• KLOTZ HI-TECH - Une histoire de Rahar !

     

    Ce qui nous caractérise, nous la crème des tueurs professionnels, c’est notre ingéniosité dans

    l’exécution d’un contrat. Vous me direz qu’il n’est pas sorcier de tuer quelqu’un avec un fusil, et

    qu’il suffit de savoir viser. D’abord un bon fusil n’est pas donné, la qualité se paie… et un max, s’il

    vous plaît ; il faut aussi se payer une lunette de qualité qui coûte la peau des fesses ; préparez aussi

    une bonne liasse pour un silencieux acceptable. En réalité, il faut avoir les reins solides, car on ne

    peut pas faire du bon boulot en achetant chaque pièce séparément : il faut que chacune soit adaptée

    et calibrée aux autres, ce que seul un spécialiste du fournisseur peut faire.


    Ensuite, tous les contrats ne nécessitent pas l’utilisation d’une pétoire, loin de là. Pour

    certaines raisons, le client désire la discrétion et que la mort de la cible ne fasse pas de vagues. Il va

    sans dire que mitonner un accident bien maquillé nécessite une cervelle qui carbure au quart de tour

    (sans toutefois exiger des diplômes officiels). Un excellent tueur se doit donc d’être polyvalent. Il y

    a bien sûr les spécialistes, comme le sniper par exemple ; il se cantonne dans les exécutions et

    attentats spectaculaires. Le fait que l’action peut éventuellement être public importe peu, du

    moment que la cible est atteinte et qu’il n’y a aucun risque pour le client.


    Je ne dénigre nullement les spécialistes, qui sont surtout sollicités dans les guerres de gangs

    où l’on ne s’embarrasse pas de chichis. Mais dans le « Grand Monde », on rivalise de subtilités –

    surtout par prudence – qui ne diffèrent pas beaucoup de celles des politiciens de pays en froid. Un

    tueur émérite se doit alors d’être au courant de toute nouveauté qui pourrait éventuellement l’aider

    dans sa tâche. C’est uniquement ainsi qu’un pro arrive à se maintenir dans le peloton de tête… et

    accessoirement garder son train de vie (n’oublions pas qu’il n’a pas de pension de retraite). Une

    anecdote illustrera l’importance de ce point.


    J’ouvre un nouveau mail ; c’est un contrat. Un certain Vicente Aurace. Wouah ! Mais je le

    connais, ce zigoto. C’est le célèbre juge véreux V. Aurace ! Cela ne m’étonne qu’à moitié. Il a la

    douteuse réputation d’être d’une complaisance scandaleuse envers une certaine lie –

    outrageusement riche - de la société. Evidemment, certains malfrats ont été enfermés, mais pour un

    temps indécemment court et dans une cellule, comparée à laquelle une chambre du Ritz serait un

    studio d’étudiant. Apparemment, personne ne semble se rendre compte de la vie d’opulence qu’il

    mène, ce qui crève les yeux pourtant. Autrement, c’est un juge tout à fait compétent. J’imagine que

    mon client n’a pas été satisfait d’un verdict du juge, peu en rapport avec l’« enveloppe » que celuici

    a reçue. Il y a des types au sang bouillant, parmi les pontes du Milieu que je connais, mais en y

    réfléchissant, je pense que sa suppression serait plus désastreuse pour eux, à long terme. Je dois

    donc suivre une autre piste.


    Je vais aux archives du tribunal ; elles sont ouvertes au public et sont partiellement

    informatisées. Je n’ai pas eu à piocher longtemps dans les dossiers du juge. Une adolescente avait

    été droguée, violée et tuée ; un gros bonnet du Milieu avait été mis en cause, mais les preuves

    manquaient inexplicablement, et les témoins s’étaient désistés. Le malfrat s’en était tiré sans une

    égratignure. Je me doute maintenant à qui va profiter le crime… enfin, le contrat. Dans le hall, j’ai

    croisé le juge V. Aurace, son iPhone à l’oreille et parlant avec volubilité. Qui se douterait en le

    voyant que ce sexagénaire d’apparence respectable était plus pourri qu’une branche morte.

    Je vais mettre Romain à contribution pour la suite de mon enquête. Ce sacré nonagénaire a

    fait des progrès époustouflants en informatique, en quelques semaines ; il n’a peut-être plus que la

    moitié de ses neurones, mais le reste est certainement bien plus actif que le cerveau entier d’un

    blanc bec. Pirater le serveur de la police est maintenant un jeu d’enfant pour lui. C’est ainsi qu’il a

    déniché au fin fond d’un répertoire caché la liste des preuves subtilisées (certainement par un ripou,

    à l’instigation de V. Aurace). On ne peut rien faire avec ça, cela va sans dire, mais moi je n’ai pas

    besoin de preuves officielles. Ce qui me déroute, c’est : pourquoi le juge, et pas le coupable ? Mon

    client ne peut être que le père… ou les parents de la victime. Sans être dans la gêne, ils n’étaient pas

    riches, et il ne pouvaient soumettre qu’un seul contrat, compte tenu de mes tarifs. Je peux aussi me

    fourvoyer et mon client peut être n’importe quel citoyen dégoûté ; mais c’est peu probable, je ne

    crois pas en l’existence d’un mécène justicier... ou d’un justicier mécène.

     

     

     

    J’épie le bureau du juge à partir d’une fenêtre de la bibliothèque en face du tribunal. V.

