-
Où est passée Mémé ? - Lenaïg
Fred ne sait pas que son père n'a pas voulu de lui. Il est encore tout petit mais il porte un secret trop grand pour lui. Vu de l'extérieur, c'est un bambin qui pleure souvent, un peu capricieux. Mais s'il pleure souvent, ce n'est pas par caprice, c'est parce qu'il est malheureux. Oh, bien sûr, il lui arrive de rire aussi, à gorge déployée, musique bien délicieuse alors à qui sait l'entendre. Il rit avec sa soeur Fanny, quand elle lui fait des chatouilles en jouant à "Moustique tic tic" !
Il rit avec Mémé Louise quand c'est elle qui s'occupe de lui et que Mémé lui fait la "bébête qui monte qui monte", ou cache cache avec ses doigts. C'est Mémé Lou sa préférée, mais en ce moment il est doublement inquiet. Voilà plusieurs jours que Mémé n'est plus là. Il ne comprend pas. Il a beau demander : "Mémé ? Mémé ?" dans son jargon de bébé, on le comprend mais on lui répond : "Partie faire des courses, Mémé !" Seulement, il trouve qu'elle met longtemps, Mémé, à revenir.
Ce n'est plus Mémé qui lui fait manger sa bouillie, ou son p'tit pot de quatre heures, c'est Madame Guerret. Elle est douce avec lui, Madame Guerret, mais elle ne le regarde pas ; il comprend qu'elle ne lui veut pas de mal mais qu'elle ne l'aime pas. Heureusement que Maman vient encore le coucher, le border dans son lit le soir, sinon c'est à peine s'il la voit. Heureusement qu'il a ce câlin et ces bisous du soir, qui calment son angoisse et l'aident à glisser dans le sommeil. Nounours, y sait tout, lui, tout ce qui ne va pas ; c'est pour ça qu'il se laisse mordiller l'oreille, présence rassurante, tout comme les petits poissons colorés qui nagent dans sa lampe de chevet allumée toute la nuit.
Cette lampe, Papa l'avait éteinte, une fois, une des rares fois où il était là, quand Fred sombrait doucement dans le sommeil. Fred s'était réveillé, alerté par des éclats de voix, Maman qui grondait Papa très fort dans leur chambre, Papa qui rétorquait sur un ton méchant. Outre cela, pour Fred, ce fut vite l'épouvante : il était dans le noir complet, une obscurité insoutenable qui voulait l'avaler, pleine de monstres bizarres qu'il pensait voir se dessiner, parce que tout ce noir, ce n'était pas normal !
Il avait tellement hurlé, sangloté que tout d'un coup c'est la lumière du plafonnier qui avait jailli, ainsi que Papa et Maman, tous les deux. Maman avait encore grondé Papa ; Papa avait l'air tout penaud et il avait rallumé la petite lampe aux poissons. Cette fois-là, Papa et Maman s'étaient allongés tous les deux contre lui, chacun d'un côté. Papa avait même raconté une histoire d'éléphant mais Fred s'était endormi avant la fin, en savourant la chaleur de ses deux parents.
Depuis, Papa n'était pas là souvent, Maman avait souvent l'air contrarié, c'était bien embêtant. Il n'avait rien fait de mal, pourtant. Il arrivait à se tenir debout un peu tout seul, pas encore à marcher, mais la prochaine fois que Papa serait là, il arriverait à faire ses premiers pas pour lui montrer qu'il pouvait et, même s'il s'emmêlait les pieds et risquait de tomber, au moins Papa le rattraperait dans ses bras ...
Lenaïg,
Ecrit le 19 septembre 2008,
Portrait du nourrisson Fred,
inséré dans la grande "Histoire à continuer" initialisée par l'écrivaine Ariane (Fabienne),
sur feue Lgdm. Un souvenir d'écriture en commun extraordinaire.
On comprend ici que des événements se déroulent qui échappent à la compréhension de l'enfant, que les parents ne s'entendent plus. Un fait important qui peut être révélé : Mémé a été ... enlevée, kidnappée !
Que les lecteurs se rassurent : Fred retrouve sa Mémé saine et sauve.
Références des illustrations : voir album photos "Bouts de choux".
Tags : papa, fred, maman, souvent, comprend
-
Commentaires
Tu te places à merveilles dans la peau de ce bébé, c'est un régal ! C'est magnifique à lire, magique ! Bises.
Un texte émouvant. L'enfance, le temps où l'on ressent tout sans pouvoir comprendre ; le temps de l'impossible distance, où l'enfant porte une responsabilité qui lui est étrangère. Merci. Anne
coucou lenaig, je ne me souvenais pas de cete histoire mais ton portrait est très beau et bien écrit et on comprend tout de suite le problème de ce petit bout de chou
gros bisous
6Mona de plumes au vVendredi 6 Juillet 2012 à 08:497DI leVendredi 6 Juillet 2012 à 08:49Non, il n'a rien fait de mal ce pauvre petit Fred, mais ce n'est pas du tout normal ce noir où il ne sait pas encore comment mettre des mots pour expliquer ses inquiètudes et ses malaises. L'enfant rit et pleure pour ses besoins mais quelque chose se passe à l'intérieur de lui. Il ne sait pas et se demande si ce ne serait pas de sa faute les choses qui se passent et qu'il ressent dans son environnement. Une mémé adorée ne disparait pas pour rien non plus. Il y a des raisons qu'il ne comprend pas. C'est alors qu'il doute de lui, et si c'était sa faute à lui?, et que commence le cycle infernal de la culpabilité, que souvent on transporte toute notre vie. Les larmes me viennent aux yeux en lisant ton récit Lénaîg. Parce que j'ai ressenti ce que vit ce petit garçon qui cette fois, profite de la chaleur de ses deux parents. Tu l'expliques très bien. J'aurais cru être à sa place.
Ajouter un commentaire
Bonjour Lena, mésentente qui marque même les petits enfants... Dispute des parents, cris et séparation... Bébé n'est pas une poupée de chiffon. Pauvre Fred... Bises d jill