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La voix de mon père - Billet de Michel Thibault
Je m'habillais sans faire de bruit pour ne pas réveiller mes frères et sœurs, fébrile. Des céréales avalées en silence. L'air frais dehors. Mon père plaçait son .12 dans le coffre arrière de l'auto. En route, on voyait la nuit rosir. Le lever du soleil que j'avais rarement l'occasion d'admirer me fascinait.
La voiture s'arrêtait sur une route de terre. Ça sentait bon la forêt en ouvrant la portière. Je suivais mon père parmi les arbres, les hautes herbes. Une fois, on a débouché dans une clairière hérissée de bouleaux. On en a couché quelques-uns d'un coup de pied en se prenant pour des samouraïs. Les arbres étaient pourris.
Chasser avec mon père me comblait. Je dis chasser mais il n'a jamais tiré un seul coup de fusil en ma présence, sauf une fois pour me faire entendre le bruit. Assourdissant. Le vrai gibier, c'était pas des lièvres ou des perdrix mais le bonheur de marcher ensemble dans la forêt et, pour ça, on ne rentrait jamais bredouilles.
Ces escapades, c'est une des choses que j'ai le plus aimé faire avec mon père. Aussi jouer. Tout petit, je m'installais dans son cou, les mains agrippés dans ses cheveux : hue cheval ! Plus vieux, c'est le cavalier du jeu d'échecs qu'il m'a appris à manier. Et plein d'autres jeux de société. On en a passé des après-midi à négocier l'achat de terrains au Monopoly ou à s'attaquer à grands coups de dés à Risk.
Comme plusieurs hommes de sa génération, je crois, mon père n'était pas très bavard. Je n'ai par contre jamais oublié quelques-uns de ses conseils. «On ne juge jamais un homme avant d'avoir marché un mille dans ses mocassins», qu'il disait. Ce principe est devenu pour moi une règle de vie. Je pense que si chacun cherchait à comprendre l'autre, à mieux se connaître, ça irait pas mal mieux sur cette planète.
Mon père nous a aussi inculqué l'entraide, l'égalité de tous les humains, peu importe la couleur de leur peau ou de leurs yeux, ainsi que le respect de ceux que la nature peut avoir désavantagés.
Par son ardeur au travail dans un métier difficile et méconnu, mon père a aussi été un modèle de courage et de persévérance. «Un plombier, c'est pas un déboucheur de toilettes !» qu'il se plaignait l'autre jour après avoir entendu cette sottise à la radio.
«Qu'ils aillent voir dans les industries ! On travaille avec des lignes à vapeur, des lignes à l'acide, c'est super complexe ! As-tu vu tous les tuyaux qu'il y a dans une raffinerie ? C'est des plombiers comme moi qui ont bâti ça. Ça n'a rien à voir avec les toilettes !»
Bien voilà, le message est passé, Pa. Je te dirai dimanche en privé que je t'aime beaucoup parce qu'ici c'est vraiment trop gênant.
Michel Thibault
Le Soleil de Châteauguay
Tableau :
Gustave Klimt, Forêt de bouleaux
postercartel.com
Tags : pere, coup, autre, foret, jour
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Commentaires
Hier, nous avons vu le père de Michel pour célébrer avec lui la fête des Pères. Dans sa carte Michel lui avait découpé le texte de sa page de journal. Son papa a lu et ému, des larmes ont coulé sur ses joues... Ils sont sensibles les papas eux aussi. tard, hier, à notre retour à la maison, Michel a vu son texte sur ton blog, il en fut autant ému que son père. Mille mercis encore. Bisous et bon dimanche.
Un texte superbe, émouvant sur la connivence entre un père et son fils, entre ses enfant dans un sens plus large ..
Bonne fête à tous les papas, et aux enfants qui ont la chance de les avoir à leurs côtés.
Lenaïg, la fête est par là:
http://hauteclaire.over-blog.com/article-fete-a-bord-52470817.htmlJ'espère que tu pourras faire un tour et prendre quelque chose
Bisous
Merci beaucoup Léna de me faire l'honneur d'ajouter mon texte à ton excellent blogue. Si joliment illustré. Bisous. Michel.
5Mona lVendredi 6 Juillet 2012 à 08:55C'est émouvant et tendre. Moi aussi j'adorais mon père malheureusement décédé. Le dire avant c'est bien, pour nous comme pour eux les super papas
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WOW ! Léna tu as réussi une magnifique surprise pour Michel en illustrant son texte de si belle manière. Klimt est le peintre préféré de Janick. Les samoura¸is sont là, les pas, le jeu du cheval... Quand Michel rentrera de sa course à vélo, je lui fais voir avant qu'on quitte la maison. Mille mercis pour ce beau cadeau que tu nous fais ! Bisous. Bon WE !
Mince! J,ai hâte d,apprendre cette magie que tu sais faire :-)))