• Une enquête du commissaire Rizzoli - Chapitre 1 (début) - Denis Costa

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    Ils avaient prévu un beau temps, sec et exceptionnellement ensoleillé, pour ce dimanche matin de début mai.

    Matteo avait invité Lisa à le retrouver après la messe de 10 heures, devant la pension Rosslwirt, qui se situait à mi-chemin entre Lana di sopra, où il habitait avec ses parents, les Degasperi qui tenaient l'auberge-pizzéria al forno, et Lana di sotto, où résidait la famille Innerhofer, agriculteurs depuis plusieurs générations. Si les Degasperi occupaient un petit appartement dans un immeuble ordinaire, via Palade, tout au nord de la petite ville, les Innerhofer résidaient dans une propriété cossue au toit pentu, immergée dans un verger aux démarcations imprécises. Les pommes constituaient en effet la principale source de revenus de cette famille d'agriculteurs, à l'égal de la plupart des exploitants de la région, qui déversaient leurs succulents fruits à l'usine Zuegg de la ville, principal producteur de confitures et de jus de fruit du Tyrol du sud.

     

    Les deux jeunes gens se rejoignirent à l'endroit convenu. Ils se sourirent et s'accordèrent un baiser furtif sur les lèvres, avant d'enfourcher leurs vélos, pour une promenade qui devait les mener au bout d'un chemin de terre, sur le tapis herbeux de l'un de ces innombrables vergers qui s'étendent à perte de vue, où ils pourraient faire l'amour, paisiblement, en toute discrétion, sans crainte d'être dérangés.

     

     

    ***

     

    Matteo n'avait pas dix-sept ans, lorsqu'il rencontra Lisa pour la première fois, et à peine plus lorsque les deux adolescents se fréquentèrent, de manière suffisamment assidue en tout cas, pour que la famille Innerhofer intervienne dans cette relation qu'elle désapprouvait. Les parents mirent en garde leur fille unique contre ce jeune homme, bien connu dans la petite ville de Lana, comme un coureur de jupon patenté.

    Il faut dire que Matteo Degasperi était un beau gosse. Pas très grand de taille, mais de corpulence robuste, il arborait depuis ses quinze ans, un léger collier de poils roux, taillés en bataille, qui le faisait paraître plus mature que son âge. Son abondante chevelure aux boucles châtain présentait des reflets auburn tout à fait naturels, que les filles du lycée de Merano ne se lassaient pas d'ébouriffer pendant les intercours, en plaisantant, la clope au bec, et en braillant des niaiseries insupportables. Mais le lycéen n'en avait cure; il semblait plutôt flatté par tant d'égard, et de toute façon, jusqu'à sa liaison amoureuse avec Lisa, les filles de son âge ne l'intéressaient pas plus que cela.

     

    C'était en effet dans les boîtes de nuit de Bolzano, la capitale de cette province alpine du nord-est de l'Italie, à moins de cinquante minutes de Lana, par le tortillard local, qu'il faisait son marché.

    Le samedi soir était son jour de sortie préféré. Le début du week-end correspondait également aux périodes de coups de feu particulièrement bienvenues pour les parents du garçon, qui les géraient avec bonne humeur, au seul service de la clientèle de passage, des gens du coin, mais aussi des touristes germaniques, omniprésents, quelque soit la saison.

    Après un dîner expédié à la va-vite, en compagnie de Leo, son petit frère de trois ans son cadet, un passage sous la douche, et un bon quart d'heure devant le miroir de la salle de bain, à fixer sa tignasse par des louches de gel, effetto bagnato fortissimo, Matteo enfourchait son scooter pour rejoindre la petite gare de Lana.

    En général le train arrivait à l'heure. Le Régional 20468 de 21 heures 55 lui faisait rejoindre la grande ville, plus excitante, mais surtout plus anonyme que son bled de Lana, à 22 heures 26 pétantes.

    L'adolescent y rejoignait quelques amis sur la piazza delle erbe toute proche, dans un bar du cœur de la vieille ville. Une amitié qu'il avait su entretenir tout à son profit, car elle lui permettait l'accès aux discothèques, bien qu'il fusse encore mineur. Après une dernière Radler, mélange subtil de bière et de limonade, le groupe d'amis écumait alors telle ou telle boîte de la ville.

