• Une enquête du commissaire Rizzoli - Chapitre 17 - Denis Costa

    Denis Costa - Photo 25

     

     

     

    - Alors Matteo, t'en es bien sûr, faire l'amour ne vous a pas ouvert l'appétit?
    Le suspect écarquilla les yeux, déconcerté, se demandant sans doute où voulait en venir le commissaire. Il répondit à nouveau par un non machinal.
    - Quand le commissaire te pose des questions, s'agaça le sergent Kallmünz, il souhaiterait des réponses plus circonstanciées, on t'a pas appris à faire des phrases au lycée? Ton non, vois-tu, ne ne nous suffit pas! Qu'as-tu fait après l'amour? T'as partagé un petit encas avec ta copine? Ça creuse le sexe, non? pas chez toi, walsche Weiberer alla Vèschpa, bellâtre italien à la Vespa? comme il s'était autorisé à interpeler le jeune homme dans son dialecte germanique. C'est quand même pas l'hostie du matin qui a comblé ta fringale de midi...

    Kallmünz enchaîna les questions triviales et irrévérencieuses dans un rythme débridé, afin de provoquer une réaction chez Matteo qui, depuis le début de l'interrogatoire, montrait une grande passivité. Les directives de Rizzoli étaient claires: il fallait faire craquer le gamin et lui faire avouer la vérité, avant le rendez-vous du lundi matin où il serait présenté au juge. Le sergent s'y employa sans forcer son talent. Il ne s'embarrassa pas de formules à l'emporte-pièce, et vociféra aux oreilles du jeune homme dans un jargon local aux intonations gutturales, qui eut pour effet de le désorienter. Schwellia Weiberer! Réveil le bellâtre!  Zwås, wie, woffra? Pourquoi, comment, lequel?

     

    La cuirasse que le jeune homme avait endossé commença à se lézarder. Rizzoli soutint le regard perdu du gamin, et il se rappela l'histoire de l'armure du roi, ce conte fantastique qu'il lisait à ses enfants, le soir avant qu'ils ne s'endorment. Mon armure m'a trahi, se plaignit le roi, sérieusement blessé et défait par le tyran des Terres Obscures. La cuirasse est seulement une illusion, lui répliqua sa bien-aimée, la vraie force qui te rend invincible, n'est pas ce morceau de métal, mais ta volonté et la certitude de combattre pour la vérité. La carapace de Matteo, blessé et à l'agonie, allait se briser en mille pièces. Il n'a pas d'autre choix désormais que de rendre les armes et de dire la vérité, se convint Rizzoli.

    Le jeune homme bientôt, consentit à s'expliquer autrement que par des paroles laconiques, mais il resta sobre dans ses réponses.
    - Nous enregistrons tes propos, Matteo: tu n'as rien mangé et tu n'as rien bu, ni toi ni Lisa, avant et après avoir fait l'amour sous les pommiers, puis sur le chemin qui vous a mené au bord de l'Adige, et ensuite, sur le rivage, peu avant que tu ne l'étrangles, c'est bien ça? Pas même un fruit, une orange ou une pomme?

    Matteo ne perçut pas le piège que lui tendaient les deux policiers. Il confirma ce que Kallmünz était en train de consigner dans le procès-verbal, et il précisa même innocemment, qu'il n'avait pas l'habitude de consommer des oranges, sinon sous forme de soda.
    Rizzoli soupira profondément. Il ne sut dire si c'était un soupir d'impatience, de soulagement ou de victoire, sans doute était-ce la combinaison des trois. Il se surprit simplement à apostropher le garçon sur un ton familier.
    - Et pourtant mon jeune ami, ta copine a bel et bien consommé une orange juste avant de mourir. On l'a retrouvée non digérée dans son estomac... J'en conclus donc que tu es un menteur et que tu ne pouvais en aucun cas être à ses côtés au moment du meurtre... Bref, tu te fais passer pour ce que tu n'es pas...

    Devant les protestations véhémentes de Matteo, Kallmünz quitta brusquement le clavier de son ordinateur pour s'approcher du jeune homme et le sermonner sèchement:
    - Nous dans la police, on n'aime pas les menteurs, ils nous font perdre du temps, Kàtzo! … Tu nous mènes en bateau depuis le début de l'enquête, comme si tu voulais jouer au chat et à la souris, mais nous, comprends-tu, on refuse de jouer avec toi! Y'en a marre...Tu te rends compte walsche Weiberer, que je serais bien mieux le dimanche, chez moi, dans mes pantoufles avec ma femme et mes enfants, au lieu de t'écouter nous raconter des Bàlle! … sans compter que les faux témoignages sont passibles de poursuites judiciaires, tu le sais ça?... Tu le devines ton avenir derrière les barreaux?
    Le jeune homme, déstabilisé par ces assauts verbaux, baissa les yeux et garda le silence.
    - Regarde-moi dans les yeux quand je te parle, walsche Weiberer! hurla le sergent.

