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Par lenaig boudig le 22 Avril 2010 à 12:30
Dans l'immense forêt Chourave, de la planète Pif, dans la galaxie du Concombre masqué, si le Spirou brillait comme partout ailleurs, ses rayons se posaient sans problème sur la canopée sans arriver parfois jusqu'au sol. Sous le feuillage dense, sur les tapis d'humus, de mousse et de champignons, la vie animale battait son plein, cherchant sa nourriture, traquant ses proies dans la pénombre. Mais les perroquets étaient ceux qui avaient la part belle. Toutes les variétés terrestres recensées, comme celles typiquement pifiennes, étaient représentées : gris du Gabon (ceux qui, sur Terre, étaient les plus aptes, sinon les seuls à reproduire la voix humaine), aras, amazones, loris et perruches, gent ailée souvent multicolore au-delà de ce qu'on pouvait imaginer. Les perroquets avaient le choix de s'abriter dans les frondaisons ou de s'élever jusqu'à rejoindre les rayons spirouaires sur les plus hautes branches et même de survoler la canopée. leurs seuls prédateurs auraient pu être des buses ou des faucons mais il était rare d'en voir s'aventurer au-dessus de la forêt.
Ce fut ainsi jusqu'au début du XXIIIe siècle terrestre. Jusqu'à l'installation des premiers pionniers humains. Maintenant, les couples de psittacidés, dont les membres restaient d'une fidélité sans faille l'un envers l'autre, enseignaient la crainte et la méfiance des pièges humains à leurs oisillons. De gigantesques filets avaient à trois reprises été jetés sur eux, capturant et enlevant à chaque fois une centaine de leurs congénères. Le téléphone aviaire avait bien fonctionné, car les oiseaux communiquaient entre eux. De moineaux en pigeons, d'oies sauvages en faucons, le sort des trois cents perroquets captifs était maintenant connu. Les époux cruellement séparés avait la maigre consolation de savoir leurs moitiés vivantes, estropiées, manipulées mais quand même bien traitées, bien nourries.
A la clinique Krapulax, notre gros oiseau coureur Agrippine était la coqueluche du personnel et des patients. Elle avait ses têtes et ne laissait pas tout le monde approcher ! Agrippine avait suivi Fougériane l'après-midi où celle-ci fit sa découverte extraordinaire. Il y avait répétition de chant et musique à l'ombre des tilleuls et Fougériane avait entraîné Agrippine en clamant bien fort :
"Viens, Agrippine, viens voir et écouter ce que tes p'tits "frères" sont capables de faire !" Agrippine, malgré sa taille, désorientée, impressionnée par ces volatiles chantant comme les humains, tentait obstinément de se cacher derrière Fougériane, en lui tirant la manche pour lui demander de s'en aller. Draco Luthor, toujours aux aguets, se mit à rire devant ce tableau et détourna complètement son attention.
Profitant d'une pause, un perroquet gris à queue rouge, allant et venant nerveusement sur son perchoir, émit un rire sarcastique, le même que celui de Draco Luthor d'ailleurs, et s'écria :
"Crrr, crooc, elle est grosse mais elle est bête !" Agrippine, furieuse, percevant la moquerie, avança le bec, retenue par Fougériane, tandis que le perroquet changeait de ton :
"Excuse-moi, ma jolie. Je faisais juste l'idiot. Alors, vous faites partie des p'tits nouveaux ? Moi je sais, j'ai senti : notre sort vous déplaît, à toi et ton ami, hein ? Alors, si jamais vous pouviez faire quelque chose pour nous, n'hésitez pas ! Les humains sont capables du pire comme du meilleur. Nous vivons assez longtemps, je ne désespère pas de revoir un jour ma compagne, si elle ne s'est pas laissée dépérir."