     

    ***

     

    Bolzano, enserrée dans son écrin de vertes montagnes, protégée des invasions par une série de châteaux fortifiés, n'en demeurait pas moins une cité au caractère germanique affirmé. Un capoluogo assez chiuso, comme pourraient la définir les Italiens de l'intérieur, installés là depuis quelques générations seulement, alors que la province était tombée dans l'escarcelle du royaume d'Italie, au hasard des combats du premier conflit mondial et des traités de paix qui suivirent.

    Les discothèques dignes de ce nom, celles dont les jeunes raffolent, avec ses sunlights, sa dose de techno et de musique électro qui déchirent les oreilles et déchaînent les corps, n'étaient pas si nombreuses. On aurait pu même affirmer que cette ville ne faisait pas vraiment la part belle à sa jeunesse, lui offrant bien peu d'établissements dédiés aux plaisirs et aux loisirs, contre quelques euro en espèces sonnantes et trébuchantes.

     

    Malgré son jeune âge, Matteo savait parfaitement s'y prendre avec les femmes. Particulièrement avec celles qui, enfermées dans le célibat, voyaient poindre le cap de la trentaine avec une certaine angoisse, comme l'achèvement d'un cycle et l'avènement d'un autre, coïncidant avec l'altération présumée de leur féminité et un questionnement sur la suite à donner à leur vie.

    L'adolescent au summum de sa virilité, ou prétendant l'être, jouait de sa séduction et de sa jeunesse auprès de ces femmes là, laissant agir son sourire ravageur avec un certain exhibitionnisme, mêlé d'un besoin indicible de conquête.

    Matteo repartait rarement seul de la boîte de nuit. Il n'était plus en compagnie de ses amis, mais on le voyait déambuler à l'aube, dans les rues désertes, au bras de femmes, rarement la même, baignées de ses délicates attentions, comme celles que prête l'amoureux fou qui se dirait sans trop y croire: « cette fois-ci, c'est la bonne... »

    

    ***

     

    Tous ces détails sur le garçon, le commissaire Guido Rizzoli, de la police criminelle de Bolzano, les avaient consignés dans le carnet rouge qui ne le quittait jamais, un carnet à spirales tout simple, mais suffisamment épais, et opportunément dimensionné, pour qu'il puisse se glisser dans n'importe quelle poche de veston ou poche revolver de pantalon.

    Rizzoli préférait en effet, consulter ses propres notes manuscrites, aux procès-verbaux réglementaires tapés sur l'ordinateur. Il se disait que les caractères de son écriture, avec ses pleins et ses déliés, ses boucles, ses ratures et ses inclinaisons pluriels, reflétaient son humeur du moment et traduisaient d'une certaine façon ses convictions sur tel ou tel fait qui venait de lui être relaté, sur le terrain, comme lors des interrogatoires à la questura. Ses pattes de mouche lui étaient personnelles. Il les lisait et les relisait à longueur de journée, en les replaçant dans leur contexte, dans l'espoir d'accélérer l'enquête en cours et faire éclater plus rapidement la vérité.

    Seul son adjoint, l'inspecteur-chef Salvatore Farina, avait droit de les consulter au bureau, tandis que sa femme Alice, dont la perspicacité l'agaçait prodigieusement, en prenait note, dans le salon, lorsque le précieux carnet se trouvait posé sur la table basse, ou bien dans la cuisine, alors qu'elle plongeait dans l'eau bouillante, les fusilli ou les rigatoni du dîner. Sa femme aurait pu être une enquêtrice hors pair, un limier de premier choix, se disait Rizzoli. Mais pourquoi diantre, n'y a-t-il pas plus de femmes dans la police? se lamentait-il.

     

     

    - Dans l'affaire de la disparition de la petite Lisa, j'ai bien peur que la situation ne tourne à l'aigre. Ça risque de relancer un véritable conflit ethnique, dont la province se serait bien passée! lança Alice, en repassant une chemise de son mari.

     

     

    A suivre

       

    Denis Costa

       

    ***

     

     

    Note de Lenaïg :

     

    Voici une enquête policière qui commence ! Denis Costa est en train de l'écrire !  Elle se situe dans le haut Adige (encore désigné comme le Tyrol du Sud), une région que Denis connaît bien puisqu'il en est originaire.

    Denis me fait un immense plaisir en acceptant de poster sur ce blog ses chapitres en feuilleton !

