•  cubitus - www.data-allocine.blogomaniac.fr 

     

     

     

    L'écrivain Sébastien, pourtant absorbé, en ce calme après-midi de semaine, par la création d'un nouveau chapitre de son roman, des idées nouvelles fusant et venant étoffer son plan, a l'oeil soudain attiré par le comportement de son chien, couché sur son coussin, non loin de lui.

    "Mais ... c'est qu'il rit, ce filou ! Il dort, il rêve et il se marre ... Je peux m'attendre à tout de sa part, c'est vrai !"

    Le grand chien est agité de soubresauts comme s'il était en proie à une crise de fou rire, puis se calme ; il se remet à ... ronfler et Sébastien à son roman !

     

    ***  

     

    Il ne saurait dire où il se trouve mais il ne s'inquiète pas, bien qu'il ne soit pas entouré de ses odeurs familières. Un chien, c'est bien connu, ne dort souvent que d'un oeil et dans certains rêves qu'il peut faire, il ne perd pas non plus complètement pied avec la réalité. Il sait qu'il rêve et que, dans les rêves, les choses les plus folles peuvent lui arriver, même de voler dans les airs comme un oiseau !

     

    Une équipe de télévision est en train de le filmer ; une charmante dame toute parfumée s'apprête à lui poser des questions. Ce parfum lui rappelle un peu Mirella, mais il préfère le parfum de Mirella, qui en met moins, ce qui laisse en surface son odeur naturelle. On a pour lui plein d'égards : on l'a fait asseoir sur un canapé douillet, on lui a fait déguster des mignardises au boeuf et un assistant lui présente régulièrement un bol d'eau fraîche. La voix de la dame est si mélodieuse qu'il doit se retenir de ne pas lui manifester son affection à coups de langue sur le visage !

     

    - Alors, Zigue, qu'est-ce que cela vous fait d'être le chien d'un journaliste qui vient de connaître un premier succès de romancier ? Dites-le nous, je vous prie et puis-je vous laisser le soin de vous présenter, avant que de nous brosser le portrait de votre maître ?

     

    - Jolie Madame, d'abord je suis très fier de Sébastien, et fier pour lui !

     

    Mais, voici que je parle comme un humain ... Incroyable, un de mes souhaits les plus chers ! Trop marrant ! Ah, si Stache pouvait m'entendre ...

     

    - J'étais déjà le Chien Incertain, en hommage à Fred Vargas mais aussi parce que, comme vous les humains, je me pose des tas de questions dans ma tête de chien. C'est dire que j'étais fait pour être un chien d'écrivain, cela tombe bien !

     

    Et la dame de rire à ce bon mot, et lui aussi ...

     

    - Je me nomme Zigue ainsi qu'en a décidé Sébastien. Je suis un gaillard à la généalogie riche et variée comme dit mon maître, je ne fais que répéter. Ah, vous me dites que je suis beau ? Merci, merci, je crois que j'ai une certaine allure, oui ! Comment ? Sébastien est un très bel homme de son côté ? Je ne saurais juger, mais je constate que vous êtes d'accord avec son amie Mirella. Je ne sais pas s'il y est très sensible quand on le lui dit à lui mais moi, mmm, j'aime !

     

    Restons poli, elle est fort mignonne mais ... il ne faudra pas que cette femelle hyperparfumée s'approche trop de mon Sébastien, ou je lui montrerai les dents ... Sébastien est à Mirella, je n'en démordrai pas ! Pour l'heure, su-sucre !

     

    - Est-ce que ma vie a changé depuis le récent succès de mon maître ? Queue nenni, hi hi !

    Oh, pardon !

     

    - Mais non non ne vous excusez pas, dans votre gu--- heu bouche, c'est très charmant, Zigue !

     

    Bon, oui peut-être, mais je cesse d'agiter la mienne frénétiquement et je me concentre sur mes propos ... Un peu de dignité, je suis à la télé ...

     

    - Sérieusement, chère Madame, je ne souhaite pas du tout que ma vie change et encore moins ma relation avec Sébastien. Je suis bien un chien, j'assume ! Mon chef de meute, c'est Sébastien, je l'aime tel qu'il est, d'une affection sans limite et je lui obéis sans coup férir (mais où vais-je pêcher une expression pareille ?).

