• Les envahisseurs - Rahar - Chapitre 7

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    L’envahisseur est bien sûr ravi de l’aubaine. Il avait bien essayé de placarder des affiches wanted bien léchées et en couleur des gens qu’il recherchait (membres enfuis des familles exécutées, saboteurs, « terroristes ») mais elles étaient prestement arrachées dès que les colleurs ont tourné le dos ; dégoûté, il a finalement abandonné l’idée et s’est rabattu sur l’aide peut-être moins efficace des délateurs et des collabos.


    On m’emmène bien entendu au QG. Ce n’est pas à cause de mes actions (l’ennemi n’imagine aucune relation) que j’en suis là, mais parce que je suis un Ubar et en outre, j’ai révélé fortuitement l’existence d’un réseau de résistance. Bien que froids, les deux soldats n’ont pas été brutaux, d’autant moins que je les ai suivi docilement. Je n’ai plus hélas mon fantôme aux yeux aveugles que je n’ai pas eu le temps de récupérer pendant la délivrance d’Acky et c’est très regrettable. En effet, il est très difficile de se procurer de la feuille d’yeux aveugles. Ce n’est pas que la plante soit particulièrement rare, mais elle ne se laisse pas facilement cueillir : même si l’on a le nez dessus, curieusement on ne sait pas qu’elle est là, on la prend pour une autre plante, seuls ceux qui ont le don peuvent la voir et la toucher. Mes autres sorts n’ont pas d’action instantanée. Je suis fait comme un rat.


    Il est heureux que « Tête de Nœud » ne soit plus là ; il doit agoniser quelque part. Mais en arrivant au QG, je sens une pointe de découragement m’assaillir. Je vois de nouvelles têtes, l’envahisseur doit avoir remplacé ses hommes malades. Ce qui est nouveau, c’est que tout le monde porte un masque de tissu (on dirait qu’une armée de chirurgiens a investi le bâtiment) et des bottes à tige haute. Si seulement ils savaient que leurs maladies n’ont rien à voir avec des microbes ou des parasites ! Je me demande jusqu’à quel pourcentage de ses effectifs l’envahisseur consent à sacrifier pour enfin comprendre l’inanité de ses efforts. Nous devons donc nous armer d’un peu plus de patience.


    Dans l’allée, j’ai fait semblant d’être pris de démangeaisons pour me débarrasser de toutes mes poudres, car je suis sûr qu’on va fouiller mes vêtements avant de me faire enfiler la tenue de prisonnier. Mais j’ai peut-être tort, ils ne vont pas prendre cette peine puisqu’ils vont m’exécuter sous peu. On me fait entrer dans le bureau de l’un des officiers qui a déjà interrogé Acky. On me fouille minutieusement, je n’ai emporté qu’une partie de mon argent, l’héritage liquide de mes parents, et l’officier enfourne dans sa poche le butin après avoir filé un billet à chacun de mes deux gardes. L’appareil sophistiqué qui trône sur une console n’a pas mis plus d’une minute pour afficher mon identité, à la grande satisfaction du gradé.


    — Tu vois petit connard, on n’échappe pas longtemps à notre organisation.

    — Connard vous-même, si vous n’aviez pas tous ces maudits vendus, vous ne m’auriez jamais trouvé.

    — Naïf que tu es ! Ne sais-tu pas que pour gagner, tous les moyens sont bons ? N’imagine surtout pas que tes compatriotes sont différents des autres, comme partout ailleurs, il y aura toujours des gens qui offrent leur collaboration pour instituer la paix.

    — Et c’est pour instituer la paix que vous exécutez des familles entières et emprisonnez des gens innocents ?

    — Tu ne comprends rien à la stratégie militaire ni à la politique. Nous ne voulons pas de mal à ton pays qui ne possède rien qui nous intéresse, on veut seulement éviter les troubles. Ton Amzar et son réseau mettent en danger l’ordre public. Remarque, c’est une quantité négligeable pour nous, mais la population compte sur notre vigilance pour assurer sa sécurité.

