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Le secret de ma cuisine sans fenêtre - Lenaïg
Dans ma cuisine sans fenêtre, où j'aime rarement me complaire, j'ai placé, pour oublier l'absence de lumière du jour, photos et reproductions de tableaux. Je peux les contempler en faisant ma vaisselle, en épluchant des légumes, en surveillant ma poêle ou ma marmite.
L'Ours Castor y est présent, cheveux au vent, jumelles en bandoulière … Il me regarde et me sourit. Derrière lui, une aile volante plane dans le ciel bleu ; la bruyère en fleur et la lande descendent la pente jusqu'à la mer. Cette photo suffirait à estomper les murs jaune soleil sans soleil.
Ce n'est pas tout ! Au-dessus, Picasso ! Pas sa photo, non, mais : le portrait de Dora Maar. Juste à côté, une autre photo qui, elle, me donne vue, dans ma chambre de ... la "fin de la terre", sur ma fenêtre d'autrefois aujourd'hui disparue, celle aux trois grands vitres encadrées de bois, à la poignée ovale à l'ancienne. Devant cette fenêtre salvatrice, deux magnifiques oiseaux de paradis, d'une plante dont mon père savait nous offrir la compagnie.
Désormais, Dora Maar et la plante aux deux oiseaux se confondent dans mon imaginaire et mon interprétation du tableau. Pour moi, l'art du peintre s'épanouit dans les cheveux noirs irisés de bleu, doucement coiffés, comme caressés par le pinceau, le visage destructuré, profil à droite, face à gauche.
Le côté face est tourmenté, le blanc de l'œil est rouge, la joue présente une grosse rougeur un peu sale de fond de teint délavé par les larmes ; le côté profil est plus serein, l'œil clair est intense, la bouche est intacte, d'un rose soutenu, finement ourlée, prête au baiser : on la sent aimée et admirée du peintre, qui l'a … épargnée ! Curieusement, du plexus solaire de la dame partent en s'évasant des tiges foncées se terminant par des petites boules, comme des étamines ! C'est sa propre marque d'amant que, consciemment ou non, Picasso lui a imprimé, lui qui sait qu'il lui apporte joie mais aussi douleur de n'être que la seconde.
Ces étamines ressemblent étrangement aux tiges de ma plante aux oiseaux de paradis : le mouvement, l'élan sont les mêmes ! Les deux épaules de la dame sont comme deux rondes larmes noires, inversées et ses mains ont des ongles étonnamment pointus et rouge vermillon. La main droite soutient la tête et s'impose par sa taille, les doigts échappant à la rigueur anatomique. On dirait un bouquet, disposé comme mes fleurs de paradis, ongles et pétales éclatant de couleur, orange vif et rouge vermillon. La main gauche repose sur le bras du fauteuil, fleur inerte et inutile ? Non, elle maintient ou rassure le flanc de la dame.
L'arrière-plan se compose de fines lattes verticales, blanc cassé. Sur le sol, également blanc, des filaments discrets de rouge qu'on n'attendait pas … les petites stries des yeux qui ont pleuré ? Bon, je connais déjà son musée, j'ai eu la chance de contempler Guernica en vrai, sans oser rien écrire sur le sujet ; maintenant, c'est décidé, demain je vais au Grand Palais.
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Aussitôt dit, aussitôt fait ! L'exposition temporaire sur Picasso et les grands maîtres fut un enchantement, comme Noël avant la lettre, et, une fois rentrée, je jetai mes impressions sur le papier puis sur le net, mais mon petit compte-rendu est passé à la trappe, je ne l'ai plus. Il me reste les images superposées des tableaux de Le Greco, ou Goya, dont la Maja desnuda qui avait daigné venir à Paris pour l'occasion avec les représentations des mêmes thèmes selon l'œil de Picasso, des détails de scènes champêtres de Renoir ou Manet reprises par Picasso, de nombreuses études ou dessins du maître faisant mentir ceux qui le traitent de charlatan, sa période bleue, sa période rose (heu, non, là je crois que j'invente, j'extrapole).
Je me souviens aussi que je m'étais rendue au Grand Palais sans réservation, que l'écriteau de la file d'attente où on m'avait placée indiquait "Une heure et demie d'attente"et que ce fut vrai. Que l'ambiance dans cette file d'attente était, elle-même, magique : les gens s'étaient mis à converser entre eux. Nous avions pour patienter la belle musique classique d'un clarinettiste, installé malgré le froid vif, au pied du grand escalier. Le jeune couple derrière moi était bien sympa et l'homme encapuchonné exprima le souhait d'entendre un twist, pour changer, arguant qu'en dansant on se serait réchauffé !