    Je ne ressens jamais l'envie de me plaindre ni de le critiquer, d'ailleurs je n'en trouve aucune raison. Si vous attendez un portrait sans complaisance de mon maître par ma voix, vous allez en être pour vos frais car, pour moi, chien, mon maître n'a aucun défaut. Pour un portrait critique, je vous conseillerais d'aller rendre visite à mon ami Stache, le Chat d'en face. Nous n'avons pas la même conception des choses, lui et moi. Lui se vexe facilement pour un oui pour un non, se montre très exigeant sur l'heure de ses repas, etc ! Il saurait vous exprimer ses griefs comme ses joies.

     

    Maintenant ... je ne sais pas mentir et, même si je ne trouve que des qualités à mon maître, ma franchise fera vraisemblablement apparaître ce que vous pourrez appeler ses défauts.

    Sébastien ne m'a pas choisi, encore moins acheté. L'idée d'un chien ne l'avait même pas effleuré, puis nous nous sommes rencontrés et c'est moi qui lui ait offert mon amour. Il n'est pas resté réticent longtemps. Je crois qu'il m'aime aussi et ne pourrait pas non plus se passer de moi !

     

    Oh, mais si ! j'aurais un reproche à émettre : il ne me parle pas assez ! Ce n'est pas un bavard de nature ... Ah, vous vous en êtes rendue compte ? Moi je veux qu'il me parle, même si je ne peux pas lui répondre ... J'ai fini par trouver un truc pour qu'il me parle et mon truc commence à faire de l'effet : je le regarde ! Dans les yeux !

     

    Jeune et jolie madame se penche, toute ouïe, fascinée ... Zigue poursuit, indifférent à son décolleté ...

     

    - Oui, je reconnais, c'est un drôle de comportement pour un chien car on dit que les animaux qui se fixent du regard expriment leur mutuelle hostilité, comme une menace, une manoeuvre d'intimidation ou des préliminaires à un affrontement musclé. Au début, Sébastien a été troublé, déconcerté puis il a cessé de me demander ce que je voulais d'un air inquiet, cessé aussi de me parler comme à un chien, en bêtifiant comme vous dites. Il se met à me faire des confidences et il m'appelle "son pote" !

     

    C'est soit "mon chien" soit "mon pote" désormais ! Ma vie avant Sébastien, je ne veux plus y songer. J'en étais à mon énième fugue du refuge quand, dans cette rue déserte, où je cherchais à manger dans une poubelle, j'ai assisté à la chute de cet homme que je ne connaissais pas encore. Sébastien est incorrigiblement distrait, du genre à faire se précipiter sur lui un lampadaire, ou sous ses pieds une bouche d'égoût. Ce jour-là, je ne me souviens plus de ce que c'était mais il venait de s'affaler et, sonné, ne se relevait pas. Je lui ai porté secours, le faisant revenir à lui en lui passant ma langue sur le visage et en le poussant doucement du museau. J'entendrai toute ma vie son "Merci, mon chien, merci mais c'est bon maintenant, ça suffit !"

     

    Deux mots magiques : "MON CHIEN" ! Je l'ai suivi obstinément jusqu'à chez lui, malgré ses ordres et gestes maladroits pour que je m'en aille de mon côté et tout s'est enchaîné ! Régularisation de ma situation, un bon bain dans la baignoire, visites au vétérinaire. Depuis, c'est moi qui veille sur lui, qui lui rappelle les heures des repas, autant pour lui que pour moi ! En revanche, jamais je ne dois quémander ma sortie du matin à la fraîche, il est toujours debout à temps, nul besoin d'aboyer ni de lui apporter ma laisse pour lui faire comprendre ! Les après-midis, je sors seul jusqu'au terrain vague, je jappe à la porte pour qu'il m'ouvre et je fais de même lorsque je veux rentrer. Pas de problème, voilà qui me convient très bien, pourvu que ça dure ! Quand je monte dans son auto en fin de semaine, que le moteur démarre et qu'on est en route pour retrouver Mirella, je suis plus heureux qu'un roi !

