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      Paul Innésien est multimillionnaire… et pas en roubles ni en yens. Il a fait son beurre dans la sacherie écologique qu’on ne soupçonnerait pas d’être aussi profitable, un créneau en friche où il a fait figure de pionnier. Petit ingénieur mal payé — il ne se souciait pas vraiment de l’argent, étant célibataire endurci — il militait dans une organisation écologique mineure, peut-être pour compenser sa solitude. L’illumination lui vint au cours d’une mission au Brésil, quand il avait pu contempler de visu le célèbre fleuve de sachets en plastique. La couche était tellement épaisse qu’on aurait pu y jouer au football. Il prit un congé sabbatique — ce qui ne lésait pas vraiment l’entreprise qui l’employait — et se plongea dans des recherches, aidé de quelques amis biologistes aussi écologistes farfelus que lui. Une petite entreprise de sacherie biodégradable fut ainsi créée, et miracle, elle s’agrandit au fil des années, puis essaima dans tout le pays.
      Le succès ne lui a pas monté à la tête, et aussi simple qu’il avait toujours été, il a consacré la majorité de sa fortune à aider au développement des zones rurales, créant de petits barrage, finançant des éoliennes, construisant des éc

    oles et des dispensaires en bras de chemise et jeans. Paul Innésien est vraiment populaire, même si en ville peu de gens le connaissent.
      L’ingénieur doit maintenant faire face à une accusation d’homicide involontaire. La veille, il revenait d’un chantier à quelques kilomètres de Loutouz, à bord de sa coccinelle, de collection peut-être, mais aussi fatiguée qu’une péripatéticienne en fin de carrière. Il s’engageait au croisement au feu devenu vert, quand un gamin en scooter avait brusquement surgi de sa droite. L’accident était inévitable et fut mortel.
      Il y eut des témoins, mais curieusement, leurs déclarations diffèrent comme leurs interprétations. Certains affirment que l’accusé avait foncé délibérément et avancent que c’est un type qui est apparemment énervé par les deux roues. Il faut dire que les jeunes ont accès de plus en plus aux scooters et la plupart foulent au pied les règles de prudence, exaspérant les conducteurs.
      Paul Innésien a été sauvé par les caméras de la circulation. Néanmoins, les faux témoins ont pu tirer leur épingle du jeu en prétendant avoir été hors champ. Malgré leur douleur, les parents du gamin convinrent que la justice a fait son travail et qu’ils n’en veulent pas à l’ingénieur.
    *

     

    fbi-face - www.libertaland.com

     

     

      — P’pa, m’sieur Deuffet sera à son chalet ce soir… et puis n’oublie pas de passer au 33.
      — Mais qu’est-ce que tu veux dire par là, Dany ? Et qu’est ce 33 ?
      — Ben j’en sais rien, p’pa. T’inquiète, tu le sauras bien le moment venu, va.
      Ce petit garnement m’étonnera toujours. Il est doué, mais ses déclarations sibyllines sont parfois difficiles à décrypter. Quoiqu’il en soit, j’ai confiance en mon marmot, il ne s’est jamais trompé… jusqu’ici.
      Germain Deuffet est chirurgien plasticien à qui l’Éboueur a rendu service. Je ne vois pas ce que moi, en tant que Georges Kulas, pourrais avoir à faire avec lui, personne ne connaît Klotz pour que je me refasse le portrait, et même si je suis coquet, je ne suis pas encore à l’âge où l’on a besoin de lifting. Enfin, je dois m’occuper de mes affaires. Je vais consulter mon mail. Une proposition de contrat au nom de Paul Innésien ; ce nom me dit quelque chose. Ah oui ! Il est passé à l’info, il a été lavé de l’accusation d’homicide par imprudence. Ce contrat témoignerait-il du contraire ? Paul Innésien serait-il un malfrat de la pire espèce ?
      Je n’ai pas bien suivi l’affaire, il faudra donc que je refasse l’enquête. Malheureusement, je n’ai pas accès aux enregistrements des caméras publics, Romain ne peut les pirater qu’en temps réel. Il me faut le dossier de l’affaire, tant de la police que du tribunal.
      En chemin, je passe à la boutique d’Yvonne. J’ai besoin de son sourire pour bien débuter ma journée. Je sais, c’est teenager, mais les sentiments n’ont pas d’âge. Il y a déjà plus de cinq mois que nous nous connaissons, mais je suis toujours aussi impatient de voir ma dulcinée comme au premier jour. Elle me fascine, me détend, m’enrichit, me comprend… et me fait fondre.
      Lucille m’accueille chaleureusement et Britney s’empresse de prévenir la patronne. Le sourire de ma petite Yvonne fait se gonfler mon cœur et je me sens irradier de bonheur. En prenant mes mains, ma métisse a un imperceptible tressaillement.
      — Rassure-toi Georges, Paul Innésien n’est pas responsable de l’accident, et c’est un homme très estimable. J’ai pu le voir quand je l’ai touché au commissariat.
      — Mais il a peut-être une double vie…
      — Non mon chéri, il ne pouvait pas me mentir. Mais pourquoi donc t’intéresse-tu tant à ce Paul ?... Non, ne réponds pas ; en réalité, je ne veux pas le savoir.
      — Yvonne, tu le sauras bien assez tôt… peut-être plus tôt que tu ne penses.
      — Tu me fais peur, Georges.
      — Comment ça peur ? Tu ne veux pas me connaître vraiment ?
      — Si, mais je ne veux pas te forcer. J’ai confiance en toi, tu es un type bien.
      — Écoute, je veux que tu saches bien dans quoi tu t’embarques.
      — Nous avons tout le temps de nous connaître, Georges. Rien ne presse. Va à ton affaire.
      — Très bien, on reprendra cette conversation un peu plus tard.
      Puisque ce Paul est clean, je dois m’orienter vers une autre piste. Les parents du gamin ont peut-être voulu se venger, malgré leur assurance de compréhension. Je vais décortiquer leur vie avec l’aide de Romain.
      Rien, on n’a rien trouvé. Les Painar n’ont aucune histoire, des contraventions comme tout le monde, mais rien de plus grave comme excès de vitesse ou brûlage de feu rouge ; c’est une famille ordinaire au revenu moyen. Leur compte en banque, que Romain a relevé, ne leur permet pas de m’engager sans dégrader sérieusement leur niveau de vie, vu mes tarifs, d’autant qu’ils doivent régler les traites de leur maison et de leur voiture. En outre, ils ont encore une petite fille à charge ; ils ne voudraient pas sacrifier cette enfant au nom d’une vengeance improductive et ruineuse. Alors quoi ?
      Romain me rappelle, il a trouvé quelque chose. Le nom de jeune fille de Lucy Painar est Malphra. Fichtre ! La fille de Joe Malphra, le parrain intouchable (jusqu’à aujourd’hui) de la Côte Ouest. Un type traditionaliste violent, mais malin comme un singe, sachant passer au travers de tout filet. Je comprends maintenant, Lucy a rompu avec sa famille pour se mésallier avec l’homme ordinaire qu’était Jesus Painar. Mais Joe n’en était pas moins grand-père et toucher à son petit-fils était un affront qu’il fallait laver dans le sang. Il ne se souciait pas des circonstances, il ne voyait que la mort de l’enfant. Je me doute que c’est lui qui a fourni les faux témoins pour enfoncer Paul. Mais ça a foiré.
      Dilemme. Si je refusais le contrat, Joe embaucherait un autre tueur. Paul n’était pas responsable de la mort du gamin… Je pense subitement à Dany… et mon cerveau fait « tilt ».
     