     

    Denis Costa a déjà publié, entre autres : Haus Toller, pour lequel j'ai écrit un compte-rendu de lecture  "Haus Toller" de Denis Costa  

    et Marie-Louve en a fait tout autant Haus Toller - Les uns les autres vus par Marie-Louve  .

     

    "Une enquête du commissaire Rizzoli" n'est qu'un titre provisoire. Denis propose aux lecteurs, quand ils seront familiarisés avec les personnages et au fait de ce qui se passe, de l'aider à chercher un vrai titre, "Une enquête du commissaire Rizzoli" passant alors en sous-titre !

     

    Qui voudra participer à l'aventure ?

     

     

     

     

    Illustration :

    Bolzano www.europeantravelcheap.com


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  • Commentaires

    1
    Samedi 28 Mai 2011 à 19:19
    jill-bill.over-blog.

    Bonjour Lena, bonjour Denis...  Vous nous avez mis sur la piste d'une enquête policière....  La disparition de la jeune Lisa....  Matteo est-ci concerné ?  On aurait tendence à la croire... Mais ... la suite au prochain numéro !  Participer à la recherce d'un titre...  En fin de parcours qui sait.... Bises de jill, bonne soirée à vous.... 

    2
    Samedi 28 Mai 2011 à 20:13
    Marie-Louve

    On a assez de méandres dans ces montagnes pour y perdre la clé des champs parcourus sous les pas de Matteo pour arriver jusqu'à Lisa. Mais, voilà bien le secret des meilleurs polar... Semer le lecteur sur toutes les pistes :-)). Bravo Denis ! C'est un excellent départ. En imaginant Matteo selon tes descriptions, j'entendais Dalida chantant: " Il venait d'avoir dix-huit ans .. "

    Je reste en attente du prochain chapitre. Bisous.

    3
    Samedi 28 Mai 2011 à 20:47
    Lenaïg Boudig

    Ouf ! Merci, Denis, de m'avoir envoyé ton feu vert ! Oui, cela va devenir le feuilleton de l'été ! Matteo le séducteur est-il à l'origine de la disparition de Lisa ? Que s'est-il passé après leur départ à bicyclette ? Pour l'instant, c'est le commissaire Rizzoli et sa perspicace femme Alice que nous suivons ...

     

    4
    Denis
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:44
    Denis

    Merci encore Lenaïg pour le lourd mais excitant travail que tu fais sur ton blog, chapeau! Marie-Louve, décidément, me prend de cours... Elle entend Dalida chanter, et je fais référence plus tard à une chanson qu'elle a fredonné en duo avec Alain Delon, "paroles, paroles..." Mais en fait, dans mon récit, c'est de la chanteuse originale dont je parle, la grande Mina dans "parole, parole", en italien dans le texte... Bises à tous!

    5
    Mona de plumes au v
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:44
    Mona  de plumes au v

    J'ai lu avec beaucoup d'intérêt ce premier chapitre! Je sais j'ai du retard mais peu à peu le rattraperai! Au début les mots italiens m'ont déconcertée à cause de ce besoin de comprendre chaque mot... puis je me suis laissée entraîner et...  SI  j'aime bien...

    6
    Denis
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:44
    Denis

    Je te comprends parfaitement Mona, mais en introduisant du vocabulaire italien, j'ai voulu donner une ambiance au récit, l'ambiance que je vis tous les jours, puisque je suis installé dans les environs de Bolzano depuis plus d'un an, maintenant. Merci pour ton commentaire, ça m'enrichit et ça me fait plaisir en même temps!

    7
    Mona de plumes au v
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:44
    Mona  de plumes au v

    Merci Denis, d'avoir répondu aussi vite! C'est vrai que ça donne une atmosphère au récit! J'avais fait la même chose, sans y penser, en écrivant mon "Valandil" roman trop court à mon avis, mais qui fourmillait de mots celtiques, comme leprechauns, startijenn ou sporran... jusqu'au jour où quelqu'un m'a demandé de faire un lexique. Alors j'ai traduit ou expliqué les mots en bas de page. Bien sûr ici c'est différent car avec le français, l'espagnol et des souvenirs de latin on devrait se débrouiller à peu près avec l' italien.. pourtant de temps en en temps ce serait bien, mais c'est toi qui décides bien sûr!

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