• Une enquête du commissaire Rizzoli - Chapitre 10 - Denis Costa

    Denis Costa - Photo 15

     

     

     

    Rizzoli, qui d'habitude, ne laisse rien au hasard de peur de sombrer dans l'inconnu, se permit, ce matin-là, une entorse à ses principes: il entra dans un bar et s'offrit deux billets de gratta e vinci, pour braver le sort. Vingt euro étaient le prix à payer pour se voir confirmer qu'il avait très peu de chance aux jeux de hasard, et aux jeux de façon générale. Les probabilités de perdre étant bien plus importantes que celles de gagner, il s'en voulut d'avoir dilapidé une somme correspondant à un tiers de plein d'essence, voire un quart au mieux, lorsque les fluctuations du cours du pétrole lui étaient favorables. Il rajouta néanmoins quelques pièces sur le comptoir pour pouvoir déguster l'excellent espresso du bar caffè Diana, de la via Garibaldi. Un petit plaisir que l'officier de police s'offrait parfois. Le temps s'était rafraîchi, et le vent d'Est qui s'était levé, l'avait contraint à ressortir le petit gilet. Un printemps, décidément bien capricieux, se dit-il, tout en observant la dextérité des barmen occupés à manipuler les percolateurs. Le commissaire appréciait ces moments tout à fait ordinaires de la vie courante, où il s'extasiait comme un enfant, sur ce que d'aucuns auraient  jugé d'une grande banalité. Les mouvements véloces et synchronisés des serveurs autour du perco, dans cette délicate ambiance d'arôme caramélisé, le rendaient simplement, authentiquement heureux. C'était l'un des aspects de la dolce vita italienne qu'il préférait... même si quelques instants auparavant, il avait été accueilli dans ce bar par un Grüss Gott guttural, auquel il avait répondu par le très latin salve. Un bref échange qui permit à chacun de faire connaître à l'autre sa communauté d'appartenance...
     
    La presse, étalée sur l'une des tables voisines, mêlait titres allemands et italiens. Hormis les quotidiens sportifs, tous étaient régionaux, et ils n'avaient rien trouvé de plus croustillant pour allécher le lecteur, que d'étaler à la une, les portraits de l'un, voire des deux adolescents, réunis dans un même malheur. En temps normal, pas une colonne n'incitait Rizzoli à lire l'article complet, mais cette fois-ci, il parcourut, paragraphe après paragraphe, ligne après ligne, jusqu'au point final de chacun, le progressiste Neue Südtiroler Tageszeitung, qu'il appelait plus simplement Taz, comme tout le monde ici, ainsi que Dolomiten et l'italophone Alto Adige.
    Le ton avait changé. Si le très catholique journal conservateur défendait toujours l'honneur de l'adolescente sud-tyrolienne, en attisant comme il savait le faire, la confrontation ethnique, les deux autres délaissèrent pour un temps les conjectures sur le jeune Matteo, pour pointer du doigt, l'enlisement de l'enquête et le manque de transparence des forces de l'ordre. Le commissaire trouva les deux reproches bien injustes. Nous étions aujourd'hui vendredi, six jours seulement après l'homicide, et si les pistes semblaient brouillées, le retour de Turin de la légiste, pouvait possiblement modifier la face des choses. Quant à la transparence vis à vis des médias... les journalistes devraient se satisfaire de la relative bienveillance de Walshofer, car la rentrée annoncée pour lundi, du questeur Alessandro De Stefani risquerait bien de leur changer la donne... Le questeur n'était pas réputé pour être un grand communicant, et il manifesterait à l'égard des médias, une bien moindre mansuétude que son adjoint... J'en mettrais ma tête à couper! sourit Rizzoli.

    A son arrivée à la questura, le commissaire traînassa. Tout en restant collé à son fauteuil de bureau, qu'il fit pivoter de gauche à droite et d'avant en arrière, il déplaça nerveusement les papiers qui encombraient son plan de travail, sans aucune intention de les étudier. Sa seule pensée allait à son affaire qui le rongeait peu à peu, lui ôtant tout libre arbitre. Une seule question le taraudait: si ce n'était Matteo, qui était l'assassin de la petite Lisa?  A cette question lancinante, s'en rajoutaient bien d'autres: sur qui enquêter désormais, par quoi commencer, vers quelle direction faire évoluer les investigations et sur quelles bases?
     
