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Je mets de l'énergie dans mes pieds - Di
Le prix de l’essence ne cesse de monter et j’en ai le vertige lorsque je paie la facture après avoir fait le plein. C’est encore les gros pétroliers qui s’emplissent les poches et nous qui devons nous serrer la ceinture en payant la note. On a beau rouspéter, boycotter les grosses compagnies, rien n’y fait, les prix sont insultants. C’est ce que je me disais en revenant du centre ville au début de l’été dernier, alors que j’étais prise dans la circulation dense et que je prenais tous les feux rouges. J’écoutais distraitement une ligne ouverte à la radio où l’on parlait de la montée du prix de l’essence. Je tempêtais intérieurement sur ce prix qui monte et qui monte, quand soudain j’eus l’étrange idée de sortir de ma voiture, de la laisser sur la rue et de marcher jusque chez moi. Mais une nouvelle idée poussa cette dernière pour laisser place à la suivante. Pourquoi ne pas profiter de ce non sens des hausses de prix pour mettre de l’essence dans mes pieds et visiter ma ville dans un sens et dans l’autre sur mes pieds.
Mes pensées voguaient, voyager dans ma ville, la découvrir, me mettre dans la peau d’un touriste, sac à dos et cheveux au vent, profiter du beau temps, tout en mangeant un mets succulent dans un bistrot-terrasse en regardant passer les gens, leur inventer une vie, ne rien faire, comme si j’étais seule en Amazonie, en Italie ou à Paris. L’idée faisait plus de chemin dans ma tête que ma voiture qui ne roulait pas plus vite qu’une tortue essayant de gagner un marathon. Lorsque je suis arrivée chez moi, ma décision était murie et prise. Le lendemain matin, la météo annonçait du beau temps et légère possibilité de pluie. Rien à faire pour me faire changer d’idée. Cette menace météorologique aurait pu me faire abandonner mon projet, mais en transportant mon parapluie jaune pour remplacer le soleil et que seul le vent pourrait m’arracher, je me sentais à l’abri de tout.
Ce jour V est le début d’un grand voyage. Marcher c’est bon pour la santé, bon pour le cœur, cet exercice fait travailler tous les muscles et ça garde la forme et la taille. Je n’ai pas de plan précis, pas d’itinéraire établi, mais peu importe, mes pas sauront me conduire car je les programme avec ma volonté. Je mets de l’énergie dans mes pieds avec un déjeuner rempli de vitamines, je chausse mes souliers les plus performants, j’enfile mon habit de touriste, jeans et T-shirt, sans bijoux, sans maquillage, mais avec un peu d’argent que je camoufle sous ma ceinture. Je laisse ma voiture reposer au nord de la ville, près de la rivière des Mille Îles. Je mets le pédomètre à zéro et c’est le Grand Départ.
En marchant je remarque des choses jamais vues lorsque je circule en automobile. Ici une garderie dans le sous-sol de cette maison qui aurait bien besoin de rénovations. Deux petits garçons me regardent par la fenêtre, l’un m’envoie la main et l’autre me fait des grimaces. Je souris au premier et je ris au deuxième. Le premier est gêné et le deuxième me montre son poing. Je leur envoie la main en souriant. Les deux me répondent en riant. Peu de gens sur le trottoir, il faut dire que ce n’est pas le quartier le plus fréquenté de la ville, même s’il est populaire. Puisque mes pieds sont pleins d’énergie, je profite de ce peu de citadins pour développer des tactiques afin de les faire avancer de différentes façons. En fait, je joue avec mes pieds en m’amusant.
Quand je veux accélérer la cadence, je m’identifie au Général qui marche à la tête d’une troupe d’endormis. Je presse le pas et je leur dit (tout bas pour que personne ne m’entende) d’un ton autoritaire : « Avancez gang de nouilles, plus vite, allez, étendez la jambe plus en avant et faites suivre l’autre immédiatement. Faites la même chose avec vos bras. Une deux, une deux, une deux. Ceux qui ne peuvent me suivre éplucheront les patates à tous les soirs pendant un mois ». Ça marche, j’avance bien plus vite. Mais lorsque je regarde derrière et que je constate qu’ils se sont essoufflés et m’ont tous abandonnée, je ne suis pas fière d’eux et je ne m’en soucie plus.
