• Une fugue (3/3) - Dominique B. - Nouvelle

    p-sticker-parisLe père,  qui ne se soucie pas de ces états d'âme : ce qui compte avant tout se résume à l'entretien de la maison et du jardin...

     

    - Louis, tu ramasseras les feuilles ! Louis, n'oublie pas l'arrosage !

     

    Le terrain de huit cents mètres carrés ressemble au petit Versailles avec ses pelouses rectangulaires où pas un seul brin d'herbe ne dépasse des bordures austères.
    Les allées, parsemées de graviers immaculés, délimitent ces morceaux domestiqués qu'entourent
    des troènes taillés plusieurs fois dans la saison. Les arbres fruitiers rivalisent avec un parterre de légumes et des rangées d'hortensias.

     

    - Louis, le désherbage !

     

    Patrick, le cadet, réussit à se faire oublier dans l'entretien des voitures tandis que Marie déserte la vaisselle, pour d'autres cieux...

     

    - Tu veux bien laver les assiettes, chéri ?

     

    - Quand j'aurai fini, souffle lourdement Louis à sa mère. Après, je pourrai jouer avec les copains, m'man ? 

    Une demande timide dans laquelle pointe une trace de jalousie envers son frère et sa soeur.

    - Il faut d'abord que tu aides ton père pour son bricolage, répond-elle.

     

    Patrick apparaît quand il veut tandis que Marie flirte avec le voisin...

    Combien de fois Louis endurera de longues stations immobiles à tenir des pièces pour son père et lui transmettre des outils?

    L'enfant rêve, avec toutefois la satisfaction du sourire paternel satisfait de son aide et, ô miracle, une complicité fugitive mais chaleureuse... .

     

    « Pourquoi seulement cela, papa ? » pense Louis qui ne sait pas faire semblant.

     

    - Intéresse-toi à ton travail ! gronde le paternel. Le fer à souder passe devant son visage comme un éclair bleuté et Louis s'écarte brusquement en rattrapant la pièce d'un geste vif ; son père le scrute et soupire pendant que l'adolescent lui pose des questions n'ayant rien à voir avec les grilles du portail qu'il est en train de restaurer...

     

    - Concentre-toi, ne bouge pas !

     

    - Oui, papa, répond Louis en pensant au bleu féerique qu'il transpose sur un tableau imaginaire...

     

    Peut-il parler de ce qu'il aime ? Impossible. Il cherche son regard, mais ne le trouve pas. Il raconte à sa mère des histoires de ce monde qu'elle ignore, elle aussi.

     

    - Mon petit, le monde est ainsi, soupire-t-elle.

     

    L'adolescent, dans le noir, a peur sur son vélo branlant.   (« Ai-je bien réfléchi avant de m’enfuir? ») pense-t-il entre deux sanglots étouffés.  (Désespérément, il tente de se convaincre qu’il a pris la bonne décision.)

     

    Ils vivent sur des planètes différentes sans parvenir à se rejoindre. Ses parents mettent ces conflits sur l'inévitable crise de la puberté.

    Le père, de nature inflexible rajoute des travaux, sourd aux plaintes grandissantes de ses enfants.Un jour, après maintes disputes nourries de punitions de plus en plus injustes, Louis est encore une fois privé de vélo. Le “deux roues” lui importe peu, mais partir à l'école à pied devient intolérable à son âge : il vient d'avoir quatorze ans.

    Il souhaite parler, s'expliquer une bonne foi, le père ne veut rien savoir ; sa femme, trop effacée, n'ose rien dire.

     

    « Ça suffit ! » Louis, patiemment, scie l'antivol du vélo discrètement en planifiant son départ définitif : il montera vers Paris et il leur fera voir, à tous ! « Je partirai avec mes trésors : mon journal, quelques affaires de rechanges, quelques francs, et j' y arriverai bien ! ».

    23 h 30, le calme nocturne recouvre les dormeurs qui ne soupçonnent rien ; il est temps. « Je ne reviendrai pas... »

     

    L'aube va se lever. L’adolescent est loin, loin de chez lui : il vient de faire une fugue...

    Fin

    Auteur : Dominique.

    Image :
    LeSiteDesCreateurs.com


    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    1
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:57
    Mona															l
    Pour moi le père ne mérite aucun reproche. Il a été élevé" à la dure" et reproduit ce qu'il a connu. Il me fait penser à beaucoup d'hommes de la génération de mon père. Pour eux, montrer ses sentiments, surtout quand on est un homme, c'est un signe de faiblesse et ceci ne signifie aucunemlnet qu'il n'en ressent pas. Cet homme là n'ignore pas son fils; aucontraire, il cherche tout le temps à l'occuper parce qu'il le croit "malade des nerfs"; ainsi il ne ruminera pas ses idées noires. Il y a des gens qui pour ne pas penser, ne pas souffrir, s'étourdissent dans le travail (d'autres se réfugient dans la drogue, l'alcool et c'est pire). Je crois qu'il a peur que son fils ne soit pas capable de se débrouiller dans la vie alors il veut l'endurcir. Quant à la mère, plus sensible, elle a confiance en son époux.
    2
    dominique
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:57
    dominique
    Intéssant, vos réactions à toutes les trois (Léna, Marie-Louve et Mona)
    Difficile, en vérité, d'être clair et précis sur un sujet comme celui-là, ou alors il faut écrire un roman ou, du moins, une "grosse" nouvelle...
    La vérité est bien au-dessus de cette histoire, bien plus douloureuse aussi car, pourquoi le cacher, le petit Louis c'est moi. Tout ce qui est écrit fut vrai : Le père ne voulait pas d'enfants, la maman était malade et faible ; les enfants se sont dispersés --- une soeur instable que je n'ai revu qu'une fois depuis 25 ans, un frère en hôpital psychiatrique depuis 1991 et moi qui fugua, puis revint, puis repartit, mais sans jamais couper les liens...
    Oui, la réalité fut bien au-delà de cette nouvelle, mais j'ai appris à pardonner...
    Grosses bises à toutes.
    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :