• VALSE-HÉSITATION - 1/2 - Nouvelles de Klotz, Rahar

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      Une proposition de contrat sur Rob Deshambre. Je sais bien qui c’est : c’est le grand ponte de la prostitution et des jeux à Vas Legas, une ville réputée touristique de la côte est. Je devais être encore en langes quand ce gangster avait fait main basse sur la cité des jeux. Il n’avait pas fait trop de vagues, voilà pourquoi peu de gens ont entendu parler de lui.
      Mais des agents du fisc zélés ont fini par l’épingler. Je me demande bien pourquoi quelqu’un veut l’effacer, Rob s’était arrangé pour que sa chute n’entraînât pas celle de ses subordonnés ; il était respecté des autres parrains, même s’il n’était pas aussi violent qu’eux.
      Ce n’est pas tellement la prostitution en elle-même qui me choque, mais l’exploitation de ces pauvres filles qui doivent se contenter de ce que le gang leur laisse. Concernant les jeux, ce sont surtout les étrangers et les touristes qui se font plumer. Si j’étais cynique, je dirais que cet apport de devises est plutôt bénéfique au pays et les gogos n’ont que ce qu’ils méritent.

     

     

     

      Rob est gardé à l’Hôpital Central : son cœur a flanché quand le fisc lui est tombé dessus. L’information devait être tenue secrète, mais mon client doit avoir un ripou dans la poche. Yvonne en a bien fait épingler quelques uns, mais pour les détecter, elle doit leur être présentée et leur serrer la main, ce qui n’est raisonnablement pas possible pour sa propre ville qui compte plus d’un millier d’agents, et encore moins ici à Vas Legas où on ne la connaît pas.
      Le problème est d’approcher Rob. Le coup du faux médecin ou du faux infirmier est bien surfait et cela ne marche que dans les films. Le personnel d’un hôpital, même aussi grand que celui-ci, risque fort de détecter l’intrus. Le coup du réparateur est aussi aléatoire et buterait sur l’administration tatillonne. Je dois alors me mettre dans la peau d’un cambrioleur en bleu de travail et casquette.

     

     

      C’est un jeu d’enfant pour moi de franchir le haut mur d’enceinte, grâce à mon heure quotidienne d’entretien physique. Un arbre providentiel me permet d’accéder au balcon d’une chambre du premier étage. La lune n’est pas pleine, mais elle me dispense assez de clarté pour que je ne me casse pas la gueule. La porte n’est heureusement pas verrouillée et j’écarte doucement le rideau. Un malade est en train de lire sur son lit. Je l’endors avec une fléchette, le borde soigneusement, ferme le livre et éteins la veilleuse. C’est la chambre 122. Celle de Rob est le 26, quatre chambres plus à droite en dessous, si je me fie au plan du bâtiment.
      J’entrebâille la porte du couloir. Je ne détecte rien, alors je me glisse vers la chambre 126. En passant, je jette un œil furtif dans la cage d’escalier. Une infirmière est en train de monter. Je me hâte, ouvre la porte du 126, le pistolet à aiguilles au poing, et entre précipitamment. La malade éberluée en robe de chambre n’a pas le temps de crier. Je cueille au vol le corps endormi et le dépose doucement sur le lit. Elle n’a vu que le bas de mon visage avec ma fausse moustache.
     

     

    Je change la cartouche d’aiguilles soporifiques contre une autre contenant des fléchettes empoisonnées. Grâce à la chaise, j’atteins la grille d’aération que je descelle et je me glisse dans le passage. Bandant tous mes muscles, je descends lentement vers l’étage en dessous. J’atteins le coude et rampe vers la grille de la chambre de Rob. Avec ma pince au vanadium, je descelle la grille d’aération que j’enlève sans bruit, puis je me coule dehors et j’atterris souplement.

      Rob Deshambre est alité et sa respiration est laborieuse. Je me redresse et m’approche du lit. Je n’ai fait aucun bruit avec mes semelles de crêpe, mais Rob ouvre les yeux et me fixe, il n’a même pas un regard pour mon arme. La surprise m’a paralysé une seconde. Mon doigt se crispe sur la détente.
      — Alors il n’a pas attendu longtemps pour vouloir prendre ma place. Je suppose que tu vas me tuer, fiston.
      J’ai en face de moi un octogénaire nullement effrayé, souriant même ; on aurait dit un charmant papi s’entretenant sereinement avec son petit-fils. Contrairement aux autres, il n’était pas bouffi ni obèse, il paraît même légèrement émacié. Je ne sais pas ce qui m’a pris, mon doigt s’est relâché.