Ainsi, de pas en pas, parfois je change de tactique. Je fais des petits pas mais ça me fatigue trop vite. Je marche en imitant la danse du twist. Je fais l’aveugle en fermant à demi les yeux. Elle marche bien cette méthode lorsque je suis en ski. Mais comme j’ai fait une petite collision avec un homme sur le trottoir qui ne regardait pas plus que moi où il allait, je l’ai mise au rancart. Si personne ne me voit pour me croire folle, je fais parfois le canard ou le pingouin. Enfin, je ne m’ennuie pas et j’observe l’architecture des maisons, les escaliers en colimaçons dans les ruelles maintenant dites « vertes » car très jolies. Cela me rappelle le temps où j’étais enfant et jouais à la cachette avec les ami(e)s, défiant les dangers qui pouvaient nous attendre mais y avait toujours des petits coins et des hangars pour nous faufiler en cas de danger ; les nombreux chats de ruelles qui y élisaient domicile ; les guénillous ; mon premier tricycle, ma première bicyclette. Le jour où mon père m’a aperçue sur la rue en patins à roulettes quand je devais être à l’école est un souvenir encore présent car il n’était pas content, m’a ramenée chez la directrice bien plus vite à pieds qu’en patins. J’aime revoir les balcons devant les maisons qui sont particuliers à Montréal. Jamais je n’en ai vu des pareils ailleurs au monde. Plus tard, quand mes parents ont acheté une maison dans la banlieue, j’avais le cœur en larmes de quitter Montréal.
Plus mes pas me conduisent au centre-ville, plus je me passionne pour mon voyage. Et plus je descends et plus je rencontre des personnages étranges habillés de façon bizarre. Il y a plus de circulation, plus de vélos, plus de klaxons. Les filles portent fièrement la nouvelle mode de l’été un peu trop sexy pour des petites filles à peine âgées de 12 ans. C’est triste et c’est dommage que la publicité vise ces enfants pour faire dépenser de l’argent à leurs parents qui iront dans les poches des riches de la mode. Certains sont préoccupés en marchant, ça paraît dans leurs fronts, les rides sont froncés. Les amoureux se tiennent par la main et se bécotent comme s’ils étaient seuls au monde. Je vis cette escapade comme si je n’étais pas dans mon pays, pas dans ma ville native. Je m’imagine tombée d’une autre planète. J’observe tout avec attention.
Près de l’université du Québec, rue Berri près de Ste-Catherine, il est facile de remarquer que Montréal est une ville très cosmopolitaine. Je rencontre des personnes de nationalités différentes. Chacune a un quartier qui leur appartient et où ils sont bien. Je les entends parler avec des langues que je ne connais pas. C’est beaucoup plus vivant et animé près du centre ville. Les cafés terrasses sont tous attirants. Au parc du Carré Viger, je repose mes pieds en y ajoutant de l’énergie naturelle avec une orange ou des noix. Je retourne ensuite chez moi par le métro quand mon pédomètre atteint le maximum de ma capacité pour ce premier jour.
Ayant plus d’expérience, les fois suivantes, je circule en métro jusqu’au centre ville et je descends à différentes stations. J’explore les alentours. Je découvre des églises que je n’avais jamais vues en voiture, j’entre à l’intérieur et je regarde la beauté liturgique, les chemins de croix sont différents d’une église à l’autre, même si l’histoire se répète. Ce sont les artistes qui la peignent dans leurs styles. Parfois je parle au curé et je lui demande de me raconter les origines de sa paroisse. J’apprends énormément de choses et même si j’en oublie la moitié, je suis plus riche de culture. J’entre dans des petits musées dont le nom m’est inconnu et je me culture davantage. Pour la première fois, je visite le musée des Beaux Arts, la beauté de la gare Windsor. Un certain dimanche je découvre les Tam-Tam du Mont-Royal. Des artistes dans leur musique qui jouent pour leur plaisir et pour le nôtre. Je monte jusqu’au sommet de la seule montagne en ville, le mont Royal, sur laquelle est construite l’oratoire St-Joseph où grâce au frère André, de nombreux miracles ont eu lieu, où est situé le plus beau cimetière Notre-Dame des neiges, l’université de Montréal. Seulement 250 mètres d’altitude, mais comme elle est belle, je veux tout savoir d’elle.
