• Une enquête du commissaire Rizzoli - Chapitre 18 - Denis Costa

    Denis Costa - Photo 26

     

     

     

     

    - C'est comme vous le souhaitez padre, répondit le commissaire. La cathédrale Piazza Walther, ça me convient fort bien... Alors, disons, à tout à l'heure, padre...
    Rizzoli raccrocha le combiné, songeur. Don Moser avait insisté pour le rencontrer, mais il avait posé ses conditions. Ce serait seul à seul et dans un lieu saint. La cathédrale de Bolzano avait été proposée par le prélat. Le commissaire se reprocha le ton mielleux avec lequel il avait répondu à Don Moser. Décidément, il ne se sentirait jamais à son aise en présence des curés, envers lesquels il manifestait cependant une certaine déférence. Les regrets dissipés, le commissaire se demanda de quoi le prélat voulait bien l'entretenir... Dans la meilleure des hypothèses, il lui confesserait son crime, au pire, il le mènerait en bateau, comme l'avait fait Matteo avant de rendre les armes. Pourtant, remarqua-t-il, Don Moser vient de faire un grand pas vers moi, en proposant la cathédrale de Bolzano... après tout, il aurait très bien pu choisir celle de Merano, son fief, la ville où il exerce son sacerdoce.... Serait-ce un signe? Qui sait s'il n'a pas l'intention lui aussi de se constituer prisonnier... Un deuxième coupable auto-proclamé après Matteo... Hum! pas forcément un bon présage... Puis le commissaire se demanda, goguenard, sur quel engin le curé allait-il rejoindre Bolzano, après qu'il se soit opportunément débarrassé de son scooter... Oui, bien sûr, il peut toujours prendre le train, ironisa-t-il... Quoiqu'il en soit, notre entretien, en tête à tête et à mi-voix, à proximité de la Sainte Vierge ou du crucifix au centre de la nef, devrait prendre une tournure bien insolite, s'amusa-t-il.

    La matinée fut conforme aux attentes du commissaire. Matteo fut déféré devant le procureur qui, au vu des derniers procès-verbaux d'interrogatoire, prononça à son encontre, une mesure d'arrêt à résidence. Une mesure conservatoire qui imposait au jeune homme de résider dans sa famille à Lana, avec interdiction de s'en éloigner et de communiquer avec les différents protagonistes de l'affaire.
    Peu avant, Rizzoli s'entretint avec le vice-questeur, mais pas plus de quelques minutes, entre deux portes, dans le couloir de la questura. En effet, Walshofer s'était déjà tourné vers d'autres priorités après l'audience que son patron, le questeur De Stefani, de retour de sa conférence de Berlin, avait bien voulu lui accorder. Les mots d'ordre étaient désormais: mobilisation maximisée des forces de police, des carabiniers et de la brigade financière, et coordination pérennisée des actions au niveau européen pour lutter contre toute forme de criminalité organisée. Le vice-questeur, avant de refermer la porte derrière lui, avait cependant tenu à réaffirmer toute sa confiance à son subordonné, et il lui demanda de boucler rapidement l'affaire Innerhofer, en légitimant pour la toute première fois, la piste ecclésiastique. Rizzoli n'en demandait pas tant.
     

     

    L'inspecteur Farina rentra reposé et halé de son week-end familial sur le lac de Garde, tout en regrettant de ne pas avoir pu s'y baigner, en raison du vent et de la fraîcheur de l'eau. Même les Allemands sur leurs planches à voile, se gardèrent bien de s'y aventurer sans combinaison, précisa-t-il. Le vice-inspecteur Gasser plaisanta sur la peau ténébreuse de son collègue palermitain qu'il qualifia de marocchino, tout en déplorant son manque de réussite personnel auprès de la gent féminine, qu'il expliquait par un teint trop pâle et son manque de sex-appeal. Les femmes présentes autour de la cafetière collective s'employèrent à rassurer le jeune Gasser, même si la signorina Silvana proposa une quête dans le service, afin de lui offrir le jour de son anniversaire, un relooking et des séances de coaching... Rizzoli vit dans la confession intime du vice-inspecteur, nouvellement muté dans son équipe, le signe d'un début d'intégration. Il se conforta dans l'idée que la cohésion du groupe, peu à peu prenait forme, malgré les origines très diverses de son personnel. Le Milanais qu'il était, pouvait très bien s'accommoder d'un Palermitain, son adjoint le plus proche, de germanophones tyroliens hauts en couleur, ainsi que d'Italiens désormais assimilés, mais dont la plupart provenait de la Vénétie voisine ou du Mezzogiorno, comme c'était généralement le cas de la population à Bolzano.
    Farina félicita le commissaire pour avoir débarrassé l'Adige de ses pelures d'orange, que lui, aurait laisser dériver jusqu'à l'embouchure du fleuve en mer Adriatique. Plus sérieusement, tous se félicitèrent de la mise hors de cause du jeune suspect, que le personnel du service avait fini par prendre en affection.
    - C'est en partie à Kallmünz qu'on le doit, souligna Rizzoli, il a su faire preuve de fermeté au bon moment. Il a secoué rudement le walsche Weiberer, notre play-boy italien, comme on secoue les oliviers en hiver, et croyez-moi, la récolte fut bonne, plaisanta-t-il encore... Le sergent bénéficie d'une récupération après son week-end de garde, mais puisque le service est pratiquement au complet ce matin,  je tiens à lui rendre hommage devant vous.

