• Nadine - Fin ! chez Lenaïg

    Pour page Nadine, fin, chez Lenaïg - photo du net : cilaos-village2

     

     

     

    Quand elle fut mise au courant de toute la vérité sur leur naissance, la sienne et celle de son frère jumeau, Nadine tempêta, s'énerva contre tout le monde : leur mère, qui s'était laissée faire, la famille bourgeoise de leur mère, qui avait refusé que la tendre relation entre la très jeune femme et son camarade réunionnais des Beaux-Arts s'éternise, faisant accoucher la jeune femme dans la clandestinité puis abandonner immédiatement ses bébés ... auxquels elle avait malgré tout tenu à donner des prénoms, seul lien, seul héritage ... Puis elle pleura de rage en ressentant le poids de la détresse de leur mère : bien vite mariée à un jeune homme d'une autre famille bourgeoise de la région, faisant bonne figure au début mais plongeant inexorablement dans la dépression, pour se jeter quelques années plus tard du haut du deuxième étage de leur propriété, sans avoir apporté de progéniture à sa nouvelle famille. "Quel épouvantable mélo, que c'est écoeurant, un vrai roman de gare !" avait-elle conclu, amère et révoltée.

     

    "Et notre père ?" avait-t-elle demandé à Thomas, une fois calmée. "Juste après la rupture avec notre mère, il a quitté Paris pour Amsterdam, puis New York, entre autres et il a fini par retourner se poser dans son île natale, où il a fondé une famille nombreuse ! Son propre père était d'origine européenne, un "zoreil" et sa mère réunionnaise de souche, ce qui explique que ce n'est pas évident à nous voir, toi et moi, que nous avons des ascendances asiatiques et africaines ; nous sommes des chabins, comme diraient les Antillais. A mon avis, il n'a jamais su que notre mère était enceinte de lui ... Il a 70 ans, c'est un artiste confirmé, sculpteur et peintre, qui bénéficie d'un certain renom chez les connaisseurs internationaux, on lui passe encore commande, il est veuf et sa nombreuse progéniture se promène dans le monde entier !" Nadine avait alors été prise d'un fou rire, trop de coups sur la tête, trop de tension nerveuse ; elle avait jeté cyniquement : "Eh bien, au moins tout n'est pas négatif, nous avons un père artiste !" Plus doucement, et comme fière et malicieuse à la fois, elle rajouta :"maintenant je comprends pourquoi nous sommes ... d'une beauté physique irrésistible, toi et moi !"

     

    ***

     

     

    Avant de s'envoler pour la longue traversée jusqu'à l'île de La Réunion, Nadine et Thomas étaient allés se recueillir devant le caveau d'une famille à laquelle ils étaient totalement étrangers et devant le nom de leur mère. Nadine n'avait pas voulu en apprendre plus sur le mari de leur mère ; elle était consciente que Thomas avait porté ses recherches de ce côté-là aussi mais elle n'en pouvait supporter plus, pour le moment. Plus tard, peut-être elle l'interrogerait aussi sur ce qu'il savait. Tous les deux étaient restés dignes, pour ne pas dire froids, lors de leur visite au cimetière, mais, une fois rentrés, chez Thomas, Nadine s'était effondrée et avait pleuré, beaucoup, sans pouvoir se contenir. Thomas, ému aussi, lui avait offert sa chambre pour la nuit. Nadine avait protesté, pour la forme, le voyant sortir un sac de couchage et l'installer sur le tapis du salon. "Ne t'inquiète pas, Nadine, j'ai l'habitude et je dors n'importe où !" "Bon, je te remercie, c'est vrai que j'ai pris de sacrées habitudes de confort et de luxe !" Le lendemain, pour la première fois de toute sa carrière, Nadine ne s'était pas rendue à son bureau. L'odeur du café l'avait réveillée le matin et elle s'était présentée à Thomas sans apprêt, sans maquillage, sans jouer un rôle pour la première fois depuis bien longtemps, avec un puissant sentiment de liberté et de soulagement ; Thomas l'avait d'ailleurs eu la veille devant lui le visage bouffi par les larmes.

     

    ***

     

    Ils venaient de se faire déposer en autocar avant le bourg de Cilaos pour finir le trajet à pied. Nadine avait énergiquement déconseillé à son frère de louer une moto, soudainement consciente du danger sur des routes de montagne qu'ils ne connaissaient ni l'un ni l'autre, une prudence qui faisait voler en éclat la carapace d'indifférence et de cynisme qu'elle s'était jusque-là imposée, aussi bien pour elle-même que vis à vis des autres. Thomas, attendri, l'avait écouté.