    Seul élément tangible, le retour à Bolzano de la médecin Gruber, qu'il ne contactera qu'en fin de matinée, pour lui permettre de reprendre pied, après sa brève escapade pour cause de symposium.

    Rizzoli décrocha son téléphone qui sonnait depuis quelques secondes. Il identifia sur l'écran, le numéro d'un bureau voisin, celui que Farina partageait avec son collègue Gasser.

    - Salut Farina! tu es bien matinal aujourd'hui?

    - Bonjour commissaire! C'est l'hôpital qui se fout de la charité, ou quoi? il me semble qu'il est huit heures, largement passés... et dire que ce sont les septentrionaux de ton espèce qui nous traitent nous, les fonctionnaires méridionaux, de fannulloni... Ça fait déjà plusieurs fois que j'essaie de te joindre... J'ai jeté un coup d'œil sur le rapport que nous a remis les deux banques créditrices des Degasperi.

    - Apporte, Salvatore, apporte!

    Il ne fallut que quelques secondes, pour que l'inspecteur-chef Farina ne frappe à la porte du bureau de Rizzoli, qui s'ouvrit sans que celui-ci n'ait eu besoin de prononcer une seule parole. Farina s'approcha du commissaire, et tapota du doigt le verre de sa montre, comme pour l'inciter à adopter au plus tôt, la vitesse de croisière.

    - Le garçon avait vu juste, Guido! Ses parents connaissent de sérieuses difficultés pour rembourser leurs prêts. Tiens, regarde cette banque... elle leur a même proposé un rééchelonnement de la dette. C'est plus qu'une incitation, d'ailleurs, si tu lis bien ce courrier...

    - Le gamin n'est pas un menteur, ou plutôt si... mais quand il ment, c'est par omission.

    - Oui, et il nous fait perdre du temps avec ses cachotteries, que l'on parvient toujours à découvrir, d'ailleurs... On est flics, tout de même!... T'en penses quoi, Guido? … Matteo avait réellement l'intention de proposer aux enchères sur eBay, les cadeaux de ces dames, pour remettre ensuite la somme récoltée à ses parents?

    - Tu en doutais, Salvatore?... A toi, je peux bien le confier, je n'ai jamais vraiment cru en sa culpabilité, même si ce n'était qu'une intime conviction, fondée sur rien d'autre que l'instinct d'un père... Matteo est un gamin, à bien des égards irresponsable, rebelle, coureur de jupons et bien trop désinvolte avec les femmes, j'en conviens... mais il a un bon fond. 

    - Alors sûr que l'on ne possède pas le même instinct paternel, s'amusa l'inspecteur, car moi, je me méfie toujours de ce garçon...

    - Oui, je sais, comme le lait qui bouille dans sa casserole...

    Farina émit un léger sourire, mais il ne s'attarda pas sur ce bon mot qui avait fait le tour du service, et il enchaîna pressé:

    - Au fait, Guido, il y a dans le couloir un prêtre qui désire te voir...

    - Un prêtre pour moi, t'es sûr?

    - Ben oui, c'est clair, il était déjà assis dans le couloir lorsque que j'ai pris le service... Je l'ai croisé deux fois chez les Innerhofer, mais c'est uniquement avec toi qu'il souhaite s'entretenir, et il s'impatiente...

    Le commissaire sembla interloqué.

    - Tu as déjà croisé ce prélat chez les Innerhofer, et tu ne m'en as rien dit?

    - Écoute Guido, ne me refais pas le coup de l'alzheimer. Je t'en ai parlé l'autre matin, avant que tu n'entames ton brain... quelque chose... répondit Farina, irrité.

    Le commissaire s'emporta, comme souvent lorsqu'il faisait preuve d'une mauvaise foi évidente.

    - Qu'est-ce que c'est que ce bordel! Rien de tout cela n'est précisé sur mon carnet à spirales, je peux te l'assurer. Regarde toi-même! fit-il, en survolant hâtivement les multiples feuillets du carnet, annoté Innerhofer trois. Et comment, il s'appelle ton prêtre?

    - Moser, don Roberto Moser.