      Le lendemain, on constatera un horrible accident : une voiture qui embrassera un platane avec passion, une passion tellement ardente qu’elle ne laissera que des cendres. Ce sera la voiture d’un ingénieur multimillionnaire qui se serait endormi au volant. Il aurait été épuisé par sa lubie écologique et n’aurait pas dû conduire. Le comble, c’est qu’il transporterait au mépris de toute prudence du carburant destiné à une petite usine de transformation agricole.
    *
      Je me grime et me rends méconnaissable. Je conduis jusqu’à Loutouz et me rends au bureau de l’ingénieur, une chemise sous le bras. Je sais qu’il reçoit personnellement des gens qui lui soumettent des projets communautaires. La fortune n’est pas montée à la tête de l’individu : s’il n’était pas minable, son bureau était loin d’être directorial comme on l’imaginerait. Je m’annonce comme Jimmy Tassion, troisième conseiller du maire de Varne-la-Malley.
      — Monsieur Innésien, j’irai droit au but. On veut vous tuer.
      — Mais… Mais… C’est une plaisanterie !?
      — Laissez-moi vous montrer un mail… Vous voudriez bien vous pousser et me passer le clavier.
      — Seigneur ! Mais que veut dire tout ça ?... Vous ne seriez pas… ?
      — Eh si ! Je suis l’Éboueur.
      — Mon Dieu !... Mais si c’est vrai, pourquoi vouloir me tuer ?... Vous allez vraiment me tuer ?
      — Vous avez tué un enfant.
      — Mais ce n’était pas ma faute ! Il s’était pratiquement jeté sous mes roues.
      — Je sais.
      — Alors pourquoi ? Me tuer le ferait-il revenir à la vie ?
      — Je sais. Mais mon commanditaire ne veut pas le savoir. Pour lui c’est le talion.
      — Je n’ai pas peur de la mort, si elle est inévitable. Mais je regretterais de ne pouvoir continuer mon œuvre, il y a encore tant à faire.
      — Vous avez ici du personnel juridique. Faites votre testament.
      — Quoi ? Pour quoi faire ? Et puis, si vous êtes compétent dans votre profession, vous devez savoir que je viens du DAS. Je ne me connais aucun parent.
      — Je ne l’ignore pas. Connaissez-vous le phénix ?
      — Je suis peut-être ingénieur, mais j’ai quand même des lettres. Où voulez-vous en venir ? Vous allez me buter et ensuite me ressusciter ?
      — Ou vous aider à vous réincarner. Comme légataire, vous mettrez Phan Ichi.
      — Mais comment le connaissez-vous ? Il a disparu en mer, lors du naufrage du Céleste II.
      — Non, il est là… devant moi.
      — ???
      Je lui ai donné rendez-vous chez le docteur Germain Deuffet. Celui-ci est un peu surpris en me voyant : il avait vu l’Éboueur sous un autre aspect. Maintenant il se doute que ce n’est pas mon vrai visage. Il a chez lui, dans son sous-sol, toute l’installation nécessaire et on n’a pas besoin d’aller à sa clinique. À le voir, dégingandé comme une marionnette, on ne lui permettrait pas de découper la dinde de Thanksgiving, mais ses mains de fée sont assurées pour une somme faramineuse, c’est dire son extraordinaire compétence. Innésien arrive discrètement en taxi.
      Je me charge des papiers, j’ai mon faussaire attitré. L’ingénieur connaît assez la vie de son défunt ami Phan Ichi, issu de la DAS lui aussi, pour entrer dans sa peau. Ce ne sera pas vraiment difficile, ils partageaient tous deux les mêmes idées écologiques. Leur morphologie est assez proche pour faciliter le boulot du chirurgien. Paul devra partir au Vietnam clandestinement pour revenir ici au grand jour. Il passera pour le seul rescapé et naufragé du Céleste II. Il pourra ainsi continuer sa chère œuvre.
      Sur le chemin vers chez Deuffet, je passe devant le n°33 dans Mayfair Lane. Une impulsion soudaine et inexpliquée me fait me garer et entrer dans le magasin. Une bijouterie de luxe. Tout de suite, un magnifique solitaire m’attire comme un aimant. Mon coup d’œil expert me dit que la bague est parfaite et n’aura pas besoin de retouche, je ne regarde même pas le prix. Le sort en est jeté, j’ai décidé de me jeter à l’eau.
      Je prépare l’exécution de mon contrat. Je récupère la tire de l’ingénieur. Je passe à la morgue où mon ami légiste Mc Abbey me garde toujours un cadavre non réclamé au chaud… enfin au froid. L’Éboueur a une telle réputation, que personne ne se donne la peine de contrôler quoi que ce soit et se repose béatement sur ses deux oreilles, attendant sereinement le résultat prévisible : le tueur n’a encore jamais failli.
     
