• MENSONGE GENETIQUE - n° 2 - Nouvelle à suivre - Rahar

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    — Veinard ! A moi, elle ne m’a pas encore fait l’aumône d’un « ma ».


    Troublé, plus ému qu’il ne voulait l’admettre, le jeune homme se sentit fondre, balançant entre les larmes et le rire jaune. Son coeur semblait se fendre et gonfler, une boule désagréable était coincée dans sa gorge. Une voile de douceur vint lui envelopper l’esprit. Il ne voyait plus ces sourcils touffus, ce vilain nez inachevé, cette paupière qui refusait de se lever complètement.

    Rien ne comptait plus que ce doux sourire de bébé. Mais où avait-il la tête ?
    Chacun cherchait, quémandait même, l’amour, l’amitié. Et lui ne voyait pas sous son nez ce qu’on lui offrait sur un plateau d’argent. Bien sûr, la déception et, avouons-le, un certain dégoût, l’avaient aveuglé. Betty avait raison : le destin leur avait donné une enfant normale, mis à part son manque de beauté ; ils étaient largement mieux lotis que certains avec leurs rejetons handicapés ou pire.


    A partir de ce moment, la joie régna dans le foyer. Alphonse surtout, ne voyait plus en sa fille qu’une enfant aimante, sage et plutôt intelligente. La petite Aglaé grandit effectivement comme une petite fille normale. Elle était saine et vive. Son caractère enjoué avait conquis les petits enfants de son âge qui s’étaient rapidement habitués à sa laideur. Bien sûr, ceux qui la voyaient pour la première fois faisaient « bêêêh… » ; les enfants sont souvent cruels, c’est leur nature. Les adultes dissimulaient mieux leur dégoût.


    *


    Betty avait bien sondé son mari sur l’éventualité d’avoir un autre enfant. Alphonse s’était montré très réticent. D’abord, il y avait un risque que l’accident se répète. D’accord, il peut être négligeable, mais il existe. Ensuite, si l’enfant s’avérait être loin d’être laid, ils seraient confrontés à un dilemme intolérable. On dit toujours que les bons parents n’ont pas de préférence pour leurs enfants. Ce n’est pas vrai, on aura toujours tendance à favoriser un ou certains des enfants, même si on s’en défend vigoureusement.

    En l’occurrence, ce serait abominable.


    Au collège, Aglaé avait eu quelques désagréments au début. Elle avait été la cible de certaines bandes. Celles-ci l’avaient accablée de quolibets, de mauvais calembours et parfois d’injures cruelles. Mais ses parents l’avaient prudemment averti. Son père et elle avaient eu une longue conversation, touchant finalement au métaphysique. C’est sûr, elle était moche, laide même, mais il ne fallait en accuser personne. Elle devait compenser ce désavantage par un esprit tendu vers la réussite. Sa mère s’efforçait de cultiver son élégance ; elle disait qu’il faut détourner l’attention des gens sur son manque de beauté par des atours bluffants.


    Aglaé avait quand même réussi à se faire des amis. Sa douceur, pourtant mal servie par une voix de fausset, sa gentillesse innée et surtout son intelligence, avaient peu à peu arasé la répugnance instinctive des autres. Certains profitaient sans vergogne de sa serviabilité, mais elle n’en avait cure : tant qu’on ne la reléguait pas dans une solitude insupportable, Aglaé acceptait presque tout.


    Elle n’avait pas de petit ami et ne s’en offusquait pas. Son intelligence lui faisait accepter le poids de sa laideur. Elle trouvait néanmoins de la satisfaction à jouer les entremetteuses. On lui faisait confiance -on sait pourquoi— et elle était la confidente idéale, tant des filles que des garçons. Ah si elle était écrivain, elle aurait bien eu des choses à raconter. Elle s’imprégnait de la vie tourmentée des ados à travers les secrets qu’on lui confiait. Aglaé sentait bien son coeur s’accélérer pour certains beaux garçons, mais raisonnable, elle surmontait ces moments de faiblesse en se consacrant plus à ses études.


    Au lycée, sa renommée en tant qu’excellente entremetteuse l’avait suivi. Une personne extérieure aurait été étonnée de voir une telle laideronne si populaire. Mais les filles savaient à quoi s’en tenir : personne ne sera jamais tenaillée par la jalousie, concernant Aglaé. Le fait  qu’elle était une excellente élève n’y changeait absolument rien. C’était la bonne amie, la précieuse confidente la plus digne de confiance, jamais médisante et cependant conciliatrice.


