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    C'était une drôle de ville calme, dans un monde en tourment. Il y avait plein de remparts. Autour du faubourg, d'abord, dans lequel n'entrait pas qui voulait. En revanche on en sortait à sa guise, personne ne vous retenait. Et à l'intérieur de cette ville bizarre, il y avait encore des remparts, autour du centre, pour beaucoup impénétrable et mystérieux.


     

    Maxence était à son adolescence, mais il avait l'ouïe fine et il observait.

    Il avait franchi le pont-levis tout petit avec ses parents, venus chercher refuge et travailler. Son papa était luthier et la ville en manquait.

    Comment sa famille avait-elle réussi à entrer dans l'enceinte sacrée ?

    Au toupet ! Papa n'avait ni le mot de passe, ni aucune recommandation par piston. A la rituelle question à l'entrée, il ne s'était pas démonté :

    "Je n'ai pas ce mot-là, je ne vous donnerai pas le la, mais c'est mon luth qui vous répondra. Il va vous émettre un ut que jamais vous ne connûtes ! Si après cela, vous ne nous offrez pas mieux que notre vieille cahute, vous serez bien ingrats de nous renvoyer dans ce monde de brutes !" Et le bel ut retentit.

    Le comité d'entrée sourit, et la porte s'ouvrit ! On lui répondit : "Nous aimons votre ut autant que votre toupet, vous voici récompensés !"


     

    Depuis, Papa et Maman s'affairaient toute la journée. Maxence allait à l'école, et jouait, ou se disputait avec les autres gamins, au début rien que du train-train. Mais il était doté d'une insatiable curiosité.

    Pourquoi ces remparts, à nouveau au coeur de la ville, et qu'y gardait-on, en son tréfonds ?

    Dans le faubourg, tout le monde savait l'importance du SON, qu'on n'aimait pas discordant. Papa, pour entrer, avait tablé là-dessus, sans en savoir plus. Nul n'ignorait que le son était lié au secret bien gardé. Comme on était déjà fort content de vivre et de travailler en ce confortable faubourg, bien souvent on s'en tenait là.

    A l'extérieur, le monde était souvent à feu et à sang. Encore heureux que la ville n'eût pas subi l'assaut de rapaces féroces. Ceux qui étaient bêtes et cupides devaient se dire qu'il n'y avait là-dedans rien à gratter. Et sans doute qu'un moyen de pression existait, pour tenir en respect les assaillants plus fûtés ...


     

    Un vieil homme en retraite, qu'on jugeait un peu fou mais amusant, était assis le soir sur un banc du parc devant chez Maxence. Dans le quartier, tout le monde se connaissait, et Maxence et le vieil homme s'étaient liés d'amitié. Le gamin malin comprenait, mine de rien, plus que ce que le vieil homme ne laissait entendre ; le vieil homme, de son côté, n'était pas dupe.

    Ce vieil homme n'avait rien d'innocent, tout en faisant un peu le pitre, il était le lien caché entre le faubourg et le grand secret ! Il était là pour détecter les élus, qui, le temps voulu, seraient appelés ...

    Un jour il avait déclaré en riant à Maxence :

    "Comme le prénom de ton père est étonnant ! Il dit le contraire de ce que ton père est ! Samson ? SANS SON ? Sans le son ? Lui qui produit de si beaux sons !

    Et toi ... Maxence ! Tout aussi surprenant, comme si tu étais prédestiné ! Un MAXIMUM DE SENS ! Effectivement, du bon sens tu en as, et de la curiosité bien placée ! A l'école, tu apprends bien ? Tu iras loin ! Loin, oui, mais aussi juste à côté ! De l'autre côté !"

    Et le vieil homme avait désigné les remparts intérieurs.

    "Mais avant cela, il te faudra du courage et de la tenacité, retourner dans le vaste monde et en affronter les dangers, pour pouvoir être sage, très sage, comme avant toi je l'ai fait. En attendant, reste insouciant, tu as bien le temps !"

    Des copains passèrent à ce moment-là et entraînèrent Maxence dans une partie de ballon. Maxence prit juste le temps de faire un petit salut d'au revoir et cette scène se renouvela bien des fois, soit comme ceci, soit comme cela ...

     

     

    Sans se l'être formulé, sans jamais en parler à d'autres, Maxence avait très tôt saisi l'essence du grand secret. L'essence, le SENS !

    Ce sens devait être en permanence entretenu, renouvelé, amélioré, nourri de forces positives et d'idées neuves.

    Les méchants intelligents à l'extérieur le savaient, qui ne lançaient pas d'offensive, sachant qu'en s'attaquant au SENS, ils plongeraient le monde dans le néant.