      Je suis à quelques minutes de la fermeture, quand Georges se pointe. Je le sens un peu tendu, mais je n’ose pas le toucher, je préfère qu’il se confie de lui-même. En fait, je ne « vois » pas forcément quand je touche quelqu’un, il faut que je sois dans les bonnes dispositions. Je peux aussi bloquer ma vision dans une certaine mesure.
      Lucille s’en va à l’arrêt de bus où l’attend déjà son petit ami. La mère de Britney vient juste de se garer. Georges m’aide à fermer la boutique et enclenche l’alarme. À ma surprise, il m’emmène chez Chatatouille, l’un des plus sélects restaurants de la ville.
      — Tu n’as pas pensé à Dany ? fais-je mi-figue, mi-raisin.
      — Il m’a dit qu’il va essayer de faire ses devoirs sans mon aide, pour une fois.
      — Et il ne va pas se sentir seul pour dîner ? Car je suppose que nous n’allons pas seulement prendre le café, ici.
      — Tu as raison Yvonne, je… nous avons à parler, cette situation ne peut plus durer.
      — Houlà ! Tu es d’un sérieux ! Notre situation n’est pas tellement mauvaise. Allons, souris-moi Georges, ce ne doit pas être si dramatique que ça…
      — C’est que la décision à prendre est plutôt grave. Je dois t’avouer…
      — Non arrête, je sais ce que tu es, Klotz.
      — Je t’en prie, ne m’appelle pas ainsi, pour toi je suis Georges.
      — Je n’approuve pas entièrement ce que tu fais, mais je dois me faire une raison.
      — Justement, c’est ce que j’appréhende. Jusqu’à quand pourrais-tu le supporter ?
      — Georges, tu gagnes bien ta vie et je ne me défends pas mal. Ne pourrions-nous pas nous contenter de ça ?
      — Ce n’est pas aussi simple, Yvonne. J’ai un talent, et une force irrésistible m’oblige à l’utiliser. Tu suis la série Dexter ?
      — Oui, mais toi, tu n’es pas un psychopathe, que je sache. Et je sais, crois-moi.
      — Mais ma vie n’a aucun sens si j’abandonne. Et j’ai essayé, crois-moi.
      — Je comprends Georges… Mais c’est bien ainsi, rassure-toi.
      — Yvonne, je sais que tu as un certain don, mais j’ignore jusqu’à quel point il te révèle la vie de quelqu’un.
      — Suffisamment assez pour me faire une bonne idée. Je connais ton secret depuis un certain temps déjà.
      — Donc tu sais tout… Je comprendrais que cela te fasse reculer…
      — Georges ! Je t’ai dit que je me suis faite une raison. J’ai confiance en toi, ce que j’ai découvert n’entame pas mes sentiments pour toi… tant que tu garderas ton éthique.
      — C’est vrai ? Ah, ma petite perle ! J’étais si anxieux.
      — Alors, c’est réglé ? On peut commander maintenant ?
      — Pas encore…
      — Quoi ? Tu me réserves encore une autre surprise ? Agréable, j’espère.
      — Tu ne crois pas si bien dire. Je ne suis pas très doué pour les déclarations romantiques, et puis je suis trop ému, mais veux-tu accepter… ça ?
      — Georges ! Mais c’est une folie ! C’est trop magnifique !
      — Ah les femmes ! Donnez-leur du toc et elles ne voient que l’intention. Mais offrez-leur du vrai et elles n’y voient que le prix.
      — Gros bêta ! Nous, les petites gens, on est réaliste.
    *
      Ceux qui l’ont connu, surtout les ruraux, ont été consternés par l’annonce de la mort de Paul Innésien. Plusieurs projets en cours ont dû être suspendus. Puis mes indics m’ont rapporté une rumeur comme quoi un fils du pays, d’origine vietnamienne, est revenu pour prendre le relais de son ami. Beaucoup ont été frappés par la similitude de caractère de Phan et du défunt Paul, mais ils s’en étaient plutôt félicités et n’ont pas creusé plus loin.
      Ce garnement de Dany a veillé jusqu’à mon retour. Il a jubilé et a galopé de joie à travers toute la maison en faisant un boucan du diable. Je me rappelle maintenant sa prévision à propos des six mois ; jusqu’au mariage, cela les fera bien. Je crois qu’avec mon dernier « cachet » (je suis bien une sorte d’artiste), je vais emmener le gamin et sa future « mère » au parc d’attraction, puis au restaurant. On va bien s’éclater.

