J’ai ainsi appris que les Black Bones sont sur le point de se restructurer et un plan d’extension, qui n’est plus du domaine de la rumeur, est en train d’être élaboré. Comme je le craignais, tout ce remue-ménage a commencé juste après que Jean était entré dans le gang. Je vois　; est-ce de la cupidité　? un désir de fortune rapide　? Pourtant, les Menfou vivent plutôt bien, la mère ayant un revenu plus que décent, le fils n’a pas besoin de travailler pour payer ses études et il a d’ailleurs une bourse qu’il mérite bien.  Avec ses compétences, Jean peut espérer un emploi très gratifiant, après ses études.

 

Je comprends maintenant la colère des autres gangs qui sont venus à la même conclusion que moi. Il est de notoriété publique que le gang des Black Bones n’a pas de lumières ; l’entrée de Jean dans le jeu va entraîner un chamboulement inacceptable dans le milieu maffieux attaché à ses traditions (ça marche assez pour qu’on n’y change rien), ce qui amènerait aussi, entre parenthèses, un impact négatif sur la société, ne serait-ce que par les dommages collatéraux. Quelles que soient ses motivations, ce gamin représente un danger, et Klotz ne peut avoir de scrupules à valider le contrat.

 

Ce n’est pas souvent que la police fait une incursion dans notre résidence. Quoiqu’en civil, les deux types affichent  "keufs" à cent mètres. Ils se sont dirigés chez les Menfou　; certains résidents suspendent ce qu’ils font, d’autres écartent leurs rideaux pour mieux voir, le reste se chuchote comme des conspirateurs. Un cri déchirant suivi de sanglots bruyants fait sursauter ceux qui sont près.

 

– Toutes nos condoléances, Josette. C’est vraiment triste et injuste ce qui est arrivé à Jean. On l’estimait vraiment beaucoup.

– Merci Yvonne. C’est vraiment injuste, oui. Jean avait à peine 22 ans, il avait un avenir brillant devant lui, et c’était un bon fils.

– La police n’a pas trouvé les agresseurs　?

– Non, Georges. Les voyous qui l’ont détroussé et tué courent toujours. Les policiers ne sont que des incapables. La police ne protège pas les honnêtes gens. Que vais-je devenir maintenant toute seule　?

 

Devant cette douleur de mère, je ne peux décemment pas révéler la nature réelle de Jean, qui a failli devenir un parrain maffieux. Je ne peux pas non plus lui remettre ses affaires, que les "voyous" ont pris, puisqu’elles sont au fond des rapides.

 

– Yvonne, l’enterrement se fera juste à Noël.

– Oui, je le sais. À quoi pense-tu, Georges　?

– Les Menfou n’ont plus de famille. Josette sera seule à enterrer son fils. Les gens seront occupés à préparer leur fête.

– Elle ne sera pas seule, Georges. J’allais moi-même te proposer qu’on y aille, et au diable les préparatifs de Noël, on n’est pas à quelques heures près. Quoiqu’il en soit, tu as pris la bonne décision.

 

Mais qu’entend-elle donc par là ? quelle bonne décision ? En fait, nous n’avons pas été seuls, la majorité, sinon tous les résidents sont venus, certains juste au moment où l’on descendait le cercueil. Yvonne a invité la pauvre Josette à passer Noël avec nous. Je n’ai rien dit, ce n'est pas de sa faute si son fils a mal tourné. Jean avait dit que quelqu’un qui passait Noël tout seul n’avait personne qui l’aimait. Mais nous avons été pris de vitesse : des couples âgés de rentiers s'étaient déjà arrangés pour organiser les fêtes chez l'un et y inviter Josette. Elle n'est pas seule.

 

 Fin

 

 

Rahar