• Une enquête du commissaire Rizzoli - Chapitre 5 (fin) - Denis Costa

     

    Denis Costa - Photo 08

     

     

     

    - Comme lors de l'interrogatoire d'hier après-midi, le garçon a craqué, mais cette fois, il a réussi à contenir ses larmes, précisa Farina.

     

    - Il a paru fébrile, c'est certain, nota Gasser.

     

    - Il a confirmé ses déclarations sur l'attirance qu'exerce sur lui, le savoir-faire des femmes plus âgées, poursuivit le commissaire.

     

    - Mais... il a parlé de cadeaux... rajouta le vice-inspecteur.

     

    - Et de cela, hier, il ne m'en a pas parlé, renchérit Farina.

     

    - De cadeaux, il s'agirait de deux montres d'une certaine valeur, d'une chaînette en or avec une médaille, d'un porte-cartes de marque, et de plusieurs centaines d'euro... précisa Gasser.

     

    - Et tu oublies, Andreas, le polo Lacoste, les Geox à cent-cinquante euro la paire, ainsi que divers parfums, Armani et Dolce Gabbana pour homme...

     

    Farina avait pris l'habitude de tutoyer son jeune collègue qu'il appelait par son prénom, Andreas, ce que Rizzoli admettait sans réserve, tous deux faisant partie du même corps des inspecteurs. Lui-même tutoyait Farina, avec lequel une grande complicité s'était établie durant toutes ces années, mais il refusait de se laisser couler dans le moule des relations amicales avec ce nouveau venu, par pur souci de préserver son autorité. C'était en tout cas l'explication qu'il donnait au vouvoiement systématique vis-à-vis du jeune vice-inspecteur, qui de toute façon, n'aurait pas été à son aise s'il en avait été autrement.

     

    - Il reconnaît de multiples partenaires, mais ce n'était pas suffisant, il a fallu qu'il joue aussi au gigolo, ce Matteo, conclut Gasser. Comment comprendre autrement toutes ces largesses extorquées à ses différentes maîtresses? Dire qu'il fréquente encore le lycée... Il passe son bac dans deux ans, si j'ai bien compris, je doute qu'il l'obtienne dans ces conditions...

     

    - Ne nous voilons pas la face, ces comportements sont critiquables et réprouvés par la morale chrétienne, mais cela ne constitue pas pour autant un délit... Tout ce petit monde était consentant, non?... Et puis Gasser, je ne vous suis pas lorsque vous utilisez les termes, gigolo et extorquer. Nous vérifierons bien entendu, dans quelles conditions ont été effectués ces cadeaux, précisa Rizzoli.

     

    Le commissaire avait peine à réfréner la mauvaise humeur qui montait en lui. Il se refusait à comprendre l'acharnement de ses collègues contre le gamin, un acharnement déjà puissamment partagé par ses supérieurs et largement diffusé dans la presse régionale, unanime pour une fois, dans le discrédit, la dénonciation et les suspicions à l'encontre de l'adolescent. Rizzoli se sentait isolé dans son approche de la situation, et cela le perturbait. Peut-être, faisait-il fausse route, après tout... Gasser affirmait de manière à peine voilée que Matteo pouvait avoir offert son corps contre des contreparties? Impensable selon Rizzoli... Comme si un adolescent tout juste majeur pouvait donner une tournure aussi vénale à des relations sentimentales... Matteo un gigolo? vraiment, ce Gasser n'y allait pas par le dos de la cuillère! Comment peut-il être aussi péremptoire, ce jeune flic?

     

