• Défi n° 36 des Croqueurs : Lenaïg - Boris et Gloria

    Boris et Gloria editedZineb, de mobilhome, propose :

    Ecrire un dialogue de théâtre (à deux personnages, ou plus si vous voulez) construit sur ... rien. Un dialogue de sourds, ou un dialogue absurde, qui n'a ni queue ni tête, et qui ne tiendra que par sa structure.

    Ceux que la forme du théâtre n'inspire pas pourront choisir un écrit romancé, mais il doit quand même y avoir un dialogue.

    Amusez-vous !

    Postez votre texte pour

    Lundi 23 août à 8 heures

    (programmez)

    ***

     

    Boris et Gloria

    On entend la voix d'un récitant, qui plante le décor de cette unique scène, dont toutes les répliques sont des citations (voir plus bas, en notes) :

    Une dizaine d'êtres humains, humanoïdes, androïdes, parmi lesquels le toubib dénommé Roux, tous membres du même équipage spatial, ainsi qu'un animal imaginaire mais bien présent sur la scène (répondant au nom de Pantoufle), autour d'une chocolatière à moitié vide dans un confortable logis extraterrestre, celui de Gloria, qui avait besoin d'un coup de main pour s'extirper des pattes de malfrats.

    Tous sont figés jusqu'à l'entrée du héros, parti effectuer seul une mission.

     

    Le récitant fait place à la voix du héros, Boris :

    Je les trouvai ensemble …], une chocolatière à moitié vide entre eux sur le comptoir.

    JH, page 310

    Le patrouilleur avait atterri sur le misérable astroport d'Esoter. Dès leur descente, les membres de l'équipage avaient ressenti une atmosphère de sourde hostilité. Alors qu'ils espéraient prendre du bon temps […] le reste de l'équipage sentit son enthousiasme refroidir quelque peu.

    Rahar, page 81

    Toute cette bataille navale n'a pas duré plus de cinq ou six minutes ; mettons sept et n'en parlons plus !

    En moins de temps qu'il en faut à votre fruitier pour transformer d'un coup de pouce discret huit cent cinquante grammes de prunes en un kilo de prunes, j'ai rétabli la situation, liquidé les trois gangsters, mis la main sur la vedette et sauvé Gloria.

    SA, page 46

     

    Il entre et les autres acteurs s'animent.

     

    Boris, détendu, en s'asseyant, à Roux, le toubib inquiet :

    - Quelque chose ne va pas ?

    JH, page 166

    Roux, se détournant de la fenêtre :

    Je ne suis pas sûr. Ce n'est sans doute rien.

    JH, page 166

    Boris :

    Pourquoi est-ce que tu nous racontes toujours des choses qui ne sont pas vraies ?

    AG, page 218

    Roux :

    J'ai seulement cru voir quelqu'un qui descendait la colline, c'est tout. C'était sans doute une illusion d'optique. Il n'y a plus personne maintenant.

    JH, page 166

    Boris :

    Avez-vous goûté à l'alcool de figue ?

    SA, page 95

    Roux :

    Et comment, Capitaine ! C'est une drogue qui sublime certaines de vos facultés paranormales latentes. Je ne crains pas d'avancer que ça a des effets différents selon la personnalité du sujet. J'en ai synthétisé une certaine quantité, mais je suggère de ne l'expérimenter qu'à la fin de cette crise.

    Rahar, page 59

    Boris :

    Mais de qui l'épicier la tient-il ?

    AG, page 239

    Gloria :

    Le réseau du Pirate Noir !

    Rahar, page 89

    Boris :

    Je ne suis pas sûr que ça plairait beaucoup à Pantoufle […] Peut-être qu'il aimerait mieux un jus de pomme à la place ?

    JH, page 164

    Pantoufle :

    J'ai faim, […]. Quand je veux manger, cette servante m'apporte toujours du chocolat. Madame de la Pérouse a dû lui dire que je ne prenais rien d'autre. Vous seriez aimable d'aller à la cuisine […] et de voir s'il n'y a pas des œufs. Je crois qu'elle m'a dit qu'il y en avait.

    Gloria :

    Vous voudriez qu'elle vous prépare un œuf sur le plat ?

    Pantoufle :

    Je crois que j'en mangerais bien deux.

    AG, page 314

    Boris, souriant à Gloria :

    J'ai dans l'idée, ma chérie, que vous allez être tranquille désormais. Cette bande d'aigrefins est détruite. J'ai dans l'idée que ces trois vilains messieurs étaient nés sous le signe du poisson.

    SA, page 45

    Gloria ("elle paraissait heureuse, presque euphorique") :

    Il faut que je me débrouille toute seule.

    JH, page 311

    J'ai une vision : tu fuis tes ennemis … qui en même temps ne sont pas tes ennemis. Il semble cependant que tu te trompes d'ennemi : c'est un peu confus, une sorte de brume enveloppe ton esprit. Je pressens de grands bouleversements dans l'univers et tu y joues un grand rôle. Je n'en vois pas les détails et je ne sais pas ce que cela signifie. Ne te laisse pas tromper par les faux-semblants. Mais je vais te faire accompagner par quelques chasseurs, nous connaissons des voies souterraines et des tunnels qui te permettront d'arriver discrètement où tu veux.

    Rahar, page 96 

    Boris :

    Je suis comme le poète, je trouve que l'imminence du danger constitue pour l'homme une espèce de libération. Lorsqu'il est au seuil de l'inévitable, le voilà qui franchit ses mesquines limites quotidiennes.

    SA, page 200.

    ***

     

    AG = André Gide, Les Faux Monnayeurs, 1925.

    JH = Joanne Harris, Chocolat, 1999.

    Rahar = Rahar, Le Pirate Noir, 2006.

    SA = San-Antonio, La rate au court-bouillon, 1968.

    ***

     

    Sans vergogne, j'ai emprunté aussi les noms à certains des personnages des quatre romans.

    J'ai envie de mieux faire connaître Boris (qui chez Rahar s'appelle Kriss, en fait) et Pantoufle, lapin imaginaire d'Anouk. Le Boris d'André Gide et l'Anouk de Joanne Harris sont deux enfants.

    ***

     

    Extrait de Les Faux Monnayeurs, d'André Gide (seconde partie, chapitre II, Le journal d'Edouard : le petit Boris) :

     

    "- Voyons, Boris, sois gentil. Tu sais que cela ferait plaisir à maman que nous sortions ensemble. Où as-tu mis ton chapeau ?

    - Vibroskomenopatif. Blaf blaf.

    - Qu'est-ce que ça veut dire ?

    - Rien.

    - Alors, pourquoi le dis-tu ?

    - Pour que tu ne comprennes pas.

    - Si ça ne veut rien dire, ça m'est égal de ne pas comprendre.

    - Mais si ça voulait dire quelque chose, tu ne comprendrais tout de même pas.

    - Quand on parle, c'est pour se faire comprendre.

    - Veux-tu, nous allons jouer à faire des mots pour nous deux seulement les comprendre.

    - Tâche d'abord de bien parler français.

    - Ma maman, elle, parle le français, l'anglais, le romain, le russe, le turc, le polonais, l'italoscope, l'espagnol, le perruquoi et le xixitou."

    Tout ceci très vite dit dans une sorte de fureur lyrique.

    Bronja se mit à rire.

    - Boris, pourquoi est-ce que tu racontes tout le temps des choses qui ne sont pas vraies ?

    - Pourquoi est-ce que tu ne crois jamais ce que je raconte ?

    - Je crois ce que tu me dis quand c'est vrai.

    - Comment sais-tu quand c'est vrai ? Moi je t'ai bien crue l'autre jour, quand tu m'as parlé des anges. Dis, Bronja : tu crois que si je priais très fort, moi aussi je les verrais ?"

    ***

     

    Extrait de Chocolat, de Joanne Harris (chapitre 18, Samedi 1er mars) :

     

    "Blanche me tendit une grande tasse contenant du vin chaud épicé ; je m'en emparai avec un sourire.

    "Voyons ce que vous pensez de ça", me dit-elle.