Le ciel était bleu, un étonnant avion est passé, train d'atterrissage sorti (au-dessus de Paris ?). Des corneilles volaient de çà, de là, diffusant des notes discordantes qui pourtant réussissaient à s'intégrer au son de la clarinette et au brouhaha. Quand notre tour arriva, il faisait nuit. Mes jeunes compagnons de passage et moi, nous avons grimpé l'escalier en courant, ri en entrant dans la douce chaleur qui nous a enveloppés ; ma bouche à moitié gelée retrouva sa normalité ! Ensuite, la visite me fit complètement oublier l'attente dans le froid. Avant de m'engouffrer dans le métro, je pris le temps de m'imprimer sur la rétine les joyeuses loupiotes bleues décorant les arbres des Champs-Elysées.
Lenaïg, souvenirs de décembre 2008
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Pour toi, Mona : connais-tu le peintre Pierre Soulages ? Voici un de ses tableaux tout noirs. On peut voir ses toiles au Centre Pompidou et sur le net, bien sûr.
Tags : plan, grand, bleu, picasso, sans
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Commentaires
Je suis retournée voir la similitude suggérée que je n'avais pas comprise. Désolée Léna. Pour Picasso, personnellement je n,ai jamais pensé " je l'aime ou pas ". J'aime les arts, tous les tableaux ont une place sur la ligne de l'Histoire de L'art. Picasso occupe une place signifiante . Aucun doute.
J'ai lu et bcp apprécié ton texte. Après, je me suis mise à observer ce tableau que je ne connaissais pas de Picasso. J'ai un défaut: je tente toujours de trouver des sens aux dessins... je les lie au subconscient de celui qui les produit. à tort ou à n'importe quoi... Je n'ai nullement porté de jugement sur j'aime ou pas.
J'ai aimé lire tout ton texte. Bisous.
Parfois, je me sens Picasso. Il était maître de consrtruire et déconstruire une image. Quand je cherche mes morceaus de puzzle en moi, je me dis qu'il me faiut tout déconstruire, observer et reconstruire différemment. Au contraire, Picasso a un écho très signifiant et personnel en moi. Pierre Soulanges, je ne connais pas du tout Mais il me rappelle un peintre Barnett Newman qui a peint " Voix de feu " Le musée des Beaux Arts de Montréal en avait fait l'acquisition à gros prix, il y a de cela plus de 10 ans et un tollé de protestations populaires s'était élevé contre. Personne ne voyait, mis à part les spécialistes de l'art, sa place dans notre musée. Je vais demander à michel si il connaît cet artiste: Pierre Soulanges. Chose certaine, ce n'est pas évident à produire...Je ne sais pas quelle époque ??? On dirait de l'art minimal ???? Bon dimanche ! Bizs.
Ah ! ces fautes ! Je ne me suis pas relue en ... Je frappe mes touches sans regarder. Le résultat est :-((( MORCEAUX et les autres que je ne vois plus...
5Mona lVendredi 6 Juillet 2012 à 08:55Eh oui quand l'attente est longue, les gens se parlent: ils des points communs qui les rapprochent: assez d'amour pour le travail de l'artiste pour rester debout plus d'une heure et peut être payer afin de le voir! Je sais qu'en ce moment à Paris sont exposées des oeuvres d'un peintre que j'aime vraiment: Turner. Picasso, eh oui m'a toujours laissée indifférente alors que Dali m'émeut. J'admire l'art de Picasso essayant vraiment de comprendre pourquoi il est tant admiré, mais c'est purement intellectuel. des goûts et des couleurs, n'est-il pas?
6Mona lVendredi 6 Juillet 2012 à 08:55Ah merci! En effet tu as choisi le moins moche (je suis franche, là) ... Après être allé voir sur le net les autres oeuvres je ne suis pas convaincue... J'ai donc enchaîné sur les choeurs gallois sur youtube histoire de me mettre du baume au choeur, pardon au coeur... Le noir n'est pas une couleur, non?
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Bravo Léna pour la description sereine et empreinte de ton côté chaleureux que nous reconnaissons en traversant ton espace et ton texte. Je me suis attardée à ce tableau de Picasso. Devant celui-ci qui soit dit en passant est certainement une oeuvre de choix, cependant, je me sens le émotions barbouillées devant. J'observe les formes. Je trouve des triangles partout. Il me semble qu'il manque un doigt à la main droite. Celui de l'anneau du coeur ? Le bouquet suggéré sur son plexus solaire pointe vers son sexe comme une dague ? La chaise et cette femme posée, enfermée comme on pose un mannequin dans une vitrine ? Sa jupe laisse croire à un espace grillagé, dessous l'interdit ? Figure à gauche: elle souffre et semble meurtrie. Figure à drpoite: elle pose. Regard absent pour la galerie ? Merci de m'offrir ce moment à partager en toute simplicité Bisous , bon WE !