     

     

      — Mon client vous en veut certainement à mort pour m’avoir engagé.
      — Non ! Ne me dis pas que tu es le Cobra…
      — Je ne suis que l’Éboueur.
      — Quand même ! Le fameux Éboueur ! C’est un honneur, fiston, fait-il hilare, ce qui le plonge dans une longue quinte de toux qui le laisse pantelant. Il ne paraît pas très en forme.
      — Vous ne semblez pas craindre la mort, fais-je un peu intrigué. Ceux qui ont eu le privilège de me voir ont fait dans leur culotte, pour ainsi dire.
      — À ce qu’on m’a dit, tu as une certaine éthique et tu enquêtes sur ta victime avant d’avaliser un contrat.
      — Je vois que vous êtes bien renseigné.
      — Tu as enquêté autour de moi, mais m’as-tu parlé une seule fois ? Me connais-tu vraiment ? Ce n’est pas que je veuille te convaincre de m’épargner, mais je ne veux pas que tu te fasses une fausse idée de ma personne.
      — Vous êtes le chef du gang de la prostitution et des jeux, cela ne suffit-il pas ?
      — Je l’admets volontiers, mais primo, je n’ai pas de sang sur les mains… Enfin, je me suis bagarré, souvent violemment, je le concède, mais je n’ai jamais tué de mes mains, ni commandité de meurtre. Deuxio, je fais vivre décemment des tas de familles…
      — Cependant, j’ai entendu dire qu’il y a eu des exécutions…
      — Des initiatives malheureuses dont je n’ai entendu dire qu’après coup. Les auteurs ont d’ailleurs été durement châtiés.
      — Et la part que vous soustrayez aux pauvres filles…
      — Écoute fiston, ces pauvres filles ou garçons dont tu parles sont pour la plupart des désespérés. On ne les a pas obligé à faire ce métier, contrairement à la pratique des autres territoires. On ne fait que leur fournir une protection ; c’est comme quand tu souscris une assurance, quoi. Quant à leur niveau de vie, va comparer avec celui des autres ailleurs. Concernant les jeux, il y a belle lurette que je ne truque plus, la banque gagne toujours et cela me suffit. J’aurais dû avoir plus d’instruction, voilà-t-il pas que le fisc me tombe dessus au soir de ma vie.
      — Justement, votre vie tire à sa fin, que vous apporte maintenant toute votre fortune ?
      — Tu sais fiston, j’ai eu une vie de chien, dans ma jeunesse. J’ai bouffé de la vache enragée. Comme je te l’ai dit, je n’ai pas eu d’instruction, j’ai dû me frayer le chemin du succès à coups de poings. J’ai bien sûr écrasé des pieds et probablement détruit des familles, mais j’ai essayé de me racheter en m’adonnant à des œuvres charitables. Je n’ai pas oublié mes origines, et je m’efforce d’aider les démunis, les laissés pour compte. Comme dans le conte chinois, je distribue des cannes à pêche et non des poissons.
     

     

    Son visage se crispe brusquement et il se plie en deux. Je suis indécis, je rumine toutes ces informations. 

     

     

    A suivre


     

    RAHAR

     

     

     

     

     

     



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  • Commentaires

    1
    Mercredi 3 Août 2011 à 07:38
    jill-bill.over-blog.

    Bonjour Rahar, un parrain pas comme les autres... après avoir lu ces lignes !  A suivre oui... tuera tuera pas.... Bon mercredi à vous deux !  Jill bizzz

    2
    Mercredi 3 Août 2011 à 08:55
    Lenaïg Boudig

    Bonjour Jill. Un univers sombre où la justice est loin de passer par les voies ordinaires, et pourtant ce Klotz a une vie de famille, une femme et un garçon adopté très attachant ... Et un terrible ami as de l'informatique, auquel il ne fait pas appel cette fois-ci ... La suite aujourd'hui ! Merci beaucoup, Rahar !

    Bizzz à vous deux !

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    3
    Mercredi 3 Août 2011 à 17:10
    biot

    Ah ! ça fait plaisir un peu de moralité dans ce monde de brutes.

    Salut rahar, tu vas bien ?

    4
    Mercredi 3 Août 2011 à 18:49
    Monelle

    Assurera-t'il son contrat ??? pas sûr mais le suspense reste entier !

    Bonne soirée - gros bisous

    5
    Samedi 6 Août 2011 à 11:33
    flipperine

    ah les jeux certains y perdent ce qu'ils n'ont pas

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