• Qu'est-ce que : prendre soin ? Compte-rendu du débat au Café philo

    Pyramides 012

     

     

     

    Après un bon repas composé d'une bonne part de quiche lorraine moelleuse, copieusement accompagnée de carottes râpées et de salade verte, que suivait une tarte tatin, un p'tit verre de Brouilly, fin prêts pour répondre à la question.

     

    Edith a commencé son exposé en ces termes : pourquoi cette question ?

    Elle a porté sa réflexion sur le fait que nous nous trouvons à un moment de bascul de civilisation, dans une époque où l'individu se croit auteur de son existence, tandis qu'autour de lui s'accumulent menaces et catastrophes.

    Une époque où on peut éprouver la sensation, le sentiment que la pulsion de mort l'emporte sur celle de vie, que Thanatos triomphe d'Eros.

    Et on entend s'échanger la phrase "prends soin de toi", à l'instar de la formule anglaise "take care (of yourself)".

    Dans le verbe prendre est compris la décision d'agir, pour éviter les malaises et retrouver un plaisir de vivre. Serait-ce une maxime épicurienne ?

    En revanche, dans le mot soin, il n'y a pas : soigner, mais, par exemple, se soucier de la beauté de son existence, voire en faire une oeuvre d'art (expression de Michel Foucault).

    En revenant sur la formule anglaise "take care !" interprétée comme "fais attention à toi !", ou prends soin de toi, on se demande : pourquoi de toi ? Parce que "l'homme est un loup pour l'homme" (Hobbes) ? Ou alors, c'est une injonction égoïste, égocentrique ? Par désespoir, ou lucidité ?

     

    Pyramides 011Ensuite est impliqué le fait de prendre soin de l'autre, la relation d'interdépendance.

     

    J'ai noté, au passage, cette citation : L'homme n'a pas d'histoire, il est une histoire (L'homme sauvage, de Jean-Jacques Rousseau), mais je suis obligée de la laisser, suspendue, ne me souvenant comment la glisser dans les rouages de la réflexion.

     

    Le soin ne correspond pas à la pratique de la charité (amour désintéressé), ni à la générosité, ni à la solidarité.

    C'est être attentif à l'autre, pas forcément vouloir la cohésion sociale. Faire attention à ce que les autres désirent.

    Edith termine son exposé, le débat commence.

     

    Le monsieur, grand habitué des Cafés et débats de philo, qui enregistre sur son appareil tout le débat, nous a indiqué un article de Sciences humaines (n° 117 en 2006) consacré à : la pratique du "care".

    Anecdote perso : j'ai d'abord compris "la pratique du Caire" ! Très intriguée, j'ai dressé l'oreille pour me rendre compte vite qu'il ne s'agissait pas d'une découverte égyptienne, mais du care anglais, le soin !

    Une nouvelle éthique, un enjeu de société.

    Un chef de service qui fait attention aux horaires de son personnel en fonction de leurs vies personnelles, un médecin attentif à la personnalité de ses malades, au-delà de la charité, la solidarité, etc.

    C'est l'introduction du respect de la liberté de l'Autre, qui n'existait pas auparavant.

     

    Edith parle du livre : De l'état providence à l'état accompagnant, de Serge Guérin.

    Une nouvelle politique ? La systématisation de la formation continue, l'accompagnement différencié des élèves, l'accompagnement du consommateur, celui de l'habitat et la prise en compte des risques. Etude de comment rémunérer cet accompagnement.

     

    Gunther (je rappelle qu'il est, parmi ses nombreuses activités, à l'écoute bénévole des suicidaires), a indiqué beaucoup se méfier de cette pratique du "care", qu'il soupçonne d'avoir été suggérée, inventée pour détourner l'attention de la nécessité de changements plus radicaux dans la société (je lui demande pardon si je déforme sa pensée). Ah, je me souviens : il a comparé cela à la cigarette du condamné. Ouf ! là, je suis certaine de l'avoir entendu !

     

    L'approche du soin peut se faire aussi en examinant son contraire : la négligence. D'où par réaction, la nécessité du soin (du "care").

    Il a été rappelé les événements actuels en Espagne , les Indignés de la Puerta del Sol, qu'on peut rapprocher de ceux de la Place Tarhir, en Tunisie, que les gens au pouvoir n'ont pas vu venir.

    Pyramides 016Aussi : l'absence ou l'abdication des parents dans l'apprentissage social des enfants.

    Dans l'article de Sciences humaines sus-cité, il a été souligné le fait que le soin des autres était majoritairement féminin.

    On a parlé de voir son rapport personnel à la vulnérabilité. Avoir des parents vieillissants et se demander en quoi cela affecte sa propre liberté.

     

    Prendre soin donc de la relation à l'autre.

     

    Dans les hôpitaux et les cliniques, parmi le personnel soignant, un certain nombre est issu de la population la plus démunie, elle-même. Cela, c'est Edith qui l'a signalé, je crois en voulant signifier que, dans ce cas, les soignants, ceux qui aident, auraient, eux-mêmes, besoin de l'être (immigration, maîtrise incomplète de la langue ?). 