    ***

    Gratta e vinci: « gratte et gagne » est un jeu de hasard, dont les gains dépendent du nombre de numéros trouvés.
    Dolce vita: la douceur de vivre.
    Grüss Gott: interjection signifiant « salut ou bonjour! », surtout utilisée dans le sud de l'Allemagne, en Autriche et par la communauté germanique du Haut-Adige.
    Salve: interjection latine qui se prononce « salvé », signifiant « salut ou bonjour! ».
    Fannulloni: fainéants. Terme communément attribué aux fonctionnaires du service public, dont beaucoup proviennent du Mezzogiorno (sud de l'Italie).

     

    ***

     

    Denis Costa,

    Texte et photo

     


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  • Commentaires

    1
    Lundi 27 Juin 2011 à 21:44
    Monelle

    Et voilà ! je reste sur ma faim ! qu'est-ce que ce curé a de si important à dire ?? Denis... les châpitres, il faut les faire plus longs  !! Et cest moi qui demande ça alors, "qu'en principe" je n'aime pas trop quand c'est long !!! Tu connais l'expression Léna " il n'y a que les imb.... qui ne changent pas d'avis !!! "

    Je t'embrasse très fort et te souhaite une bonne nuit

    2
    Lundi 27 Juin 2011 à 23:36
    Lenaïg Boudig

    Bonsoir Monelle, bonsoir Denis. C'est que, Monelle, c'est difficile de contenter tout le monde. Toi, je sais bien qu'un chapitre plus long ne te ferait pas peur, d'autres seraient rebutés par la longueur. Mona, par exemple, a demandé des chapitres courts !

     

    Moi, j'aime bien sous cette forme-là, comme les feuilletons qui paraissaient tous les jours dans les quotidiens, on avait toujours juste un peu à la fois (Les Misérables de Victor Hugo sont d'abord sortis en feuilleton comme ça, d'ailleurs !).

     

    On vit heure par heure avec le commissaire, ses hommes et sa famille et voilà qu'on a un nouveau personnage à se mettre sous la dent, il ne nous reste plus qu'à faire des suppositions avant de connaître la suite !

    Bonne nuit, Monelle vet Denis, bises.

     

     

     

    3
    Mardi 28 Juin 2011 à 03:03
    jill-bill.over-blog.

    Bonjour Lena, bonjoru Denos, tu dis vrai, on vit heure par heure avec la commissaire et sa bande... Un prête....  Une confession à faire ?  Qu'a t'il vu ou pire fait ?  La suite au prochain épisode...  Nuit très chaude ici, je m'aère un peu !  Bisous  Jill 

    4
    Mercredi 29 Juin 2011 à 22:25
    Marie Louve

    Je trouve que l'inspecteur Guido ressemble par ses manières à quelqu'un que je connais un peu ! Aucune importance, il a l'air de prendre plaisir aux petits plaisirs de la vie. tant mieux. Et voilà donc monsieur le curé qui entre en scène ! Il ne va pas trahir le secret de la confession quand `^eme ! Ça, non, j'en suis certaine. Mais il doit avoir vu quelque chose, en lisant ses prières au bord de la chapelle, le jour du meurtre. Je cours à la suite. :-))

    5
    Denis
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:43
    Denis

    Un grand bonjour à mes fidèles lecteurs! comme le précise notre rédactrice en chef, il est difficile de contenter tout le monde... Une chose est sûre, les chapitres proposés ne sont pas d'égale longueur, tout dépend de l'évolution des évènements, et il va sans dire que le fil de ma plume s'interrompt aussi, faute de carburant... Le prochain épisode sera plus long, il marquera également un tournant dans cette histoire, avec des développements lointains, tirés d'une histoire tout à fait authentique... suspens! Bises à tous.

    6
    Mona de plumes au v
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:43
    Mona  de plumes au v

    Oh tu sais Lena, c'est juste que j'ai du mal à lire longtemps sur écran... mais si le texte est long rien ne m'empêche d'en lire une partie , et revenir finir plus tard... :))Quand je commence une histoire en général je la finis! là je file à l'épisode suivant car le nouveau personnage m'intrigue....

    7
    Mona de plumes au v
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:43
    Mona  de plumes au v

    J'aime bien le lexique!

    8
    Mona de plumes au v
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:43
    Mona  de plumes au v

    Dîtes donc, les imbéciles restent sur leurs positions???? Toujours? Si un imbécile dit un truc intelligent du style "A bas le racisme!" et continue à le dire mordicus, n'en démord il est quoi?

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