    Aurace est en conversation avec deux avocats. Son iPhone posé sur son bureau sonne… et c’est le

    tilt pour moi. Je m’ébranle. Je n’ai pas de peine à avoir le numéro du juge, que je transmets à

    Romain. Je lui demande de recopier tout le répertoire du juge, je lui fais confiance.

    J’achète un iPhone et j’en modifie la batterie. Eh oui, je suis aussi un excellent bricoleur. Ce

    téléphone n’aura qu’une ou deux heures d’autonomie, mais ça suffira amplement. Je demande à

    Romain d’y télécharger le répertoire du juge. Reste maintenant à intervertir les portables. Je dois y

    aller au culot.


    Je me grime et me transforme en cadre sup et j’attends dans le hall du tribunal. Comme je

    m’en doutais, V. Aurace entre tout en téléphonant d’une main, avec sa serviette de l’autre. Il vient

    de finir, quand je le bouscule comme par inadvertance. L’échange s’est fait en un tournemain, sur le

    tapis. C’est solide quand même, un iPhone. Je demande à Romain d’appeler le juge dans cinq

    minutes.


    Le journal du soir relate l’accident horrible survenu au tribunal. Ce matin, une explosion

    avait provoqué un affolement général ; elle provenait du bureau du juge Vicente Aurace. Le

    portable de celui-ci avait explosé, tuant sur le coup le magistrat, le crâne éclaté, des débris de verre

    dans le cerveau. On savait déjà que quelques iPhones avaient explosé, le problème venait de

    batteries défectueuses ; pourtant, les séries incriminées avaient été retirées. Il faut croire que le juge

    avait ignoré une demande de retour de son portable. Déplorable tragédie.


    J’ai vu de loin les parents de la victime. L’homme que j’ai vu voûté sur les photos d’époque,

    paraît s’être redressé un peu. La victime avait peut-être eu des fréquentations peu recommandables,

    mais c’était leur fille. Je sens que ce n’est pas une simple vengeance ; ces gens avaient choisi le juge

    pour éviter que d’autres parents soient confrontés à une autre injustice. De toute façon, la mort du

    malfrat ne rendra pas leur enfant. D’accord, je suis bon pour un autre boulot sans rémunération.

    Le lendemain, le journal annonce l’assassinat spectaculaire d’un ponte du Milieu. Il allait

    entrer dans une de ses boîtes de nuit, quand un sniper lui avait logé une balle en pleine tête. On

    pense que c’était l’oeuvre d’un gang rival. Pourtant, rien n’avait présagé une quelconque guerre de

    territoire. Encore maintenant, tout est calme dans tous les quartiers.

    Je viens de revoir le couple. L’homme s’est redressé un peu plus, et la femme présente un

    visage bien moins tourmenté. Je me demande s’ils se doutent avoir reçu un bonus, d’autant que
    c'est Noël. Enfin, peu importe.

    Auteur : RAHAR


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  • Commentaires

    1
    Jeudi 17 Décembre 2009 à 10:03
    Lenaïg Boudig
    Salut Rahar ! Enfin, des nouvelles de Klotz et ... de toi, par la même occasion !
    2
    Jeudi 17 Décembre 2009 à 10:19
    Lenaïg Boudig
    Rahar, tu sais que je m'imprime toutes tes histoires et je viens de lire tranquillement celle-ci dans mon fauteuil, un luxe que je savoure à sa juste mesure.
    Merci beaucoup pour le conte de Noël façon Klotz, qui est égal à lui-même !
    3
    Jeudi 17 Décembre 2009 à 11:22
    Lenaïg Boudig
    Oh, Rahar, je ne te souhaite pas de mal, mais au contraire que tout aille bien pour toi ...
    Pas d'accord, tu vois, avec ta réflexion : moi, savoir que c'est pire ailleurs ne m'a jamais consolée.
    N'empêche que je dois reconnaître que je suis contente aujourd'hui d'être toujours en congé forcé et de ne pas avoir à sortir crapahuter sous la neige parisienne.
    A 7 h 00, tout était sec, en moins d'une heure tout est devenu blanc, recouvert, les flocons continuent de tomber.
    Porte-toi bien toi et continue de te manifester à nous !
    4
    Jeudi 17 Décembre 2009 à 19:16
    Lenaïg Boudig
    Will, "registered trademark" maintenant ? Moque-toi, moque-toi !
    5
    RAHAR
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:59
    RAHAR
    Heureux que ça te fasse plaisir. Je ne promets rien, espère seulement qu'il m'arrive encore quelques autres minutes de désœuvrement (le malheur des uns fait le bonheur des autres, pas ?)
    6
    Margoton
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:59
    Margoton
    Et moi qui croyais naïvement que les contes de Noël étaient toujours attendrissants...bonjour Rahar enfin retrouvé !Tes copines étaient très anxieuses de te croire perdu à jamais !
    7
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:59
    Mona															l
    J'adore comme toujours! je l'avais reçu aussi sur ma messagerie perso, et déjà aimé, mais là je dis mon admiration devant d'autres fans!Hé hé.
    8
    N’Paï, William ®
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:59
    N’Paï, William ®
    Ah vous avez même retrouvé rahar ? Ça alors ! Bon je reviendrai lire cette nouvelle quand le temps s'y prêtera, c'est vrai qu'avec trois mètres de neige, je ne retrouve plus mon camion…
    9
    Rahar
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:59
    Rahar
    Ohooo ! C'est donc William notre cadeau de fin d'année. Comme on est heureux de le revoir, on va être gâté avec ses comms acides et originaux.
    10
    N’paï™
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:59
    N’paï™
    Ouais, ça pour un cadeau !
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