• Les envahisseurs - Rahar - Chapitre 8

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    « Tête de Vautour » est en train d’enfiler des gants de chirurgien, quand on entend des clameurs et une sorte de sourd bourdonnement. L’officier va regarder par la fenêtre. Un soldat va ouvrir la porte pour voir ce qui se passe.

    — Ferme la porte abruti !

    L’ordre du gradé arrive trop tard : un essaim d’abeilles s’engouffre par l’ouverture. Ces couillons de militaires ne savent pas se conduire devant ces insectes : ils gesticulent, gigotent comme des pantins, et les abeilles encore plus exacerbées s’en donnent à cœur joie. Moi je reste absolument immobile, elles ne sont pas de l’espèce africaine tueuse et je n’ai rien à craindre. Je me doute que c’est la signature d’un Commandeur des dards. Soyons sérieux, nos abeilles, même provoquées, ne s’éloignent jamais loin de leurs ruches, et celles de la forêt répugnent à en sortir, l’orée est leur frontière. Seul un sort peut briser leur instinct et seul un Commandeur des dards peut les envoyer où il veut.


    Un type en blouse caca d’oie clair finement rayée de vert et de jaune, entre tranquillement et vient me délivrer. Il a à peine un regard indifférent aux pauvres militaires qui se contorsionnent par terre ; l’un a d’ailleurs cessé de bouger, ayant probablement succombé à un choc anaphylactique. Je renfile ma blouse et nous sortons paisiblement, quoique j’aie écopé de quelques piqûres assez douloureuses.


    Je contemple le spectacle ahurissant des soldats courant de-ci de-là, essayant de fuir la furie des insectes. Mes compatriotes se sont tenus tranquilles et la plupart ont été épargnés. Aucun bâtiment n’a pu être barricadé à temps et les troufions qui s’étaient aventurés en dehors du camp ont été impitoyablement poursuivis par une nuée furieuse.


    Le Commandeur des dards m’emmène vers la sortie sans jeter de regard autour de lui.

    — Et qu’allez-vous faire de tous ces malheureux prisonniers ?

    — Ils devront hélas rester encore ici, nous n’avons pas prévu la logistique idoine. Sais-tu jeune Ron que tes activités nous ont obligés à précipiter nos actions ?

    — Je suis désolé, je ne savais pas qu’il y avait un réseau de résistance.

    — Ce n’est peut-être pas plus mal. Certains estiment qu’Amzar est un peu trop perfectionniste et beaucoup ont déjà manifesté leur impatience.

    — Mais qui est Amzar ?

    Le sage a un petit sourire espiègle. Ses yeux pétillent de joie contenue.

    — Patience, tu le sauras bien assez tôt. As-tu déjà eu la migraine ?

    Je suis interloqué par ce coq à l’âne incongru.

    — Bien sûr, comme tout le monde je suppose.

    — Ça se produit quand tu passes devant la pierre levée du Grand Conquérant.

    — Mais oui, je m’en rends compte maintenant.

    — Et puis quand tu t’attardes un peu près de la Cascade aux Fées.

    — C’est vrai, mais comment le savez-vous ?

    — Je pense que tu as le don, mon petit Ron.

    — Vraiment ? Vous m’en direz tant. C’est aussi simple que ça ?

    — En tout cas, c’est l’un des nombreux signes. Je crois que tu feras un excellent maître de sorts.

    — Un sorcier vous voulez dire ?

    — En quelque sorte, si tu veux. Mais tu as encore beaucoup à apprendre.

    — Je suppose que c’est Amzar qui est à l’origine de ma libération. Qu’est-ce qu’il me veut ?

    — Tu as un rôle à jouer dans le programme d’opérations du réseau… Attend, je connais ton individualisme viscéral. Nous en avons tenu compte. Au moins, écoute ce que va te dire Amzar.


    Si j’avais pensé que ledit Amzar était caché dans la capitale, je me suis fourré le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Il était tout simplement ici, dans ma cité. Pour des raisons de sécurité, il a pris un nom de guerre qui signifie à peu près « à la grâce de Dieu ». En fait, Amzar est mon professeur de physique philosophique, Ramang Lebleuh, un doux savant que personne n’imaginerait avoir assez d’ascendant pour être à la tête d’un réseau de résistants. En outre, notre cité implantée aux abords de la zone forestière du pays, est le principal producteur de remèdes traditionnels réputés et nos forêts renferment des essences endémiques très recherchées.


    — Mon cher Ron, j’ai été bien préoccupé par ta disparition. Pourquoi ne m’as-tu donc pas contacté à la mort de tes parents ?

    — J’avoue que j’ai été très perturbé, professeur. Vous comprenez que j’ai été aveuglé par ma douleur et ma rage. Mais j’ai appliqué votre leçon sur la manifestation différentielle des phénomènes physiques. Je pense avoir agi avec suffisamment de discernement pour ne pas avoir causé de tort à mes compatriotes.

