• FARCE MORTELLE - RAHAR

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Mack Habre était un étudiant en médecine. À le voir, on aurait plutôt l’impression d’être devant un ado bien loin de la maturité, et que ce n’était qu’un sale galopin à l’affût de quelque niche à faire subir aux autres. Ses blagues fréquemment d’un goût douteux ne font souvent rire que lui et quelques abrutis de son acabit. Beaucoup se plaisaient à dire que son succès dans ses études n’excusait aucunement son comportement à la limite de l’infantilisme et doutaient fort de sa maturité après son doctorat. Il arrivait souvent que ce garnement entraînât quelques carabins aussi givrés que lui à des tournées de bringue déments. Le jeune organisme de Mack supportait plutôt bien en tout cas ces beuveries… pour le moment. Ses études n’en pâtissaient apparemment pas, et on pouvait concéder, même du bout des lèvres, que le jeune homme était doué. Mais était-ce inconscience ou machiavélisme, les soûleries n’étaient absolument pas bénéfiques aux études de certains de ses compagnons qu’il avait entraînés à sa suite.

    Un réducteur de tête qui se serait penché sur le cas de Mack pourrait peut-être trouver la cause de son comportement apparemment aberrant. Quand il avait quatorze ans, alors qu’il était en train de chaparder des pêches sur un arbre, il avait fait une mauvaise chute. On l’avait cru mort, son cœur ne battait pas, on ne sentait pas sa respiration. Mais arrivé à l’hôpital, quelle ne fut la surprise du médecin en constatant que les yeux du pauvre garçon bougeaient. Ce fut un cas absolument unique de catalepsie. On constata alors l’infime déplacement d’une vertèbre cervicale ; il fut corrigé, et Mack dut porter une minerve pendant quelque temps. À dix-sept ans, le garçon fit encore une chute de skate. Ce fut à la morgue qu’on se rendit compte qu’il était toujours vivant : il avait pu alerter le gardien par un claquement de langue ténu. Le médecin lui avait donc conseillé de porter une carte spécifiant les caractéristiques insolites de son état, pour éviter qu’on le considérât comme mort, au cours de quelque accident, sa vertèbre avait été fragilisée.

    On pouvait dater le début de son caractère facétieux souvent exaspérant à cette époque. On pouvait supposer qu’il voulait compenser la menace comme une épée de Damoclès que constituait sa vertèbre fragile, par une malice provocatrice ; une autre explication serait les séquelles d’un traumatisme cérébral. Les médecins n’arrivaient pas à se mettre d’accord.

     

    Ce vendredi-là, au cours d’une soirée bien arrosée, Mack eut une de ses idées farfelues de farce. Sa cible serait Dexter, le vieux gardien de la morgue. Il fut un temps où les carabins se plaignaient de l’attitude désagréable du vieux ronchon, comme s’il était propriétaire des lieux et des macchabées.

    Mack réussit donc à persuader ses trois compagnons du moment à jouer un tour au vieux Dexter. Ils retournèrent à l’école de médecine, crochetèrent la porte de la pharmacie et préparèrent une composition inspirée d’une recette vaudou éprouvée. Le produit serait ingéré par Mack. Il fallait rendre justice au jeune homme, il n’hésitait pas à donner de sa personne pour le succès de ses farces. Certains pourraient qualifier cela de courage, d’autres d’inconscience.

    Le vieux Dexter vit donc arriver trois jeunes gens apparemment affolés, amenant visiblement un cadavre. Les explications des garçons étaient passablement confuses, à moins que la comprenette du vieux gardien eût décliné. Il retint seulement que le mort avait eu une attaque, que sa famille était au loin et n’arriverait que le lendemain. Il s’attela nonchalamment à la paperasse et avertit le légiste par téléphone. Celui-ci lui répondit qu’il ne passerait que le lundi.

    Suivant les calculs, Mack se réveilla dans la nuit du lendemain. La préparation avait presque suspendu sa respiration et fortement ralenti les battements de son cœur à à peine trois battements par minute. Ses compagnons avaient crocheté la serrure de la morgue après le départ du gardien. Ce fut en rigolant que Mack quitta le département.

    Le lundi, les étudiants eurent l’écho du mini scandale qui s’était passé à la morgue. On entendit les éclats de voix du légiste passant un sacré savon au pauvre gardien, trouvant sa farce d’un mauvais goût. Il fut même soupçonné d’avoir biberonné sur son lieu de travail.

    Mack jubilait et sa blague fit le tour du campus. Toutefois, quelques étudiants eurent de la sympathie pour le pauvre Dexter et trouvèrent que Mack y était allé un peu fort. D’un autre côté, le vieux gardien était devenu plus affable, espérant ainsi prévenir une autre farce à ses dépens. Sans entièrement approuver ce qu’avait manigancé le facétieux Mack, les étudiants avaient concédé qu’à quelque chose malheur était bon.