Un autre jour je vais dans le sens contraire et je visite le Biodôme. Je passe devant le state Olympique et je traverse la rue pour visiter le jardin botanique. Un lendemain, je visite le beau cimetière Notre-Dame des Neiges, situé sur la montagne. Les rites de la mort diffèrent d’un peuple à l’autre. Par exemple, chez les ukrainiens les tombes sont entretenues par la famille et régulièrement elles les fleurissent, c’est de toute beauté. Dans la section des chinois c’est différent. Tout est propre et bien entretenu par les familles mais je distingue parfois de l’argent chinois sur des monuments où des lettres d’or sont sculptées. Parfois on aperçoit des oranges que les familles laissent afin que leurs disparus ne souffrent de faim dans l’au-delà. Des personnages célèbres sont enterrés sous des monuments de grande richesse. Une section est réservée pour les soldats inconnus morts à la guerre. Et j’en oublie pour les besoins de la longueur de ce texte. Un autre jour je visite le quartier des riches à Westmount et je scrute à la loupe des maisons magnifiques. La semaine suivante je reste dans les quartiers démunis et plus pauvres. J’explore un peu de tout. Un jour de pluie et je visite Montréal sous la terre dans le plus grand réseau souterrain au monde. Plus de 30 kilomètres de corridors intérieurs sous terre sans se mouiller les pieds, sans se geler les orteils l’hiver, c’est fantastique. Dix stations de métro relient ce réseau du Montréal souterrain, des centaines et des centaines de boutiques, des restaurants, des logements, des lieux de travail, des portes qui ouvrent la porte à des édifices à bureaux, à des appartements qui y sont accessibles par des tunnels. On s’y perd, c’est un labyrinthe, mais on s’y retrouve toujours. Il n’y a qu’à repérer une station de métro pour nous ramener au point de départ.
Par beau temps, quoi de mieux que de longer la rivière des Mille-Îles au nord de la ville, laquelle Montréal et Laval, et au vieux port au sud où le fleuve St-Laurent est si beau et si grand, qu’il se transforme en mer et en océan.
Je connais beaucoup mieux ma ville grâce à mes pieds dans lesquels je mets de l’énergie les matins de sortie et j’économise par le fait même mes visites aux stations-service. Grâce à la montée du prix de l’essence, l’été dernier j’ai visité Montréal de plus près. Je la trouve extraordinaire. Elle est unique.
Cet été je me réserve quelques journées pour continuer ma visite, comme si je revenais encore visiter Montréal. Je n’ai pas tout vu car il y a tant à voir mais je suis curieuse de nature, j’aime mes pieds qui aiment mes souliers et je suis chanceuse de profiter de quelques mois de vacances pour faire des voyages à Montréal.
DI
Illustrations :
- Un mille-pattes en baskets, pour la petite Laurie, dont Di est la grand-mère.
- Vues de Montréal, de Mont Royal, de la Rivière des Mille Iles, des tam tam du plateau de Mont Royal, des jolis balcons, de la ville souterraine et d'un raton-laveur, habitant lui aussi cette belle ville !
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Pied, grand-père marchant, jambe bravant les flaques et soleil :
par les artistes Ada et Léo. - Petites baskets rigolotes qui marchent toutes seules.
Tags : ville, pied, montreal, c’est, visite
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Commentaires
Magique DI ! Pour dire que moi, ayant vécue à Montréal jusqu'à l'âge de 20 ans, tu me donnes le goût d'aller marcher sur ces rues si bien connues par moi. Pourtant, j'y retourne souvent. Vivement le beau temps que je puisse me réjouir de ces visites dans notre belle ville.