     

    *** 

     

    Zigue ouvre les yeux car son maître a bougé, s'est levé, s'est étiré ... Evanouie, la belle dame parfumée de la télé qui n'aura pas l'occasion de connaître quelles confidences Sébastien peut faire à son chien. A voir si l'avenir la lui fera réellement croiser ...

    Ce que dit Sébastien, dont le premier roman n'est en fait pas terminé, vaut déjà de l'or aux oreilles de son chien : "Zigue, toi et moi on a besoin d'air, d'eau, de verdure ! Allez, on se prépare et on va courir autour du lac !"

     

     

    Lenaïg

    Dans la série des nouvelles de Zigue et Stache

     

     

    Pour le défi n°42 de Lyly

    http://mere-grand.over-blog.com/ext/http://lyly-from-beverly.over-blog.com/

     

     Le portrait de mon maître ou de ma maîtresse  

     

    "On dit souvent des animaux de compagnie

    qu'il ne leur manque que la parole...

    Pour ce défi, laissons-les s'exprimer et dépeindre leur quotidien,

    en dressant le portrait de leur maître ou maîtresse adoré(e)

    (Ne mettez surtout pas de côté vos petits travers )"

     

     

    Texte réel ou fictif, la forme est à votre convenance

    Alors à vos plumes ! Amusez-vous bien !

     

      Postez votre texte le lundi 15 novembre à 8 heures (programmez)

    dans la  communauté  "Croqueurs de Mots

     

    Pour une lecture plus facile des défis au milieu des autres textes

    merci d’intégrer dans votre titre « Défi N° 42…


    Et n'oubliez pas les Jeudis en poésie

    dont les thèmes sont laissés libres au choix des moussaillons.

     

     

    Un humour qui a du chien

     

     


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  • Gouttes de pluiePersonnages :

    - Zigue, chien,

    - Stache, chat,

    - Sébastien, maître de Zigue,

    - Bernard, "maître" ou plutôt compagnon de vie de Stache,

    - la narratrice.

    Un petit rappel :

    la narratrice était pour l'instant la seule à savoir le secret de Zigue et Stache : le grand chien, solide gaillard à la généalogie très riche et le chat noir à la tache blanche sur le front s'étaient mystérieusement rapprochés dans une communication mentale. Voir les trois premières nouvelles :

     

    Le Chien incertain, Le Chat d'en face, puis Zigue et Stache.

    *** 

     

    Un coup de fil

    Un dimanche après-midi pluvieux. Bernard venait de découvrir un fait qui l'intriguait et d'appeler Sébastien, son voisin d'en face.

    " - Salut Seb ! Tu sais où est ton chien ?

    - Oui, enfin … il a demandé à sortir, il a dû se rendre à son terrain vague favori. Mais, c'est vrai, il en met du temps ! Il va rentrer trempé … Mais, pourquoi me poses-tu la question, au fait ?

    - Oh, ne t'inquiète pas pour lui ! Viens voir chez moi ! Je ne te dis rien de plus, pour ménager le suspense …"

    *** 

     

     La grange

    Ils étaient tous les deux réfugiés dans la grange, derrière la maison de Bernard. Zigue rentrait rapidement de sa balade hygiénique, le pelage déjà trempé quand Stache, sentant sa présence dans la rue, lui proposa de venir le rejoindre sous le toit de la grange. La grange, dans le jardin chez Bernard, comportait une partie qui restait ouverte sur l'extérieur mais offrait un abri confortable en cas d'intempéries. Zigue s'était ébroué vigoureusement et avait rejoint Stache, qui était en train de lui transférer ses souvenirs de frustration dans sa vie, avec ses maîtres, en lui faisant revivre mentalement plusieurs situations. C'était en effet par images mentales que la communication s'effectuait.

    Déjà, Zigue percevait une différence importante entre son ami chat et lui-même. Pour Zigue, Sébastien était incontestablement le chef de meute, qu'il avait choisi, d'accord mais il s'en trouvait très heureux.

     

    Pour Stache, il n'en était pas ainsi : il aimait Bernard et sa femme Martine, leur rendait autant d'affection que ces derniers lui manifestaient, mais il se considérait comme leur égal, content de leur apporter sa compagnie. Stache voulait rester indépendant, il y allait de sa dignité et l'idée de la meute, il ne l'appréhendait pas.