    Les tasses de café de la pause de dix heures, nettoyées et rangées dans l'armoire, Rizzoli se dirigea vers son bureau. Farina lui emboîta le pas.
    - Tu sais, Salvatore, lui dit le commissaire en s'asseyant à sa table de travail, Matteo n'est pas encore sorti d'affaire... Le juge attend les analyses complémentaires de la légiste, sans compter les indices que les pelures d'orange pourraient révéler... et cela prendra bien deux, deux trois jours... J'espère que l'on n'aura pas de mauvaise surprise de ce côté là...
    - D'autant que l'on est loin du compte, se lamenta Farina, nous n'avons toujours aucune charge déterminante contre Don Moser, tout juste un faisceau d'indices: un alibi non vérifiable, une cession de scooter qui arrive à point nommé et un mobile encore à approfondir... C'est pas suffisant...
    - Oui le mobile... parlons-en... Matteo nous a affirmé qu'il avait remis à Lisa, deux jours avant le meurtre, une coupure de presse jaunie, trouvée par hasard dans le fourbis du grenier de ses parents. C'est la photo du prélat, grand format et en pleine page qui l'avait d'abord intrigué. L'article mettait nommément en cause Don Moser pour ses activités troubles en Afrique. Matteo voulait ainsi discréditer le prélat auprès de sa copine, car ce serait lui qui l'aurait conseillée, hum... qui lui aurait ordonnée de garder l'enfant... sous peine d'excommunication, ou que sais-je encore... bref, les menaces habituelles des éléments les plus rétrogrades de l'église catholique...
    - Et alors? demanda Farina.
    - Et alors? ... Relis bien la déposition du gamin... Il prétend que Lisa avait l'intention d'en parler à ses parents... Ça aurait fait tache sur une carte de visite, tu ne crois pas? Je doute que les Innerhofer continuent d'accepter chez eux, un ecclésiastique devenu aussi douteux et infréquentable... Et dans cette affaire, Don Moser a tout à perdre... Rappelle-toi la récolte de fonds qu'il organise sur Internet au profit du diocèse d'Addis-Ababa pour une cause dont on ne sait rien de précis? Et les Innerhofer sont sans doute de généreux mécènes... comment comprendre autrement la cour assidue qu'il leur fait subir?
    Farina leva les deux mains, comme pour protester.
    - Pardonne-moi, Salvatore, mais ça m'arrive aussi de voir tout en noir... parfois... De toute façon, j'ai demandé ce matin au procureur, l'autorisation de saisir son ordinateur personnel. Gasser et Luciani sont sans doute déjà en route pour Merano, avec le mandat... Le fameux dimanche où Lisa fut tuée, Matteo s'est mis en colère quand il a su qu'elle n'avait encore rien dit à ses parents. Ils se sont quittés fâchés. Lisa regagne le domicile de Lana, mais, sur le chemin, elle croise par hasard le prélat qui sort de la chapelle Santa Agatha, où il vient de faire ses prières. Il est en scooter, la petite accepte de faire un tour avec lui. Jusque là, rien à dire, et je ne pense pas qu'il y ait eu préméditation de la part du padre.
    - Oui, et je crois deviner la suite, enchaîna Farina. A un moment ou à un autre, Lisa, encore déstabilisée par la dispute avec Matteo, au sujet précisément de la probité du prélat, lui avoue qu'elle est au courant de l'affaire et qu'elle va tout raconter à ses parents.
    - Exact!
    - Don Moser prend peur... pour son image, d'abord, et puis... sans les sous des Innerhofer, l'avenir de sa pseudo fondation en Éthiopie serait méchamment compromise... Alors, il tranquillise la jeune fille... une fois parvenus sur la rive du fleuve, il partage avec elle une orange, ou deux, dont ils éparpillent les pelures dans l'eau, comme des gamins insouciants, puis soudain, c'est le drame, il l'étrangle par derrière... C'est bien ça? … Une banale histoire de frics, en somme... Je ne voudrais pas t'alarmer, Guido, mais même si tout cela est plausible, on n'a pas l'ombre d'une preuve!
    - Patience, Salvatore, patience... De toute façon, on aura tout tenté... 
    - Et Matteo?... Il fait à peu près la même analyse dans sa déposition, on dirait...
    - Oh! Matteo... bien sûr qu'il soupçonne le prélat depuis le début, et pour cause... en révélant l'article de presse à sa copine, il a amorcé la machine infernale, il en est persuadé en tout cas, et aujourd'hui, il est rongé par un indicible sentiment de culpabilité. Il est même effondré le gamin, effondré. C'est d'ailleurs ce qui l'a poussé à s'accuser du meurtre, il se sent coupable, responsable de tout. J'ai tenté de lui retirer cette idée de la tête, mais je ne pense pas y être parvenu... j'espère simplement qu'il ne va pas faire de conneries...
    - Mais de ce journal, on n'en a trouvé aucune trace, lors des diverses perquisitions?  C'est pourtant une pièce à conviction de première importance, non?
    - Aucune trace en effet... Si tu veux mon avis, Salvatore, la petite s'en sera débarrassée, elle l'aura balancé dans une poubelle, tout simplement...
    - Mais alors... si ça se trouve, Lisa n'avait pas vraiment l'intention de s'en servir pour nuire au prélat... elle n'en aurait probablement pas parlé à ses parents...
    - Possible... Comment comprendre autrement la passivité de la fille lorsqu'elle se trouva seule à seule avec le padre sur les bords de l'Adige? À mon avis, elle ne se sentait en rien menacée. C'est ça qui est terrible, Salvatore, la petite est probablement morte pour rien, pour rien!... Et Matteo le sait...
    ***