Après cette prise de contact, les événements se précipitèrent, car il fallait bien que l'histoire se terminât, et de la meilleure façon possible. On apprit qu'une nouvelle razzia dans la forêt Chourave se préparait. Arthur obtint une permission de sortie exceptionnelle pour l'anniversaire, très opportun, de sa grand-mère qui, cette année-là, eut deux fois soixante-dix ans ! César et lui avertirent la brigade policière contre la maltraitance animale. Les malfrats furent coincés en pleine forêt au moment où ils jetaient leurs filets, tous les perroquets libérés sur le champ. Les deux véhicules aéroportés de l'expédition revinrent se poser sur l'héliport de Krapulax, tels deux chevaux de Troie ; en sortirent des policiers soigneusement armés qui maîtrisèrent sans trop d'effort les coupables, le directeur le premier. Des coups de feu furent échangés, des pistolets paralysants actionnés, provoquant quelques blessés de part et d'autre.
Il y eut une période de confusion, d'émotion, de flottement et d'attente, la prise en charge des patients et des perroquets étant assurée par le personnel médical non impliqué ; les vétérinaires, eux, furent prestement remplacés. Un riche mélomane herculien acquit la clinique. La Compagnie galactique de robotisation fabriqua d'incroyables prothèses qui rendirent aux ailes coupées leur efficacité. Les perroquets eurent le choix d'être transportés dans leur forêt natale, ou de rester. La plupart, artistes dans l'âme, décidèrent de poursuivre leur carrière et firent venir leur compagnons ou leurs compagnes. Désormais, on les connaîtrait sous leurs vrais noms, on verrait leurs vraies effigies car le scandale avait fait grand bruit dans la galaxie ; les ventes se multipliaient vertigineusement.
Arthur, Fougériane et Agrippine ? Ils travaillaient d'arrache-pied, plus enthousiastes que jamais. Ils connurent leurs premiers coups durs, leurs premiers affrontements lors des voyages interplanétaires, car les artistes ailés étaient très convoités. Mais cela est une autre histoire, tout comme la question de savoir s'ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants. Pour cela, ils avaient le temps ; ce qui était sûr, c'était qu'ils ne comptaient plus leurs amis perroquets !
Fin !
Lenaïg
Notes
"Pifien" : de la planète Pif,
"Herculien" : de la planète Hercule (ne pas confondre avec : herculéen).
Image :
Le Bipbip, le "vrai" !
Pour Agrippine, il faut laisser libre cours à son imagination.
11 commentaires -
Par lenaig boudig le 21 Avril 2010 à 19:13
Deux semaines s'étaient écoulées. Arthur éprouvait une excitation joyeuse, assombrie d'un vague malaise. Il était enfin passé de l'autre côté du mur de la clinique Krapulax, où il disposait maintenant de sa chambre, confortable, même cossue sans ostentation, comme l'ensemble des locaux.
Dès le lendemain de sa candidature à l'annonce, une convocation s'était inscrite sur son ordinateur, pour des tests, épreuves et entretiens divers. Le message stipulait que cette opération prenait trois jours pendant lesquels les candidats acceptaient de rester dans l'enceinte de la clinique. Il lui était donc enjoint de se munir d'un sac d'affaires personnelles. Il avait fait ses adieux provisoires à ses parents, intrigués mais contents pour lui et à sa fidèle bipbip Agrippine qui, voyant les préparatifs, avait compris qu'il la quittait et poussait des glop glop tantôt courroucés, tantôt plaintifs. Ses parents César et Agathe avaient dû entourer de leurs bras le gros oiseau coureur, qui aurait bien voulu suivre son maître lorsqu'il traversa la rue pour sonner au grand portail.
Trois jours intenses, où il répondit brillamment aux divers questionnaires, fut médicalement déclaré apte au service, fit ses preuves en arts martiaux, accomplit dans le petit bois de la propriété un parcours du combattant sans fautes. Sur les quinze candidats parmi lesquels il s'était retrouvé, issus d'un peu toutes les zones habitées de la planète Pif, il n'en fut gardé que six au final, dont Fougériane, une superbe jeune fille à la peau sombre et aux abondantes boucles noires, joliment musclée, avec qui il avait sympathisé (et le mot était faible). Il eut même la joie d'inviter Fougériane, venue de loin, chez ses parents, lorsque leur contrat d'embauche en poche, ils furent libérés, le temps de réfléchir avant de signer. Si c'était oui, ils devaient tous deux intégrer la clinique au début de la semaine suivante.