    Stache faisait partager à Zigue son indignation qu'on le déloge parfois d'une chaise ou du canapé pour s'asseoir à sa place. Lorsque Bernard et Martine étaient au salon, que des invités arrivaient, Bernard ou Martine, l'un ou l'autre, le prenait dans ses bras pour le poser par terre, ou essayait de le garder sur ses genoux en s'asseyant à nouveau.. Stache se sentait vexé, préférait s'en aller, s'isoler, bouder un peu ! Si par hasard Stache entendait les invités rire en le voyant s'éloigner, sa honte en était accrue …

     

    Zigue, après avoir ressenti l'émotion du chat, commença ensuite à évoquer à Stache le fait qu'il ne montait jamais sur le canapé de Sébastien, qu'il était entendu une fois pour toutes qu'il avait son coussin à lui et que cela ne le dérangeait nullement … Là, c'est Stache qui éprouva la sérénité du chien à ce sujet et il était à parier que cette sensation minimiserait désormais ses propres frustations, un bon point pour Zigue !

     

    Tout d'un coup, Zigue fut pris d'une vague d'allégresse qui lui secoua le corps, à la grande surprise et méfiance de Stache, dont les poils se hérissèrent et les babines commencèrent à se retrousser : quel était ce comportement inconnu auquel se livrait son nouvel ami ? Puis les images qui faisaient … rire Zigue -car c'était bien de cela qu'il s'agissait- s'imposèrent à Stache. La fantaisie avait pris à Zigue de se mettre dans la situation de Stache, imaginant Sébastien le prenant du canapé pour l'asseoir sur ses genoux, disparaissant derrière la grande masse de son chien, tandis que celui-ci pédalait désespérément pour garder son équilibre sur les genoux de son maître. Stache fut envahi à son tour de gaieté, cligna des paupières et regarda Zigue dans les yeux. Zigue lui rendit son regard et bailla bruyamment. Stache détourna les yeux, dans lesquels s'exprimaient maintenant une quiétude parfaite et s'allongea en rond, posant le menton sur ses pattes de devant.

     

    Les deux compères restèrent longtemps silencieux, savourant le bon moment de complicité. L'après-midi était à la douceur et le crépitement de la pluie sur le toit de zinc contribuait à la torpeur et à l'endormissement. Zigue et Stache avaient beaucoup à apprendre l'un de l'autre. Prochainement, ils aborderaient des sujets plus sérieux : leur instinct de chasseur, leur passé plein d'épreuves, la question de savoir comment mieux se faire comprendre de leurs compagnons de vie humains … Mais ce fut dans cette délicieuse sérénité que Bernard et Sébastien les découvrirent, à la dérobée, derrière la porte-fenêtre du salon.

     

    La narratrice, étonnée, elle-même un tantinet euphorique, s'était alors lancée dans une sorte de virelai ancien à sa manière, une forme poétique que lui enseignait à l'époque un mentor du nom de Chveïk. Il n'était pas impossible que le dit mentor, s'il venait à lire ce récit, grinçât des dents devant l'usage qu'elle osait faire de son enseignement mais … tant pis ! Voici donc ce que la narratrice écrivit et fredonna :

     

    Ce fut dans la rue,

    Rencontre incongrue …

    Heureux !

    Mais serai-je crue,

    L'histoire parue ?

    Douteux !

    Si l'averse est drue,

    L'entente est accrue,

    Des deux.

     

    Un fait hasardeux ?

    Chat, chien amoureux ?

    Etrange !

    S'étonnent entre eux

    Les gars soupçonneux.

    Ça change !

    Ils plissent les yeux,

    L'air malicieux.

    LA GRANGE !

     

    S'y poursuit l'échange

    Quand la pluie dérange,

    On voit !

    Passerait un ange ?

    Chien et chat, mélange !

    Qu'est-ce donc, qu'entends-je ?

    Chante une mésange,

    Qui croit !

    ***

     photo-mesange-bleue-aux-aguets

    Si la mésange le croyait, Sébastien et Bernard avaient encore du chemin à faire avant de percer le secret de Zigue et Stache, s'ils y arrivaient jamais … Mais la narratrice comptait bien les y aider.

