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Un clown, un enfant et un lapin - Lenaïg, défi n° 69 de Lilou-Fredotte
En ce doux soir de mars 1889, dans un petit village du département du Rhône, Grand-père, assis sur une chaise qu'il avait tirée sur le pas de sa porte, fumait pensivement sa pipe (car, en ce temps-là, on n'avait pas évalué la nocivité du tabac ; la pipe faisait partie du paysage et personne ne songeait à s'offusquer au point de trafiquer affiches et photos et de retirer la sienne à à Jacques Tati ; Lucky Luke n'était pas encore né mais, s'il avait vécu, on ne l'aurait pas vu machonner un brin d'herbe, ni un chewing-gum, d'ailleurs, qui aurait été tout à fait anachronique). Rassuré et attendri par la voix de son petit-fils Jean-Mimi, dont le murmure de la voix dans la grange lui parvenait, Grand-père respectait l'intimité de l'enfant et du lapin et ne serait pas allé les déranger ; Jean-Mimi était occupé à raconter ses secrets à son lapin favori.
Grand-père se mit à se rappeler ses débuts difficiles d'enfant de la balle à Prague, où, malgré les incertitudes du lendemain et le ventre souvent creux, il avait connu une joyeuse bohème. Sur le vénérable Pont Charles, ses pîtreries amusaient les passants les soirs comme celui-ci. Quand la recette dépassait leurs espérances, avec ses compagnons jongleurs et autres Polichinelle, Arlequin et Colombine, il se payait un bon repas au restaurant et c'était la fête jusque tard dans la nuit.
Le montreur d'ours les rejoignait lorsque les autres clients étaient partis car ceux-ci n'auraient pas apprécié de voir la brave bête entrer aussi ! C'était pourtant ce qui se passait : l'ourse débonnaire, et pourtant en représentation très impressionnante comédienne, s'asseyait à table comme tout un chacun. Il fallait l'avouer, c'était elle qui se tenait le mieux : pas de hurlements de rire ni de tapes sur les cuisses, ni de chansons paillardes ; non ! juste quelques grognements discrets de satisfaction en dégustant les gamelles qu'on lui apportait ...Mais personne ne mangeait à sa faim tous les jours.
Plus tard, Grand-père clown eut son heure de gloire, engagé dans des tournées mondiales de cirques de grande réputation. Retraité maintenant, et sédentaire, il avait actuellement la garde de Jean-Mimi, qui portait toujours son pendentif au cou, cachant sous ses habits un médaillon boîtier contenant un daguerréotype de son papa et de sa maman, un duo de trapézistes qui ne se posaient que rarement. Il aurait voulu que sa fille, la mère de l'enfant, eût un métier sérieux et sans danger et elle avait d'ailleurs poursuivi des études. Il ne l'avait pas écoutée, sa fille, quand elle déclarait ne vouloir vivre que pour le cirque, déjà gamine.
Quand elle avait épousé Zef, trapéziste en troupe, elle exerçait un métier de secrétaire. Mais, quatre ans après la naissance de Jean-Mimi, Zita, qui n'avait cessé de s'exercer pendant ses loisirs, lui déclara : "Terminé le secrétariat, Papa, je ne m'y épanouis pas. Notre numéro à deux est prêt, à Zef et moi, et nous allons partir en tournée". Il avait piqué une colère monstre. "Mais je t'avais prévenu, Papa !" avait-elle répliqué et il avait fini par se calmer. Cet été, Jean-Mimi les rejoindrait pour toutes les grandes vacances. A cette perspective, l'enfant avait plein d'étoiles dans les yeux. Quand il serait grand, Jean-Mimi, quant à lui, serait vétérinaire ... de cirque !
Grand-père se leva et rentra pour allumer la lampe à pétrole, puis se pencha par la fenêtre pour héler l'enfant :
"Jean-Mimi, dis bonsoir à ton lapin et viens ! Il y a école demain !"
Lenaïg
Illustrations glanées sur Google images :
- Jacques Tati et sa pipe censurée,
- Lucky Luke et son brin d'herbe,
- Sur le Pont Charles à Prague
- Vue du Pont Charles la nuit.
Ci-dessous, l'énoncé du défi de Lilou-Fredotte,
qui a réalisé une très jolie photo-montage,
à voir chez elle !
