• La femme qui se faisait peur - Lenaïg

    gotlib

    Image cueillie sur le site Imaginaires Créatifs,

    provenant bien sûr de : www.marcelgotlib.com

    Pardon à Gotlib de lui emprunter son humour, pour

    en jeter un peu sur ma nouvelle , où je n'en ai pas mis !

    Pourtant, l'air soucieux du grand BDiste et l'examen

    minutieux de son créateur par la célèbre coccinelle,

    s'avoisinent un peu à ma quête, dont je souris moi-même

    quelquefois.

    ***

     

     

    Elle se demandait à quand remontaient ces attaques intérieures, ces bouffées d'angoisse énorme, qui la prenaient au début par surprise, toujours quand elle était seule. C'était rarement dans la journée, où le travail l'absorbait, où elle s'oubliait dans l'action. Et il y avait les autres, sa famille, son compagnon, ses amis, ses collègues, le grand mouvement de la vie autour d'elle, qui reléguaient au second plan cette étrange sensation.


    Si sa mémoire ne la trahissait pas, ce phénomène ne s'était pas présenté lorsqu'elle était enfant. A ce stade-là de sa vie, elle éprouvait déjà de bizarres impressions : celle, par exemple, de n'avoir pas sous les yeux le vrai décor qu'elle aurait dû voir, qu'il y avait quelque chose d'autre ... derrière ! Pourtant, à quatre, cinq ou six ans, elle n'avait pas encore connaissance du Mythe de la caverne de Platon ! Une autre impression grisante, celle de sentir la Terre touner à toute allure, surtout la nuit dans son lit, alors que son père lui avait assuré que ce n'était pas possible, que c'était parce qu'on lui avait expliqué l'univers, les étoiles et les planètes qu'elle se l'imaginait ...


    Pouvait-on qualifier d'angoisse existentielle ces crises, que son compagnon ne partageait pas et assimilait à la peur de mourir ? Certainement, bien que l'expression appartint à un mouvement philosophique, littéraire ouvrant sur des choix politiques. Mais elle ne pensait pas que l'idée de sa mort entrait en ligne de compte, car avant d'atteindre la cinquantaine, elle vivait sans appréhender vraiment la perspective de sa propre fin.


    Elle n'en parlait pas à tout le monde. La plupart de ses interlocuteurs -elle s'en doutait- n'auraient pas compris et se seraient éloignés, l'imaginant au bord de la folie. La seule personne qui paraissait avoir compris de quoi il retournait était quelqu'un qui comptait beaucoup -et pour cause !-, c'était : sa mère. Sa mère, si cartésienne, à l'intelligence aiguë, qui avait rêvé d'une vocation de chimiste mais dont la guerre avait réduit les espérances et les ambitions, qui aimait Prévert, ou Lamartine, mais n'était pas particulièrement sensible à la poésie, qui avait dévoré tous les tomes des Hommes de bonne volonté de Jules Romains ainsi que le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, A la recherche du temps perdu aussi (oeuvres que la femme en question, elle, avait à peine effleurées), qui avait maintenant resserré sa préférence sur les romans policiers (il était rare qu'elle ne trouvât pas les coupables au cours de sa lecture, au grand étonnement de sa fille qui n'y arrivait presque jamais !) ; sa mère, encore moins bavarde qu'elle, restait toujours le refuge ultime lorsque les sujets angoissants étaient abordés. Sa mère comprenait ! Elle savait de quoi il s'agissait mais ... elle n'avait pas non plus la clé !


    Maintenant, à quelle angoisse cette femme pouvait-elle être en proie ? Quelle en était la teneur ? En deux mots, elle pouvait la nommer : "question terrifiante". D'ailleurs, pour tenter de faire sortir en mots la chose, elle en avait rédigé un sonnet. Elle estimait que tout était dedans. Avant de conclure en dédramatisant, car la femme en question était en fait parvenue à dompter les attaques en les arrêtant net quand elle les sentait arriver, tout comme elle s'employait à apprivoiser sa perspective mortelle, il fallait quand même essayer de cerner cette question. Ce n'était pas "QUI suis-je ?" mais "QUE suis-je ?", car "qui", elle le savait, ayant encore toute sa tête : son nom, son apparence physique, son passé, ses actions accomplies, ses échecs et ses regrets, ses relations ; sa date de naissance aussi, mais ... son âge, là, il lui arrivait de se tromper maintenant, à un ou deux ans près, ce qui avait au moins l'avantage de faire rire son compagnon, sa famille, ses amis.


