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LA SENTINELLE - 2/2 - RAHAR (Science-fiction)
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Le « ptérodactyle » avait saisi le garde aux épaules, et celui-ci sentait les serres acérées s’enfoncer dans sa chair, malgré la solidité de son gilet. Ryan ne pouvait rien faire, il ne pouvait s’extraire de sa combinaison ; et d’ailleurs, s’il l’avait pu, il serait tombé d’une cinquantaine de mètres, il ne se serait pas simplement brisé les jambes, il se serait écrabouillé tout court. Il lui fallait attendre un moment plus propice pour s’échapper, peut-être au nid de la bête.
Près du sommet de la falaise, le garde eut la surprise de voir l’entrée d’un large tunnel, invisible d’en bas du fait de son retrait. La bête volante s’y était engouffrée jusqu’à un cul-de-sac. Ryan eut alors la surprise de voir le mur du fond coulisser, dévoilant une sorte d’immense hangar au sol ayant l’apparence herbeuse. L’animal le lâcha comme on lâchait une bombe en virant, et s’en retourna, le laissant prendre contact sans délicatesse avec la « prairie » ; c’était vraiment de l’herbe bien verte. Le mur avait repris sa place en coulissant.
Regardant autour de lui, le garde vit des constructions qui lui parurent familières. Il ne put approfondir son sentiment, une voix étrangement modulée s’éleva dans une langue inconnue. Ryan avait son traducteur réglementaire, mais l’appareil cafouilla lamentablement. Le soldat réfléchit un moment ; cette région de l’espace était un peu au-delà de la zone d’influence de la Ligue régulienne, chez laquelle la langue de communication était le régulien. Il régla donc son traducteur en priant qu’on le comprendrait.
« Et maintenant, est-ce que vous me comprenez ? »
Un long silence lui répondit. Il allait ouvrir la bouche, quand une voix curieuse résonna.
« Entrez dans le bâtiment sur votre droite. »
Ryan était passablement curieux, la planète était donc habitée, et par une civilisation plutôt avancée, suffisamment pour que le vaisseau n’eût pu détecter aucune signature énergétique. Mais pourquoi cet accueil hostile ? Le soldat entra dans le cube d’un blanc immaculé, et se retrouva dans une salle claire à la décoration d’un dépouillement raffiné. Il fit face à un mur transparent comme du verre, au-delà duquel il vit une autre pièce encombrée d’appareils sophistiqués et divers. Affalé sur une sorte de grand canapé, une créature le toisait.
Ryan suffoqua de surprise, il était devant un Régulien, un représentant de la race dominante de la Ligue. La créature était peut-être un peu bizarre, par rapport aux individus que le soldat avait vus. Les Réguliens de souche étaient des êtres segmentés, la tête était triangulaire comme celle d’une mante religieuse, le cou était fin mais solide, le thorax était puissant et était relié à l’abdomen par une taille fine ; les six membres étaient trompeusement grêles, mais des muscles d’acier les actionnaient. Leur longévité avoisinait les cinq siècles. L’être qui était devant Ryan avait un thorax légèrement atrophié, et son abdomen était énorme ; c’était peut-être de l’obésité chez eux. Mais il était indéniablement un Régulien. Celui-ci attaqua :
« Où se trouve votre escadre ? »
Ryan eut un moment de flottement. Quelle escadre, bon Dieu !
« Mais nous ne sommes pas venus pour attaquer, nous ne sommes qu’une expédition tout à fait pacifique de prospection.
— Ne mens pas, vous êtes revenus pour envahir la Ligue. »
Il y avait onze-mille ans que la dernière attaque des humains avait été repoussée. L’interrogatoire de quelques prisonniers avait révélé qu’ils se nommaient les Atlantes. À cette époque, leur technologie était équivalente à celle de la Ligue, mais ces envahisseurs avaient pu être boutés dehors du fait de leur infériorité numérique. La Ligue avait alors décidé de mieux surveiller ses frontières. Des postes avancés avaient été installés. Compte tenu de l’étendue de sa sphère d’influence, certaines planètes n’abritaient qu’un seul guetteur dont l’abri était doté d’appareils à la pointe de la technologie. Bien évidemment, la sélection était drastique, l’équilibre psychologique était primordial. La relève se faisait alors tous les siècles.
Le guetteur de cette planète était en place depuis quatre-vingt-quinze ans. Il lui restait cinq ans à tirer. Par discrétion, il ne devait émettre — un message condensé en juste quelques fractions de secondes— qu’en cas de menace avérée. La sentinelle avait vu passer les décennies sans aucun incident. Dans les premiers temps, le Régulien sortait pour effectuer les exercices du parfait soldat : course d’endurance, tir à la cible… Mais au cours des années, l’atmosphère de la planète le déprima et la flemme s’installa, au point qu’il ne sortit plus du poste. Il finit par s’atrophier et devenir obèse. Naguère consciencieux, il s’en remit entièrement aux appareils de surveillance et se complut dans le visionnage des belles vidéos 3D des paysages de sa patrie, ce qui lui prenait la majorité de son temps lucide.