     

     

    RAHAR

     

     

    Sac à main en papier recyclé - www.eco-sapiens.com  

     

     

    Illustrations :

    www.libertaland.com

    www.inakis.fr

    Et un superbe sac à main en papier recyclé pour Yvonne, en plus de la bague !

     

     

     


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  •  

    Denis Costa - Photo 12

     

     

     

    - La perquisition de l'après-midi avait pour but de vérifier les déclarations du matin de Matteo, sur de prétendus cadeaux, représentant tous une certaine valeur, qu'il aurait reçu de ses maîtresses, ainsi que les conditions dans lesquelles ils auraient été octroyés, souligna Gasser. La perquisition se limita à sa chambre et dura une quarantaine de minutes. De cette perquisition, commissaire, je retiens trois choses: la première est que le jeune homme avait dit vrai... on a retrouvé l'ensemble des présents dans son placard, ainsi qu'une assez forte somme d'argent dans un tiroir; la deuxième est que l'on a recensé, grâce à divers messages sur son ordinateur et sur le site de rencontres auquel il est abonné depuis deux ans, pas moins de neuf femmes généreuses, de vingt-cinq à trente-deux ans, sincèrement éprises du garçon, semble-t-il...

     

    - Fort bien, Gasser, interrompit le commissaire, et la troisième chose?

     

    - La troisième chose, commissaire, est que l'on a retrouvé tous ces cadeaux, encore confectionnés dans leurs emballages d'origine. Cela m'a semblé curieux, d'autant que ce sont essentiellement des fringues, à sa taille, toutes de marque, du parfum, une montre qu'il aurait très bien pu exhiber, comme n'importe quel mec de son âge... De ces choses-là, les jeunes d'aujourd'hui en raffolent, et il les portent même pour aller au lycée ou à la fac...

     

    Un brouhaha confus suivit l'énoncé de ces faits qui n'étaient pas connus de tous. Chacun y alla de son commentaire, alors que Silvana entra dans la pièce pour y disposer un tableau chevalet papier avec des feutres assortis.

     

    - Évidemment, on a cherché une explication auprès du gamin, s'écria le commissaire, en avançant ses paumes de mains vers l'assistance, les doigts écartés, comme pour tenter d'obtenir le silence. Et sa réponse a été surprenante, n'est-ce pas Gasser?

     

    - Oui, commissaire... Le jeune homme, continua le vice-inspecteur, aurait amassé tous ces objets, d'un certain prix, je le rappelle, non pour son usage personnel, mais pour les revendre sur internet... Et le résultat de ses ventes devait... devait être remis à ses parents, dont il dit, qu'ils connaissent de graves difficultés financières... C'est ce qu'il prétend, en tout cas...

     

    Un nouveau brouhaha envahit la salle. Malgré le bruit, perceptible de l'extérieur, Farina entrebâilla les trois larges fenêtres, pour aérer les esprits, autant que le local. L'agent Kempf se remit à noircir le tableau, mais cette fois, les feuilles de papier pivotèrent vers l'arrière du chevalet, bien trop vite au goût du commissaire. Gasser reprit la parole.

     

    - Nous avons discuté avec les parents qui semblent dépassés par les évènements, bien qu'ils aient conscience de la gravité des faits reprochés à leur fils. Ils ne démentent pas connaître des problèmes financiers, mais ils les relativisent. Ils doivent payer leurs traites, comme tout le monde, répètent-ils... et à l'évidence, leur modeste restaurant ne fait pas recette tous les jours... La crise est générale, et ils admettent une chute de fréquentation de la clientèle depuis deux ans déjà... Ils affirment également ne pas en avoir discuté véritablement avec leurs deux fils, pour les laisser en dehors de tout ça... Bien entendu, nous vérifierons la solvabilité des Degasperi, auprès des deux banques créancières, la Raiffeisen et la banca popolare dell'Alto Adige...

     

    - J'ajoute que Farina n'est pas le seul à avoir fait pleuré le gamin, Gasser a également réussi ce tour de force... précisa Rizzoli. Quant à moi, je suis parvenu, à mon corps défendant, à faire sangloter la mère... Nous avons eu droit à un grand débordement d'émotions, hier après-midi! Pour ma part, la sincérité de tous m'a paru évidente, et je crois que Gasser n'est pas loin d'avoir ressenti la même chose...

     

    Le vice-inspecteur hocha la tête en signe d'approbation.

     

    - Cependant, admit le commissaire, une fois encore, le gamin ne nous a pas tout dit... Comment comprendre qu'il se baladait les poches bourrées de préservatifs, dont il usait au lit de ses maîtresses, et qu'avec Lisa, il s'est laissé aller à un comportement, disons... à risques?