    ***

     

    Lenaïg - Complété le 20 avril 2010

     

    Images :

    www.iphonefondos.com, gouttes de pluie

    www.photo-pixel.eu, mésange bleue aux aguets.

     


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  • Wile-Ethelbert-au-telephoneSuite à : "Un chien incertain" et "Le chat d'en face".


    Zigue somnolait, couché près de son maître. Ce dernier était à son bureau et le cliquetis du clavier allait bon train. Zigue venait de rentrer de sa promenade hygiénique, au cours de laquelle il n'avait pas recueilli de souvenirs olfactifs marquants, rien que de vieilles signatures de copains occasionnels dans le terrain vague où il satisfaisait ses besoins et où sa truffe opérait sa lecture à lui des nouvelles du coin. L'air dehors était froid de toute façon et la neige avait cessé de tomber depuis deux jours, mais Zigue avait senti que ce n'était que partie remise. La terre encore gelée brouillait ou effaçait toute piste.


    Zigue avait l'air de dormir, mais au moindre mouvement de son maître, il ouvrait les yeux pour surveiller ce qui se passait. Là, ce furent ses oreilles qui se dressèrent et s'orientèrent dans la direction de la boîte appelée téléphone, que son maître décrocha au bout de deux sonneries. Cet étrange objet au bout de son fil, le maître avait l'air d'y tenir, aussi Zigue s'y était-il intéressé de plus près qu'aux autres appareils clignotants, scintillants, lançant des images ou produisant des éclairs.


    Son voisin le chat lui avait d'ailleurs fait part de sa perplexité au cours de leurs échanges mentaux. Le chat, lui, ressentait de l'agacement envers cette petite boite parlante d'où sortaient des voix humaines qu'il reconnaissait mais qui n'avait aucune odeur propre aux humains en question. Son maître se collait cette boîte à l'oreille et se mettait à parler comme si la personne dont la voix se faisait entendre était bien présente dans la pièce. Dernièrement, lui avait révélé le chat, alors que son maître et lui savouraient un moment de détente dans leur fauteuil préféré, en l'absence de la dame des lieux, cette satané boîte avait sonné. Le maître avait commencé à s'agiter, tout content, dérangeant le chat sur ses genoux. En plus, il lui avait mis la boîte près de son oreille à lui !


    Le chat avait frissonné d'inquiétude et d'incompréhension ; la boîte l'appelait, lui ! "Stache ! Stache !" en prenant la voix de Martine, la femme de Bernard. Le chat avait suffisamment entendu ces prénoms pour les retenir. Martine était absente depuis plusieurs jours et nuits ; Stache l'aimait bien, elle aussi, il appréciait ses mains douces et ses yeux pétillants et gentils mais … elle n'était pas là ! Il ne commit pas l'erreur de renifler l'appareil cette fois, pour ne pas être vexé de voir Bernard se moquer de lui. Il voulait bien lui passer toutes ses fantaisies, à Bernard, mais il ne fallait pas le prendre pour un imbécile !


    L'appareil qui lançait des éclairs, en revanche, le chat Stache le supportait. On lui demandait de ne pas bouger, on lui disait qu'il était beau, on avançait l'appareil vers lui, un petit clic, un petit éclair et tout le monde était satisfait !

    Maintenant, Zigue aurait cédé un bel os à moelle pour que son propre maître lui tende cette petite boîte qui, cette fois-ci, restait muette alors que l'homme était en pleine conversation.


    Il était arrivé que des sons sortent de la boîte et c'était ainsi que Zigue avait retenu le nom de son maître : Sébastien. En reposant la boîte, Sébastien, qui avait l'air excité et tout heureux, remarqua l'attention que Zigue portait à l'opération. Zigue fut gratifié de bonnes gratouilles derrière chaque oreille et Sébastien lui expliqua … enfin !

    "Ah, mon Zigue, on va aller voir Mirella ! Demain ! Toi et moi ! Tu l'aimes bien aussi, hein : Mirella ? On montera dans l'auto et hop, finie la neige, à nous les courses au bord de la mer, à toi les roupillons au coin du feu de cheminée !"