Il était absorbé par la contemplation béate d’un site particulièrement renommé, quand le vaisseau des humains était arrivé. Plongé dans son rêve éveillé, il ne fit pas attention au discret signal d’alerte, et les machines durent donc prendre l’initiative, selon leur programmation. Ils bloquèrent leur émetteur et immobilisèrent leur vaisseau en neutralisant son moteur. Envoyée en éclaireuse, la sorte de libellule envoya des images des intrus. Conditionnés pour détecter les porteurs d’arme, les drones — que les humains prirent pour des frelons — attaquèrent.
Ce ne fut qu’à la fin de sa vidéo que le Régulien sortit de sa béatitude et prit conscience des évènements. Il reprit la main. Avant de rendre compte, il devait effectuer des investigations. Il fit ainsi enlever un intrus pour l’interroger.
Le soldat Ryan comprit alors l’étrange situation. L’Administration avait oublié cette sentinelle. Le cas était très rare, mais pas impossible. Le guetteur n’avait pas de vaisseau à sa disposition, il ne pouvait qu’attendre que l’on se souvînt de lui. Il était vrai qu’il vivait dans un vrai cocon, avec tout le confort voulu, et il pouvait supporter sans peine sa solitude forcée. Il était aussi conditionné à tout sacrifier pour sa patrie.
« Mais arrêtez, quoi ! Vous retardez, votre Ligue et nous avons signé un traité de paix et des accords commerciaux, il y a quinze ans. On a dû certainement oublier de vous mettre au courant.
— Comme c’est plausible ! Tu essaies de m’emberlificoter, nous savons que votre race est arrogante, prétentieuse et surtout belliqueuse.
— Mais c’était il y a plus d’une dizaine de millénaires, et de toute façon, les Atlantes ont été pratiquement anéantis. Si vous ne me croyez pas, passez-moi au détecteur de mensonge, je sais que vous en possédez un.
— Tu oserais risquer ton équilibre mental ? Tu es, soit courageux, soit débile.
— Courageux, peut-être ; débile, je ne crois pas. Je ne crains rien si je dis la vérité, non ?... Non ?
— C’est vrai, mon appareil a été mis à jour il y a trente ans, tu n’auras pas de séquelle… si tu dis la vérité… Assieds-toi. »
C’était incroyable, on avait oublié de le mettre au courant. Et compte tenu du nombre de sentinelles aux frontières, il était fort possible que d’autres guetteurs ignoraient aussi la situation actuelle. Ces humains étaient différents des Atlantes arrogants, ils étaient dynamiques et un peu turbulents bien sûr, mais ils étaient aussi plus sages et pacifiques… du moins ceux qui allaient dans l’espace.
« Je suis confus, je ne savais pas. Je ne me serais jamais douté d’une approche de mon côté ; j’étais peinard, comme vous dites, sur cette planète. Tu comprends que je suis un peu perturbé, je m’étais un peu relâché et m’étais entièrement reposé sur les automates. Évidemment, ils ne réfléchissent pas et suivent aveuglement leur programmation. Je n’ai pu intervenir que trop tard, j’aurais pris les décisions appropriées sans pertes humaines.
— Je mentirais si je disais que je ne vous en veux pas. Toutefois, il faut être rationnel, c’est votre administration qui est la fautive pour avoir négligé la vérification de l’effectif des sentinelles. C’est donc à Régulus que nous demanderons des comptes.
— Tu as raison. J’aurais aussi des comptes à régler : par sa faute, j’ai la mort de créatures pensantes sur la conscience, quand bien même ce seraient les drones qui les ont tuées. »
Les humains poussèrent un grand soupir de soulagement quand ils virent le soldat Ryan revenir sain et sauf. Le commandant accueillit la sentinelle, peut-être pas de bonne grâce, mais avec une courtoisie toute formelle. Le Régulien put accéder à l’émetteur enfin débloqué et on l’entendit fulminer dans le micro contre quelque fonctionnaire de la Ligue. Le commandant consentit volontiers à le prendre comme passager — avec ses cliques et ses claques — à destination de Régulus IV, car l’Administration régulienne devait aussi répondre de sa négligence, présenter ses excuses à l’ambassade terrienne et indemniser les familles des gardes (qui n’étaient même pas tombés sur le champ d’honneur) morts bêtement.
Fin
RAHAR
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Commentaires
et voilà je me suis fait avoir, la sauterelle n'était pas la sentinelle ... c'est ça le talent !
bises à tous
Coucou amies Jill et Josette, je suis bien d'accord avec vous ! L'art du suspense, des pistes possibles, à nous de tenter de discerner laquelle est la bonne, ficelles du roman policier aussi ! Ravie de vous retrouver ici et j'ai un peu "surveillé" le compteur de lecteurs dans la colonne de gauche, même muets, les lecteurs sont passés, déjà environ une cinquantaine ...
Même si Rahar m'avait prévenue que c'était un peu "gore", je me suis enthousiasmée à la lecture avant même de poster ces deux parties. Oui, les soldats sont morts bêtement, mais toute "guerre" n'est-elle pas cruellement "bête" pour les combattants au feu ? Et la sentinelle, délaissée par les siens et sa hiérarchie, n'était pas au courant que la guerre était finie ... Gros bisous à vous, et à maître Rahar !
Toute guerre est cruelle, c'est vrai. Il reste de la paperasse administrative à faire et Ryan est revenu. Tout va mieux.
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Merci Rahar... Vous maîtrisez le genre, à savoir la sicence-fiction.... bien amicalement, jill