• Le jardinier joueur d'échecs - Lenaïg

    Papa et Kiki 3

     

    Papa était un joueur d'échecs. Je pense à lui en foulant l'herbe ou les planches du Jardin d'Eole : à une table, au frais près de la buvette, deux hommes s'affrontent à ce jeu. Un jeu trop intelligent pour moi, qui n'ai rien d'un prodige en la matière. Papa n'y jouait plus dans ses vieux jours mais je fais un bond en arrière dans le temps, je grimpe au grenier joli de mon enfance. Mes lunettes ne me servent à rien, ma mémoire me trahit, je lui en veux d'occulter les détails.

    Peut-être sous hypnose, images, contours et scènes me reviendraient-elles ? Et le passage se rétablirait ! Je reverrais Papa dans la fleur de l'âge, grand et si droit ... Il n'aimait pas les ravioli, mais les coquillettes et les bonnes côtes de boeuf ! Il était sévère au point d'en être redoutable, mais si gentil et si tendre à sa façon, veillant sur nous comme une deuxième mère poule (coucou, Maman !). Il n'a pas été inhumé, ce n'était pas son souhait. Pourtant il aimait la terre, et jardiner.

    Le premier des jardins successifs où Papa s'exprimait date de la fin des années 50 du siècle dernier. C'est une période quasi légendaire maintenant ! Il rangeait ses outils dans un petit blockhaus (mais oui, un vestige de l'occupation nazie, resté là, dans un coin du jardin !), où nous, enfants, nous descendions rarement (il n'y avait rien de spécial à y voir).

    Je perçois encore la danse vrombissante des bourdons enivrés autour des dahlias, des cosmos, glaïeuls, roses et autres participants du festival fleuri, ou la danse des hirondelles aux cris aigus lorsque l'air annonçait l'arrivée de la pluie. Dans ce jardin, les arbres fruitiers n'avaient rien de famélique. Ai-je éprouvé de toute ma vie une joie plus pure que de recevoir, cueillie par la main paternelle, une poire joufflue, pas forcément belle mais si saine, qui se laissait délicieusement dévorer ? Son goût ne peut pas s'oublier !

    Papa était content d'avoir atteint ses quatre-vingts ans tout ronds mais la consomption triomphait et il le savait. L'ombre le rattrapa peu après. Il s'envola pour le firmament mais son départ est tempéré par le sentiment qu'une partie de lui s'est ancrée en nous. Il ne serait pas surpris que j'emprunte le chemin de la poésie pour le faire revivre comme aux beaux jours, pendant nos vacances, où il était encore plus présent, quand on le suivait le long de vieux murs couverts de mousse et de lierre, jusqu'à la Tétardière, ou pour écouter le chant des crapauds à la tombée de la nuit, guidés par sa lanterne.

    Et quelle belle écriture il avait, ce papa, quand il rédigeait une lettre ! Rien à voir avec mes pattes de mouche. Avec lui, on chantait du Bourvil, plutôt que "Itsi itsi petit bikini" ! De la patience, il en montrait dans son métier et dans la vie, aimant le travail bien fait. "Vite et bien", sauf urgence, ce n'était pas ce qu'il pensait. L'éthologie, il la pratiquait, comme il respirait. Il nous a communiqué son amour et son respect des animaux ; nos "frères inférieurs" comme il disait, en insistant sur le mot "frères".

    En bord de mer, on jouait au ballon et il faisait le pitre en nous le lançant de toutes les façons. Maman alors prenait l'air offusqué, protestant qu'il était aussi gamin que nous, mais c'était pour la forme, aucun risque de ..... rupture. Belles journées d'été, d'une chaleur non caniculaire et sans aucun nuage. Il me faut réussir à mieux m'en souvenir. Il ne nous appelait pas "chaton", mais "mignon", selon la tradition brestoise !

    Ah, que je me sente riche d'une mosaïque de moments heureux, petits bonheurs comme ceux-là et ceux d'après, une plage où aller m'ébattre en liberté, tous soucis envolés !

    Lenaïg

    (Pour un jeu proposé dans "L'Esprit de la lettre", créé par Dominique Bar, sur Facebook - Mots imposés en gras).

     

    Papa et son copain aux échecs

     

    Papa (à gauche sur la photo) et son copain jouant aux échecs.

    On peut remarquer que le jeu d'échecs est posé sur leurs genoux ! 

     


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  • Commentaires

    1
    Ava
    Dimanche 27 Juin 2010 à 15:43
    Ava

    Cela me touche de voir des gens qui écrivent et dessinent aussi bien sur les blogs.

    En plus, parler de son père n'est jamais facile. Heureuse d'avoir fait ta connaissance !

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    2
    Dimanche 27 Juin 2010 à 18:05
    marie-louve

    Grimper avec toi au grenier de ta mémoire sur celle de ton père est un pur délice. Savoir qu'un papa c'est aussi le jardinier attentif du coeur de l'enfance pour que ses fruits deviennent le trésor de sa vie. Bon dimanche Léna. Bisous.

    3
    Lundi 28 Juin 2010 à 09:20
    ADAMANTE

    Un beau texte, ce n'est qu'à la fin, lorsque c'est écrit, que l'on découvre que les mots en gras sont imposés, bravo, un beau "chemin de poésie". Ce témoignage est touchant. Bonne journée Lénaïg

    4
    Lundi 28 Juin 2010 à 19:07
    india

    Un récit magnifique, plein de nostalgie mais jamais triste. Un joli bout de vie que tu racontes là. Moi j'adore les histoires perso alors merci Lenaïg.

    5
    margoton
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:54
    margoton

    Oh que j'eusses aimé avoir un papa comme cela !

    6
    jill bill
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:54
    jill bill

    Bonjour lenaïg, souvenir de jeunesse tjs émouvant... l'esprit du père tjs présent. bravo à toi, défi relevé dans cette page familialle... Au plaisir miss, bonne  après-midi... jill

    7
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:54
    Mona															l

    Ce genre de souvenir j'en ai beaucoup et les chéris aussi. Ah mon père! Tu vois ça nous renforce d'y penser même s'il faut lever la tête et avancer chaque jour! Suis je devenue ce qu'il aimerait que je sois? Voila la question  que je me pose parfois. Où serait-il déçu? ça compte plus qu'on ne le croit dans le fond quand on admirait ses parents.M... je bvais être déconnectée!

    8
    Anaëlle
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:54
    Anaëlle

    Un joli écrit plein de tendresse pour un père aimé et regretté. Mon père à moi, il est toujours vivant mais ma relation avec lui a toujours été bien difficile... C'est un privilège de puvoir penser à son père avec tendresse et sans amertume...

    9
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:54
    Mona															l

    Et ce superbe dessin que je reconnais et qu'il a du adorer, ce n'est pas de l"amour, ça? héhé  Bisou

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