• SDF - Dominique B.

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    SDF

      

    Un trottoir noir de monde, une ville galante avec des bruits glacés, criés,

    aimés. Une odeur de friture, une crotte qui pue et des voix se plaignant,

    toujours. 2010 on line. La vie va et vient, mon oeil se pose plus loin que le

    temps qui passe en accrochant un homme à terre. Un peu plus loin un autre.

    Je m'approche et le premier me regarde étonnamment, comme si je lisais ses

    pensées. J'écoute, j'entends peut-être, ses mots sourds :

    Ils ne me voient pas. S'ils savaient qui j'étais, avant...

     

    Ils ne me connaissaient pas c'est vrai, seulement mon portefeuille, mes

    apparences et ma bobine de richard content de lui lorsque je les croisais

    sous cette apparence...

     

    À présent, ils parlent de moi quelquefois, en croyant que je ne les entends

    pas tant je suis devenu inerte, assis sur mon trottoir, mon banc d'occasion...

    Pitié ou sourire moqueur réduisent aujourd'hui mon existence. Restons-en là

    donc : plus rien à dire. Sujet tabou, inexistence, circulez : y a rien à voir.

    Ouais, même cette expression existe, elle ; mais moi ? Est-ce que je vis à

    travers les associations, les restos, les files de soupe populaire ? Vous me

    voyez, vous ? Oui, c'est à vous que je parle ; que j'écris : les "ils", c'est vous.

    Vous avez compris ou faut-il que je répète, merde, afin que j'aie un peu d'existence,

    remerde ?

     

    Le luxe de la franchise quand elle vient d'en bas, de nous, n'est-ce pas ?

    Ceux n'ayant plus rien à perdre, ouais, oui... Elle ne dérange pas cette

    franchise, elle ne médiatise pas, hein ?

    Vous êtes encore là ? Ou avez-vous fui ce pamphlet dérangeant comme

    vous me fuyez dans la rue ... Oh pas tous, c'est vrai ! Il y a ceux qui ont pitié

    et vous jettent un regard de peine en donnant quelquefois une pièce, il y a

    ceux qui font plus en parlant avec nous, en nous réconciliant, en nous aimant

    un peu, en...

     

    — Hé du con, bouge-toi de là !

    « Un franc lui, comme je les aime. »

    — Fainéant, trou duc.., bouge-toi, j'te dis !

    L'homme se lève péniblement, la tête embuée par une nausée existentielle

    plus vermoulue qu'un alcool-cliché décrit sous les chaumières des bienpensants.

    Il bouge, pour aller où ?

     

    Le foyer, le carton, les amis grinçant des dents ? Ses yeux sont rougis, ses

    chairs tuméfiées par la station assise ou couchée sous toutes les

    températures de l'âme et du corps, il bouge l'homme...

     

    Tête vide envahie de nouveau par ses pensées humaines et une peur

    craintive d'animal isolé. Il avance sans regarder son visage dans le reflet des

    vitrines des magasins fermés aux hommes comme lui ; mais il ne pleure pas,

    il ne pleure plus, il respire afin de ne pas mourir. Hier, il a pissé sur le mur

    d'un hôpital, à l'intérieur du bâtiment et sous des yeux horrifiés.

     

    « Merde, j'ai oublié... Les repères, oui, les repères... pense-t-il en s'éloignant

    sous des cris, des injures. Je deviens con ou quoi ? Bof... » Les bras de la

    dignité ont suivi ceux de sa carcasse voûtée de SDF...

     

    Oh, ce corps que j'oublie, peu à peu se rappelant à moi sous le froid, la

    douleur d'un endroit douloureux. Les coups aussi..., ceux de mes

    compagnons, ceux de mes ennemis. Je l'avais tant chéri ce corps dans une

    hygiène consommée, une nourriture fine, un soin presque expressif, avant.

    Comprenez-vous qu'à force de marcher, de se laver rapide sous des

    douches gagnées, de pas se regarder sous une glace teinte, ce corps faut

    qu'on l'oublie ! Enlever des chaussettes couvrant des pieds crasseux qu'on

    veut plus regarder sous la corne durcie par les sols inhumains ; je referme le

    tout sous la godasse usée au son des kilomètres aigris par l'homme que je

    suis.

     

    Nécessité, nécessité vous dit-je, afin d'éloigner une mort qui s'annonce.