    Zigue ferma les yeux de bonheur. Il entendait déjà le feu crépiter et sentait les embruns. Mirella était une femelle humaine qu'il commençait à connaître. Il chassa momentanément son envie d'en apprendre plus sur ce téléphone mystérieux pour ne retenir que les mots délicieux "Mirella" et "demain", prémices de bons moments hors de la routine.

    Lenaïg

    Image : greluche.info/coloriages, Vil Coyote.


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  • Où l'on apprend le nom du chien.

    ***

     

    1 - Dans la maison.


    Le maître du Chien Incertain, tenaillé par la faim, s'arracha de son bureau et de son ordinateur, se leva péniblement et s'étira. Il alla jeter un coup d'œil par la fenêtre. La rue était déserte ; normal, les enfants à l'école, les adultes à leur boulot, les gens âgés en pleine sieste … Son regard quitta le trottoir, en contrebas, traversa la rue en suivant l'envol capricieux des feuilles mortes et s'arrêta net sur un spectacle bizarre.


    Le chat noir à la tache blanche sur le front campait, comme souvent, sur le muretin devant sa maison, faute de pouvoir s'installer sur le capot chaud de la voiture absente de son maître. Il était assis droit, semblant soit fixer un point devant lui, soit, chose incroyable, comme perdu dans des pensées. Il ne procédait même pas à un brin de toilette, genre patte ou poitrail à lécher.


    Déjà étonnant, ce chat, que Zigue avait une ou deux fois essayé de chasser en bondissant vers lui et en laissant échapper deux ou trois aboiements : le chat n'avait pas bougé ; Zigue, bonne pâte, s'était éloigné en trottinant d'un air dégagé. Alors maintenant, voilà qui accroissait l'impression d'étrangeté.

    D'ailleurs, l'homme avait constaté que son chien Zigue, lui aussi, le regardait, parfois, très intensément. Brièvement, l'homme s'était demandé si son chien n'aurait pas souhaité lui parler mais il avait chassé l'idée dans un coin de sa mémoire. Pourquoi donc cette idée lui revenait-elle ?


    Mais, au fait, n'était-ce pas Zigue, là, à moitié dissimulé par un bac à fleurs municipal, des chrysanthèmes puisque c'était l'époque. Allongé, lui, mais la tête levée, regardant également devant lui, comme aux aguets, tout près du chat sur son muret.


    Qu'est-ce qu'ils fabriquaient ensemble ? Rien de spécial en apparence, c'était juste leur cohabitation qui étonnait. Il y avait là matière à creuser se disait le maître du chien ; une idée d'histoire pour enfants, de scénario, de film d'animation ?


    Bon, on verrait cela plus tard. Direction : la machine à café, puis le frigo ; un bout de baguette, du fromage, une pomme et retour à l'ordinateur ; l'article était à envoyer par messagerie avant 18 h 00.
    Ensuite, il serait temps de se rendre au supermarché pour un bon ravitaillement, le sien et celui de son chien.

     


    2 - Dehors.


    Zigue, le Chien Incertain, était sorti faire l'une de ses promenades de santé quotidiennes ; un bref aboiement près de la porte avait suffi pour que son maître comprenne et la lui ouvre. Il avait filé au terrain vague où il savait pouvoir faire ses besoins sans être inquiété. C'est en revenant vers sa maison qu'il crut devenir fou.


    Il eut l'impression, intermittente d'abord, qu'il était devenu … chat ! Comme téléguidés, ses yeux et sa truffe se tournèrent vers la source de cet événement : le Chat d'en face, assis droit sur son mur, le fixait. Dès que leurs regards se croisèrent, le chat détourna le regard. Zigue alors s'approcha et se coucha non loin. C'est à ce moment-là que son maître les aperçut par la fenêtre.


    Le Chat d'en face avait pris l'initiative, Zigue était subjugué. Le chat lui faisait comprendre qu'il était au courant que Zigue voulait entrer en contact, que c'était pour cela qu'il n'avait pas peur de lui. Zigue, toujours comme s'il était le chat, se vit sortir de la maison, avec ou sans son maître, perçut la vague de panique que le chat ressentit, la queue doublant de volume et prêt à cracher, la première fois que Zigue se précipita vers lui. Puis le chat avait perçu l'absence d'hostilité de Zigue et même son envie de communiquer, ce qui l'avait retenu de s'enfuir, malgré l'odeur canine qu'il trouvait difficile à supporter.