    Le commissaire se reprochait également sa propension à rechercher le consensus à tout prix. Il savait Farina très croyant et devinait en Gasser, un habitué des églises, comme le sont en général les montagnards tyroliens. C'était sans doute ce qui expliqua l'idée saugrenue qui lui était soudainement venue, de mêler la morale chrétienne à une affaire déjà suffisamment compliquée. Le commissaire s'en voulut, d'autant qu'il était devenu athée avec l'âge. Bercé pendant son enfance par le mythe du gentil petit Jésus, né dans une crèche d'étable, crucifié par Ponce Pilate, puis ressuscité pour sauver l'humanité de ses péchés, le jeune Guido n'y voyait déjà qu'une belle histoire, générant réunions de famille, des présents en nombre et des jours de classe en moins. Il avait traversé son adolescence à contester l'ordre établi, puis il était devenu officier de police, et il se surprit à voter à gauche... Rien de contradictoire dans tout cela. Il militait simplement dans la sphère privée, pour une société meilleure, plus solidaire et surtout débarrassée de ses crucifix, pendus un peu partout dans les administrations italiennes. Alice n'était pas loin de penser comme lui, mais elle tenait, par tradition familiale sans doute, à ce que leurs jumeaux Osvaldo et Viola suivent les cours de catéchisme à l'école, et fassent leur communion solennelle. Ses deux enfants étaient libres de suivre leur mère, mais rien n'aurait pu lui ôter de l'esprit que la religion n'était que roba da donna, avant tout une affaire de femmes bigotes, à la recherche de réconfort.

     

    Le joyeux gazouillis des moineaux n'hésitant pas à picorer directement dans les assiettes, fut soudain interrompu par deux coups lourds et sonores du carillon de la cathédrale Santa Maria Assunta de la place Walther.

    Rizzoli consulta sa montre. Elle marquait quatorze heures cinq. Rien de plus normal, le commissaire avançait toujours sa montre de cinq minutes, par souci de ponctualité.

     

    - Chers collègues, décida-t-il, il est plus que temps de rejoindre la questura! Le programme de cet après-midi est simple. Gasser, vous venez avec moi. L'équipe va perquisitionner la chambre du gamin, à la recherche d'indices. J'aimerais bien trouver des échanges de correspondances par exemple, on va saisir son ordi naturellement, et je veux m'assurer de la réalité des soi-disant libéralités dont il nous a parlé ce matin... Le vice-questeur n'a pas été long à obtenir du procureur une commission rogatoire. Matteo qui refuse désormais de sortir de sa chambre, assistera à la fouille. Ça m'arrange, on va mettre le paquet! je veux que la perquisition l'impressionne, qu'il saisisse bien le caractère dramatique de la situation dans laquelle il s'est fourré. Et puis, je veux parler aux parents, la mère était complètement retournée ce matin... Farina, tu iras voir les Innerhofer, prends Kallmünz avec toi! Tant que tu ne sera pas titulaire du certificat B de langues, tu te feras enfariner par les Crucchi! Excusez-moi, Gasser, rien de péjoratif dans ma bouche...

     

    ***

     

     

    Lexique:

     

    Vu compra: terme populaire qui désigne les Africains qui vendent dans les rues à la sauvette (vu compra= en italien de cuisine, « vous achètes »

     

    Herr = monsieur, en allemand

     

    quattro stagioni = quatre saisons

     

    roba da donna = affaire de femmes

     

    crucchi = allemands.

     

    ***

     

     

    Fin du chapitre

     

     

    Denis Costa,

    Texte et photo

     

     

     

     


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  • Commentaires

    1
    Lundi 13 Juin 2011 à 17:07
    Marie-Louve

    Ben ! Si c'est Dieu possible ? Je serais bien prête à croire que le commissaire qui allait en pique-nique en passant par les raccourcis avec sa petite famille ou que le le jeune vicaire de cette paroisse deviennent mes suspects désignés. Cadeaux ou pas, Matteo est à exclure du décor de tueur. Matteo avait'il une maîtresse plus jalouse que d'autres " crucchi es" ?? 

    Bon lundi à tous. Bizs.

     

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    2
    Lundi 13 Juin 2011 à 19:10
    jill-bill.over-blog.

    Bonsoir Denis, Lenaïg... Je suis l'affaire, Mattéo trop simple, mais qui alors...   Pour l'heure on apprend à connaître mieux les policiers...  Bonne soirée à vous.... Bizzzzz  JB

    3
    Mona de plumes au v
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:43
    Mona  de plumes au v

    On apprend à mieux connaitre le commissaire à présent! Merci pour le lexique! pauvre Matteo! Qu'est-ce qu'il prend! (bon O.K. j'exagère! )

    4
    Denis
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:43
    Denis

    Bonsoir fidèles lecteurs! je suis de retour des plages du débarquement (Omaha beach), avec plein de rebondissements dans mon sac! A bientôt et bises à tous.

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