Arthur bénéficia de surcroît d'une faveur spéciale. En effet, à la question : "vous pouvez avoir des missions longues à mener à bien, dont vous ne parlez pas à l'extérieur (heureusement on lui avait assuré qu'il ne lui serait pas nécessaire de faire des trajets en hyperespace), avez-vous des liens très forts qui vous rattacheraient à votre vie précédente et qui ne vous rendraient pas tout à fait libres ?", il avait répondu, comme une boutade : "oui, j'ai ma fidèle Agrippine qui aura bien du mal à comprendre mes disparitions !" Le DRH, à sa grande surprise, lui avait rétorqué : "Mais faites-la donc venir avec vous, elle peut vous et nous être utile !"
Le contrat d'embauche fut examiné à la loupe par César, le père d'Arthur, qui n'y vit rien à redire, même sur la clause de confidentialité absolue sur l'élevage de perroquets pifiens. "Écoute, Arthur, au fond, cela ne te regarde pas, pourquoi le secret sur cet élevage. Les avez-vous vus, ces perroquets ?" Arthur et Fougériane s'étaient regardés, cachant rapidement leur gêne et avaient répondu : "oui, nous avons vu leurs installations, ils sont bien traités, bien nourris." "Alors, allez-y, les enfants !"
Arthur, Fougériane et même Agrippine, étaient maintenant en stage de préparation intensive car leurs missions consisteraient à prospecter de nouveaux talents musicaux sur les diverses planètes du système Spirou, à aplanir des difficultés juridiques avec des divas ou des compositeurs perpétuellement insatisfaits , etc, à organiser des festivals promotionnels. Ils avaient le titre de conseillers spéciaux, ce qui signifiait à la fois musicologues, attachés de presse et … baroudeurs … L'espace n'était pas une cour d'école maternelle, les pirates de tous poils sévissaient, il fallait parfois être capable de se défendre et de se battre. Des séances de tir au pistolet paralysant étaient également au programme. Arthur et Fougériane savait qu'ils devraient d'ailleurs en porter un sur eux en permanence, ce qu'ils avaient caché aux parents d'Arthur (surtout à Agathe, la maman car César s'en doutait, sûrement, de par son métier).
Krapulax était réellement une clinique : on croisait les patients, toujours du monde de la musique, très fortunés, qui se reposaient de surmenage ou venaient chercher l'inspiration, dans les salons, au piano ou dans les luxuriants jardins dont on avait le choix : celui-ci à la française digne du mythique et lointain Château de Versailles sur la Terre, ou celui très fantaisiste, touffu et coloré, ombragé d'éclatants magnolias du cru, de flamboyants rhododendrons et azalées, de solide palmiers.
Mais le malaise d'Arthur, que Fougériane partageait, provenait de ce fameux secret des perroquets. Un énorme secret, effectivement. Ils savaient tous deux que les voix admirables qui s'élevaient par-dessus le fameux mur d'enceinte n'étaient pas humaines ! C'étaient les perroquets qui chantaient ainsi. Mais … ils ne volaient plus. Ayant fait la remarque au responsable de l'oisellerie, un individu à l'air perpétuellement indifférent, voire cynique, du nom de Draco Luthor, il s'était fait remettre en place par celui-ci : "Ah, ça 'risque pas ! Tous les aras, cacatoès et autres amazones qui sont là ont les ailes brisées. C'est p't-être pour ça qu'ils chantent si bien, hin hin ! Mais ce ne sont pas tes oignons ! Eh, le bleu, 'faut que tu t'endurcisses, ces bestioles nous sont précieuses par leur incroyable don à capter la musique et reproduire les voix humaines. Pas un qui siffle ou chante faux ! Ils ont l'oreille absolue, ces psittacidés !"