    Marocchino: marocain, personne à peau mat.

    ***

     

    Denis Costa,

    Texte et photo

     

    ***

     
     
     
    Le Twenty-two Bar, en fond sonore, Dominique A et Françoiz Breut, un peu comme une revanche posthume de la jeune Lisa sur celui, ou ceux qui lui ont abrégé la vie ...

    Lenaïg

     


     

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 7 Septembre 2011 à 18:24
    Monelle

    Un petit coucou ? le voilà !!!

    Décidément une enquête pas évidente pour Mr Rizzoli ! je vais me préparer pour me cacher derrière un pilier de la cathédrale.... oh la vilaine !!!

    Bonne soirée Léna et gros bisous

    2
    Mercredi 7 Septembre 2011 à 18:30
    Marie-Louve

    On tient un fil de cette histoire ! Mais est-ce le bon ? Qu'aura le vaniteux prélat à raconter dans le secret de la sombre cathédrale ? Que faisait cette photo dans le grenier des parents de Matteo ? Pourquoi avoir conservé cett page jaunie ? Quelque chose cloche ! Beau boulot commissaire Rizzoli :-))))  !

    3
    Mercredi 7 Septembre 2011 à 20:24
    Lenaïg Boudig

    Bonsoir Denis. Heureusement que j'avais programmé ta page pour 18 h 00, mais je ne la vois que maintenant, en fait (problème informatique, ce soir). J'ai eu des réajustements à faire et je vais ... reposter pour la passer aussi sur facebook.

    Les énigmes semblent se multiplier alors que je crois savoir que la fin n'est pas loin ? Bises !

    Quelle superbe photo de raisin !

    4
    Mercredi 7 Septembre 2011 à 20:44
    jill-bill.over-blog.

    Bonsoir vous deux, encore pas mal de questions sans réponse mais on soupçonne le prélat... Pauvre Mattéo !  Bonne nuit Lenaïg, à plus Denis !  Jill bizzz

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    5
    denis
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:41
    denis

    Patience, les amies, patience, encore deux épisodes avant la fin. Je viens tout juste de mettre un point final à l'histoire. Ce commissaire m'en a fait voir de toutes les couleurs! Grosses bises et buona notte!

    PS: la vendange a commencé avec plusieurs semaines d'avance et si la récolte sera moyenne quantitativement, le vin sera d'excellente qualité. Cru particulièrement intéressant selon les spécialistes.

    6
    denis
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:41
    denis

    Merci Lenaïg pour cet émouvant fond sonore!

    7
    mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:41
    mona															l

    Eh bien, que de choses se sont passées depuis ma dernière lecture! j'ai tout repris sans peine comme si c'était hier... Donc Mattéo n'est plus le principal suspect et le prélat donne un rendez-vous secret dans une église pour révéler... quoi donc? mystère, suspense...

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