    Zigue, encore éberlué de s'être retrouvé dans la peau d'un chat, redevint lui-même. Le Chat d'en face avait fini de s'exprimer. Il attendait que Zigue prît le relais.
    Zigue s'ébroua un peu, comme pour se mettre en condition et fit passer en silence dans le cerveau du chat, qui devint à son tour chien le temps de la transmission, toutes les questions qu'il retournait dans sa tête quand il ronflait près de son maître. La belle aventure commençait.

     

    A suivre.

    Lenaïg
    ***

    Prochaine histoire : Zigue et Stache.


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  • Le titre a été choisi en hommage à la romancière Fred Vargas.
    Ne pas chercher d'autre point commun que ce titre avec le polar de cette romancière très originale.
    ***

    Ce chien n'était pas un crétin. Sous son crâne poilu, en ronflant exprès pour faire croire qu'il dormait, il réfléchissait. Son instinct essayait de lui dicter une confiance aveugle en son maître, mais il n'était pas aveugle, ce chien, bien que sa truffe lui serve beaucoup mieux que ses yeux.

    Son instinct de chien se heurtait à une incroyable résistance, celle du Libre Arbitre, qui luttait activement pour s'imposer. Le chien n'en revenait pas de la présence en lui de ce concept en principe plutôt humain, mais c'était comme cela. Il avait bien essayé d'en toucher un mot à ses copains de passage, mais les aboiements n'étaient jamais parvenu à leur faire saisir son message.

    Il avait croisé son futur maître par hasard, alors qu'il s'était échappé, pour la énième fois, de la SPA, profitant d'une baisse de vigilance d'un soigneur, qui ne se méfiait pas de lui à l'air débonnaire. Bon, la SPA, cela avait du bon : on était traité correctement et on avait à manger, à heures fixes ... mais on était en cage, entouré de "colocataires" pas forcément sympas. En tout cas, il n'y était jamais resté assez longtemps pour vérifier.

    Il avait eu le temps de s'apercevoir que certains de ses congénères étaient choisis par des familles en visite et qu'ils s'en allaient avec eux. Il avait failli s'émouvoir au spectacle des enfants entourant de leurs petits bras l'encolure des heureux élus. Seulement, il y avait un hic : il avait retrouvé plusieurs fois ces "heureux élus" à nouveau en cellule, soit traumatisés, tristes parce qu'ils avaient été abandonnés par leurs familles d'adoption au bord d'une route inconnue, soit parce qu'ils avaient fugué, mal nourris ou mal traités, ou les deux. Certains grands fous avaient perdu la tête pour suivre la trace odorante d'une belle et s'étaient fait chopper par la fourrière ; ceux-là, on venait les rechercher, presque à tous les coups, mais pas à tous les coups.

    Il constatait bien, ce chien incertain, que c'étaient les grands gabarits, comme lui-même, qui faisaient le nombre dans les cages de la SPA. Les petits klebs des cages d'à côté avaient plus de chance qu'eux ; quand une famille, ou une gentille mémé, ou une autre personne en faisait sortir un, il était rare qu'on le revoit au chenil. C'est qu'il avait pigé cela, le chien incertain mais malin.

    Oh, il avait saisi autre chose aussi et il en tremblait, quand l'idée venait le troubler, parfois encore dans son sommeil. Oui, il était arrivé que ses grands co-détenus soient enlevés des cages par le personnel des lieux. Il avait surpris un soigneur qui pleurait une fois et qui caressait et flattait l'intéressé avec plus d'ardeur qu'à l'accoutumée. Ces co-détenus-là, il n'en avait jamais revu un nulle part, même pas en vadrouille. D'ailleurs, en dehors de toute cogitation, ces épisodes étaient marqués par l'odeur de la peur, la peur qu'on a quand on va mourir, plus tôt qu'on ne l'aurait voulu ... L'incertain chien ne savait pas faire du dessin, comme son nouveau maître, mais là, ce n'était pas la peine de lui en faire un.