    Cependant, les hormones agissaient. Un garçon, pourtant séduisant, s’était fait proprement jeter par une greluche qui n’avait pour tout avantage qu’une beauté à couper le souffle. Malgré ses résolutions, Aglaé n’avait pu gommer de son esprit l’image de ce garçon qui s’insinuait jusque dans ses rêves. Tout en les maudissant, elle goûtait la volupté des battements accélérés de son coeur, chaque fois que le garçon l’approchait. C’était comme une torture délicieuse.


    — Je me demande bien pourquoi Marlène a cassé subitement. Je ne pense pas avoir fait quoi que ce soit qui lui aurait déplu.
    — Tu sais Henri, elle s’affichait déjà avec Geoffrey.
    — Non, je ne le savais pas. Mais qu’est ce qu’elle trouve à ce relou ?
    — Oh il vient d’avoir une bagnole pour son anniversaire. Et quelle tire ! une sport, excusez du peu !
    — Bah, c’est un fils à papa.
    — Justement, c’est ce qui attire les filles du genre Marlène. Elles ne savent pas apprécier les gars bien comme toi. Tu es gentil, généreux, compréhensif. Tu as de la conversation et tu n’es pas un cancre. Quelle fille sensée te laisserait filer ?
    — Eh oh, est-ce que tu ne serais pas en train de me draguer, là ?
    — Et alors ?
    — Ecoute Aglaé, je t’aime bien, mais tu n’es vraiment pas mon genre.
    — Pourquoi ? On dit que je suis gentille et compréhensive, et je ne suis pas bête comme Marlène.
    — Mais tu t’es regardée dans une glace ?
    — Mais c’est l’esprit, c’est l’âme qui compte.
    — La beauté compte aussi, tu sais… beaucoup même.


    Malgré sa force d’esprit, sa légendaire rationalité cartésienne, Aglaé subit de plein fouet l’humiliation. Son coeur se glaça. Elle voulut mourir, s’enfoncer dans le sol. Elle maudit cette injustice ; n’avait-elle pas aussi le droit d’aimer et être aimée ? Il faut regarder la réalité en face. Jamais aucun garçon ne s’intéressera à elle, même le généreux, le gentil Henri l’avait repoussée.


    Son père l’avait déjà mise en garde. Il lui serait très difficile de trouver un compagnon. Cependant, on pouvait parfaitement avoir une vie riche sans pour autant sacrifier à la tradition de la procréation. On pouvait aussi tirer une immense satisfaction d’une solide amitié. C’était la voix de la raison, mais Dieu que ça faisait mal ! Ça vous vidait toute votre force.


    Désormais, Henri l’évitait le plus possible. Elle lui avait été reconnaissante de ne pas avoir répandu sa pitoyable tentative de séduction. Après quelques jours d’abattement, Aglaé s’était reprise grâce à sa force personnalité, et la vie reprit son cours. Cependant, une plaie dans son coeur avait refusé de cicatriser.

     

     

    RAHAR

     

    A suivre

     

     

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    Illustrations :

    • Exclusion, www.wrath.typad.com
    • Poussin Caliméro, création de Nino Pagot.

     

     

     


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  • Commentaires

    1
    Dimanche 8 Avril 2012 à 11:02
    jill-bill.over-blog.

    Bonjour Rahar... La beauté intérieure luttant contre la beauté extérieure et pourtant qu'elle richesse qui ne passe pas avec le temps... Merci, j'aime !  Bises Lena et bon dimanche pascal à vous deux ! JB

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    2
    Dimanche 8 Avril 2012 à 18:18
    Lenaïg Boudig

    Bonsoir Christian. Cette nouvelle fait partie de ceux que tu nommes "mes anciens textes", mais c'est qu'elle est formidable, celle-ci ! Ce n'est pas que les autres ne le soient pas, mais le thème se détache nettement des autres et il y a tant de vérités, de peinture verbale saisissante de la réalité, agrémentées du sens du dialogue chez toi parfaitement maîtrisé que je l'apprécie particulièrement.

    Du bon comme du mauvais dedans, rien de rose assurément mais tu réussis à me faire trouver attachante cette encore jeune Aglaé. Je connais la suite, mais je veux faire ici comme si je ne la connaissais pas encore pour ne savourer que ce qui est révélé.

    Bizzz !

    3
    Lundi 9 Avril 2012 à 11:19
    mansfield

    Captivant et très bien raconté, à bientôt pour la suite!

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