    — D’abord, ce n’est pas mon Amzar, et puis je ne savais même pas qu’il y avait un réseau. Un réseau de quoi, d’ailleurs ?

    — Ne fais pas l’imbécile. Tu as été surpris en train d’essayer de le contacter.

    — C’était peut-être une commission de la part d’un ami, qu’en savez-vous ?

    — Justement, tu vas nous le dire, petit malin. Tu vas tout nous dire, crois-moi.


    L’officier vient d’appuyer sur un bouton et peu après, un gradé imposant entre. Sa binette donnerait des cauchemars à un moutard, il a une tête de vautour et un rictus sardonique des plus déplaisant. Je remarque à son col une croix blanche… non, ce sont deux tibias entrecroisés… comme ce qu’a porté « Tête de Nœud ». Celui-ci a donc été remplacé, et pas en mieux. J’avale ma salive, je n’en mène pas large, là.


    — Mon colonel, voici le jeune Ron Ubar, comme promis.

    — Merci commandant. Demain, vous pourrez envoyer une estafette prendre une copie du rapport d’interrogation. Je vous félicite pour votre efficacité.


    La mort dans l’âme, je me résigne à suivre le nouveau responsable du camp d’internement. J’ai été trop sûr de moi pour me munir d’un quelconque poison ; je n’ai même pas la moindre petite lame pour m’ouvrir les veines, et mes sandales n’ont pas de lacet pour me pendre. Il est bien connu que ce sont les intellectuels qui sont les plus douillets, je ne pense pas pouvoir résister à la plus bénigne des tortures. Et ce qui me navre, c’est que j’ignore tout d’Amzar et de son réseau, j’appréhende donc de longues séances de tortures stériles. Si seulement on m’exécutait tout de suite.


    Je me maintiens assis bien droit dans la voiture noire de « Tête de Vautour », je ne tiens pas à lui donner la satisfaction de voir ma détresse intérieure. Je veux lui montrer la fierté de mon peuple et son stoïcisme dans l’adversité. Je ne peux cependant éviter qu’une fine sueur humidifie mes tempes, ni empêcher mes mains de devenir moites. Je l’avoue, j’ai peur de la mort, je suis encore si jeune, j’ai encore des tâches à commencer, à mener à bien, j’ai des compétences à mettre au service de la société. Puis mes pensées vont vers la ravissante Acky. Que va devenir cette pauvre petite ? Ce soir, elle attendra en vain mon retour. Elle va se résigner à cuire son repas ; mais sait-elle au moins cuisiner ? À douze ans, les enfants du peuple, fille ou garçon, connaissent déjà la recette compliquée de la poularde farcie aux langoustines et fines herbes. En tant que fille de la haute, Acky a peut-être eu une autre éducation. Cependant, les grandes familles qui s’accordent une domesticité ne sont pas nombreuses. J’espère que je ne me suis pas trompé sur son compte et que dégourdie comme elle est, elle pourra se débrouiller après un petit moment de désarroi compréhensible.


    Du poste d’observation où j’étais quand j’ai espionné le camp d’internement, je n’ai eu qu’un aperçu superficiel ne rendant pas vraiment tout le sordide de l’intérieur. Les allées entre les baraquements de bois sont évidemment d’une netteté toute militaire. J’aperçois un pauvre bougre étique n’ayant plus que la peau sur les os, balayer un sol déjà impeccable, sous la férule d’un soldat portant un masque de tissu blanc, qui le traite d’asticot de tinette en le gratifiant de coups de matraque caoutchoutée. La veste de prisonnier légère et très ajustée — vraisemblablement d’une taille au-dessous —du pauvre bougre laisse deviner des côtes saillantes de sous-alimenté, voire d’affamé. Des malades abandonnés à leur sort sont misérablement adossés à des murs, laissés à la merci du vent, du soleil tapant ou de la drache.


