• Noiraud / Suite et fin / Rêves - Par Marie-Louve

    Du haut de ses trois pommes, Sophie oublia son histoire pour survivre. Elle s’inventa une vie ailleurs. Dans cet espace familial, elle devint juste deux yeux silencieux qui fuyaient la réalité folle dans cette maison où l’amour ne savait pas être. Vents contrairesElle découvrit pour la première fois de sa vie le goût d’un baiser sur sa joue, au matin d’un Jour de L’An mémorable. Le seul. Une tradition, comprit’ elle. Malgré ses six ans, Sophie conclut que rien ne tournait rond dans sa famille. Elle rejeta son mode de fonctionnement et s’en tint à distance. Elle s’entoura de la présence d’amies nombreuses qu’elle attirait comme un aimant et apprit à se lier aux autres.

     

    Enfant douée, avide de savoir, son cheminement scolaire lui apporta d’immenses réconforts.

    Pour s’évader du climat affectif malsain de sa famille, elle plongeait son esprit dans tous les livres choisis à la bibliothèque scolaire. Ainsi, elle traversa son enfance jusqu’à l’adolescence.

    À treize ans, elle offrit ses services de gardienne d’enfants pendant la durée de ses vacances d’étudiante. Dans une autre ville, loin des siens, on lui confia la garde de cinq jeunes enfants un été durant. Jamais, ses parents ne l’ont visitée ou pris le temps de prendre de ses nouvelles. Comme si elle n’existait pas. Ce qu’elle savait depuis sa naissance. Comment une mère dépossédée de son pouvoir peut  accepter une quatrième enfant née sur un intervalle d’à peine trois ans ? Pire, d’autres suivent au même rythme. Pour ça qu’elle se perçoit grande et autonome. Une fierté ? Elle ne sait plus. Elle va la vie.

     

    Quand vient le temps de choisir sa destinée professionnelle, pas de possibilités financières pour en assumer les coûts. Habituée à ne pas baisser les bras pour arriver à ses fins, elle négocia auprès d’une tante le prix de ses études avec promesse de remboursement. Ce qui fut ainsi.

     

    Tout occupée à sa survie, Sophie n’avait aucune conscience de sa valeur ni de sa beauté qu’elle ignorait. Quelle ne fut sa surprise de se croire aimée à dix-sept ans par un jeune homme qu’elle épousa l’année suivante. Enfin, une autre maison pour elle !

    Elle entra dans cette nouvelle vie avec bien peu de bagages sinon sa capacité exceptionnelle de survivre aux agressions de tout genre. Très tôt, elle se mit à faire des rêves étranges. Son père et son conjoint la pourchassaient avec des armes. Elle courait à perdre haleine dans les champs de hautes herbes comme ceux qui entouraient la demeure de son enfance.  Invariablement, elle se réveillait en sueurs et le cœur battant à tout rompre. Ce rêve récurent la remuait salement. Parfois, venait l’autre cauchemar. Son Noiraud revenait à ses côtés. Elle se cachait derrière un mur, juste dans un angle qui lui permettait de voir son père devenu paraplégique assis dans son fauteuil roulant. Là, Noiraud s’élançait sur le géant de son enfance, il le mordait partout et finissait en lui sautant à la gorge. Sophie regardait la scène en sachant très bien qu’il lui suffisait de rappeler son Noiraud costaud pour que cesse ces images. Elle n’en faisait rien et se réveillait angoissée. Sa vie coulait dans ses yeux et son désir de vivre fuyait en elle.

     

    Dans le bon sensElle tomba gravement malade. Armés de puissants antibiotiques les médecins l’hospitalisèrent à plusieurs reprises. Rien à faire. Puis, un dimanche matin, au pied de son lit, son médecin lui annonça qu’on ne pouvait aller plus loin. Son corps ne combattait plus. Il la quitta. Elle avait vingt-cinq ans.  Seule dans sa chambre d’hôpital, un choc ! Un silence lourd comme le plomb pesait en elle quand du fond de son âme, une voix surgit. L’appel de son âme ? Cette énergie du désespoir ?

     «  Sophie, veux-tu vivre ? » Au même instant, elle prit conscience. Sophie ne savait pas qu’elle ne voulait plus vivre, sa maladie était sa fuite. Elle pouvait guérir, il fallait accepter de se battre. Elle a choisi la vie. 

     

     Elle quitta son conjoint pareil à son père et affronta celui-ci en lui remettant sa responsabilité et sa culpabilité. Jamais plus, elle ne revit Noiraud dans ses rêves. Juste dans le souvenir de ce fidèle compagnon qui lui a servi de confident pour déposer ses détresses.

    Auteur : Marie-Louve.

    Dessins naïfs : Lenaïg.

     


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  • Commentaires

    1
    Lundi 8 Février 2010 à 20:54
    Lenaïg Boudig

    Etonnant et prenant, ces rêves qui aident Sophie à survivre jusqu'à ce qu'elle se sente enfin bien. Merci encore, Marie-Louve,  pour ce cadeau de l'histoire de Sophie et de Noiraud.

    2
    Mercredi 16 Mars 2011 à 11:04
    jill-bill.over-blog.

    Bonjour Marie-Louve... Il est de vies qui sont plus un calvaire que du bonheur entre guillemets.... Merci à toi de nous faire vibrer.  bises de jill

    3
    Mercredi 16 Mars 2011 à 14:15
    Marie-Louve

    Merci jill-bill de cette lecture lucide. C'est un sujet qui demeure toujours présent dans cet univers qui nous entoute. La violence que subisse certains enfants est profondément injuste à leur égard et ils devront porter en eux les séquelles dévastatrices. Mais on peut croire que le besion de survivre est puissant moteur de guérison. Hier encore, je lisais dans le journal l'histoire d'une petite fille de 2 ans qu'on retrouvait dans la rue ici même à Montréal. Seule , errant pieds nus dans la neige, en couche avec juste un petit t-shirt sur le dos. des passantes l'apercevant composaient le 911. Les policiers la ramenaient à la mère endormie , ivre et intoxiquée. Il aura fallu cinq fugues de la sorte pour qu'enfin le service de protection à la jeunesse prenne en charge cette pauvre enfant. Bonne journée à toi. Bizs.  

    4
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:47
    Mona															l
    Un récit très dur; choisir la vie en dépit de tout, c'est déjà un acte presque héroïque.
    5
    marie-louve
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:47
    marie-louve
    Merci Mona et Léna. Les rêves racontent au rêveur son histoire à travers tout une gamme de symboles et d'émotions. Parfois, ils se constituent à partir des éléments qui ont marqué notre journée banalement ou intensément...Un univers complexe mais jamais sans aucun sens...
    6
    Mercredi 3 Mars 2021 à 13:52
    Josette

    Quelle volonté de choisir de vivre après une enfance si douloureuse. tant d'enfants même moins mal traité que Sophie se sont sentis perdus, que  des victimes  sous des regards indifférents

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