    Le sens de la vie ! Si on s'y attaquait, il disparaîtrait, à tout jamais !

    Le SON était le faubourg du SENS !

     

     

    Lenaïg,

     

    conte librement inspiré par une phrase prononcée par Daniel Pennac dans l'émission Thé ou café de Catherine Ceylac dimanche dernier sur France 2, reprise ici en italique et en conclusion.

     

     

     

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    Illustrations :

    • les remparts de Carcassonne, www.routard.com
    • un vieil homme sur un banc, www.fr.123rf.com


     


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    Cornelius-la-planete-des-singes
     
     
     
    La fièvre de l'écriture s'est installée dans mon sommeil, qui a été peuplé de péripéties rocambolesques où, tour à tour :
     
    • un suzerain rhinopithèque sans nombril, dans un décor à la Planète des Singes comme il se doit, m'envoie en mission sur les traces d'une licorne, caressant le fantasme peccamineux de l'avoir auprès de lui comme un animal de compagnie ; un bref instant, je me retrouve chez mes grands-parents, eux-mêmes rhinopithèques (mais moi aussi !) ; mes grands-parents rhinopithèques comme moi, donc, dissimulant  leur inquiétude, me recommandent de jouer le moins possible les funambules, car la dernière fois j'ai failli tomber et ma vie n'a tenu qu'à un filet !
       
    • sans tambour ni trompette, me voilà douanier (les rêves, on sait ce que c'est !) en planque dans un escalier, attendant la livraison de fausses pyrogravures précieuses à un destinataire clandestin découvert par des recherches concentriques ... Une déflagration me fait ouvrir les yeux, transformant mes doubles nocturnes en des ectoplasmes impuissants à me retenir dans l'illusion.
    • 
    Le jour s'infiltre entre les tentures de ma fenêtre, que je vais ouvrir sur un ciel bleu, que j'aurais voulu de printemps malgré le léger brouillard rose sale de pollution toujours présent au ras des édifices dans les grandes villes, ce que la température fraîche dément. La déflagration de mon dernier rêve est en fait le déchargement de la collecte du conteneur de verres dans le camion préposé à cet effet, que je vois s'éloigner. Le gardien de l'immeuble, lui, sort du parking souterrain, au volant de son petit tracteur, remorquant son train de bennes à ordures ...
     
    Assez d'air frais ! Je bas en retraite dans l'appartement et la feuille de papier où s'inscrivent les vingt-cinq mots trône sur mon bureau comme un rappel narquois ! Il me faut écrire un texte qui les liera tous. C'est bien la liste de cette semaine qui m'a inspiré mes aventures de la nuit. Je ne me déroberai pas, au contraire je me glisse dans ma robe de chambre douillette et mon petit déjeuner, moment sacré, sera aussi dilatoire que ... dînatoire.
     
    Tandis que je sirote mon café, le texte se met en place dans ma tête et je me garde en réserve pour plus tard cette idée de personnage sans nombril. Bien sûr elle a déjà été développée dans diverses oeuvres de fiction, mais elle est fascinante ! Comment cela se fait-il, en effet, que mon suzerain rhinopithèque n'en ait pas eu, lui ?
     
    Lenaïg,
    pour le jeu des Mots ... tion du magazine L'Esprit de la lettre sur facebook
    (Dominique Bar et Freddie Sailor)
     
    et en souhaitant une
    bonne fête à toutes les femmes et à tous les êtres vivants
    (voir hier pour la dite "Journée de la femme", le défi n° 50 de Lilie).
     
     Mots imposés en bleu.
     
    Illustrations :
    • Cornelius dans La Planète des Singes
    • Jouet camion poubelle : n'est-ce pas merveilleux, la benne à ordures gagnant ainsi ses lettres de noblesse, au même titre que le camion des pompiers ? 
    • Il existe aussi des pots à crayons en plastique fait de déchets recyclés, sous la forme de poubelles, très rigolotes, que j'ai découverts hier soir, ce qui fut l'objet d'un fou rire entre une petite fille et moi, complicité joyeuse et douce bien agréable. Sur le net, je viens d'en trouver une qui remplit la fonction de taille-crayons, je ne résiste pas à nous la mettre sous les yeux également !
       

     

    Poubelle - jouet-enfant-camion-poubelle
     
    Poubelle - Supply mini trash can pencil sharpener

    5 commentaires
  • gotlib

    Image cueillie sur le site Imaginaires Créatifs,

    provenant bien sûr de : www.marcelgotlib.com

    Pardon à Gotlib de lui emprunter son humour, pour

    en jeter un peu sur ma nouvelle , où je n'en ai pas mis !

