affaire de femmes bigotes, à la recherche de réconfort.
Le joyeux gazouillis des moineaux n'hésitant pas à picorer directement dans les assiettes, fut soudain interrompu par deux coups lourds et sonores du carillon de la cathédrale Santa Maria Assunta de la place Walther.
Rizzoli consulta sa montre. Elle marquait quatorze heures cinq. Rien de plus normal, le commissaire avançait toujours sa montre de cinq minutes, par souci de ponctualité.
- Chers collègues, décida-t-il, il est plus que temps de rejoindre la questura! Le programme de cet après-midi est simple. Gasser, vous venez avec moi. L'équipe va perquisitionner la chambre du gamin, à la recherche d'indices. J'aimerais bien trouver des échanges de correspondances par exemple, on va saisir son ordi naturellement, et je veux m'assurer de la réalité des soi-disant libéralités dont il nous a parlé ce matin... Le vice-questeur n'a pas été long à obtenir du procureur une commission rogatoire. Matteo qui refuse désormais de sortir de sa chambre, assistera à la fouille. Ça m'arrange, on va mettre le paquet! je veux que la perquisition l'impressionne, qu'il saisisse bien le caractère dramatique de la situation dans laquelle il s'est fourré. Et puis, je veux parler aux parents, la mère était complètement retournée ce matin... Farina, tu iras voir les Innerhofer, prends Kallmünz avec toi! Tant que tu ne sera pas titulaire du certificat B de langues, tu te feras enfariner par les Crucchi! Excusez-moi, Gasser, rien de péjoratif dans ma bouche...
***
Lexique:
Vu compra: terme populaire qui désigne les Africains qui vendent dans les rues à la sauvette (vu compra= en italien de cuisine, « vous achètes »
Herr = monsieur, en allemand
quattro stagioni = quatre saisons
roba da donna = affaire de femmes
crucchi = allemands.
***
Fin du chapitre
Denis Costa,
Texte et photo
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