    — Disons que ton esprit intuitif a guidé tes pas. Toutefois, tu manques d’éducation politique et tu n’as pas encore suivi des études psychosociales. Mais nous n’avons pas le temps de te former, tes récentes actions vont nous obliger à précipiter un peu les choses.

    — Très bien, pour quelle mission me destinez-vous, professeur ?

    — Ce que j’apprécie en toi, c’est ta perspicacité. Il y a bien une chose que probablement toi seul peux effectuer. Après avoir consulté Papa Wemba et plusieurs sages voyants, nous avons cherché et trouvé la mythique Météorite Noire de nos ancêtres. Il faut une configuration mentale particulière pour pouvoir exploiter ses pouvoirs extraordinaires. Les sages ont cherché… et leur choix unanime s’est porté sur toi.

    — Cela veut-il dire que je suis anormal ?

    — Mais non, que vas-tu penser là. Chacun a son propre talent, tu es un peu spécial, c’est tout.

    — Quelle en est la contrepartie ?

    — Méfiant, hein ? Mais tu as raison. Tu auras un mal de tête épouvantable pendant un certain temps, tu seras désorienté comme drogué au haschich quelques jours et tu auras peut-être quelques crises d’épilepsie.

    — Y a-t-il un risque mortel ?

    — Pour être franc, je n’en sais rien. Mais tu sembles en pleine forme.

    — Ai-je vraiment le choix ?

    — Mais oui, personne ne peut influer sur ton libre arbitre. Tu agiras selon ta conscience.


    Je rejoins mon refuge sous la surveillance discrète de quelques membres du réseau. Je trouve Acky plongée dans ses études. Elle est si mignonne malgré le maquillage qu’elle n’a pas encore enlevé. Que vais-je lui dire ? Si j’accepte la mission, qui s’occupera d’elle ? Mais au cas ou je déclinerais l’offre, notre vie de clandestins sans confort pourrait durer bien longtemps. Et puis je pense au camp d’internement et à ce que j’y ai vu. Je fais une pause mentale en m’absorbant dans la préparation du dîner.


    — Dis-moi Acky, serais-tu capable de te débrouiller seule ?

    — Quoi, tu veux m’abandonner ?

    — Allons, ne panique pas, ce n’est qu’une hypothèse.

    — Tu vas faire quelque chose de dangereux ? De très dangereux ?

    — Attend, répond-moi simplement.

    — Mais Ron, je ne peux pas rester seule. Même dans mon cagibi là-bas, j’ai beaucoup de peine à me retenir d’aller rejoindre les autres. Dis-moi, qu’est-ce que tu mijotes ?

    — Bon, attend-moi là un instant, termine ton rata, je reviens.


    Je sors en surveillant les alentours, puis je rejoins une cabine téléphonique. Je me décide à appeler le prof qui doit être chez lui à cette heure. Je sais que l’occupant met sur écoute la plupart des portables et très peu de gens utilisent encore le fixe.

    — Prof, c’est le prodige. J’ai un petit problème : j’ai une petite poupée à charge, elle me vient d’un taré et tout qui s’en est allé à la montagne.

    — Euh… Oh la pauvre ! C’est bon, je vois ce que c’est, amène-là moi demain, je crois que j’ai une vitrine où la mettre. Tu n’as plus d’autre sujet de préoccupation, j’espère ?

    — Non, non, demain je saurais si je suis décidé à prendre un bain. Merci prof.

     

     

    A suivre


     

    RAHAR

     

     

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    Illustrations :

    • Attaque d'abeilles, www.ndarinfo.com
    • Acky transformée en petite poupée vaudou pour les besoins du langage codé, www.maquettes-papier.net

     

     

     



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  • Commentaires

    1
    Lundi 16 Janvier 2012 à 12:20
    jill-bill.over-blog.

    Bonjour vous deux !  Sauvé je l'espérais bien... par des abeilles alors là non !  Chapeau.  Bon Ron pense à mettre sa "poupée" à l'abri c'est bien... A bientôt, bises de jill

    2
    Lundi 16 Janvier 2012 à 13:25
    Lenaïg Boudig

    Coucou Rahar, coucou Jill ! Je suis un peu triste car on approche de la fin ! Hé oui, si Rahar développe plus tard sa longue nouvelle en en vrai roman, nous profiterons plus longtemps de la compagnie de ce jeune Ron Ubard et de la jeune Acky Hitau ! On est content de savoir que Ron a échappé à la torture et de voir que la résistance était bien réelle, même très active. Encore deux petits chapitres à venir, en fait.

    Bizzz à vous deux !

    3
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:37
    Mona															l

    Les abeilles à présent, utilisées comme armes puisqu'elles y laissent une partie de leur abdoment et meurent en piquant! Un sorcier, voila, bon, ça m'intéresse, tu penses... et ton héros a le même nom que celui de Deranil, les grands esprits se rencontrent , dit on!

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