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UNE OMBRE QUI PASSE 2 - RAHAR
Bernadette en a de bonnes, reprendre ma vie sereine avec ce doute ne sera pas évident. Trop occidentalisée, je n’ai jamais fait de méditation, je n’en ai pas vu l’utilité, jusqu’à présent. Et pourtant, c’est visiblement la solution à mon désarroi. Je sais que ma sage amie a raison et je devrais oublier tout ça. Mais j’ai beau m’efforcer, c’est comme chasser une mouche opiniâtre. Je ne trouverais le repos de l’esprit que quand j’aurais une réponse à cette énigme.
Le lendemain, j’invite ma cousine Betty à m’accompagner au centre commercial. Je ne lui ai pas raconté l’incident. Je sais que les probabilités sont contre ma démarche folle, mais je nourris l’espoir de retrouver Armand, en dépit du bon sens.
Betty est encore plus occidentalisée que moi, malgré nos quelques années d’écart. Elle a eu la chance d’avoir épousé un avocat célèbre. Chaque fois qu’elle sentait que quelque chose me plaisait et qui était au-dessus de mes moyens, une robe, des chaussures, un sac de marque, elle insistait pour me l’offrir, en dépit de toutes mes protestations.
Nous avons oublié l’heure, le centre est extrêmement vaste. J’ai presque oublié pourquoi on était là. J’allais entrer dans une cabine d’essayage, quand mes yeux accrochent un reflet sur une vitrine de bijoutier. Je me retourne vivement. C’est lui ! C’est Armand ! Je me précipite, la robe que j’allais essayer à mon bras. Betty est interloquée, mais suit le mouvement. Avec une présence d’esprit que j’admirerai toujours, elle m’arrache la robe pour la remettre à son cintre, avant de courir me rejoindre.
J’évite de courir pour garder ma dignité, mais je me presse. Une femme est au bras d’Arthur, une femme qui, de dos, me ressemble un peu : long cheveux poivre et sel en queue de cheval, taille fine, chemisier gris et pantalon noir. Je reconnais la démarche d’Arthur, sa corpulence. Il porte un blouson noir que je n’ai pas encore vu, et une montre horrible, qui est une insulte à l’élégance raffinée dont avait fait toujours montre mon Armand.
Le couple s’arrête devant une vitrine. Je stoppe brusquement à quelques pas. Betty, surprise par mon arrêt soudain, me bouscule. Nous voyons maintenant nettement le couple. La femme n’a aucune caractéristique asiatique, et elle accuse le poids des ans. Malgré une ressemblance frappante, l’homme n’est pas Armand.
Je pousse un soupir. De déception ? De soulagement ? Sur le moment, je ne le sais pas. Betty met les pieds dans le plat en s’exclamant qu’on jurerait voir Armand, c’est hallucinant. En un éclair, elle comprend mon manège. Et elle compatit.
« Écoute Min Ha, je sais que c’est horrible, mais il faut que tu oublies Armand. La ressemblance de cet homme avec lui est absolument fantastique, mais sache que ce genre de coïncidence n’est pas vraiment rare.
— Mais Betty, tu imagines, la même corpulence, la même démarche… Il n’y a que la montre qui détone.
— Je sais. Vous formiez le couple le plus merveilleux que j’ai jamais vu. Mais le destin joue parfois de ces tours cruels. Tu sais bien qu’Armand est mort.
— On n’a jamais retrouvé son corps.
— Et tu crois que s’il était vivant, il ne se serait pas manifesté depuis tout ce temps, même s’il avait été blessé ?
— Je ne sais pas, Betty.
— Allons Min Ha, reprends-toi, oublie tout ça et reprend ta vie en main. Allons viens, nous n’avons pas tout vu. »
Encore sous le choc, je suis machinalement ma cousine. Je ne sais pas si je retrouverai ma sérénité.
RAHAЯ
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Commentaires
Moi non plus après avoir cru voir mon époux, je continuerais à me poser des questions surtout si son corps ne fut jamais retrouvé, comment faire son deuil d'ailleurs... merci, jill
Coucou par ici, Jill. Mon ours n'aime pas cette expression, "faire son deuil", pour lui on ne le fait jamais ... Comment peut-on continuer à vivre alors ? En chérissant les souvenirs qu'on a, en corrigeant les impressions fausses qui nous assaillent par l'humour et la tendresse, en faisant confiance aux écheveaux de vie et de destin croisés pour nous apporter un jour certitude et clarté ... Je ne sais. Bizzz !
4victoriaVendredi 8 Mai 2015 à 13:43Tout d'abord, merci à Rahounet d'avoir ajouter une suite. A un moment, j'ai cru que les rôles étaient inversés. Je me suis dis que c'était peut être Min Ha qui était décédée et qu'elle apercevait Armand au bras d'une autre compagne. Comme un clin d’œil au film "Le 6e sens". Beaucoup de sensibilité dans ton texte et des pots de bisous pour toi sur Faceb ook.
5Marie LouveVendredi 8 Mai 2015 à 15:18Merci à Rahar qui s'est prêté gentiment à nos demandes de savoir le bout de la fin de ce récit qui finalement n'en fait qu"à sa tête : sans fin On ne sait toujours pas si c'est Armand ou Arthur. Ne dit' on pas, l' amour aveugle ? Minah aurait' elle idéalisé son Armand ? Pourrait' il avoir fui comme un lapin dans les euh... d'une autre ? Déjà que celui-ci était agent secret... ce qui laisse croire qu'il ne manquait pas de culot !
Bon. Je m'arrêtelà. Je suis à prendre possession du récit de Rahar et de me l'arranger à ma manière. Je m'en excuse, mais c'est à cause d'Armand. Quelle idée aussi de le nommer Armand ! C'est pas un joli nom que non ! Je garde mes secrets... Je rigole. Merci Rahar de nous donner généreusement tes récits à lire. Bises.
6RaharVendredi 8 Mai 2015 à 16:29Ho ! Marie-Louve, aurais-tu préféré que je l'eusse nommé Fortunat, ou Onésime, ou Endrèbe ? Moi je l'aime bien, Armand. C'est court, c'est intime, c'est... chaud... Bon, chacun ses goûts, n'est-ce pas ma chère ?Oh ! Une deuxième fois ... elle pensait que c'était lui ... si on avaiit retrouvé le corps, probablement qu'elle n'envisagerait pas cette ressemblance de la même manière ! Du mois, je le crois, ce serait agréable pour elle.
Bonne poursuite de ce jour ! Bises♥
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Ainsi un coin au moins du voile est levé, oui après tout c'était nécessaire, Rahar ... On souhaite à Min Ha que cette mésaventure lui permette d'être méfiante à l'avenir ... C'est un phénomène courant pour nous tous de croire voir quelqu'un qu'on connaît, surtout si l'absence est cruellement ressentie, ou mal définie comme ici ... Moi, par exemple, sans avoir connu le traumatisme de Min Ha, parfois lorsque j'étais loin de chez moi, ressentant le "mal du pays", il m'est arrivé dans la rue par exemple, de croire entendre mon prénom, comme si on m'appelait ! Une impression vite effacée ... La volonté de sentir les miens proches sans doute ... Ou encore de croire distinguer des silhouettes connues parmi la foule "étrangère" !
Bravo à toi, merci, bizzz !