     

    Quelques semaines après, Mack fut invité par un de ses amis qui venait de recevoir une voiture (d’occasion, mais quand même !) de ses parents. Ils allaient l’étrenner sur l’autoroute et voir ce dont le véhicule avait dans le ventre. Par un élan de générosité, le jeune homme se proposa de prendre en charge la bière, ce qui allécha deux autres de ses amis dont l’un avait une auto et se proposait de les suivre : plus on était de fou…

    L’accident fut tout bête : du sable sur la chaussée dans un tournant. La voiture dérapa et alla percuter un arbre. Mack était à la place du mort. Le choc avait été relativement violent, mais les airbags avaient fait leur travail. Le conducteur s’en était sorti avec quelques contusions, mais Mack était évanoui. En l’auscultant, ses trois compagnons effarés constatèrent qu’il avait cessé de vivre. Toute tentative de réanimation avait été vaine. Le cœur lourd, ils décidèrent d’essayer un dernier recours : rejoindre au plus vite l’hôpital. Le conducteur de la voiture accidentée dut rester pour attendre la dépanneuse. À l’hôpital les médecins ne purent rien faire, le jeune homme était bien mort, et il fut dirigé vers la morgue.

    Le vieux Dexter ne jubila pas, il était au-dessus de ça. Il avait pardonné à Mack sa farce, même s’il n’avait pas oublié. Cette fois-ci, il était sûr que ce n’était pas une blague, des médecins respectables et sérieux avaient certifié la mort. Le vieux gardien s’occupa donc consciencieusement de la paperasse.

    Alors qu’il écrivait, un petit bruit l’interrompit. C’était comme un léger claquement de langue. Il se retourna. De nouveau un léger claquement. Intrigué, il s’approcha du corps de Mack et souleva le drap blanc. Ses cheveux se dressèrent : les yeux légèrement entrouverts bougeaient. Les lèvres s’écartèrent de quelques millimètres et le vieux Dexter distingua un murmure presque imperceptible. Il se pencha pour écouter.

    « Dexter, je suis vivant ! »

    Mack était enfin sorti de son évanouissement, mais le choc avait encore fait se déplacer sa vertèbre fragile. Son état de catalepsie apparente nécessitait l’intervention d’un chiropraticien.

    « Voyons monsieur Mack, ce n’est pas gentil de faire des farces à un vieux bonhomme comme moi. Voyez-vous, je suis à un mois de la retraite. Le médecin m’a bien averti qu’il ne tolèrerait pas un autre incident comme l’autre fois. Il me virerait et alors adieu la pension pleine, et vous savez qu’elle me permettrait à peine de vivre décemment. Allons, soyez sage et tenez-vous tranquille. »

    Le vieux Dexter rabattit le drap et alla reprendre tranquillement ses occupations. Par un malheureux concours de circonstance, Mack avait oublié la carte qui exposait son état.

     

    Fin !

    RAHAЯ

     


  • Commentaires

    1
    Lundi 27 Juillet 2015 à 09:51

    Un "ami" qui vous donnerait des frissons... je vous le laisse, mais merci Rahar !

    2
    victoria
    Lundi 27 Juillet 2015 à 10:14

    Mais quelle horreur la chute de l'histoire, Rahounet ! Le pauvre jeune homme malgré ses facéties ne méritait pas cela. Là, tu es dur !

    3
    Lundi 27 Juillet 2015 à 10:37

    Ben, c'est à classer dans la catégorie "Horreur" ! Après tout, beaucoup de fans pour des films du genre Massacre à la tronçonneuse ! Puis, si on n'accepte pas la fin, on peut toujours prolonger l'histoire dans son propre imaginaire et tirer Mack Habre de là ! 

    bad  wink2

    Bizzz, Jill, Victoria et Rahar !

    4
    Lundi 27 Juillet 2015 à 11:03

    Une histoire terrifiante mais passionnante. Bravo.

    Bon début de semaine. ZAZA

    5
    Rahar
    Lundi 27 Juillet 2015 à 12:05
    Cf la citation de Lena dans son intro. Faut pas s'habituer à des happy end avec moi... Je suis peut-être un psychopate qui s'ignore (gnarf!)
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    6
    Lundi 27 Juillet 2015 à 14:08

    L'histoire de Pierre et le Loup revisitée... :) Bravo Rahar, très jolie histoire à donner des frissons, digne de Lovecraft...!

    7
    Lundi 27 Juillet 2015 à 14:09
    Josette

    de toute façon c'était sauver ses futurs patients d'une thérapie incertaine ! 

    je rajoute une couche de noir rien que pour le "psychopathe qui s'ignore"

    8
    Lundi 27 Juillet 2015 à 15:54
    renee

    pas trop la tête a lire beaucoup mais, je voulais au moins faire un coucou. Bises

    9
    Lundi 27 Juillet 2015 à 16:45
    et toc!dans sa face!
    j'adore!
    il y a une fin morale:le futur retraité jouira de sa retraite, certes maigre mais z'enfin!!!!!
    de toute façon,c'est pas bien d e faire le malin quand on veut être médecin....
    10
    Di
    Lundi 27 Juillet 2015 à 16:47

    Le titre va bien à cette histoire. La farce se retourne contre le jocker.

    11
    Samedi 1er Août 2015 à 18:51
    colettedc
    Oui, intriguant, et on veut lire jusqu'au bout ! Bonne soirée ! Bisous♥
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