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Lieux et saisons - Dominique - (2)
L'été
L'été s'en vient. Déjà, dès le printemps, on le sent approcher pour prendre possession de nos terres sudistes. Il semble désirer notre attente peureuse qui se languit de lui et le craint à la fois, l'été.
Nous, provençaux de souche ou de passage, on sait qu'après la mi-juin, s'intallera un manteau de soleil, possessif et tenace qui nous plaquera au sol comme un fagot trop lourd. On sent le plaisir attractif des travaux saisonniers qui laisseront épuisés les forçats de la côte devant les joies festives du vacancier heureux. On craint cette chaleur pesante qui écrase les corps sur le coup de midi. Plus d'odeur, plus de pluie, seulement les passants en foules versatiles ne nous regardant pas. Ils sont comme en un autre monde, celui de leurs repos, et nous, les autochtones, fonçons tout droit devant et même les cigales deviennent assourdissantes pour nos oreilles rouges.
Ici, quand le flot des voitures bouche toute la ville, nous passons par derrière, prenant des raccourcis de plus en plus connus. L'air moite nous assome, mais nos corps sont fidèles aux saisons déjà vieilles. le sourire goguenard quand nous scrutons de loin les dos rouge-écrevisse de nos chers invités, nous fuyons vers les ombres qu'ils repoussent d'instinct. C'est que, eux ne produisent pas, venant chercher au sud ce soleil d'été dont ils rêvent au nord.
J'ai souvent travaillé aux mois des vacanciers. Moi, le bosseur précaire, ne part pas en vacances pour pouvoir compenser le chômage d'hiver. Mais depuis quelques temps, on ne veut plus de moi, même à cette saison mangeant le corps des jeunes. J'ai cinquante ans...
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Après l'été.
Le ciel, devant moi, était plein de nuages, suspects dans nos contrées. Depuis trois mois, nos yeux n’avaient vu que du bleu, secoué quelquefois d’un mistral fugitif éclaircissant l’azur déjà clair.
De temps à autre, des troubles vaporeux surgissaient de la mer et donnaient au regard la moitié d’une vasque brunâtre à l’horizon. Très vite disparaissait l’espérance de pluie, et la chaleur trônait, fière et enorgueillie de sa saison. Les odeurs semblaient lourdes, plaquées sous la sueur et les sons des cigales. On respirait à peine.
Le calme est presque revenu. Les touristes s’étiolent, nous les voyons marcher avec timidité, car ils ne peuvent plus cacher leurs corps derrière la foule… Ça et là, ils regardent, craintifs ou désinvoltes : ils ne sont plus les seuls…
Aujourd’hui, après une pluie diluvienne que les gens du pays attendaient vaillamment et exècrent déjà, je glisse entre les flaques grises sorties des caniveaux. Le temps est comme au ralenti : l’homme respire après l’été.
Je vais pouvoir goûter au silence automnal, et enfin respirer les odeurs de la pluie qui revigorent profonde notre terre desséchée.
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Près de Lyon
Juste une parenthèse qui dura quatre mois en vivant près de Lyon : un tout petit village entre Vienne, dans l'Isère, et notre Dame de Fourvière. J'avais pris les devants pour faire des semailles proposées par un tiers, un de ces paysan nommé Granvil, pionnier des années quatre-vingt à l'agriculture biologique. Ma femme me rejoindrait plus tard.
Moi, citadin peu coutumier de la campagne en dehors du poulailler entrevu chez ma grand-mère, j'étais enchanté de découvrir ce monde étrange. Je n'eus jamais autant d'énergie, de santé, de pêche comme on dit, que lors de cette expérience.
La terre raboteuse sentait cette odeur caractéristique vous vivifiant directement par les narines comme ces jours avant la pluie qui vient, en une atmosphère électrique et douce à la fois.
Dans ses mains, le paysan prenait ses semences avec une verve joyeuse et m'expliquait le travail à venir, les précautions à prendre, l'endurance à tenir, car les semailles doivent autant que possible s'appliquer en une fois, le temps pouvant tourner. Granvil, enthousiaste et joyeux, grimpait sur son tracteur, un engin bricolé comme un jeu mécano qu'il aurait raccordé. On le voyait monter sur son cheval d'acier, le sourire aux oreilles et l'oeil vers le ciel : il jouissait de la terre.
Quand le soir tombait aux lumières dans la nuit, nous revenions fourbus sur la glèbe chauffée du travail mécanique. Les odeurs de guano mêlées aux roues graisseuses difusaient un parfum moderne et passéiste.
