• Une enquête du commissaire Rizzoli - Chapitre 19 - Denis Costa

    Denis Costa - Photo 27

     

     

     

    Rizzoli ne tenait plus en place. D'ici peu, il prendrait le chemin de la cathédrale Santa Maria Assunta, piazza Walther. Il irait à pied à la rencontre de Don Moser, mais cette fois, il n'ira pas à Canossa recevoir sans broncher les balivernes du padre, se faire duper et se laisser endormir par de belles paroles... On verra bien comment tournera cet entretien, mais il faudra bien qu'il avoue son forfait, se motiva-t-il... Il s'en était entretenu avec Farina qui lui demanda, non sans une certaine ironie, s'il avait l'intention de se munir d'une paire de menottes, au cas où... Je me vois mal arrêter un prélat dans une église, encore moins lui passer les menottes devant des fidèles médusés, lui avait-il répondu d'un air grave; en revanche, j'ai bien l'intention de le bousculer, le bonhomme!

     

    Vers midi, le commissaire dévala quatre à quatre les escaliers de la questura. Il s'engouffra dans la circulation piétonne, soucieuse de se trouver une table disponible en terrasse pour profiter des rayons du soleil qui réchauffaient la ville. La traversée de la place Walther, baignée de lumière, lui fit plisser les yeux. La chaleur du mois de mai ne lui convenait pas. Plus la cathédrale s'approchait, et moins il se sentait prêt à affronter le prélat. S'il s'était écouté, il aurait volontiers rebroussé chemin. Après tout, la questura était l'endroit idéal pour interroger les suspects, et son confortable bureau lui convenait parfaitement... pourquoi donc se compliquer la vie à faire le boulot en terrain ennemi? ... Il se demanda s'il allait rentrer dans la cathédrale par le lourd portail gardé par le Rom qui faisait la manche, ou bien s'il allait prendre l'une des portes latérales... Il opta pour le portail, et repoussa avec agacement la sébile que le Zingaro lui agitait sous le nez. La cathédrale de Bolzano est assez sombre et ses murs épais lui conservaient une fraîcheur que le commissaire trouva bienfaisante. Il trempa un doigt hésitant dans le bénitier et fit un rapide signe de croix, en mémoire de sa mère très pieuse, qui avait tenté en vain de lui communiquer sa foi. La cathédrale était presque déserte et Rizzoli n'eut aucun mal à repérer Don Moser qui avait pris une pose méditative. Peut-être est-il en train de prier, se demanda-t-il. Le prélat s'était assis un peu à l'écart, sur le côté latéral de la cathédrale, près d'un mur dont les fresques étaient en partie défraîchies. Rizzoli s'approcha de l'homme en dépassant plusieurs rangées de prie-dieu. Il marchait d'un bon pas, sans tenter d'en masquer le bruissement naturel. A son approche, Don Moser se retourna et se leva pour l'accueillir.

     