     

    - C'est simple à comprendre, proposa Trevisan. Matteo se serait aperçu avec le temps, qu'il pouvait soutirer aux femmes aveuglées par leurs problèmes, quelques avantages matériels, bien dérisoires, qui serviraient à soulager les dettes de ses parents, tandis que la petite Lisa, pour lui, c'était autre chose... C'était une jeune fille de son âge, et à mon avis, il l'aimait vraiment...

     

    - Pour ma part, ajouta Kempf, Matteo savait que Lisa était enceinte, et il savait que c'était de lui...

     

    - Nous n'en avons pas encore la preuve! rétorqua Luciani.

     

    - Nous l'aurons bientôt... s'avança Kempf, sûre de son fait.

     

    - Qui nous prouve qu'il était sincèrement amoureux de Lisa? s'emporta Luciani. Après tout, les Innerhofer sont pleins aux as, et l'adolescent aurait très bien pu vouloir soutirer des avantages matériels à cette famille... Gogo pour gogo... Le dimanche du meurtre, les deux jeunes se sont disputés, Lisa reprochant à Matteo de jouer double jeu... ou bien, l'un voulait garder le bébé, et l'autre pas...ou bien pour un tout autre motif, même futile, et lui ne l'a pas supporté...

     

    Une querelle sur un motif futile qui aurait mal tourné... c'était le scénario que le commissaire avait envisagé un temps, le pire des scénarios, pensait-il, un scénario qu'il avait bien vite abandonné, justement parce que c'était le pire...

    L'agent Kempf fit le point des signes plus et moins... Il ne lui fallut pas même cinq minutes pour déclarer à la cantonade, que les moins l'emportaient sur les plus. L'équipe du commissaire Rizzoli, à la majorité de ses membres, considérait que les charges actuellement retenues contre le gamin n'étaient pas suffisantes.

    Le commissaire resta néanmoins prudent.

     

    - A condition, prévint-il, que le garçon reconsidère sa déclaration sur ses derniers moments passés avec Lisa. Qu'il nous précise ce qu'il sait sur la grossesse de sa petite amie, et les raisons pour lesquelles elle a quitté la douceur des pommiers, seule, sans lui... C'est pas fortuit, à mon avis!

     

    Gute Idee, Fräulein, mit Nutella für mich, bitte! : Bonne idée, mademoiselle, avec la Nutella pour moi, s'il vous plaît!

     

     

    Fin de chapitre

     

     

    Note :

    Giro d'Italia: le tour d'Italie cycliste, rendez-vous sportif traditionnel du mois de mai.

     

     

     

    Denis Costa,

    Texte et photo

     

     

     


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  •   Cygnes polyglottes

     

     

     

    Ce soir, la suite du chapitre 7 de Une enquête du commissaire Rizzoli, le roman que Denis Costa est en train d'écrire, talonnée de près par le début d'une nouvelle inédite de Rahar !

     

    En attendant, un petit texte cocasse et pertinent, qu'a reçu et que me fait partager l'amie qui m'accueille chez elle lorsque je me rends au Café philo d'Ivry. Manifestement, c'est une plume et un point de vue masculins qui sont à l'origine de cette fantaisie (vous le comprendrez aisément), mais tout le monde peut en sourire, même en rire !

    Prenons donc un petit moment pour le savourer, en chassant toute préoccupation (qui n'en a pas ?), tout souci, toute attente qui nous encombreraient obstinément, inconfortablement l'esprit, que ce soit pour nous-mêmes ou pour des proches.

    Lenaïg

    ***

     
    Drole-d-oiseaux
     


    «Myope comme une taupe», «rusé comme un renard» «serrés comme des sardines»... les termes empruntés au monde animal ne se retrouvent pas seulement dans les fables de La Fontaine, ils sont partout.


    >
    La preuve: que vous soyez fier comme un coq, fort comme un boeuf, têtu comme un âne, malin comme un singe ou simplement un chaud lapin, vous êtes tous, un jour ou l'autre, devenu chèvre pour une caille aux yeux de biche.


    Vous arrivez à votre premier rendez-vous fier comme un paon et frais comme un gardon et là, ... pas un chat! Vous faites le pied de grue, vous demandant si cette bécasse vous a réellement posé un lapin. Il y a anguille sous roche et pourtant le bouc émissaire qui vous a obtenu ce rancard, la tête de linotte avec qui vous êtes copain comme cochon, vous l'a certifié: cette poule a du chien, une vraie panthère! C'est sûr, vous serez un crapaud mort d'amour. Mais tout de même, elle vous traite comme un chien.

     

     

    Postérieurs - Assis de dos - Lapins

     

     

    Vous êtes prêt à gueuler comme un putois quand finalement la fine mouche arrive. 

     

    Bon, vous vous dites que dix minutes de retard, il n'y a pas de quoi casser trois pattes à un canard. Sauf que la fameuse souris, malgré son cou de cygne et sa crinière de lion est en fait aussi plate qu'une limande, myope comme une taupe, elle souffle comme un phoque et rit comme une baleine. Une vraie peau de vache, quoi! Et vous, vous êtes fait comme un rat.


    Vous roulez des yeux de merlan frit, vous êtes rouge comme une écrevisse, mais vous restez muet comme une carpe. Elle essaie bien de vous tirer les vers du nez, mais vous sautez du coq à l'âne et finissez par noyer le poisson. Vous avez le cafard, l'envie vous prend de pleurer comme un veau (ou de verser des larmes de crocodile, c'est selon). Vous finissez par prendre le taureau par les cornes et vous inventer une fièvre de cheval qui vous permet de filer comme un lièvre.