Une superbe promenade, à lé découverte de sa ville ... Et de spi-même ... C'est superbe ! Bises.
Di que d'énergie dans ce billet.... La meilleure façon de voir tous les détails dans une promenade c'est la marche à pieds... Là je vais me déchausser... Plus l'habitude.... Bonne journé à tous... Bisous de JB
sûr que c'est super quand on est en vacances mais les autres jours faudra quand même retrouner à la station car la société n'a pas le temps d'attendre les mille-pattes aussi beaux soient-ils
gros bisous
Bonjour ! Merci Marie-Louve, Jill, Stellamaris et Reinette pour votre visite et votre lecture.
Reinette, bien sûr qu'on ne peut pas toujours se permettre d'arpenter sa ville à pied, qu'on doit souvent sauter dans un bus ou s'engouffrer dans un métro car il faut aller vite quand on travaille ! Mais on a les week-ends, si on veut, non ? Il ne faut pas en vouloir à ce mille-pattes !
Di, je viens de tout relire attentivement avec bonheur ce matin, j'en ai même oublié l'énorme catastrophe du Japon un instant. On ne s'ennuie pas à te suivre et à t'imiter, j'aime bien la part d'enfance qui reste bien vivante en toi, je serais prête à marcher en canard pour rire aussi, à fermer les yeux à moitié ou à les ouvrir grands pour admirer les beaux balcons, mais attention aux poteaux et aux réverbères, hi hi !
Je vais modifier les illustrations, mettre des vues de jolis balcons, des tamtam de Mont Royal, de la ville souterraine mais je n'ai pas le temps pour le moment. Je devrai m'absenter et, à mon grand regret, l'impératif horaire et la distance conjugués ne permettront pas de ne me déplacer qu'à pied !
A plus tard ! Bizzzzz à tous.
Bon matin Léna, avec ces nouvelles images, on ajoute au regard des détails réels décrits par le texte de DI. Je crois que Cunégonde a reconnu sa maison et celle de sa voisine Josette . Hi,hi,hi... Bisous, bon samedi.
8DI leVendredi 6 Juillet 2012 à 08:47Merci Lénaïg, c'est superbe la façon que tu as d'enjoliver les écritures. J'adore le mille-pattes et toutes les photos que tu mets pour décorer mes promenades à Montréal. Merci du temps que tu prends pour moi, pour que les souvnirs de mes escapades à Montréal soient encore plus jolies dans mes souvenirs. J'adore tes photos: les tam-tam sur la montagne le dimanche, Montréal souterrain, les jolies maisons, la rivière des Mille-îles que j'ai traversé tant de fois en auto sur un pont mais aussi sur mes pieds quelques fois. la vue de Montréal du haut d'une balustrade sur la montagne, carte postale de Montréal automnale, le raton laveur toujours bel animal et intelligent, mais quand affamé il est la nuit, il fait de jolis dégâts si la poubelle n'est pas verrouillée, la pluie et le soleil dans les dessins, Le dessin de l'ami-demi-aveugle, les petits souliers roses de bébé et encore le beau mille-pattes avec des couleurs stimulantes au moral. Merci Lénaïg du cadeau que tu m'offres, du temps et de l'amitié. Ça vaut plus que le gros lot de la poule aux oeufs d'or.
Merci à mon ami Stellamaris, à Marie-Louve mon amie aussi, à ma rivale Cunégonde (ceci de Josette) . Merci à Jill-Bill, à Reinette qui m'encouragez sans me connaitre et dont j'ai l'intention de découvrir à mon tour.
Bises à tous ... Au revoir Léna, toi aussi mon amie.
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Coucou Di ! Merci beaucoup d'avoir accepté de m'offrir ton texte, qui date de 2008 je crois, qu'entre autres j'aime beaucoup car je trouve bien agréable de te suivre dans tes mots, dans cette atmosphère que tu crées et qui n'appartient qu'à toi ! C'est ce billet qui donne d'ailleurs son titre à ton "coin" ici !
Bisous.