Défi 69 « Les huit éléments »
Pour ce défi,
je vous propose d’écrire une histoire
vers ou prose
en utilisant les éléments suivants.
Peut importe l’ordre.
des personnages : un grand-père et un enfant, Jean-Mimi
une profession : clown
une période : mars 1889
des lieux : Le pont Charles à Prague
et le département du Rhône
un objet : un pendentif
un animal : un lapin
Mais ce n’est pas tout vous devrez aussi placer la phrase
« et pourtant, je t’avais prévenu(e) »
Tags : grand, mimi, jean, , enfant
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Commentaires
Je me suis régalée en lisant ton récit qui est à la fois enjoué et plein de nostalgie !
J'aime les lundis des Croqueurs où l'imagination des uns et des autres est si variée !
Bonne journée - bisous
ce que j'aime dans les défis, ce sont les mille façons de les faire. Encore un ebien belle façon de respecter toutes les consignes dans une bien belle histoire qui les fait oublier
bises et belle journée
Jolie description de la vie d'artistes; j'ai bien aimé l'ourse attablée!
Bonne journée Lénaïg!
Bravo Lénaïg, le défi est parfaitement relevé et ce nétat pas facile ton histoire est de plus trés bien écrite Félicitation. Bien amicalement.
Henri.
Bonsoir Lénaîg,
un récit prenant pour ce défi aux multiples obligations. Le relever n'en était que plus intéressant, et te lire un bonheur.
Une tranche de vie attachante, avec des personnages très vivants, qui s'épanouissent devant nous.
Merci pour ce moment de lecture,et de gros bisous
Quel talent de conteuse ! Voilà un récit qui sait nous captiver dès le départ et ce jusqu'au dernier mot. Mission accomplie: toutes les contraintes sont respectées avec brio. Bon lundi Léna, bisous.
Bonjour Lénaïg,
Une très belle histoire agréablement contée. Je constate que tout le monde a rivalisé d'ingéniosité c'est super !
Bises et beau début de semaine
Dominique
Haaaaaaaaaaaaaa Jacques Tati ! que de poésie ! je peux regarder en boucle Mon Oncle et les Vacances de M. Hulot ! Bon choix que tu as fait ! bonne soirée bises phéline
Coucou, bonsoir à tous. Merci beaucoup pour vos visites et vos commentaires. Ce soir, grand coup de fatigue, je ferme boutique et vais faire dodo. Je compte rendre visite à ceux que je n'ai pas encore lus demain avec plaisir. Bises !
Cela semble si simple, à lire ton récit ! Moi, j'ai dû renoncer, alors je sais que ça ne l'est pas ! Bravo !!!
Bonjour, Lenaïg,
Je suis tombée sur ta réponse au défi 69 par hasard ( je n'avais pas eu le temps de lire cette proposition des Croqueurs de Mots ) : or je reviens d'un week-end à Prague ( à l'occasion du Festival de l'Avent la chorale où je chante a été invitée à venir faire une prestation ).Quelle surprise de voir le pont Charles aussi désert !!!
Mais j'en reviens à ton article qui fait vivre ces personnages et je me représente très bien le grand-père avec sa foule de badauds admirative...
Merci pour cette belle lecture ( et ce re-souvenir )
Bises
Denise
Merci de ta participation. un beau texte plein de sensibilité et de souvenir et peu importe si c'est de la ficition, celle-ci est toujours basée sur les sentilments humains et une par de vérité.
A tantôt
Lilou
Ah me voici enfin sur le pas de ta porte Léna !! goûtant la quiétude du soir en fumant une pipe bien méritée .... Ton texte est doux, et se lit avec plaisir , ah ces parents qui voudraient que leurs enfants aient des emplois dits "sérieux", je crois qu'il vaut mieux vivre ses rêves que les laisser passer ! Bravo pour ton défi, il me plait de penser que Jean Mimi fait des confidences à son lapin !!! gros bizzzoux de mon pays lointain !!!
17Mona lVendredi 6 Juillet 2012 à 08:39
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Bonjour petite étoile ! J'ai appris un mot nouveau dans ce texte rempli de souvenirs d'un grand-père songeur... pipe à la lippe ! Daguerréotype ! Ah le cirque ils l'ont dans l'sang ! Bisous de jill