    Pourtant, l'air soucieux du grand BDiste et l'examen

    minutieux de son créateur par la célèbre coccinelle,

    s'avoisinent un peu à ma quête, dont je souris moi-même

    quelquefois.

    ***

     

     

    Elle se demandait à quand remontaient ces attaques intérieures, ces bouffées d'angoisse énorme, qui la prenaient au début par surprise, toujours quand elle était seule. C'était rarement dans la journée, où le travail l'absorbait, où elle s'oubliait dans l'action. Et il y avait les autres, sa famille, son compagnon, ses amis, ses collègues, le grand mouvement de la vie autour d'elle, qui reléguaient au second plan cette étrange sensation.


    Si sa mémoire ne la trahissait pas, ce phénomène ne s'était pas présenté lorsqu'elle était enfant. A ce stade-là de sa vie, elle éprouvait déjà de bizarres impressions : celle, par exemple, de n'avoir pas sous les yeux le vrai décor qu'elle aurait dû voir, qu'il y avait quelque chose d'autre ... derrière ! Pourtant, à quatre, cinq ou six ans, elle n'avait pas encore connaissance du Mythe de la caverne de Platon ! Une autre impression grisante, celle de sentir la Terre touner à toute allure, surtout la nuit dans son lit, alors que son père lui avait assuré que ce n'était pas possible, que c'était parce qu'on lui avait expliqué l'univers, les étoiles et les planètes qu'elle se l'imaginait ...


    Pouvait-on qualifier d'angoisse existentielle ces crises, que son compagnon ne partageait pas et assimilait à la peur de mourir ? Certainement, bien que l'expression appartint à un mouvement philosophique, littéraire ouvrant sur des choix politiques. Mais elle ne pensait pas que l'idée de sa mort entrait en ligne de compte, car avant d'atteindre la cinquantaine, elle vivait sans appréhender vraiment la perspective de sa propre fin.


    Elle n'en parlait pas à tout le monde. La plupart de ses interlocuteurs -elle s'en doutait- n'auraient pas compris et se seraient éloignés, l'imaginant au bord de la folie. La seule personne qui paraissait avoir compris de quoi il retournait était quelqu'un qui comptait beaucoup -et pour cause !-, c'était : sa mère. Sa mère, si cartésienne, à l'intelligence aiguë, qui avait rêvé d'une vocation de chimiste mais dont la guerre avait réduit les espérances et les ambitions, qui aimait Prévert, ou Lamartine, mais n'était pas particulièrement sensible à la poésie, qui avait dévoré tous les tomes des Hommes de bonne volonté de Jules Romains ainsi que le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, A la recherche du temps perdu aussi (oeuvres que la femme en question, elle, avait à peine effleurées), qui avait maintenant resserré sa préférence sur les romans policiers (il était rare qu'elle ne trouvât pas les coupables au cours de sa lecture, au grand étonnement de sa fille qui n'y arrivait presque jamais !) ; sa mère, encore moins bavarde qu'elle, restait toujours le refuge ultime lorsque les sujets angoissants étaient abordés. Sa mère comprenait ! Elle savait de quoi il s'agissait mais ... elle n'avait pas non plus la clé !


    Maintenant, à quelle angoisse cette femme pouvait-elle être en proie ? Quelle en était la teneur ? En deux mots, elle pouvait la nommer : "question terrifiante". D'ailleurs, pour tenter de faire sortir en mots la chose, elle en avait rédigé un sonnet. Elle estimait que tout était dedans. Avant de conclure en dédramatisant, car la femme en question était en fait parvenue à dompter les attaques en les arrêtant net quand elle les sentait arriver, tout comme elle s'employait à apprivoiser sa perspective mortelle, il fallait quand même essayer de cerner cette question. Ce n'était pas "QUI suis-je ?" mais "QUE suis-je ?", car "qui", elle le savait, ayant encore toute sa tête : son nom, son apparence physique, son passé, ses actions accomplies, ses échecs et ses regrets, ses relations ; sa date de naissance aussi, mais ... son âge, là, il lui arrivait de se tromper maintenant, à un ou deux ans près, ce qui avait au moins l'avantage de faire rire son compagnon, sa famille, ses amis.