    Quelle était cette entité, une fois enlevée l'identité, qui essayait de se regarder de l'extérieur, sans le regard qu'elle supposait que les autres portaient sur elle, mais qui ne le pouvait pas, emprisonnée dans un corps, une tête, un cerveau ? Un jour, elle accomplirait un effort surhumain (quel beau mot !), sans se prendre pour une ... "surfemme" et se croire un Nietzche féminin, sans se prendre pour Dieu non plus, laissant provisoirement de côté les interrogations et les recherches à son sujet, et elle arriverait peut-être à entrevoir pourquoi cette entité lui faisait si peur, faute de savoir le pourquoi du comment. Elle se trouverait donc face à ce "rien" qui précèderait l'"essence" et l'"existence", à ce qu'elle avait saisi de l'existentialisme sartrien, un "rien" bien encombrant !


    Lenaïg


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  • Commentaires

    1
    Jeudi 15 Avril 2010 à 17:57
    SAM ELEON

    Un texte qui me parle très personnellement. Un petit tuyau au passage pour ton héroïne : Les angoisses, il ne faut pas les stopper. Au contraire, il faut les accueillir ! Quand on a plus peur, on peut vivre !

    2
    Jeudi 15 Avril 2010 à 21:40
    SAM ELEON

    Tu veux dire que dans le cas de ton personnage, ses angoisses viennent de l'extérieur, et qui lui permettraient de se sentir vivante, sinon, elle serait confrontée au néant ?

    3
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:56
    Mona															l

    Pour moi, mais je peux me tromper, il s'agit d'une fragilité psychologique, et seuls peuvent croire te comprendre ceux et celles qui ont éprouvé ce type de bouffées d'angoisse, parce qu'il s'agit probablement d'autres genres d'angoisses, les symptômes étant plus ou moins forts ou fréquents. Tout le monde est fragile, mais plus ou moins... Et s'il s'agissait de la prise de conscience de la solitude fondamentale liée à la condition humaine? Même entourés, on reste seuls, on l'oublie, c'est tout. La peur de la mort suggèrerait qu'on y croie. Eh non! on y croit vraiment au moment où elle nous arrive, pas avant: Bien sûr qu'on sait qu'on mourra un jour, mais ce n'est qu'une pensée, un mot, une idée, d'où le choc ressenti à la vue d'un cadavre, surtout d'un être aimé...Ceci expliquerait ce besoin que tu éprouves d'être l'amie de tous et de vouloir à tout prix démontrer que les autres t'aiment un peu, ou beaucoup plus que les autres. Comme si tu ne te sentais pas digne d'être aimée comme tu es. C'est aussi, outre ton humour et ta générosité,( sauf hé hé quand tu te fâches), ce qui te rend attachante; tu sais aussi ne pas accabler ton entourage du récit de tes échecs et tes malheurs, car tout le monde en a! Ta maman est sans doute une anxieuse, elle aussi (d'où les cigarettes)

    4
    Christina
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:56
    Christina

    Très intérressant ! C'est donc ça ces bouffées d'angoisse ? Arrête Léna, tu me fais peur !!!

    Excellent,

    amitiés,

    Stine

    5
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:56
    Mona															l

    Il est vrai que pour moi l'identité se construit de l'intérieur. Je dois être profondément une solitaire dans le fond tout en aimant la compagnie mais pas trop longtemps... J'ai plutôt l'impression d'être dépossédée de ma vraie personnalité en compagnie, sauf avec des gens que j'aime vraiment beaucoup. Comme si la vie était une pièce de théâtre, ce que disaient Shakespeare, Federico Garcia Lorca et bien d'autres. Ce n'était pas un hasard si j'avais , sous mon précédent avatar, noté les premières paroles dela chanson"always look on the best side of life" tous ce qui est dit, je l'ai ressenti profondément et dans le fond, ça m'est égal...Ce que j'avais écrit était trop personnel et je l'aurais enlevé si cela avait été possible.

    6
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:56
    Mona															l

    Beaucoup de bien en dépit de nos différences bien réelle, héhé!

    7
    Christina
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:56
    Christina

    J'ai 54 ans. qu'est-ce que j'ai fait de ma vie ? est-ce que j'ai vraiment utilisé le temps imparti du mieux que je le pouvais ? Est-ce que je n'ai pas gaspillé ma jeunesse ? Est-ce que je n'ai pas fait trop de mal autour de moi ? est-ce que je n'ai rien fait d'irréparable ? que faire ? comment continuer ? comment choisir un juste chemin ? comment ne pas me tromper, ne pas échouer dans le choix de mes priorités ? Je n'ai pas peur de mourrir, j'ai peur de ne pas savoir tirer les leçons de ma vie, de ne pas savoir faire usage au mieux du temps qui me reste sur cette terre. Est-ce que je suis capable d'AIMER vraiment ?

    Christina

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