    Sucré et relevé de citron mais aussi de muscade, le breuvage était tellement alcoolisé qu'il vous brûlait la gorge. Pour la première fois depuis des semaines, la nuit était claire et notre haleine dessinait de petits dragons pâles dans l'air immobile. Une mince brume planait sur la rivière, qu'éclairaient de-ci de-là les lumières des bateaux.

    "Pantoufle en veut, lui aussi", dit Anouk, en indiquant la casserole de vin épicé.

    Roux sourit : "Pantoufle ?

    - Le lapin d'Anouk, m'empressai-je d'expliquer. Son ami … imaginaire.

    - Je ne suis pas sûre que ça plairait à Pantoufle, lui dit-il. Peut-être qu'il aimerait mieux un peu de jus de pomme à la place ?

    - Je vais lui demander", dit Anouk.

    Roux paraissait différent ici, plus détendu : sa silhouette se profilait sur le feu pendant qu'il surveillait sa cuisine. Je me souviens des écrevisses, fendues en deux et grillées sur les braises, des sardines, des épis de maïs, des patates douces, des pommes caramélisées roulées dans le sucre et revenues un quart de seconde dans le beurre, des crêpes bien épaisses accompagnées de miel. Nous mangeâmes avec les doigts dans des assiettes en fer-blanc, nous régalâmes de cidre, puis encore de vin chaud aux épices. Quelques enfants se joignirent à Anouk pour s'amuser sur la berge. Armande vint elle aussi nous rejoindre, se réchauffant les mains au-dessus du brasero."

    ***

     


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  • Commentaires

    1
    Lundi 23 Août 2010 à 10:01
    rouergat

    Bravo Lenaig

    En plus tu te permet, facilement, de faire le défi deux fois

    Avec des montages d'extraits de vrais pièce: félicitation

    Amicalement

    2
    Lundi 23 Août 2010 à 10:34
    Du mobilhome

    bravo... sacré boulot !

    décidément, c'est l'heure de l'apéro chez les croqueurs de mots ce matin. A moins que ce ne soit l'after ? on ne dessoule pas et c'est ça qui est bon !

    3
    Lundi 23 Août 2010 à 16:39
    marie-louve

    Quel travail magnifiquement bien ficelé ! Tu as dû plancher solide pour nous construite tout ce montage digne d'un Ionesco. Encore mieux, le deuxième volet nous laisse voir des extraits judicieux de ces grands maîtres de cette forme de littérature. Pour célébrer ce bon temps partagé, on trempe des fraises dans la chocolatière et on sort le champagne ! Tchin, tchin !

    Merci Léna de m'avoir invitée à ce défi. Comme Pantoufle et le lapin, je me faufile et crois-moi, j'ai aimé apprendre dans les coulissses de ces extraits de pièce de théâtre que tu nous as présentés avec bon goût. Bisous et bravo !  

    4
    Mercredi 25 Août 2010 à 23:29
    Tricôtine

    coucou Lénaïg, dis donc tu ne fais pas dans la dentelle !! drôle de travail pour insérer quatre oeuvres bien serrées dans un joli torchon à carreaux ça donne envie de de pique niquer sur l'herbe pour savourer le joli jambon bien ficelé et mariné à l'alcool de prunes !! hic ! hourra merci pour ce joli défi et pour les tissages bretons !!   gros bizzoux

    5
    jill bill
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:53
    jill bill

    Bonjour lenai, oserai-je te dire les petits plats dans les grands, façon de cause, pour un gueuleton littéraire complet ! Et toi et eux... c'est tout bon !  Je te bisouille à la façon de Hélène.. Jill

    6
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:53
    Mona															l

    Quel travail soigné et bien léché!  Rahar va se prendre la grosse tête si tu le places au même rang qu'André Gide et Joanne Harris, héhé (c'est pour le faire réagir) J'ai aimé cet écrit.

    Vraiment. L'ami imaginaire de la petite qui à la fin aura un petit frère ou une petite soeur, mais sans papa, c'est extraordinaire. J'ai aussi lu "Les saltimbanques" avec plaisir. Défi bien relevé, chapeau!

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