    Lorsqu'un quartier m'ouvre ses bras vers une place admise aux portes d'une

    église ou celles d'un foyer, lorsqu'enfin je repose cette carcasse aux

    habitudes d'une vie presque ordinaire, l'intérieur me souvient que je suis sans

    abris.

     

    — Hé Fanfan ! (Fanfan, mon surnom de la rue)

    — Tu vas toi ?

    — L'as-tu vu la donzelle qu'est passée ?

    — Et mon cul tu l'as vu ?

    — Couillon !

     

    C'est parti pour rire bêtement, raconter, se raconter les uns aux autres,

    ceux de la rue. Quand tout va bien. Pas toujours... La rue, la jungle, tout ce

    que vous savez, qu'on veut vous faire savoir...

    Les aigris, les rêveurs, les frustrés, les... nous sommes tout cela, comme

    vous, en pire. Vous seriez pareils !

     

    Pourquoi la rue, la peur, le désespoir qui nous ont fait tomber ? Pourquoi ?

    Demain la cravate que vous portez ou vos gants de cuir madame, monsieur,

    serviront à vous pendre ou monnayer l'alcool pour oublier, réchauffer la

    révolte d'un suicide social...

     

    Anars, bourgeois ou paumés, vous demandez-vous en fantasmant sur nous

    une origine romanesque ? Qu?importe : la rue avale les vivants lorsque le

    soleil tombe et ceux qui l'ont choisie (oh si peu !) ne font que la maudire sans

    que vous l'entendiez...

     

    — Hé mec, le système j'en gerbe ; cette vie, je l'ai choisie !

    — Vrai ? Questionne fasciné le passant...

    — No passaran hein dis ?!

     

    Et les voilà, chacun jouant sa comédie verbale et onirique. Peut-être, peutêtre

    pas... Choix, pas choix. Oh la la ! on crève un peu plus vite c'est tout,

    plus vivants qui sait ; de quelle façon : les yeux vers le haut ?

    Et tous les autres, brisés par un roc sur leur chemin, et...

     

    J'ai pas encore bu, écoutez, écoutez-moi. Demain, seriez-vous comme

    moi ? Bientôt, le souvenir de qui j'étais s'envolera... Je vomirai peut-être la

    nourriture fugace ou les eaux de la nuit prises entre deux hoquets.

    D'autres ne boivent pas, eh oui ! Ils rêvent et leurs corps vivent encore

    ainsi. Le mien me réveille quelquefois avec une érection éphémère issue de

    mon passé d'avant ; chez vous. Je bande oui, comme vous... Je vis !

     

    Mais le pire, c'est le temps. Il passe un peu comme lorsque vous attendez

    quelqu'un en retard sur le bord d'une route et que les voitures filent

    indifférentes ; lorsque vous n'avez pas ni portable ni compagnon pour vous

    distraire et que vos pensées insipides commencent à vous peser... Le temps,

    le temps qui passe jusqu'à quand ? Un monde au ralenti qui se déroule dans

    une autre dimension...

     

    J'ai bien pensé faire un casse, un hold-up, un attentat même. Pour où, pour

    quoi ? Vous ne vous étonnez pas qu'il n'y ait pas plus de désespérés jouant

    ces jeux morbides. Un miracle je vous dis, un miracle !

     

    Nous mourrons dans la rue, en prison ou dans un hôpital. L'énergie nous

    fait défaut pour la plupart. Quelques-uns reviennent dans le monde des

    vivants par l'intermédiaire d'un bon samaritain, peut-être Dieu lui-même. Je

    ne lui en veux pas, j'en veux plus à personne. Le luxe de la métaphysique

    n'est plus pour nous ; seules les miettes de la voûte céleste apaisent un peu

    nos vision...

     

    Laissez-moi espérer avant que vous ne rentriez, dans vos maisons.

    Moi le passant je passe. Putain de monde ! S'rons-nous payés pour

    l'éternité ?

     

    Dominique Biot

     

    ***

     

     

     

     


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  • Commentaires

    1
    Jeudi 2 Décembre 2010 à 08:52
    jill-bill.over-blog.

    Bonjour Dominique, bonjour Lena, un texte rude que celui-là, nul n'est à l'abri de la descente aux enfers n'est-ce pas... et une fin de vie bien traduite que celle des sdf... Un bon samaritain, chose rare de nos jours... Chacun pour soi et dieu pour tous.   Bon jeudi à vous deux... Bizzzzzzzzzzz

    2
    Jeudi 2 Décembre 2010 à 09:18
    Monelle

    Ce texte est bouleversant et parle tellement bien de ce qui se passe aujourd'hui encore malgré les paroles de celui qui aurait mieux fait de se taire !!!