    C'est pas que vous êtes une poule mouillée, vous ne voulez pas être le dindon de la farce. Vous avez beau être doux comme un agneau sous vos airs d'ours mal léché, faut pas vous prendre pour un pigeon car vous pourriez devenir le loup dans la bergerie.


    Et puis, ça aurait servi à quoi de se regarder comme des chiens de faïence. Après tout, revenons à nos moutons: vous avez maintenant une faim de loup, l'envie de dormir comme un loir et surtout vous avez d'autres chats à fouetter.

     

     

    Petition ours - www.paysdelours.com

     

    Illustrations :

    Cygnes polyglottes, marmotte et oiseaux partageurs, postérieurs de petits lapins, images trouvées sur Google images et déjà "rattachées" à des sites ou blogs divers et :

    la pétition de l'ours, www.paysdelours.com

     

     



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  •  Denis Costa - Photo 11

     

     

     

     

    Rizzoli laissa entrouverte la porte de son bureau, et au lieu de gagner son fauteuil, il s'approcha de l'une des fenêtres en manifestant une certaine impatience. Il observa au dehors, les passants qui se croisaient dans la rue. La foule piétinait le macadam sans logique apparente, dans un mouvement confus qui ne privilégiait aucune direction. « Si à l'extérieur de la questura, ça part dans tous les sens, puisse à l'intérieur, que notre enquête prenne la bonne direction! », soupira le commissaire.

     

    La signorina Silvana avait déjà fait couler le café dans la grosse cafetière électrique, récemment achetée sur les cotisations du personnel du service. A la réunion du matin, assisteraient pas moins de sept personnes, l'équipe restreinte du commissaire qui travaille directement sur l'affaire Lisa Innerhofer, devenue depuis peu, l'affaire Matteo Degasperi. Outre l'inspecteur-chef Farina et le vice-inspecteur Gasser, le commissaire avait convoqué l'assistant Kallmünz, et les agents Mauro Luciani, Anna Trevisan, et Laura Kempf.

    Les collaborateurs de Rizzoli s'installèrent, au fur et à mesure de leur arrivée, autour de la table de conférence, décidément moins large que celle qui trônait dans le bureau du vice-questeur. Farina en fit la remarque, notant narquois qu'à la questura, la taille des tables de conférence était inversement proportionnelle à la qualité des services rendus. Anna Trevisan arriva avec quelques minutes de retard, ce qui irrita le commissaire. Mais les mines se détendirent lorsque l'agent sortit d'un sachet papier, quelques croissants encore tièdes, fourrés à la marmelade ou au chocolat. Gute Idee, Fräulein, s'exclama Kallmünz... mit Nutella für mich, bitte!

    Rizzoli attendit que les viennoiseries aient rempli les estomacs, dans un chahut de collégiens en récré, avant de lancer officiellement la discussion. Le café fumait encore dans les tasses.

     

    - Tout le monde doit s'exprimer, précisa-t-il, et ne craignez pas de dire des bêtises. Laura écrira sur le tableau Velleda, toutes les idées, remarques ou propositions que vous aurez émises... ensuite, on fera le tri. Le but, vous l'aurez compris, c'est d'avancer dans cette enquête... Vous savez tous ici, que si une enquête n'est pas bouclée dans les dix jours qui suivent le crime, alors il y a fort à parier qu'elle ne sera jamais bouclée, du moins de façon positive... Notre cible, c'est Matteo Degasperi, mais pas seulement... Chacune de vos interventions sera affublée du signe plus ou moins: plus, à charge et moins, à décharge.

     

    En préambule, le commissaire informa l'auditoire de l'appel dans la soirée du docteur Gruber. A l'énoncé de la grossesse de Lisa, la consternation fut perceptible sur tous les visages, et les commentaires, moralisants puis acerbes, allèrent bon train. Rizzoli dut recadrer son équipe, en se gardant bien de préciser la grande émotion qu'il avait lui-même eu la faiblesse de laisser transparaître à l'annonce de la nouvelle.

     

    - Je comprends vos réactions, mais il convient de les dépasser. Elles relèvent de l'émotionnel, voire de la sensiblerie, moi je veux du rationnel, de la méthode!

     

    - Qui aurait été le père, Matteo, un autre, peut-être? se demanda l'agent Luciani. Ce jeune homme ne nous a pas tout dit, commissaire...

     

    - Pour moi, c'est Matteo, décréta Kallmünz. D'après l'enquête que nous avons faite auprès des Innerhofer, Lisa n'était pas du genre à courir les garçons. C'était tous les témoignages concordent, une fille plutôt sage. L'assistant Kallmünz avait utilisé le terme allemand, Tugendhaft, « vertueuse ».

     

    - Se pose alors la question de savoir si Matteo savait... Trois hypothèses: ou le garçon ignore que sa petite amie était enceinte, ou bien, il l'a appris de sa bouche, le matin du meurtre, et il a piqué une grosse colère, ou bien pire encore, Lisa lui a avoué que l'enfant n'était pas de lui... Dans les deux derniers cas, ils se seraient disputés, puis... continua Gasser.

     

    Le commissaire fit signe à l'agent Kempf, d'un hochement de tête, qu'elle pouvait transcrire sur le tableau, les premières réflexions du groupe.

