• Un parrain - Dominique - Portrait (1/2)

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    Parrain : un personnage mystérieux, homme fondu sous les clichés et les fantasmes populaires. Pénétrons dans son âme, ses désirs, ses peurs, ses espoirs.

    Êtes-vous prêt au voyage, à vous perdre dans ses abîmes ?

     

     

    Un parrain  

     

    « Monsieur Fernand, pourrais-je vous voir ? Monsieur Fernand, ce serait  pour... Monsieur Fernand... »

     

    Les Italiens diront que l'on ne me parle pas comme ça, comme à un Don ;

    les Américains ricaneront, les Russes souriront, et vous les Français, et les autres ? Que m'importe ces foutues traditions montées comme des murs d'enceinte sur une respectabilité de façade, qu'importe la vérité des apparences ! Ce que je sais moi seul le sait, ce que je pense m'appartient et m'échappe en même temps. Peuh ! Personne ne voit ce que j'éprouve vraiment, ils me craignent en tremblant de ce que je ferais d'eux, si...

    J'ai peur, et je ne peux le dire à personne, encore moins à mes proches ;

    qu'est-ce qu'ils penseraient alors ? Je suis riche, puissant, adulé, haï et craint à la fois, j'ai bâti un empire comme mes prédécesseurs, comme ceux qui me succèderont ; et alors ?

     

    Du sang, rien que du sang...

     

    Rappelle-toi Fernand, de ton enfance qui n'était pas misérable, au milieu de ce monde pourri. Tu ne le voyais pas alors ce monde et tu voulais tout, déjà. La famille, la fratrie : celle qui t'inculque les désirs interdits en te convainquant que Dieu le permet. Ils le mettent à toutes les sauces celui-là, ils crachent dans le bénitier et se signent ensuite, ils achètent les bonnes oeuvres avec un sourire en coin, ils t'endorment le corps et l'âme. Mais c'était si bon la vie, cette semence d'adolescent qui regardait les filles comme des fruits ardents, des images de chair dénudant leur poitrine. J'avais quinze ans, l'univers m'appartenait et la Terre m'ouvrait ses bras de pucelle farouche. Ce sont, elles, ces putes, ces garces, qui m'ont souillé le coeur et alangui la carcasse. Ah ! Qu'est-ce que je n'aurais pas fait pour elles ? Il me les fallait toutes et tu parles ! Le pognon, voilà le grand séducteur, hein... ?

     

    Et après ; j'étais pris. Bah ! Il y avait le clan ouais bien sûr, la cosa, le fric, les affaires... Fais tes études, petit qu'il m'avait dit le paternel. Les études ; on sait pourquoi, on croit connaître...

     

    — Monsieur Fernand ?

    — Laisse José, laisse. Qu'on ne me dérange pas. Va voir Pierre ou Dédé qui s'en chargeront.

     

    L'homme au masque dur trembla de la main droite dès que la porte se referma. Sa tête se baissa en accueillant son membre dans un mouvement lent, comme pour l'arrêter. On eût dit qu'il priait. De grosses gouttes perlaient sur son crâne.

     

    Je me débrouillais pas mal à l'université, et quand les scribouillards me tannaient, m'esbouriffaient, m'escagassaient comme ils disent à Marseille, le pognon accrochait la note de l'examen. Les affranchis, que c'est pratique s'il faut. J'ai quand même voulu vivre « à l'honnête » vers vingt ans. Une garce m'avait plaqué dès qu'elle avait appris que l'oseille s'essoufflait dans mes poches : le vieux m'avait coupé les vivres ad vitam aeternam ; enfin presque.

     

    Les apparences : je réalisais l'envers du décor ; en un instant, le monde m'apparut comme une immense estrade de théâtre et je voulus jouer juste, par défi ; petite crise d'adolescence tardive...

     

    J'avais été au catéchisme comme tant d'autres qui obéissent et pensent à autre chose devant des matrones cléricales rarement sexy, mais très gentilles. Les vieux, ça leur donne bonne conscience. On y parlait des sept péchés capitaux comme d'une pelote dont le bout sulfureux entraîne une foule de petites conneries en boule de neige. Tu parles, c'était surtout celui de la luxure qui m'intéressait. Le vol, l'avarice, l'envie, la paresse, quoi ? C'est pas la vie ça ? Maintenant je comprends mieux la spirale sans fin, les petites choses entraînant d'autres choses, un peu moins faiblardes jusqu'à...

     

    Pistolet - www.eleonard.chez.comLe meurtre ? Et quoi ! La nature n'engendre pas la jungle, peut-être ? La première fois fit de moi un homme parmi les autres. Du reste mon père ne donnait-il pas l'exemple dans la famille ? J'ai vomi mes tripes jusqu'à ce que je puisse les recouvrir sous les mouchoirs d'autres escarmouches. À partir du second coup de sang, on s'y fait. Enfin...

     

    Ils ne vous disent pas, les gars, la lumière rouge d'hémoglobine fondant sur vous comme une cape mal ajustée posée à la « va-vite », les cris sourds qui rampent dans vos oreilles avec une note aiguë à la fin, les voix mystérieuses qui vous pressent le « palpitant » comme une pompe mal graissée qui se vrille. Ils ne vous racontent pas ce que les mots ne peuvent pas décrire, quelquefois... Les films d'horreur sont pour les enfants de choeur...

     

    Et vous devenez un jour le patron, le cador dont les yeux fusillent l'inconscient ou le lâche. Ils ne vivent pas vieux dans les familles. On vous fait des courbettes avec un couteau dans le dos qui servira à ouvrir la lettre des obsèques de votre mort. Ils vous aiment avec un regard acéré. Mon père a tiré sa révérence et le gratin bourgeois a fourbi ses anciens pour la cérémonie. J'étais son lieutenant, au vieux. J'avais joui pour un temps de l'ivresse des forts qui maîtrisent un rouage sans comprendre le tout.

     

    À présent, mon heure venait, sombre et réelle, avec l'angoisse étreinte d'un pouvoir à étendre en devant faire confiance à des fripons rusés qui vous adorent un jour et qui le lendemain...

     

     A suivre

     

    Dominique

     

    Illustrations :

    Mafioso : www.img.generation-nt.com

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 1er Septembre 2010 à 16:23
    marie-louve

    Un portrait sombre, mais réussi, d'un sombre personnage qui plonge au coeur de sa conscience. Paradoxalement, ce mafioso blindé sous son masque de sans peurs ni lois, en a une. Une agréable lecture à suivre.

    2
    Mercredi 1er Septembre 2010 à 18:43
    Lenaïg Boudig

    Coucou Dominique, coucou Marie-Louve ! Etonnant, on pénètre à l'intérieur du cerveau d'un mafioso, un caïd, un cador qui plus est ! On voit qu'il sait distinguer le bien du mal, après avoir réfléchi, on sent qu'il est dans un engrenage mais il ne songe pas un instant à mettre les bouts, il est "en charge" mais il y a la peur, constante ... Très prenant et ce n'est pas fini !

    Merci beaucoup, Dominique ! Bises à vous deux

    3
    Mercredi 1er Septembre 2010 à 22:27
    jill bill

    Ambiance... atmosphère... Reçue le flingue sur la tempe et l'autre qui vous dévisage en entrant... brrrrrr, un monde noir où la loi du plus fort.... Et bien de la mythologie à la maffia  bonjour le voyage... On en a pour son neuro-ne !!!!  Bonne soirée la bande et bisous à toa Lena.... jill  

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