Au jour, je m'en allais cueillir les plants du potager qui avaient essaimé, et nous mangions, repus, des repas vivifiants introuvables ailleurs ; la nature nous aimait... Plus tard, casqué d'un bonnet shtroumph, une photo surprit mes rencontres surprises avec des fleurs montées en graines de poireaux sur un champs de martiens. L'effet, surréaliste, était total. Heureux souvenirs, heureuse parenthèse, loin de l'enfer des villes où poussent les chômeurs....
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Automne
Quatorze octobre ; d'un coup, l'automne arrive sortant d'une bourrasque de la mer presque fraîche. Présence revivifiant nos formes, des oreilles aux joues la chair ne semble plus la même : grisée au frisson des saisons.
Un ciel gris s'est logé au-dessus de nos têtes avec du bleu entre des ronds différents de l'été. L'air vibre, silencieux de sons nouveaux, au milieu des odeurs respirées par nos pores jusque dans nos entrailles.
Le temps a soudain ralenti, figé par les froids à venir et laissant l'homme comme alangui d'avoir trop couru après une chaleur qui s'est évanouie...
Quand les jours se faneront d'une lumière plus courte, nous resterons chez nous, diminueront nos vies pour choisir une pause. Humus, terres couleur de châtaigne, senteurs et feuilles rougeoyantes créeront nos paysages. Les champignons, cueillis après les pluies qui saignent nos sillons de semences nouvelles, annonceront l'hiver.
Respire l'odeur vivante qui pénètre nos corps jusqu'au coeur de nos sens. Ami, vois-tu la nuit qui tombe ?
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Dominique
Illustrations :
www.routard.com Paysage de Côte d'Azur
www.lespaysans-lefilm.com Coproduction Treize au Sud et France Télévisions - Photo : la frustration.
www.fr.academic.ru Notre Dame de Fourvière.
www.visiflora.com Champignons.
Tags : odeur, moi, , pluie, terre
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Commentaires
Au Jardin d'Éole , je crois bien qu'il me soulève dans tous les sens ce matin de soleil :-))). Je n'entends pas les vuvuzelas, mais je suis sur la rose des vents à chercher ma direction. Bisous et que les vuvuzelas enchantent les meilleurs !
La limonade est déjà dans le panier avec des baguettes de jambon-fromage, des raisins frais et la crème solaire. Le Jardin d'Eole, c'est bien là que nous trouvons l'étang de la Crapaudière ? J'ajoute nos maillots et nos serviettes de plage . Un petit plongeon ne fera que nous rafraîchir les idées !
5AnaëlleVendredi 6 Juillet 2012 à 08:55Un texte magnifique sur les saisons, les touristes et les autres, et j'aime beaucoup aussi les photos !
6dominiqueVendredi 6 Juillet 2012 à 08:55Bon, je viens aussi, même si je n'ai pas le même don d'ubiquité que vous.
Merci pour vos gentils commentaires.
7AnaëlleVendredi 6 Juillet 2012 à 08:55Eole souffle sur nos têtes et tous nos soucis s'envolent et se transforment en fleurs d'un orange lumineux qui attirent les regards des promeneurs. Je me suis assise au bord du ruisseau et j'ai regardé les nuages filer. Parmi eux, je le jure, j'ai vu les joues rebondies du dieu des vents.Il m'a regardée et m'a fait un clin d'oeil!
8AnaëlleVendredi 6 Juillet 2012 à 08:559Mona lVendredi 6 Juillet 2012 à 08:55Dominique, quel bonheur que de lire ces écrits là où la vie palpite, où l'on ressent chacune de ces ambiances comme si on y était! Il m'est difficile de commenter plus d'un texte sur un blog, aussi irai-je droit à l'essentiel: c'est superbe!
10dominiqueVendredi 6 Juillet 2012 à 08:55
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J' ai aimé lire, suivre ce récit qui raconte l'homme et la nature au sud de la France. Jamais la nature n'eut un langage et la philosophie un autre écrivait Juvénal dans Satires. Un paysage est aussi un état d'âme... Je retiens l'intelligence de la nature qui sait rythmer son milieu de vie. Le sage qui l'apprivoise apprendra et vivra en, avec et par elle. La Terre est vaste et diversifiée par ses espaces et ses climats. Par cette lecture, je découvre le sud de la France qui me rappelle les chaleurs lourdes de Cuba et le travail dur de ses hommes qui y vivent en souhaitant la pluie pour que les plantes, leurs légumes et leurs fruits puissent les nourrir pendant que les vacanciers riches de leur insouciance ne voient que des vacances au bord de la mer. Une belle page remplie d'humanité démaquillée. Touchante lecture.