     

    - Elle a eu un rapport avec Matteo, le matin du meurtre, rappela l'agent Trevisan.

     

     - Ça, on le savait déjà, le garçon nous l'avait confiés, renchérit Kempf, un rapport consenti... Sinon, comment comprendre qu'elle portait des bottines... pas pratique pour pédaler! Le vélo n'était qu'un simple moyen pour se transporter d'un endroit à un autre. Elle savait qu'elle irait faire l'amour avec Matteo, à l'ombre des pommiers, et elle ne s'entraînait pas pour participer au giro d'Italia!

     

     - Consenti, certes, mais sans aucune protection, et elle ne prenait pas la pilule, selon ses parents... Matteo ne pouvait pas l'ignorer, et pourtant, il a fait rentrer toute la sauce, s'amusa Luciani... C'est qu'il savait pertinemment qu'elle était enceinte...

     

     - Oui, mais ça, c'était la lune de miel dans les pommiers... et après... le slip remis de travers? Elle ne s'est tout de même pas baladée ainsi, du verger jusqu'aux rives de l'Adige, sur cinq kilomètres... objecta Gasser. A-t-elle eu un second rapport sur les rives de l'Adige, là où un homme l'a tuée?

     

     - Le sperme retrouvé provient d'une seule personne: Matteo, répliqua le commissaire.

     

     Les avis des uns et des autres fusèrent alors, à la vitesse des balles que lancent dans toutes les directions, les machines d'entraînement que l'on voit sur les cours de tennis. Le commissaire tournait la tête dans un sens, puis dans l'autre, un doigt appuyé sur une télécommande fictive, au cas où des propos s'éloigneraient exagérément du sujet.

     

     - Entre midi-trente et une heure, le bonhomme n'a pas d'alibi... Il prétend avoir pris le soleil et s'être endormi quelque temps sur l'herbe, après le départ de Lisa qui souhaitait rentrer rapidement chez papa et maman. C'est sa version, en tout cas, car il se pourrait qu'ils se soient disputés, comme on l'a dit à l'instant... et qu'elle ait voulu rejoindre plus vite que prévu le domicile de ses parents, en pleurs...

     

     - On ne retrouve Matteo qu'à une heure trente-cinq, en compagnie de ses copains, dans une pizzéria à la sortie de Merano... Il aurait donc eu le temps matériel de la tuer... Mais pourquoi sur les berges du fleuve, et comment y serait-il allé? Elle, en amazone sur le cadre de sa bicyclette? Pas crédible... A moins, qu'il l'ait suivie discrètement en vélo pour contrôler qu'elle rentrait bien chez elle? Mais pourquoi le vélo de la fille a-t-il été retrouvé, bien posé contre une haie, à proximité des habitations de la petite chapelle de Santa Agatha?

     

     - Aurait-elle fait une rencontre avec un tiers, au niveau de la chapelle, alors qu'elle rentrait tranquillement chez ses parents?

     

     - Quelqu'un qu'elle connaissait, alors? il n'y eut ni violence ni enlèvement de force, sinon, on aurait retrouvé sa bicyclette gisant parterre sur la route ou sur le bas-côté.

     

     - Pourquoi avoir consommé une orange sur les bords du fleuve... qui la lui aurait offerte? Pourquoi la police scientifique n'a-t-elle pas retrouvé de pelures d'orange sur la berge?

     

     - J'ai l'impression que cette orange, c'est la Golden offerte à Blanche-neige par la vilaine sorcière... Elle l'a conduite à la mort, mais aujourd'hui, il n'y a plus de prince charmant.

     

    L'agent Kempf avait fini par noircir le Velleda, et elle supplia du regard le commissaire qui demanda à la signorina Silvana, de bien vouloir leur trouver un tableau sur pied, quitte à le subtiliser d'un autre bureau.

     

    - Je pense que l'on a bien avancé, indiqua Rizzoli... même si les pourquoi l'emportent sur les parce que... En attendant l'arrivée du tableau, le vice-inspecteur va nous préciser ce qu'il a tiré de la perquisition d'hier... Allez-y, Gasser!

     

    Le vice-inspecteur ne sembla pas surpris, ou feignit de ne pas l'être. Il ajusta sa voix, tout comme sa cravate, sourit au commissaire et amorça son discours. Rizzoli l'écouta attentivement, tout en l'observant. Pour la première fois sans doute, il éprouva pour Gasser de la sympathie, et il se dit qu'après tout, ce jeune inspecteur avait tous les atouts pour faire un bon, voire un excellent flic. Il avait comme beaucoup, les défauts de ses qualités et les qualités de ses défauts, expression que le commissaire privilégiait à toute autre, sans savoir exactement ce qu'elle signifiait. Il suffirait seulement que cet inspecteur soit bien encadré, et de créer une ambiance de travail propice où il se sentirait en confiance... Rizzoli se promit d'être à l'avenir, moins sarcastique avec lui, plus cordial en somme. Il en toucherait deux mots à Farina.

     

     

     

    A suivre

     

     

    Denis Costa,

     Texte et photo 

    

    

     

    

     


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  • Denis Costa - Photo 10 

     

      

     

    Rizzoli se cala profondément dans un fauteuil du salon, désemparé. Il s'attendait à de mauvaises nouvelles du bureau, mais le pire venait de lui être communiqué d'ailleurs, à près de quatre cents kilomètres d'ici, sans prévenir, par le biais d'un portable qui crachotait à son oreille. Alice qui était accourue, vint s'asseoir dans le fauteuil d'à côté, silencieuse.