    Etant donné que beaucoup de postes sont supprimés, de plus, toujours pour l'objectif de rentabilité financière que le gouvernement actuel impose, même au domaine de la santé, le prendre soin est confié à des gens pressés (comme des citrons),  

     

    Mon amie présente, ancienne infirmière anesthésiste, en retraite, qui se tient toujours informée de ce qui touche au monde médical, qui fait par exemple des minis revues de presse pour les médecins ou infirmières toujours en exercice et qui dépense son temps sans compter pour accompagner, conduire, attendre, visiter les personnes de sa connaissance lors de leurs entrées à l'hôpital et les rechercher pour les réinstaller chez eux, ne prend pas la parole lors des Cafés philo, mais, plus tard, elle me disait que, tout en étant d'accord pour déplorer cette politique de rentabilité inhumaine qui supprime les emplois de la santé (ou dans l'Education nationale et ailleurs), elle mettait un bémol à cette idée d'un personnel "démuni", du moins pour le personnel hospitalier, qui est admis sur concours, dans les hôpitaux (dans les cliniques, à voir).

     

    Je vais oser occuper un petit coin de ce compte-rendu que je vais rendre personnel. Voilà que je me suis mise à prendre la parole, moi aussi, ce que je n'avais toujours fait que brièvement, rarement, ne m'adaptant pas à la gymnastique des prises de parole où l'on doit attendre son tour et parler lorsque Gunter nous invite à le faire. Difficile lorsqu'une idée me vient, de me rappeler ce que je voulais dire lorsque des orientations différentes ont été données au débat lorsque son propre tour arrive ! J'ai gardé en mémoire une citation d'un roman policier de René Cambon, Le fou du labo 4 (que mon père avait jugé assez intéressant pour le relier joliment, au moment où il s'adonnait à la reliure de livres) : "Mon père me disait toujours : si tu as le trac, parle ! Dis des bêtises, mais parle !" Eh bien, je n'ai plus le trac lors de ces rencontres, beaucoup de visages m'étant familiers même si je ne mets pas un nom sur tous, alors j'ai parlé, un peu. Et je ris de moi-même, car je me rends compte que j'ai même parlé en faisant des gestes, ce dont je ne me croyais pas capable !

     

    Pyramides 002Alors je me suis sûrement exprimée de manière hâchée, ou décousue, mais je l'ai fait, encouragée en cela par mon voisin Raphaël, que je remercie au passage (un monsieur plein d'humour discret, qui a l'aisance de la parole alliée à une pensée claire quand il l'exprime).

     

    Qu'ai-je dit ? J'ai pensé à inclure dans le mot soin l'importance de la dignité et du respect à manifester à tous les malades ou handicapés en plus des actes essentiels qu'implique le prendre soin d'eux. Ne pas les infantiliser, ni croire sans réfléchir que parce qu'ils n'ont plus l'élocution aisée, que leurs gestes sont devenus difficiles, etc, qu'ils n'ont forcément plus toute leur tête. Ne pas dire "Il va bien manger sa soupe, le petit monsieur !", mais l'appeler monsieur et lui donner son nom, ou l'appeler par son prénom, pour continuer à l'inscrire dans la personnalité qu'il a toujours eue en société.

     

    Pour les malades d'Alzheimer, je n'ai pas développé mais mes deux tantes en ayant été atteintes, j'ai pu voir que je parvenais à les faire sourire en les regardant toujours dans les yeux en souriant, leur sourire venant automatiquement et en les rassurant dans leur quasi perpétuelle détresse, en les suivant autant que possible dans leurs préoccupations, leurs souvenirs parfois imparfaits, etc. Et pour mon parrain, parkinsonien à une époque où on était encore impuissant à freiner l'évolution de la maladie, attendre patiemment qu'il arrive à formuler son discours ou ses demandes, ce que nous faisions d'ailleurs tous (chez lui, l'humour est resté intact, jusqu'au bout).

     

    Donc, j'ai indiqué ce que je voyais, de mon côté, dans le prendre soin.

     

    Et avec la naïveté (pas la bêtise, j'espère), la propension à l'amalgame, l'optimisme indécrottable, que je n'ai pas toujours dans ma vie, mais qui me motive systématiquement lorsque je m'essaie à réfléchir en sortant de ma petite personne, je suis partie, puisque j'étais lancée, dans une envolée qui imaginait que, même si la pratique du care a été inventée par des gens cyniques, des manipulateurs des masses (?) au départ, il se trouvera peut-être parmi ceux qui exerceront cette pratique, des gens assez futés, rusés, intéressés par le sort de l'humanité, pour remuer tout cela suffisamment et en faire jaillir de vrais changements de société !

     

     Il a été question du bénévolat, aussi. Quelque chose que j'aimerais bien faire (des idées me trottent dans la tête), mais je ne peux pas me le permettre, puisque je ne suis pas en retraite et que je dois continuer à gagner ma vie. De ce fait, d'ailleurs, je n'en aurais pas le temps.

