• Poèmes choisis pour le Jeudi en poésie : l'évasion par les jardins et les champs

     

    Claude Monet Jardin euroart com

     

    L'évasion est le thème du jeudi en poésie chez les Croqueurs cette fois-ci. L'évasion, ce peut être la fuite, réelle ou projetée, d'un prisonnier d'une geôle, le voyage, à pied, en train, en voiture, en avion pour une destination inconnue, ou le récit de la découverte des lieux, vécue ou imaginaire.

    Mais point n'est besoin d'aller loin ; la Madeleine de Proust est là pour nous le rappeler !

    Merci, Mona, d'être venue lire ces poèmes en ma compagnie. Je fais paraître ton commentaire sur la page, juste après les poèmes !

     

     

    Voici un secret de Gérard de Nerval, pour s'évader, dans l'espace mais aussi dans le temps :

     

    Il est un air pour qui je donnerais

    Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,

    Un air très vieux, languissant et funèbre,

    Qui, pour moi seul a des charmes secrets.

     

    Or, chaque fois que je viens à l'entendre,

    De deux cents ans mon âme rajeunit :

    C'est sous Louis-Treize … _ et je crois voir s'étendre

    Un coteau vert que le couchant jaunit ;

     

    Puis un château de brique à coins de pierre,

    Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,

    Ceint de grands parcs, avec une rivière

    Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs.

     

    Puis une dame, à sa haute fenêtre,

    Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens …

    Que, dans une autre existence, peut-être,

    J'ai déjà vue _ et dont je me souviens !

     

    Fantaisie, 1831, dans Sylvie.

     

     

    L'évasion par la musique, une mélodie, un rythme, ou alors par la griserie d'une odeur, d'un parfum, des couleurs, comme l'exprime Anna de Noailles :

     

    Je méditais ; soudain, le jardin se révèle

    Et frappe d'un seul jet mon ardente prunelle.

    Je le regarde avec un plaisir éclaté ;

    Rire, fraîcheur, candeur, idylle de l'été !

    Tout m'émeut, tout me plaît, une extase me noie,

    J'avance et je m'arrête ; il me semble que la joie

    Etait sur cet arbuste et saute dans mon cœur !

    Je suis pleine d'élan, d'amour, de bonne odeur,

    Et l'azur à mon corps mêle si bien sa trame

    Qu'il semble brusquement, à mon regard surpris,

    Que ce n'est pas ce pré, mais mon œil qui fleurit

    Et que, si je voulais, sous ma paupière close

    Je pourrai voir encor le soleil et la rose.

     

    Surprise, 1907, Les Eblouissements.

     

     

    Ce n'est ni dans un parc agencé à la française ni dans un jardin aux roses qu'Arthur Rimbaud, à son pupitre d'étudiant, âgé seulement de seize ans, s'évade par la plume, mais dans un futur qu'il emplit des prés et de champs (trois mois plus tard, il fera ses premières fugues, bien réelles) :

     

    Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,

    Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :

    Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.

    Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

     

    Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :

    Mais l'amour infini me montera dans l'âme,

    Et j'irai loin bien loin, comme un bohémien,

    Par la Nature, _ heureux comme avec une femme.

     

    Sensation, Mars 1870, Poésies.

     

     

    C'était mon choix : pas d'île ni de bout du monde ; des voyages intérieurs et projections mentales dans l'espace et le temps, dont le point de départ est l'exaltation des sens pour Gérard de Nerval et Anna de Noailles, qui aiment se laisser surprendre. Arthur Rimbaud me paraît faire le voyage à l'envers : il n'attend pas d'être surpris, il va au-devant des sensations, en vidant son esprit pour atteindre le bonheur.

    Lenaïg

     

    Commentaire de Mona :

    Anna de Noailles semble ne pas chercher à échapper à des tourments, c'est une vue qui l'attire et l'exalte naturellement. alors que Gérard de Nerval part d'un "air très vieux languissant et funèbre" qui lui offre l'évasion dans le passé. Il a la même beauté là, à sa portée immédiate mais ne la voit pas, contrairement à Anna qui vit pleinement le présent.Quant à Rimbaud , il parle de se vider la tête et de fuite, dans l'avenir qu'il accomplira. Il abandonnera la poésie pour vivre l'aventure réelle, dure dans un futur encore plus lointain après avoir écrit ses plus belles lignes. C'est ainsi que je perçois ces lignes superbes!

     

     

    Van Gogh Coucher de soleil enimage com

     

     

    Claude Monet

    Vincent Van Gogh 

      


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  • Commentaires

    1
    Jeudi 5 Août 2010 à 11:21
    rouergat

    Bonjour LenaÏg

    De tous ces gens qui s"évadent j'ai un faible pour le récit d'Anne de Noailles et le tableau de Van Gogh

    Bonne journée

    Amicalement

     

    2
    Jeudi 5 Août 2010 à 11:23
    jill bill

    J'adhère avec ce genre d'évasion lenaïg, j'adore ces choix...C'est ce que j'ai écrit sur plyson pour ce jeudi poésie... Bisous ma belle

    3
    Jeudi 5 Août 2010 à 17:23
    Eglantine-Lilas

    de très beaux choix, certains connus, d'autres pas

    merci pour ces instants de plaisir

     

    4
    Jeudi 5 Août 2010 à 21:12
    Jeanne Fadosi

    tu nous gâte avec 3 très bons choix et les illustrations sont superbes.