     

    - Commissaire, ça va? s'enquit la médecin, surprise par la réaction émotionnelle que sa nouvelle venait de provoquer chez son interlocuteur. Je suis loin de vous, mais j'entends comme une respiration hachée, et cela m'inquiète... Vous prenez cette affaire trop à cœur, commissaire... ce n'est pas conseillé!

     

    - Ça va, madame, ça va, je vous assure... Vous pouvez continuer, je vous écoute...

     

    - Eh bien, commissaire, il est encore trop tôt pour vous préciser si l'embryon d'environ six semaines, provient d'une gamète du jeune Matteo, mais en tout cas, c'est son ADN qui a été retrouvé sur le corps de Lisa... et elle venait d'avoir un rapport non protégé avec lui, pratiquement dans l'heure qui a précédé son décès, un rapport complet, les traces de son sperme le confirment, poursuivit la médecin.

     

    - Hum, répondit Rizzoli, qui venait tout juste de surmonter les effets du premier choc. Il était redevenu lucide, suffisamment en tout cas pour se demander comment ces gens de science pouvaient fournir ce genre de détails intimes avec autant de détachement... Et puis? poursuivit-il, en tentant d'adopter le même ton neutre et professionnel que la médecin.

     

    - Je vous confirme la mort de la petite par strangulation, une strangulation exercée par des mains d'homme, il n'y a aucun doute là-dessus, vu la force et surtout les dégâts occasionnés à la trachée... La date du décès remonte à dimanche, entre midi-et-demi et une heure, je ne serais pas crédible si je me faisais plus précise... Le corps n'a pas été transporté, il n'a pas non plus séjourné dans l'eau...

     

    - Ah! le corps n'a pas été transporté... ça c'est intéressant, c'est l'un des détails qui nous manquait... Lisa a donc été tuée sur les bords de l'Adige et non dans les vergers...

     

    - C'est exact, commissaire, on retrouve cependant de la terre, la notre, bien meuble et bien riche, sous ses bottines et de façon incidente, sous ses ongles également. Pas de lutte, ni de griffure, la petite ne s'est pas défendue. D'après les marques de doigts, je peux assurer qu'on l'a étranglée alors qu'elle était de dos.

     

    - Elle était... habillée, vous me confirmez?

     

    - Oui, à part le slip maladroitement remonté, comme je vous l'avais fait remarquer la dernière fois, un peu comme s'il avait été relevé à la va-vite, vous voyez? … Elle portait un soutien-gorge aussi, mais là, je n'ai rien trouvé d'anormal, il était correctement ajusté...

     

    - Rien d'autre? poursuivit le commissaire, qui se refusa d'imaginer l'ajustement du sous-vêtement, comme l'y invitait le docteur Gruber.

     

    - Ah si, dernier élément... pas d'alcool dans le sang, on a retrouvé dans son estomac des résidus de féculents et céréales, de la bouillie très fine, ce qui correspond à un petit-déjeuner pris vers les huit heures, mais surtout... Lisa a consommé une orange, juste avant sa mort... une orange entière semble-t-il....

     

    - Une orange en plein pays des pommes? s'interrogea tout haut Rizzoli... curieux choix, non?

     

    - Curieux choix avant de mourir, vous voulez dire commissaire, ou bien curieux choix d'avoir consommé ce fruit-là? Je ne ferai pas de commentaire sur la première hypothèse... quant à la seconde, vous savez commissaire... les pommes de l'année n'en sont qu'au stade de l'après-floraison, s'amusa le docteur.

     

    Le souffle rauque émis par Rizzoli, pouvait passer pour une approbation. Il abrégea la communication et remercia obligeamment le docteur Gruber. Elle lui précisa avant de raccrocher, qu'un premier compte-rendu lui avait été porté par un coursier, en fin d'après-midi. Il l'aurait assurément demain matin sur son bureau.

     

    De ses premières réflexions, le commissaire Rizzoli ne retira qu'une succession d'images, de couleurs et d'odeurs, un kaléidoscope embrouillé, encore à décortiquer, d'où ressortait, quelque soit le bout par lequel on le prenait, le visage zoomé de Matteo. Le commissaire semblait déçu. Le gamin ne lui avait sans doute pas tout dit. En tout cas, pas dans les détails qu'il aurait voulu entendre de sa propre bouche, malgré le ton paternel qu'il avait adopté avec le jeune homme, et la confiance qu'il pensait avoir instauré avec lui, lors de la perquisition de l'après-midi chez ses parents.

     

    Rizzoli prit le téléphone et composa le numéro de la permanence. Après avoir relaté au vice-inspecteur Gasser, l'essentiel de l'exposé de la légiste, il ajouta: « demain matin, huit heures quinze, tout le monde sur le pont dans mon bureau, brainstorming avec l'équipe au grand complet! ». Puis il poursuivit: « on vous a appris ce terme barbare à l'école de police, n'est-ce pas Gasser? »

     

     

    Fin du chapitre

      

    Lexique:

     

    les trois mafias existant en Italie (hormis les mafias importées, russe, chinoise et maghrébine):

    la mafia sicilienne, la camorra napolitaine et la 'ndrangheta calabraise.

     

    brainstorming: technique de résolution créative d'un problème sous la direction d'un animateur (remue-ménage).

     

     

    Denis Costa,

    Texte et photo

     

     

     

     


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