    Une de mes amies a fait aussi un très beau poème, écrit en 2009 mais qu'elle a fait remonter, voici le lien

    http://peintrefiguratif.over-blog.com/article-les-ecrits-de-mounette-frayeur-nocturne--41242453-comments.html#anchorComment

    Je te (vous) souhaite une très bonne journée - bisous

    3
    Jeudi 2 Décembre 2010 à 11:08
    Lenaïg Boudig

    Dominique, ils ne sont pas transparents, ces hommes et ces femmes dans la rue. Je crois que tu retransmets très bien leurs pensées, leurs conversations, d'après ce que j'ai pu entendre moi aussi. Non, ils ne peuvent pas être transparents, c'est juste que les gens ne veulent pas les voir. Mais eux, c'est comme cela qu'ils peuvent se sentir : transparents, oui. D'où ce cri de vie.

    Je n'ai pu résister à ajouter les déclarations de notre futur président Sarkozy à la suite de ton texte car je n'en finis pas de fulminer contre les promesses de nos politiques et ce qu'ils en font après. J'ai voulu faire figurer ici aussi la chanson des Restos du coeur avec la voix de Coluche.

    Bises, Dominique.

    4
    Jeudi 2 Décembre 2010 à 11:17
    Lenaïg Boudig

    Monelle, je viens de lire "J'aurai tout donné" de Mounette, un poème qui s'inscrit directement dans la suite des propos tenus de Nicolas Sarkozy aussi, que j'ai fait figurer sur cette page. Une terrible actualité qui non seulement n'a pas changé, mais s'intensifie.

    5
    Vendredi 3 Décembre 2010 à 04:26
    le-panier-a-histoire

    Nouvelle dans la communauté, de passage au hasard sur les blogs, rencontre avec votre texte, bouleversée, tant il est vrai et fort.

    La vidéo est à sa place, sous le texte, "plus un seul sans abri..." J'ai honte parfois de ne pas faire plus que donner un peu d'argent et parler un moment avec ceux que je rencontre qui ont posé leur baluchon dans mon quartier, ils disent que ça compte pour eux pour rester des hommes... Merci pour ce texte émouvant.

    6
    Vendredi 3 Décembre 2010 à 13:45
    dominique

    Merci Léna : tu es trop gentille de prendre ma défense. Oui, je répondrai d'ici à ce soir je pense. Merci à vous toutes de vos commentaires généreux.

    7
    Vendredi 3 Décembre 2010 à 19:56
    dominique

    Allons Mona, j'ai du dérangé ton petit confort intérieur, non ?


    On dirait que tu veux te protéger du laid ou du mal en ne les regardant pas. En fait, je te crois plus dure que moi dans ton regard : presque indifférente au SDF et oublieuse des corps vieillissants... Oh ! ne crois pas que je vois pas la beauté lorsqu'elle passe ou celle d'une personne âgée dont le corps reflète une belle âme ! Ce qui me choque ne sont pas ces corps, mais l'impudeur d'étaler nos verrues et laideurs ostensiblement comme certains touristes l'été... Et je ne peux pas les manquer de Pâques à septembre en habitant Fréjus. Overdose !

    De plus, ce n'est qu'un point de vue parmis d'autres que je peux décrire, et ce n'est pas forcément ma propre vision. Tiens, celui du SDF, j'ai voulu me mettre dans sa peau, ses angoisses, sa révolte. Est-ce moi ? Et cette peur ? encore moi ? Elle vit en nous, en toi Mona, quelquefois... Seule ambition de l'écrivain si le lecteur veut bien le suivre : pénétrer dans un univers !
    Les textes parlent ou ne parlent pas selon la sensibilité, le vécu, les problèmes de chacun... Où se trouve le problème ?

    Les SDF, personnellement j'agis plus que tu ne l'imagines : on peut aider, soulager de multiples façons; j'en ai même pris un chez moi, mais pas n'importe comment. Et cette peur qui s'efface lorsqu'on rencontre l'autre pour de bon en le connaissant ? Elle disparaît soudain et illustre notre instinct conservateur qui grossit l'apparence inquiétante de la surface des corps recouvrant l'âme, Mona... La surface sce sont tes mots que tu as écrit là, la beauté viendra en te connaissant réellement derrière ton sourire découvert...