    5
    Jeudi 5 Août 2010 à 21:48
    Parisianne

    Voilà un choix très intéressant qui évoque parfaitement l'évasion. Merci de nous offrir à lire et relire ces oeuvres. J'ai beaucoup travaillé sur Nerval, il y a longtemps, et ai un gros faible pour Rimbaud, me voici donc comblée !

    Amitiés

    Anne

    6
    Jeudi 5 Août 2010 à 22:47
    Tricôtine

    Tiercé gagnant Lénaïg, ils sont très différents mais on s'évade bien grâce à la captation de la beauté !! je vote quand même pour Rimbaud ce poème je l'avais choisi pour son envie folle  de liberté, (qui me prend très souvent) !!! merci ainsi qu'à Mona pour son commentaire de texte bizzzoux aux deux !!

    7
    Jeudi 5 Août 2010 à 22:55
    ADAMANTE

    Eblouissant ce voyage, un jeudi de haute poésie. Merci Lenaïg, c'est un vrai plaisir. Adamante

    8
    Jeudi 5 Août 2010 à 23:26
    fransua

    une évasion richement mise en scène

    Bonne soirée

    9
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:53
    Mona															l

    Un chois superbe! Quelle culture! Mais Anna de Noailles semble ne pas chercher à échapper à des tourments, c'est une vue qui l'attire et l'exalte naturellement. alors que Gérard de Nerval part d'un "air très vieux languissant et funèbre" qui lui offre l'évasion dans le passé. Il a la même beauté là, à sa portée immédiate mais ne la voit pas, contrairement à Anna qui vit pleinement le présent.Quant à Rimbaud , il parle de se vider la tête et de fuite, dans l'avenir qu'il accomplira. Il abandonnera la poésie pour vivre l'aventure réelle, dure dans un futur encore plus lointain après avoir écrit ses plus belles lignes. C'est ainsi que je perçois ces lignes superbes!

    10
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:53
    Mona															l

    Euh: choix

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    11
    dominique
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:53
    dominique

    Vers dorés

    Homme ! libre penseur - te crois-tu seul pensant
    Dans ce monde où la vie éclate en toute chose :
    Des forces que tu tiens ta liberté dispose,
    Mais de tous tes conseils l'univers est absent.

    Respecte dans la bête un esprit agissant : ...
    Chaque fleur est une âme à la Nature éclose ;
    Un mystère d'amour dans le métal repose :
    "Tout est sensible ! " - Et tout sur ton être est puissant !

    Crains dans le mur aveugle un regard qui t'épie
    A la matière même un verbe est attaché ...
    Ne la fais pas servir à quelque usage impie !

    Souvent dans l'être obscur habite un Dieu caché ;
    Et comme un oeil naissant couvert par ses paupières,
    Un pur esprit s'accroît sous l'écorce des pierres !

     

    12
    dominique
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:53
    dominique

    Tout est vivant ! 1990(à Gérard de de Nerval)


    Eh quoi ! Tout est vivant !
    Le souffle de la vie
    Je sens de toutes parts
    Et mon coeur saigne, hagard,
    Ne pouvoir le dire au passant.

    C'est le mur qui sourit ...
    Et l'esprit de la pierre
    Sous les rochers ouverts
    M'observe et puis m'envie ...

    Moi, dans les soirs d'été,
    Au coin d'un chêne plein
    Et levant bien les mains,
    J'ai vu les nains chanter.

    Moi, dans les champs de blé,
    Parfumés de pétales
    Au souffle du Mistral,
    J'ai vu les fées danser.

    Venez, venez, nous monterons !
    Sous les arbres et dans les senteurs
    Nous verrons le soleil chanteur
    Versant moult liqueur de jonc.

    Mais n'ayons point notre âme morte,
    Car sinon les feux de l'enfer,
    En des petits bonhommes verts,
    viendront brûler à notre porte ...

    Chassons, chassons les idées noires
    Qui possèderaient notre vie
    Si le mental de nous s'enfuit;
    Eh quoi ! Il y a aussi le monde noir !

    Et je dis que tout est vivant,
    Des démons aux sylphes des cieux,
    Des ondins aux esprits de feu
    Qui parlent à nos coeurs d'enfants ...

    Comprendront les êtres d'amour :
    Ils ont la lumière dans ce coeur,
    Et leus yeux, lorgnant la laideur,
    Ont la sagesse pour toujours ...

    Eh quoi ! Tout est vivant ! Tout !!!

     

     

    13
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:53
    Mona															l

    Merci bras, Lenaïg! Bisous

    14
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:53
    Mona															l

    Oh à Tricotine aussi!

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