    Quelle était cette entité, une fois enlevée l'identité, qui essayait de se regarder de l'extérieur, sans le regard qu'elle supposait que les autres portaient sur elle, mais qui ne le pouvait pas, emprisonnée dans un corps, une tête, un cerveau ? Un jour, elle accomplirait un effort surhumain (quel beau mot !), sans se prendre pour une ... "surfemme" et se croire un Nietzche féminin, sans se prendre pour Dieu non plus, laissant provisoirement de côté les interrogations et les recherches à son sujet, et elle arriverait peut-être à entrevoir pourquoi cette entité lui faisait si peur, faute de savoir le pourquoi du comment. Elle se trouverait donc face à ce "rien" qui précèderait l'"essence" et l'"existence", à ce qu'elle avait saisi de l'existentialisme sartrien, un "rien" bien encombrant !


    Lenaïg


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  • Sous-titre : les rêves de Séverine
    ***

    Nous avons escaladé la falaise en nous écorchant les mains sans même le sentir, en trouvant à nos pieds les aspérités qu'il fallait par la force du désespoir et l'instinct de survie ... Nous sommes en haut, échevelés, essoufflés mais les hordes hurlantes qui nous poursuivaient sont déjà là, en bas ...

    Il faut les empêcher de monter ... N'hésitons pas, détruisons-les sinon ce sont eux qui auront notre peau !

    Les flèches sont sorties des carquois, les couteaux sont dans les mains, des pierres sont vite amassées et nous commençons à les jeter. Déjà, des ennemis sont atteints, assommés ou transpercés. D'autres continuent à grimper, mus par leur froide détermination à nous ... faire disparaître. Aucun ne parvient au sommet, les couteaux
    balafrent leurs mains et leurs visages et nous les voyons tomber, inertes et ensanglantés.

    La même voix que tout à l'heure, emprunte d'accents de victoire, lance : Encore un effort, nous les aurons tous ! Ils nous ont assez piétinés, emprisonnés, abrutis, isolés, méprisés ... Pas de pitié, notre survie en dépend !

    Voici que le ciel orageux s'est fait bleu, les rumeurs du ravin vont en s'atténuant. Autour de nous, les oiseaux dans les chênes et les pins se remettent à chanter. Nous sommes au coude à coude, son enthousiasme nous gagne ; ce n'est pas encore fini mais nous allons nous en sortir.

    Et moi, je sors du cauchemar, en sueur, dans le noir. Ce rêve atroce est récurrent. Curieusement, je n'ai pas de remords d'avoir attaqué tous ces gens car leurs visages glacés d'incompréhension et de mépris me hantent encore et se précisent. Plus de flou. Je les connais, familiers ou déjà vus : oncles, tantes, maîtresses d'école, médecins, personnel hospitalier, tous ceux qui ont voulu depuis l'enfance me nier, me cacher, m'enfermer, m'abrutir de médicaments inappropriés à grands coups de diagnostics erronés et de négligence concernant la recherche de ma vraie maladie.

    D'autres nuits, j'achète une mitraillette. Je suis muette mais je tire, dans le tas, sur des silhouettes confuses ou des ombres chinoises dont le seul trait d'union est leur détermination à faire comme si je n'existais pas. Le troisième cauchemar est le plus éprouvant, celui dont j'émerge exténuée, membres courbatus, fourbue d'avoir lutté. C'est le plus ancien aussi, que je ne fais plus que rarement. Une lourde porte qui claque, des verrous que l'on tire et je suis seule dans un blanc et un silence absolus. Je crie, je m'époumonne, je griffe la porte, les murs mais aucun son ne sort de ma bouche, je vais mourir, disparaître ! Quand ils reviendront, ils ne trouveront plus rien.


    A mon réveil, je suis atterrée mais j'éprouve un immense soulagement de n'avoir que rêvé tant de violence. Ils ne m'ont pas eue, je suis vivante, j'ai des amis, même un nouvel amant, que je vais pouvoir retrouver, des compagnons d'infortune aussi, comme moi, qui nous réunissons et nous soutenons mutuellement pour faire la lumière sur l'inadmissible. Leur accueil chaleureux est comme une naissance, la vraie, cette fois.
    ***

    Lenaïg.

    Note : ce ne sont pas mes cauchemars, ce sont à l'origine ceux de mon amie Séverine.
    En outre, ce ne sont plus vraiment les siens non plus, surtout le premier ; je les ai romancés !
    Seule la violence des cauchemars est authentique.
    Dans le vrai rêve récurrent de Séverine, par exemple, les victimes dévalaient la falaise, les assaillants les y poussaient du haut ... Gardant à l'esprit que Séverine était enfin sortie du tunnel, j'ai voulu donner un sens ascendant à ce cauchemar ! Séverine va très bien aujourd'hui.

    Photo : Les Falaises du "bout du monde", Bretagne, Crozon, (C) Josiane Chevalier.
    ***


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