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Le pied de la biche - Par Marie-Louve - Nouvelle
L’horloge ouvrit sa cage d’oiseau qui chanta quatre coucous annonçant la fin de la séance. Libéré de sa peine en milieu carcéral, Hercule Tougas sortit du local et prit la décision de sa vie : devenir un homme avant de finir dans une bière comme son père.
Les yeux encore mouillés par cette dernière et douloureuse séance de thérapie qui venait de percer le mystère de son histoire, il les essuya du revers de la main. Avec insistance, le docteur Araquiree l’avait amené à raconter aux autres participants pourquoi il avait choisi la patte de cerf servant de support à une lampe artisanale pour frapper sa conjointe jusqu’au trépas. En effet, il lui eut été plus simple de prendre plus près de lui, ses poings. Pourquoi un pied de biche ? Là, tout devint clair. Cette relique sabotée vestige d’une partie de chasse mémorable symbolisait le pied de guerre de sa rivalité avec son père.
Hercule débobina le film du drame qui l’avait conduit derrière les barreaux. Ce jour-là, alerté par des cris sauvages, un sans-abri lové dans le portique de leur condo cherchant un peu de chaleur, avait couru jusqu’à la caserne des pompiers pour demander du secours. Ce dernier ne souhaitait devoir passer une nuit blanche à cause du tintamarre des occupants. La police arrivée promptement sur les lieux, avait saisi la patte ensanglantée, menotté l’agresseur et une ambulance avait conduit la victime à l’hôpital où on constata son décès.
Il se souvenait avoir raconté aux enquêteurs les circonstances entourant cet écart de conduite. Sa Ginette revenait du KMarkette avec des boîtes pleines de souliers de peau de castor. Des babioles à cent dollars pièce dont un escarpin de porcelaine, des crèmes pour effacer les rides et une petite chaîne en or. Il a perdu les pédales à la vue de la nouvelle lampe Davy Croquette achetée par sa folle qui voulait remplacer son souvenir de chasse : sa première prise, un magnifique cerf de Virginie. Renoncer à ce trophée si chèrement disputé à son père dans les bois du Basketown ! Jamais !
Une vive discussion s’ensuivit. Des gros mots fusèrent de part et d’autre. Le panier déborda quand elle arracha du mur le fil électrique de sa relique et que son bel abat-jour finement taillé dans une pelisse de raton laveur dont la queue servait à l’allumage fit un vol en tire-bouchon dans l’espace. L’objet poilu rehaussa le crépitement des flammes du foyer où il atterrit en émettant un bruit mou. «Petit Jésus en spoutnik !» Hercule sauta sur ses deux bottines et se précipita vers le feu pour sauver sa pièce de collection. Catastrophe, il trébucha. Dans sa chute, il brisa la tranche d’arbre sur laquelle le bout de membre postérieur du gibier était fixé jusque là. Les deux pièces divorcées plongèrent leur propriétaire dans un état de choc furibard.
Sans qu’il ne puisse se l’expliquer, la patte de cerf esseulée se réfugia dans sa main. Hercule la leva et l’abattit sur le corps de celle qu’il tenait responsable du bris. « Ça ne va pas la tête ? T’es mal… » Le mot fut fracassé par la pointe fourchue du sabot heurtant la bouche de Ginette. Le crâne, les épaules, un avant-bras, le dos, encore le crâne, les coups pleuvaient en faisant jaillir des cris de douleur.
Il n’avait pas compté les frappes, on lui avait appris plus tard au procès. Le médecin appelé à la barre des témoins avait révélé au juge que madame avait sur le corps une piste de chevreuil cumulant douze pas. Le regard noir des membres du jury et du juge était loin de le blanchir de son crime. Personne n’avait compris sa détresse. C’était lui la victime.
***
Hercule fut condamné à trois ans de prison pour avoir asséné à la tête et au corps de son épouse, douze coups bien comptés de cette arme poilue comme on en fit la preuve. Aujourd’hui, jour de sa libération, il était infiniment reconnaissant envers son psychiatre. Sans lui, il n’en mènerait pas large. Araquiree connaissait le drame des hommes victimes des femmes dépendantes de leur amour. Plus lucide que jamais, Hercule avait en main sa clé des champs. Devant lui, une vie nouvelle annonçait le meilleur à venir pour lui.Dehors, un ciel sans nuages et un soleil pile poil à la bonne température, firent surgir en lui l’idée d’une partie de bâtons en l’air sur un terrain de golf. Il grimpa dans son 4X4 rouge feu, sa Rolex lui confirmait qu’en adaptant sa vitesse à l’allure urgence, il avait le temps de rejoindre ses amis au petit bar avant le départ sur le terrain. En lui, monta un immense sentiment de satisfaction. Pour célébrer ce moment tant attendu, il tendit la main sur le coffre à gants et sortit sa fiole de Cognac extra-fine de Napoléon. Goulot à la bouche, il s’en fit couler une généreuse rasade derrière la cravate. Ragaillardi par cette coulée d’or dans son gosier, un sourire béat se dessina sur son pâle visage demeuré trop longtemps à l’ombre.
Une dernière fois, il se retourna vers son génie, son bon docteur Araquiree, il lui klaxonna une généreuse quinte en guise de salutations et démarra sur les chapeaux de roue. Ainsi, Tougas était devenu un nouvel homme. Si le temps lui avait permis, il aurait bien aimé s’arrêter pour fleurir la tombe de sa Ginette. Au diable, une autre fois !
On entendit le bolide rouge feu s’éloigner à vive allure. On l’aperçut enfiler les lacets de l’Alpe D’Huez. Le pied d’Hercule à fond la caisse, il ne vit pas la biche au milieu de la route. Puis un grand trou vide l’avala.
***
Auteur : Marie-Louve.
Note de Lenaïg : images provenant de animated-gifs.
Tags : hercule, main, sans, derriere, ginette
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Commentaires
3Mona lVendredi 6 Juillet 2012 à 08:574marie-louveVendredi 6 Juillet 2012 à 08:57
Faiut croire qu'une biche lucide est venue rendre justice !
Ou bien, c'est secrètement Klotz qui a poussé la biche au milieu de la route ???
Qui sait ? Mais bien fait pour Hercule ! :-)))) L'imagination est libre de morale ! :-)))) Marie Louve
Bonne journée à tous. Bisous5marie-louveVendredi 6 Juillet 2012 à 08:576raharVendredi 6 Juillet 2012 à 08:577marie-louveVendredi 6 Juillet 2012 à 08:57
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Un régal.
A plus tard, et je sais que tu vas jouer au jeu des 10 de Bruno aussi !
Bisous