• Le nouveau sang bleu - Marie-Louve - Conte revisité

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    Il était une fois, maintenant, un milliardaire fort malchanceux par le triste sort réservé à ses nombreuses ex-épouses disparues mystérieusement. Personne ne pouvait élucider comment avait décampé ces dulcinées belles comme des déesses sans demander leur reste. Contre mauvaise fortune amoureuse, le pauvre galant Richard Faucher-Blackbouler gardait bon courage en  parcourant le monde afin de vaquer à la gestion de ses entreprises en lien avec ses multinationales.

     

    Quand le temps lui permettait un peu de repos, il rentrait chez lui. Ricky-Mister-Blues, pour les intimes, habitait un somptueux palais d’or, construit au cœur d’un  vaste domaine privé sur l’Île Maurice, cet archipel des Mascareignes dans l’Océan Indien. Sa passion pour le jazz et le blues lui aurait valu ce sobriquet justifié. Cet homme taciturne, au regard sombre, appréciait malgré tout, la présence des mannequins aux corps de sirènes en vogue. Partout sur les pages des revues à potins, on le voyait au bras d’une nymphe belle à faire damner de jalousie l’âme des autres. Parfois, il se permettait une courte escapade dans son château accompagné par une élue d’un jour.

     

    Un mardi, il tomba à genoux sous les charmes et d’amour succomba à la célèbre Karlamina. La vamp-vedette de l’heure, admirée par la planète entière, tant pour sa beauté que pour son esprit vif comme l’argent, suscitait la convoitise de tous les hommes normalement constitués.

     

    Un mariage pompeux fut célébré en présence du notaire Dieudonné Moisan qui consigna selon les règles de l’art le testament légal scellant le droit d’héritage à Dame Karlamina si d’aventure son époux venait à mourir avant qu’elle ne trépasse. La fête se tint sur son titanesque bateau de croisière au milieu des barrières de corail près des lagons et de la plage bordée de cocotiers qui entouraient son domaine. Le champagne, le rhum et la bière Phoenix coulèrent à flots dans les vases de Crystal ainsi que des caviars nichés dans de fines porcelaines. Une lune de miel portant aux anges le ténébreux personnage suivit. Toute bonne chose ayant une fin, il dut à contrecœur, descendre de son nuage pour retourner à ses négoces éparpillés un peu partout.

     

    Craignant s’ennuyer de sa douce, il l’invita à le suivre dans ses périples raseurs. Cette dernière refusa sans ambages. La coquine aux yeux  pervenche le convainquit que sa présence sur l’Île lui permettrait de rafraîchir la décoration des cuisines en marchandant de nouveaux appareils et accessoires indispensables pour lui concocter des délices santé. Son amour pour lui et son désir de prolonger sa longévité ainsi que sa vigueur sous la couette commandaient son enthousiasme.  

     

    Étonné, l’amoureux en fut touché droit au cœur. Lui qui s’en croyait dépourvu faillit verser une larme. L’impossible lui advenait, mais l’idée de ne pouvoir assurer une extrême surveillance  auprès d’elle le terrifiait. Avant de lui accorder sa permission, il prit le temps de réfléchir.

     

    -          Soit ! Ta bonté à mon égard t’accorde gain de cause. Mais sache que je peux changer d’avis et rentrer à la maison à n’importe quel moment du jour ou de la nuit. J’exige que tu achètes tout le nécessaire à Plaisance chez mon fidèle ami Trafic Badouri en qui j’ai toute confiance. De plus, je t’interdis formellement de pénétrer dans mon pavillon qui me sert de laboratoire d’expériences. Celui-ci demeure mon sanctuaire sacré. Il est à mon usage exclusif. Ne contreviens jamais à cette interdiction. Promets le moi !

     

    -          Mais Ricky, mon mari que veux-tu que je fasse dans ce lieu perdu au fond de ton domaine ? Tu me vois marcher dans cette forêt tropicale infestée de bêtes répugnantes et risquer d’y trouver la mort ou encore pire, ruiner mes beaux escarpins ? Abîmer ma peau satinée au contact des ces ronces ou insectes voraces ? Tu perds la tête ou quoi ? Pars en paix. À ton retour, tu trouveras un festin dans de grands plats nouveaux et de plus petits sur une table multipliée par ses bienfaits. Je te promets ! Aucun regret ne connaîtra ton cœur que je chéris.

     

     Ainsi donc rassuré, Richard Faucher-Blackbouler s’envola vers les Amériques.

     

    LG4143 1Le lendemain, au lever du soleil, Karlamina enfila ses pantoufles de vair, souleva avec tendresse son caniche miniature teint rose bonbon. Elle ouvrit les larges portes côté jardin.