     

    Ils avaient rendez-vous en cette fin d'après-midi avec l'artiste, à son atelier, en tant qu'amateurs de son art et potentiels clients. La rencontre avait été fixée de métropole par téléphone. Ils espéraient qu'ils n'arrivaient pas trop tôt et que la sieste du sculpteur serait terminée. Ils sonnèrent à la petite grille, apercevant déjà de magnifiques sculptures dans la cour et même sous le hangar, plus loin. Nadine avait bûché son affaire et n'ignorait rien des débuts, des influences ni de la biographie de leur créateur ... "Voilà, voilà !" Une jeune fille tout sourire vint leur ouvrir et ils surent plus tard qu'elle était l'une des petites filles de l'artiste. Sur le pas de la porte, l'artiste, l'air avenant, canne en main mais très droit apparut. Il souleva poliment son chapeau de paille et se le rabattit sur le front, masquant ainsi sans le vouloir en partie son visage, mais Nadine comme Thomas, intimidés, ne cherchèrent pas à le scruter !

     

    La visite fut passionnante, Nadine interrogeant leur hôte, ravi de l'intérêt qu'elle portait à ses oeuvres et des questions précises et quelquefois pointues qu'elle lui posait. L'humour était de mise et les rires ne tardèrent pas à fuser, tandis que Thomas prenait des photos et se contentait de les écouter, apportant son grain de sel selon la tournure de la conversation. La jeune fille leur servit un délicieux cocktail de jus de fruits. La nuit tomba sans qu'ils s'en aperçoivent, on approchait de 19 h 00 ... Une sorte de trouble s'installa, car ni Thomas ni Nadine n'osait exposer à leur hôte la raison principale de leur visite ... On venait de finaliser l'achat d'une statuette et Thomas se leva, Nadine l'imita. Thomas tendit la main vers le vieil homme en bredouillant des formules de politesse et en s'apprêtant à déclarer qu'avant leur départ, ils ne manqueraient pas de lui rendre une autre visite, mais ... l'artiste ne fit pas un mouvement pour saisir la main tendue ...

     

    Il n'avait plus son chapeau, une grande émotion transparaissait sur ses traits, il les fixait maintenant tous deux, bien que son regard ait étrangement l'air de les dépasser. Il prononça la phrase :

     

    "Vous lui ressemblez tellement ..."

     

    ***

     

    Epilogue :

    Nadine et Thomas ne repartirent pas ce soir-là, ils restèrent souper et dormir. "A qui ?" avait réussi à articuler Nadine, et le vieil homme avait commencé par leur demander de l'excuser, en s'expliquant brièvement. Thomas avait alors pris la parole, Nadine muette d'émotion. Les souvenirs de leur père étaient intacts : une querelle d'amoureux avait mis fin à la relation et la vie en commun pendant deux années de leurs futurs parents. Leur mère avait supplié en vain son compagnon de l'emmener loin de chez ses parents, qui l'étouffaient, qui faisaient pression pour qu'ils ne se voient plus. Elle voulait un enfant ! Le jeune artiste lui avait répondu d'être patiente, qu'il ne gagnait pas encore assez bien sa vie et qu'elle ne ferait que se mordre les doigts de quitter le confort et l'aisance auxquels elle était habituée. La jeune femme furieuse s'était enfuie et ils ne s'étaient jamais plus revus. Comme il ne pouvait la chasser de ses pensées, il était allé sonner plusieurs fois par la suite au domicile de la famille pour se faire entendre dire tour à tour que "mademoiselle était sortie" ou "mademoiselle ne désirait pas le voir".

     

     

    FIN

     

    Leng

     

     

     

     

    Cilaos, photo du net.


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  • Commentaires

    1
    Dimanche 4 Septembre 2011 à 21:06
    Monelle

    Merci Léna pour cette fin qui m'a beaucoup émue. Que d'émotions pour Nadine mais aussi pour son frère jumeau en retrouvant ce père qui sans connaître leur existence devait déjà les aimer ! Même dans la vraie vie il doit y avoir des histoires qui se finissent ausi bien, du moins j'ose l'espérer !

    Douce nuit à toi - gros bisous

    2
    Dimanche 4 Septembre 2011 à 22:23
    m'annette

    c'est beau mais c'est triste....

    en tous cas, très bien écrit!

    Je sais, Lénaïg, que je pourrais, mais j'ai déjà diminué le rythme de mes publications, pour souffler un peu , et mon emploi du temps va peut-être changer, je le saurai en fin de mois...

    Alors je suis, en ce moment, très raisonnable, et je m'interdis de dire oui à tout ce qui me tente!

    Gros bisous, et encore bravo!

    3
    Lundi 5 Septembre 2011 à 00:17
    jill-bill.over-blog.

    Une histoire comme en vivent d'autres... la découverte d'un parent méconnu... Et ma foi se père me parait sympathique, iils vont ratrapper le temps perdu à mon avis !  Merci Lena !  Bizzz jill

    4
    Lundi 5 Septembre 2011 à 17:20
    flipperine

    ce fut une belle histoire

    5
    Lundi 5 Septembre 2011 à 17:45
    Marie-Louve

    Bravo Léna ! C'est une très belle histoire de vie. Un roman ? les romans ne sont que de pa^les reflets des réalités de la vie. Enfin, ainsi je le vois parfois.  Bonne semaine à toi !

    6
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:41
    Mona															l

    C'est bien écrit Lena, et vraiment intéressant à lire, du début à la fin :)) bisou.

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