    J'ai une lucidité effrayante dans le beau comme dans le laid. Elle m'emporterait si je n'équilibrais ces deux côtés. Se cantonner dans l'un en ignorant l'autre, c'est cela le mal. Ne te cantonnes-tu pas d'un seul côté, Mona ? Tu as marqué un point en soulignant le danger de ma, de mes visions. Mais tu confonds mes textes avec moi-même en me jugeant dans ta dernière phrase.

    Cela m'a permis en tout cas de répondre à vous toutes, chères lectrices. Le rôle de l'artiste porte vers tous les aspects de la vie, y compris ceux qui dérangent, et si j'ai pu toucher des sensibilités ainsi, j'en suis heureux.

    8
    Vendredi 3 Décembre 2010 à 22:13
    Lenaïg Boudig

    Il faut savoir reconnaître d'où part, sur cette page, l'agressivité gratuite dont tu parles, Mona. C'est toi qui déboules en t'en prenant à Dominique sur le plan personnel : "Finalement, ça ne doit pas être drôle d'avoir ton regard sur la vie". Si ce n'est pas terriblement agressif, gratuitement, ça ! et en plus complètement faux.

     

    De plus, tu saisis l'occasion pour non pas critiquer (littérairement) ses textes antérieurs mais pour indiquer qu'il évoque des choses qui te dérangent, donc à la limite on comprend que tu voudrais voir ces choses effacées. Les pages de Dominique dont il m'a fait cadeau pour mon blog sont superbes et je l'en remercie.

     

    Il faut savoir distinguer la chose écrite de la personne qui a tenu la plume, ne pas tout confondre. Le but de cette page n'est pas de s'examiner le nombril ni de savoir qui dans la vie est fort, qui est faible. Dominique est quelqu'un qui ne se ment pas à lui-même, qui ne passe pas son temps à se regarder le nombril, ceci est très précieux, je le sais parce que nous avons des conversations téléphoniques.

     

    Savoir que rien n'est fait pour que plus personne ne dorme dehors, surtout par le froid qu'il fait, savoir que les clochards sont des êtres humains et qu'on n'a pas à tourner la tête quand on les voit comme si c'étaient d'indésirables verrues est en fait ce qui importe, ici. 

    9
    Samedi 4 Décembre 2010 à 10:59
    Lenaïg Boudig

    Mona, ton nouveau commentaire de ce matin, ici, est acheminé directement à Dominique par email. Votre conversation se poursuivra ainsi, si Dominique le souhaite. Bises

    10
    Samedi 4 Décembre 2010 à 20:19
    dominique

    Ce n'est pas grave tout cela. Je pardonne volontier à Mona.

    11
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:50
    Mona															l

    J'ai lu et ça me met mal à l'aise. J'ai eu il y a peu maille à partir avec un SDF et je sais à quel point le fait de leur dire un mot, donner un sourire, un peu d'argent ne suffit pas. Dans des immeubles mal insonorisés ils dérangent leurs voisins; Qui, parmi nous en hébergerait un chez lui? Pas moi. Alors , suis-je une hypocrite bien pensante?

    12
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:50
    Mona															l

    J'espère, Dominique que tu ne seras pas vexé si je dis que plusieurs de tes textes me mettent mal à l'aise. Peut-être que tu cherches justement à provoquer cette réaction... Dans celui dont le sujet était la "peur" il y avait cette phrase: "je suis fasciné par les corps flasques"... sur une plage! J'y vais avec joie en été et ne les vois même pas... Finalement ça ne doit pas être drôle d'avoir ton regard sur la vie!

    13
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:50
    Mona															l

    Bonsoir Dominique, et merci de ta réponse! Pour mes démêlés avec un SDF, je les ai décrites en deux épisodes sur "plumes au vent"dans la rubrique "histoires vécues"; pas facile! Bien sûr qu'il m'est arrivé d'avoir peur, mais loin de me paralyser, la peur m'a toujours poussée à faire face. en réalité, chez moi elle n'arrive qu'après, une fois l'obstacle surmonté. Quant au laid je le vois mais ne m'y attarde pas. Je sais bien que tu te mettais à la place du SDF sans l'être, mais rien à faire , je n'arrive pas à imaginer une seconde que ça pourrait m'arriver, pas plus qu'aux gens de mon entourage immédiat. La laideur physique des gens ne m'indispose pas du tout, mais l'agressivité gratuite me déplait fortement. Je pense que oui, je suis plus dure que toi et ce n'est pas difficile de l'être, non?

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