    - Soyez le bienvenu dans la maison du Seigneur, commissaire, chuchota le prélat sur un ton qui rappela à Rizzoli les rares confesses auxquelles il s'était soumis de bonne grâce pendant son enfance. Il fit la moue... Ne renversons pas les rôles, se dit-il, aujourd'hui, le rapport de force a tourné en ma faveur. C'est lui qui avouera et c'est moi qui aurai à décider des suites à donner à sa confession. Je doute fort que dans la tourmente, trois pater et deux ave ne lui suffisent à obtenir l'absolution...
    Le prélat avait troqué sa tenue civile pour une tenue de prêtre très sobre... peut-être un signe, se convint le commissaire.
    Les deux hommes s'assirent côte à côte, sur le même banc.
    - Je ne suis pas trop en retard, j'espère, padre, lui demanda Rizzoli, qui regrettait déjà ce premier assaut de bonnes manières.
    - Je méditais en vous attendant, voyez-vous, commissaire, répondit le prélat. J'étais certain que vous ne vous déroberiez pas, poursuivit-il, le sourire obséquieux.
    Rizzoli fut contrarié par cette entrée en matière. Don Moser tentait de retourner la situation à son avantage, et cela le mit mal à l'aise. Son regard qui se voulut un instant bienveillant, se ferma soudain, au point que le prélat s'en aperçut.
    - Ne vous offusquez pas, commissaire, je sais que vous faites au mieux...
    - Vous m'avez convié dans cette église pour me parler, je suppose... Je suis là et je vous écoute.
    - Cette cathédrale est un véritable joyau des arts roman et gothique, ne trouvez-vous pas? Elle résume en elle-même la singularité de notre région, la rencontre de deux cultures, l'une venant du nord, l'autre du sud...
    - Une région attachante en effet, pour qui accepte les différences.
    - Pour moi, le sud fut un vrai désastre, commissaire...
    - Le profond sud, alors… si c'est bien à l'expérience africaine dont vous songez...
    - L'Afrique, voyez-vous, j'y ai mis toute mon énergie, mon amour des hommes et ma générosité, chuchota le prélat à l'oreille du policier.
    - Vous n'avez pas bénéficié d'un retour sur investissement, en tout cas.
    - En effet, commissaire, calomnies, mensonges et plusieurs mois d'enfermement dans la pire des prisons qui soit... voilà ce que le profond sud, comme vous dites, m'a coûté!
    - Vous ne vous sentez en rien responsable de ce qui vous est arrivé? pas même un petit peu, des remords, des regrets?
    - Responsable d'avoir fait confiance, ça, oui, voyez-vous... Je serai un éternel pénitent...
    - Pourtant, vos déboires en Afrique ne vous ont pas servi de leçon, vous réitérez vos petites affaires... en Éthiopie, cette fois, je me trompe, padre?
    Le prélat ne sembla pas surpris par la charge du commissaire, murmurée à voix basse pour ne pas être entendu de la personne âgée qui venait de s'assoir quelques rangées devant eux.
    - Tout ce que j'y fais est légal et mon engagement a été approuvé par le Vatican... Je compte ouvrir là-bas une école pour lutter contre l'analphabétisme.
    - Oui, pour des mineurs... tout comme à Djibouti... c'est bien ce que je disais.
    - Je fais ce que je sais faire, et ce que j'ai toujours su faire, voyez-vous?
    - Avec l'argent de généreux bienfaiteurs.
    - J'organise en effet une collecte sur internet. La générosité est devenue une industrie, voyez-vous, il faut faire avec son temps. Mais je constate commissaire, que vous avez consulté mon blog...

     

    Rizzoli rongea son frein. Il finit par s'agacer du flot de voyez-vous, dont le prélat affublait ses phrases. Les messes basses n'avaient pas non plus ses préférences et il comprenait mal où allait mener cet entretien.
    - Vous m'avez convié dans cette église à la demande pressante de Frau Innerhofer?
    - Non, commissaire, pas cette fois... je voulais que la solennité des lieux vous incite à admettre ma vérité, voyez-vous.
    - A admettre que vous avez tué la petite Lisa?
    - Non, commissaire, à admettre que je ne suis pas un pédophile.
    - Je vous l'accorde, pour le reste...
    - Pour le reste?
    - Oui, pour le reste: la gamine, Matteo, les trois colonnes sur Alto Adige, votre photo en pleine page, la vente de votre Vespa? c'est là-dessus que j'aimerais vous entendre...
    - Je ne suis pas un pédophile, commissaire, j'ai besoin de faire le bien autour de moi, faites-moi la grâce de le croire!
    - Jusqu'à un certain dimanche de mai, où vous avez compris que vos activités altruistes allaient connaître un sacré coup d'arrêt... Je continue?
    - Tout allait basculer en effet...
    - Et?
    - Et voyez-vous, commissaire, il faut se soumettre à la justice divine.
    - Je préfère la justice des hommes, c'est elle qui me nourrit.
    - Je livre mon âme à Dieu...
    - Vous la livrez à Dieu ou au diable, padre? … En commettant le péché capital, vous avez clairement choisi...
    - Ne m'accablez pas!
    - Dois-je prendre ça pour un aveu?
    - Je suis déjà condamné, voyez-vous, le seigneur m'a condamné...
    - Parce que vous avez condamné Lisa au repos éternel et Matteo à une longue période de chagrin.
    - C'est terrible tout ça, commissaire...
    - Cessez votre petit jeu, padre, et venez me préciser votre version des faits, dans mon bureau évidemment... Vous avez bien su le trouver l'autre jour, alors allez donc jusqu'au bout de votre démarche, je vous prie!
    Pour toute réponse, Don Moser grimaça. Il s'agenouilla sur le prie-dieu, croisa les doigts et baissa la tête.