    Dans le bureau du commissaire, la tension avait atteint son paroxysme, une tension lourde, dérangeante, mais nécessaire. Il fallut bien en passer par là pour que le chemin, sur le versant opposé, soit plus prometteur, et débouche enfin sur la vérité, expliqua le commissaire, le lendemain, au vice-questeur, surpris  par le revirement du jeune homme.                 
    - Je remets les compteurs à zéro, Matteo, enchaîna Rizzoli d'une voix onctueuse. Nous savons désormais que tu n'aimes pas les oranges, mais nous voudrions connaître avec détails, ce qu'il s'est réellement passé après ta dispute avec Lisa, non loin de la chapelle Santa Agatha...

    Matteo sembla complètement décomposé. Il n'était plus l'adolescent râblé aux épaules larges, dont le sourire fier et lumineux avait séduit bien des femmes. Assis sur une simple chaise à roulettes, il n'avait plus le cœur à exhiber ses biceps saillants, savamment entretenus par de longues séances dans les salles de sport. Il s'exprimait désormais d'une voix fluette, entrecoupée de sanglots à peine contenus. Lorsque l'émotion était trop forte, son visage disparaissait dans ses bras croisés, qu'il appuyait lourdement sur la table de conférence. Matteo se confessa et Rizzoli hochait régulièrement la tête, en gardant le silence, afin de l'encourager à poursuivre. Le sergent Kallmünz, de nouveau penché sur son clavier, se contenta de tapoter les déclarations du jeune homme de façon mécanique. Il intervint peu dans la discussion qui avait fini par s'engager avec le suspect, si ce n'est pour lui demander des éclaircissements, ou lui faire répéter ce qu'il estimait être un fait marquant ou un rebondissement. 

     

    De nombreuses minutes s'écoulèrent, et l'interrogatoire bientôt prit fin. Kallmünz éteignit son ordinateur et se retira discrètement du bureau. Rizzoli se tint debout un moment au dessus du garçon, et lui posa une main sur l'épaule. Le visage posé sur un bras, Matteo se cachait pour pleurer. Rizzoli détestait les sanglots, surtout ceux des enfants. Un enfant n'est pas fait pour pleurer, se disait-il alors, et lorsque le plaintif était l'un des jumeaux, il allait spontanément le consoler, sous le regard réprobateur de sa femme. Rizzoli eut la tentation de réconforter Matteo, mais sa main ne s'aventura pas dans la chevelure ébouriffée du jeune homme. Il le leva simplement de sa chaise, et le reconduisit dans sa cellule.
    Rizzoli partageait la souffrance ressentie par le jeune homme. Elle est douloureuse à confesser la vérité, brutale, rude, parfois, sans cœur souvent!


    ***


    Kàtzo!: le cazzo italien en dialecte sud-tyrolien (merde!)
    Bàlle: le balle italien en dialecte sud-tyrolien (bobards). 

     

    ***


     
    Denis Costa,

    Texte et photo



                                                                     


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  • Commentaires

    1
    Dimanche 4 Septembre 2011 à 12:48
    jill-bill.over-blog.

    Bonjour vous deux...   j'admire la façon de Denis de nous tenir en haleine... Matthéo on aimerait savoir ce qui s'est passé après ta dispute avec Liza    Bon dimanche Denis, bizzz Lena... JB

    2
    Dimanche 4 Septembre 2011 à 16:55
    Marie-Louve

    Bravo sieur Rizzoli ! Matteo a vidé son sac pour ne pas dire son coeur lourd de vérités cruelles, mais notre maître du jeu garde pour lui seul le secret de la confession ! Encore du joli ! :-))) C'est génial , on dirait que l'auteur connaît le milieu militaire des services policiers aux enquêtes??!! Tout ça pour dire qu'on s'y croirait présent dans cette pièce pendant l'interrogatoire tant la description de l'événement est bien menée. Verrons-nous le divin prélat agenouillé devant le juge pour implorer sa clémence et se maudire lui-même face à sa gourmandise, son péché capaital: le plaisir jamais assouvi de dévorer des oranges à tout heure du jour ? Ce que l'on souhaite sans remords sinon, cela couperait mon plaisir d'imaginer mes folies. :-))) Bon dimanche. Bisous. 

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    3
    Dimanche 4 Septembre 2011 à 18:54
    flipperine

    et le roman policier inspire

    4
    Lundi 5 Septembre 2011 à 01:19
    Lenaïg Boudig

    Oups, même pas encore mis un p'tit mot ici ! Pourtant, j'ai lu ! C'est une superbe scène d'interrogatoire, Denis, on s'y croirait ! Je sais que ton roman est en construction, je sais aussi ce que c'est que d'écrire presqu'au fur et à mesure que les gens lisent, que les lecteurs qui n'écrivent pas s'imaginent que l'écrivain sait parfaitement où il va, que ce n'est pas toujours le cas, d'ailleurs tu en ris toi-même parce que les personnages soit nous échappent et vivent leur vie, soit ... ne répondent pas présents au moment où on le voudrait ! Sans savoir les idées que tu as déjà - ou pas- en tête, tu nous tiens bien en haleine, là. Que dissimule donc Matteo . Bizzz !

     

    5
    denis
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:41
    denis

    Merci à vous deux, à vous trois, à vous quatre. Oui, c'est vrai, Rizzoli, décidément est un pro... le prochain épisode permettra de fournir l'une des clés de l'histoire... Bises et à très bientôt.

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