    Donc, le Chien Incertain faisait semblant de dormir, tandis que son maître écrivait sur son ordinateur. Le chien n'avait de mots à lui pour décrire cette activité, mais il s'y était habitué. Là, il avait eu gamelle pleine, son bol d'eau n'était pas vide, l'écuelle à croquettes non plus. A court terme, tout allait bien. Pour le plus long terme, la tournée d'inspection des boîtes alimentaires qu'il avait effectuée discrètement ne le satisfaisait pas. Il n'en restait pas bézef. Le sac de croquettes lui aussi arrivait à sa fin.

    Quand son maître avait ouvert le frigo la dernière fois, le Chien Incertain avait eu le temps de voir qu'il ne contenait plus grand chose. Son maître, quand il viendrait puiser dedans, ferait encore entendre des sons de mécontentement ou crierait des mots bizarres sur lesquels il n'arrivait pas encore à mettre du sens, sauf qu'il avait cru comprendre que son maître se traitait de toutes sortes de noms d'oiseaux, sans certitude.

    Eh oui, l'Homme maître était plongé dans son travail et avait oublié de faire des courses. Le Chien, qui n'avait pas bien notion du temps qui passe, mais s'exerçait fort à trouver des repères en ce sens, se disait, fataliste : mon maître dira encore aussi : chiottes, les magasins sont fermés, il va falloir que je me serre la ceinture. "Magasins fermés", le chien pigeait. Alors, il faudrait attendre pour manger de la viande fraîche ... car son maître était généreux. Quand il revenait du dehors avec DE LA VIANDE !, le chien salivait car il y en aurait pour lui aussi ... bien mieux que les boîtes.

    Bon, le chien n'était pas un gourmet, comme un chat, il engloutissait à la vitesse grand v ce qu'on lui mettait, réflexe atavique, mais il appréciait. Tiens, à propos de chat, il y en avait un, souvent assis sur le mur d'en face, qui ne s'enfuyait pas à son passage et dont il avait capté le regard, plusieurs fois. Cela avait été fugace, le chat se mettant rapidement à faire sa toilette, ou à regarder ailleurs. Étrange, le chien en était perplexe, ressentant l'impression de quelque chose d'inaccompli, d'inachevé. Du côté de ce chat-là, il y avait à creuser. Le chien avait compris que ce n'était pas la peine de faire la chasse à ce chat-là -une distraction comme une autre dans sa vie de chien-, il savait que le chat ne bougerait pas, et il avait sa dignité, le chien ! Il faut ENTRER EN CONTACT, cette idée jaillit dans le cerveau du chien. S'il avait été un chien de BD, on aurait vu une ampoule allumée au-dessus de sa tête.

    Revenons à son maître. Leur rencontre avait été mouvementée. L'Homme marchait dans une rue déserte, l'air pris dans ses pensées, il avait buté sur une boursouflure invraisemblable, mais présente, de l'asphalte et s'était affalé. Le chien, n'écoutant que son bon coeur, ne le voyant pas bouger, s'était précipité et l'avait fait reprendre ses esprits à grands coups de langue sur la figure. "Bon sang", l'Homme avait dit, "qu'est-ce qui m'est arrivé ? Allez, merci mon chien, c'est bien, arrête maintenant". MON CHIEN ! Le Chien avait frissonné de joie et avait suivi l'Homme sans pouvoir s'empêcher.

    Leur histoire avait commencé comme cela. Mais c'était tout le temps ainsi. L'Homme serait encore tombé, au cours de leurs promenades, si le Chien discrètement ne l'avait pas surveillé et guidé, en tournant autour de lui et en sortant l'Homme de sa distraction. C'est pour ses raisons qu'il ne pouvait pas avoir une confiance aveugle en son maître. Il fallait qu'il veille sur lui, qu'il arrive à lui parler, autrement que par ses aboiements.

    Donc, le Chien Incertain ronflait ... mais réfléchissait profondément. Le nom du Chien Incertain, la narratrice ne le sait pas ... enfin, pas encore.


    Lenaïg

    ***


    Note : si, en fait la narratrice le sait ! Trois autres histoires viennent à la suite de cette première nouvelle. 


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