    Plus loin, du côté du bois de mimosa, un mur de briques, de la terre battue et trois poteaux de bois m’indiquent le lieu d’exécution. Alors qu’on m’emmène vers un bâtiment un peu différent des autres, je distingue des taches sombres sur le sol ocre. Je crains que ce ne soit des taches de sang. Je ressens un petit frisson désagréable.


    Dans la baraque en bois meublé du minimum de confort, on m’assied sans ménagement sur un fauteuil à l’aspect insolite : des anneaux métalliques aux accoudoirs et aux pieds de devant, un cercle de cuivre qui peut coulisser au dossier, et des fils courant derrière, vers un tableau électrique. Sur une tablette, je vois des instruments étincelants de chirurgie sur des plateaux métalliques. Sur une autre sont alignés des pinces, des tenailles et des crochets. Je crois bien que ça va être ma fête, pour un peu, je vais faire dans mon froc. Une abeille vient bourdonner dans la pièce, suivie de trois autres.

    — Eh bien mon petit, on va avoir une petite conversation, n’est-ce pas ?

    — Écoutez tête de lard, je n’ai rien à vous dire, je ne sais rien.

    — Hmmm ! Il a du vocabulaire, notre jeune ami. Mais ne t’en fais pas, tu vas finir par chanter comme un rossignol, crois-moi. Alors, où est-il donc notre fameux Amzar ?

    — Mais bougre d’âne, si je le savais je n’aurais pas demandé à le contacter.

    — Quel est donc votre plan ?

    — Mais je n’en sais rien, moi !

    — Quelles informations voulais-tu lui transmettre ?

    — Seigneur ! Mais vous êtes bouché ou quoi ?

    — Très bien, tu ne me donnes pas le choix… Sais-tu que tu as des mains de pianiste ? Des doigts si fins qu’on dirait ceux d’une fille.

    — Je fais justement du piano, et alors ? Je suis assez talentueux pour entrer à l’un de vos conservatoires.

    — Petit prétentieux va ! Mais je doute fort que tu puisses jamais t’y inscrire… Soldat, pince numéro deux !... Tu as besoin d’une petite manucure, petit.


    Je crois que je ne pourrais plus retenir mes sphincters, malgré mes airs bravaches. Le moment que j’appréhendais est venu, adieu mes ongles… voire mes doigts. Un des soldats m’immobilise le bras. Quoique j’aie les tripes nouées, je m’efforce de ne montrer qu’un visage impassible pour sauvegarder mon honneur. Je sais bien que ce masque va s’effriter dès les premières douleurs, mais au moins je ne perds pas la face.

     

     

    A suivre

     

     

    RAHAR

     

     

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    Illustrations :

     

    • Tibias sur casque, www. cristal-arturbain.vefblog.net
    • Tibias sur T-shirts des légionnaires, www.253491.spreadshirt.fr

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 15 Janvier 2012 à 13:17
    jill-bill.over-blog.

    Oups.... Pauvre Ron... et Acky qui va se le faire au mouron son poulet... Bon y a plus qu'a espérer que rien de tout ça... la torture !  Bon dimanche à vous deux ! Jill bizzz

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    2
    Dimanche 15 Janvier 2012 à 13:44
    Monelle

    Ca se corse cette histoire là, mais elle me passionne.... vite la suite Rahar !!!

    En attendant bon dimanche à vous deux - bisous.... du bout des doigts !!! 

    3
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:37
    Mona															l

    Bon, j'ai déjà mal aux doigts, l'oublie,  et voila que l'histoire m'y fait penser à nouveau! Une manucure, OUAIP! Un monde bien rude, un sort bien inquiétant pour le pauvre héros pas si héoïque que ça, finalement , mais qui l'en blâmerait? Bravo Rahar

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