Fougériane venait d'entrer dans la chambre d'Arthur pour un moment de tendresse, dans la lumière crépusculaire qui se découpait par la fenêtre. Agrippine dormait sur sa couverture, la tête sous l'aile. Bientôt elle sortirait passer la nuit dehors à sa convenance, comme à son habitude (il faut se rappeler que l'utilisation de toilettes ou d'un bac à litière comme un chat n'était absolument pas réalisable pour elle). Arthur avait mis en route son neutraliseur de voix, cadeau de son père, qui le lui avait remis en cachette dès la signature du contrat en lui assurant que ce gadget lui rendrait sûrement service. La Compagnie galactique de robotisation n'avait pas encore commercialisé le système mais l'appareil avait l'ingéniosité de transformer les propos tenus dans une pièce en paroles anodines sans rapport avec la conversation réelle. Il fallait en effet déjouer les éventuels pièges des micros cachés. Fougériane, au cours de la journée, avait eu une communication stupéfiante avec l'un des psittacidés et la découverte était de taille.
A suivre !
Lenaïg
Image :
goodies.pcastuces.com/fond_ecran ...
Perroquet en vol.
8 commentaires -
Par lenaig boudig le 17 Avril 2010 à 12:00
Un siècle que les pionniers s'étaient installés sur cette petite planète hospitalière Pif, dans la Galaxie du Concombre masqué, après que les humains eurent commencé à essaimer de la planète Terre. Sur Pif, à Muzoville comme partout, la petite criminalité s'effaçait devant un pouvoir fort qui, par ailleurs, favorisait les riches et pénalisait les plus pauvres. Et si les rues la nuit étaient à peu près sûres pour les quidams sans histoires, en revanche ce pouvoir fort était complice d'une pègre terriblement bien organisée, faisant son beurre de substances illicites de plus en plus variées en fonction des découvertes et des récoltes liées à l'exploration spatiale. Les maisons closes avaient pignon sur rue et, dans ce domaine-là, l'esclavage et les horreurs de la prostitution clandestine n'avaient plus cours. Les conflits religieux se réduisaient à des querelles de clocher, la conquête spatiale et la rencontre plus ou moins chaotique et tumultueuse avec des espèces pensantes inconnues ayant fait se rapprocher les humains croyants dans une tolérance mutuelle. Hormis ces particularités non négligeables, il n'y avait donc rien de nouveau sous le Spirou. Le … quoi ? Le Spirou ! L'étoile, le "soleil" autour duquel tournaient Pif et Hercule, entre autres.
Ce soir-là, tandis que le spirou déclinant cédait la place à Belle-Lurette et Lily la rouge, les satellites naturels de Pif, un jeune homme, Arthur Rahan prenait le frais dans le jardinet du pavillon de ses parents. Tout pensif, se laissant distraitement mordiller l'oreille par son bipbip femelle familier, sorte de gros volatile coureur issu de la faune autochtone, à mi-chemin entre l'émeu et l'autruche, très efficace garde du corps aux coups de bec et de patte redoutables au demeurant, il contemplait l'imposant mur d'enceinte de la clinique Krapulax, en face, de l'autre côté de la rue.
Le matin même, sur l'hebdomadaire informatisé de Muzoville, Le Courage du pionnier, Arthur avait pris connaissance d'une annonce et y avait répondu promptement. Rahan junior, ses études de commerce terminées, peinait à se faire embaucher. Sur Pif, tout marchait au piston -une coutume qui ne datait pas d'hier- ; grâce à son père, il aurait pu faire carrière dans la Compagnie galactique de robotisation mais il était allergique à l'hyperespace.
Derrière le mur d'en face, la mystérieuse clinique Krapulax, également productrice de musique universellement célèbre, recrutait ! Pourvu qu'il obtienne un entretien, déjà, histoire de passer de l'autre côté du mur et de satisfaire sa curiosité ! Il correspondait au profil brièvement décrit dans l'annonce : diplômé de droit commercial et de musique, bon musicien et pratiquant des arts martiaux. Il pensait donc avoir toutes ses chances, non seulement de trouver un poste correspondant à ses capacités mais aussi de découvrir qui étaient ces patients de la clinique, qu'on entendait chanter divinement les jours de beau temps dans les cours intérieures, ou gémir d'un désespoir absolu la nuit quand on avait des insomnies. Les portails du mur s'ouvraient rarement, l'essentiel des allées et venues étant aéroportées.
A suivre
Lenaïg
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Collection de murs
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