     

     

    Rizzoli l'observa un moment balbutier une prière. Puis il s'éloigna et regagna la lumière par la porte latérale, laissant Don Moser avec sa conscience. La souffrance est de son côté, se dit-il, elle est immense, tout comme celle des victimes, et tôt ou tard, elle s'exprimera. Le prélat viendra bientôt faire sa déposition à la questura, se persuada-t-il encore.

     

    Denis Costa,

    Texte et photo

     

     

     


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  • Commentaires

    1
    Samedi 10 Septembre 2011 à 09:47
    Monelle

    Ouf ! me voilà ! quelle galère ce matin ! ou les blogs ne s'ouvrent pas où les com's sont impossibles....

    Alors Commissaire Rizoli, avez-vous enfin trouvé le coupable ? bizarre mais je ne suis pas vraiment convaincue, mais de toute façon Dom Padre sait quelque chose... quoi ? vite Denis la suite !!!

    Bonne journée - gros bisous

    2
    Samedi 10 Septembre 2011 à 14:44
    Lenaïg

    Bonjour Monelle, Mona, et Denis ! Oui, Monelle, beaucoup de bizarreries et de problèmes sur OB en ce moment. La dernière fois que j'ai voulu laisser un comm hier soir sur une page, je n'ai pas eu la main ! Et ici, sur mon propre blog, j'ai dû remplir à nouveau les cases déclinant mon identité ! Jill Bill est en pause, Mamylilou devant tous les problèmes rencontrés s'est mise en pause aussi, Ountès Passat demandait avant-hier s'il était le seul à avoir tous ces problèmes !

     

    Moi non plus je ne suis pas sûre que Don Moser soit le coupable, pas plus que Matteo ... Alors : d'une part, est-ce que Denis, qui, ne l'oublions pas, est en train de rédiger au jour le jour son roman, le sait lui-même, en fait, ou pas encore ? Car il nous a bien dit que ses personnages parfois lui échappaient ... Ce que je comprends parfaitement, je vois ce qu'il veut dire, tous ceux qui écrivent de la fiction comprennent ! En fait, oui, il doit le savoir car il a prévu deux derniers chapitres ! D'autre part, quel est donc ce secret si compliqué, si lourd, qui fait que les seuls deux suspects de la mort de Lisa n'ont pas l'air d'être coupables ? Qui a bien pu commettre réellement le meurtre de Lisa si ce n'est ni l'un ni l'autre ? Et les pelures d'orange, alors qu'on est en pleine récolte des pommes, même en vrai, en temps réel, n'est-ce pas, Denis ?

     

    Mais Denis, lui aussi, a pris son WE loin du net ! On en saura plus la semaine prochaine ! Bizzz à vous trois !

       

    3
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:41
    Mona															l

    Pas très convaincue non plus... enfin on verra!

    4
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:41
    Mona															l

    Coucou Lena!  Bon dimanche! Moi aussi je dois réécrire mon pseudo (enfin mon vrai prénom en breton) et toute mon adresse mail pour chaque coucou posté! Décourageant quand on a peu de temps... J'ai des semaines impossibles et besoin de vraies pauses aussi! comme tout le monde je crois! Bisou à toi et tuséki...

    5
    jill bill
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:41
    jill bill

    Bonjour vous deux !  Un troisième larron sera t-il le coupable, possible de chez possible... Des rebondissements comme dans tout bon roman noir... Merci Denis, bonne journée Lenaïg !  Bizzzzzzzzzz

    6
    denis
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:41
    denis

    Bonjour fidèles lecteurs! Rizzoli vous livrera les clefs de l'énigme dans le prochain épisode, qui sera le dernier, snif... Excellente semaine à tous!

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