     

     -Allez Chanel ! C’est l’heure de ta toilette.

     Dans la cuisine, elle prépara son café corsé et s’empara d’une pomme rouge vermeil sans négliger de fixer du regard  les écrans de surveillance grâce aux caméras installées partout sur le domaine. Sa précieuse Chanel avait l’esprit d’aventure pour ne pas dire qu’elle se percevait plutôt comme une louve alpha. On ne saura jamais ce que vit Chanel ce matin-là, mais elle aboyait à fendre l’air avant de disparaître dans les épais fourrés.

     

     Affolée, Karlamina se mit à sa poursuite pour la ramener à la maison. Sans réfléchir, elle courait dans tous les sens en rappelant sa Chanel. Au bout d’un long moment qui lui parut une éternité, elle déboucha devant le bâtiment interdit. La porte étant entrouverte, elle crut entendre les gémissements de Chanel. Au diable la promesse !  Elle y courut et y pénétra pour apercevoir enfin la friponne. Mais au même instant, son sang se glaça dans ses veines. Autour d'une table ornée pareillement dans un banquet royal,  prenaient place assises, dix  femmes maquillées telles des poupées habillées  somptueusement de robes de  mariées. Ainsi figées dans cet espace, elles paraissaient avoir subit l’art de la taxidermie. À la vitesse de l’éclair, son esprit foudroyé par la scène d’horreur compris le danger sous ses pas. Oh mon dieu ! Les caméras de surveillance… Il me voit.

     

    Elle repartit vite vers la plage en sachant que c’était sa dernière chance de sortir vivante de ce cauchemar. Longer le littoral au pas de course vers l’est, la conduirait hors du domaine, là où elle savait qu’une plage touristique fourmillait d’activités et de commerces. Quand elle eut atteint les lieux, le soleil marquait déjà midi dans le ciel. La station balnéaire bondée de vacanciers bourdonnait à ses oreilles ou peut-être était-ce le bruit de ses battements cardiaques qui frappaient ses tempes en sueurs.

     

    Malgré le regard  hautain des vieilles bourgeoises reluquant avec dédain ses pantoufles de vair, il  lui sembla soudainement être au paradis.  Livide et à bout de souffle, elle se dirigea vers le premier bar-resto de la rive. Avec l’aide d’une pulpeuse serveuse à qui elle raconta en trois mots son SOS,  elle composa le numéro de  Police-Secours.

     

     Les deux femmes attendirent ensemble l’arrivée des policiers.

     

    En sol américain, au Texas où la peine de mort était encore appliquée, Richard Faucher-Blackbouler fut arrêté et accusé des dix meurtres prémédités. Après un long procès fortement médiatisé, le juge le déclara coupable et le condamna à la mort par l’injection létale.   

     

     La pauvre veuve hérita d’une fortune si grande qu’on ne pouvait la quantifier. Chanel eut droit à l’Os d’Or du siècle. 

     

    Marie-Louve 

     

     


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  • Commentaires

    1
    Dimanche 10 Octobre 2010 à 08:58
    Lenaïg Boudig

    Brave Chanel, mignonne caniche futée, qui n'a rien à envier au Milou de Tintin ! Un Os d'Or bien mérité !

    Superbe revisitation du conte, bien cadré dans un contexte très actuel, au point qu'on nous le présenterait comme un fait d'actualité, on pourrait le croire ! Merci, Marie-Louve, de nous l'offrir pour le blog, en plus de sa parution sur Plumes au vent.

    Bisous !

    2
    Lundi 11 Octobre 2010 à 15:29
    marie-louve

     merci Léna, tu es le génie des illustrations et des commentaires éclairés. Je n'avais pas fait le lien entre le célèbre Milou et cette Chanel espiègle. J'aime beaucoup écrire des pastiches de contes connus par tous. Bonne semaine à toi, bisous.

    3
    Lundi 11 Octobre 2010 à 15:36
    marie-louve

    @

    Mona, grand merci pour ta généreuse lecture. Bonne semaine et bizs à toi aussi. Inutile de dire que je cours cette semaine. Je m'envole aux aurores dès ce vendredi. Il me manque du temps pour tout faire et tout lire... Aujourd'hui, c'est jour d'Action de Grâces ici au Québec, donc congé pour tous sauf pour certains comme Michel. Bcp. de travail " No Stop " depuis janvier dernier. Ces vacances ne seront pas un luxe, mais une nécessité agréable quand même ! Bizs.

    4
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:52
    Mona															l

    AIE! géniale cette histoire!

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