     

    Dans le fil d'une intervention de Pierre, nous avons parlé de l'envers du décor du prendre soin. Le problème de l'euthanasie, de l'acharnement thérapeutique et du suicide décidé au moment où on se sait gravement malade, où on peut en avoir ras le bol et de vivre et de se sentir un fardeau pour son entourage. Certains se sont indignés sur cette pratique bizarre, nécessitant beaucoup d'argent, d'aller mourir en Suisse dans les meilleures conditions possibles. D'autres intervenants ont exploré le monde japonais, où les vieillards se retiraient, s'exilaient pour mourir lentement, n'imposant pas leur charge à leur famille, ainsi que pouvaient le faire aussi les Amérindiens, les Inuits.

     

    Pyramides 001Pierre, lui, s'est souvenu de s'être trouvé entièrement à la merci du personnel hospitalier après un accident, que cette dépendance lui a été un épouvantable trauma, insupportable pour lui. J'ai parlé alors du livre Légume vert, de Philippe Vigand, cet homme atteint du syndrome d'enfermement (locked-in), où il se trouve entièrement paralysé, sauf les paupières qu'il peut encore cligner, mais qui trouve encore du goût et de l'intérêt à la vie et a réussi à dicter son ouvrage qui témoigne de son humour, et aussi de l'amour énorme et porteur de son entourage. D'autres ont rappelé Le scaphandre et le papillon, de Jean Dominique Bauby, rédacteur en chef au magazine Elle, qui traitait de la même situation d'enfermement épouvantable (hélas, M. Bauby, lui, n'a pas voulu s'accrocher à la vie ; hélas, ou pas, après tout décider de sa mort se conçoit).

     

    Je me souviens, par ailleurs, de l'intervention de Magda, qui revenait de six mois passés au Brésil et qui a déclaré s'être étonnée, elle aussi (comme moi, la première fois qu'on m'a dit "take care !") de s'entendre dire de prendre soin d'elle, en portugais, contente qu'on fasse ainsi attention à ce qui pouvait lui arriver !

      

    Je vais m'en tenir là pour le moment et, si je peux, je viendrai ajouter des précisions, sans garantie, car je vais être prise très vite par d'autres préoccupations, comme toujours. Mais nous aurons par email, ou sur papier, un super compte-rendu que le monsieur qui enregistre tout et dont je ne me souviens pas du nom, nous fournira !

     

    Lenaïg 

     

     

    PS : pour distraire un peu les regards qui se poseraient par ici et n'auraient pas le courage de déchiffer mon verbiage, j'ai eu envie de proposer des photos prises par ma mère (auprès de qui je suis par téléphone et par la pensée aujourd'hui !), lors d'un de ses voyages, ici en Egypte, en jouant sur ma brève confusion de care et Caire  N'est-elle pas belle, cette vue du Sphynx et de l'oiseau posé sur sa tête ?

     

     

     

     

    Pyramides 006


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  • Commentaires

    1
    Dimanche 29 Mai 2011 à 14:38
    jill-bill.over-blog.

    Bonjour Lenaïg, compte rendu du débat au café philo sur le thème prendre soin... Vous avez des soirées hautement intérésssantes dis moi...  J'ai parcouru ton billet et je retiens la phrase de ton papa, si tu as le trac parle, dis des bêtises mais parle !!  Pas faux !  Mieux que certains silences... Ta maman a fait une jolie croisière...  Merci mesdames pour votre duo du jour...  Mon bonjour à ta maman et le bon dimanche à toi Lena...  Bisous de jill  

     

    2
    Dimanche 29 Mai 2011 à 17:03
    Marie-Louve

    Excellent boulot pour ce compte-rendu fidèle, aucun doute. :-)) Cependant, au-delà de tout et des temps, je crois fermement que ce " take care " est inscrit dans la nature même du principe de survie de la race chez certains animaux et aussi pour les humains. Une autre réalité « il y a toujours deux faces ou deux polarités en tout » Ici, on pourrait croire que depuis toujours, il existe ceux qui prennent et ceux qui donnent. Bénévolat: bénéfices volontaires ? La survie de l'homme tout comme celle des loups dépend de sa nature grégaire. Take care: la survie. La base.  Le reste, des structures de pensées organisées selon une ligne du temps racontant l'histoire humaine et ses idéologies. Possiblement que je déraille, mais j'ose dire mes niaiseries. :-))) Bon dimanche Léna, bises. 

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    3
    Mona de plumes au v
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:44
    Mona  de plumes au v

    C'est passionnant! J'ai tout lu avec attention et me rends compte que j'utilise aussi cette formule   .. Bien sûr que le bénévolat devient nécessaire... ce sont souvent des retraités qui s'occupent de l'aide aux devoirs des jeunes de milieu défavorisé et leur redonnent confiance en leur capacités. Parce que dans les écoles ça ne marche pas bien du tout dans ces quartiers. C'est ce que je ferai. Dans les hopitaux, qu'il faut rentabiliser, le temps accordé à chaque patient est diminué; des bénévoles viennent parler, tout simplement aux malades isolés. c'est bien aussi. On a vraiment le choix pour faire ce qui convient aussi à notre tempérament pour le faire bien avec la motivation nécessaire!

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