• Le Corse - Nouvelle de Dominique Biot, 1ère partie

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    On l'appelait le Corse comme on aurait l'aurait surnommé François ou le Bordelais. En fait, on ne connaissait pas son nom et, s'il nous l'avait dit, ce fut si doucement, si insignifiant, qu'on ne l'avait pas retenu. Il parlait peu, au début.
    Lorsque je le croisai comme colocataire, les premiers jours, je ne remarquai qu'un visage frustre, fuyant mais poli :
    — Bonjour, me dit-il avec pudeur.

     

     

    Depuis deux ans, je vivais dans une des chambres meublées d'un pavillon cossu encastré en banlieue d'une grande ville. Un petit jardin entretenu entourait la maison, et sa porte arrière ouvrait sur un couloir bordé des quatre logement loués qui changeaient régulièrement de pensionnaires. Les merles, la pelouse verte, les hortensias sous un ciel du Sud, tout portait à la légèreté, le sourire, si les incidents de la vie ne venaient ternir le tableau... Lors de l'entretien d'embauche, la propriétaire nous recevait avec bonhommie, elle s'appliquait une humeur joviale à nous mettre à l'aise, elle nous dorlotait même, comme pour compenser sa solitude de retraitée ;
    c'était la " mama " du quartier. Quand un locataire partait vers d'autres lieux, elle versait presque sa petite larme, elle faisait son deuil, à moins que le protégé l'eut ennuyée, combattue, truandée auraient dit les jeunes. Alors la vieille dame sortait ses griffes, tempêtait, lançait des regards indignés et furieux, des regards de louve...
    « Après tout ce que je fais pour lui, pour elle ; enfin... »

     

     

    Moi, elle m'avait à la bonne, elle m'aimait presque comme un fils, j'avais mes entrées et nous nous voyions à chaque occasion sans arrière-pensées. Pour autant, elle ne me demandait rien sur mes compagnons de chambre, son avis lui suffisait. C'était une brave femme.
    De l'autre côté du mur, je vivais ces évènements, ces cohabitations, plus
    intimement, si j'ose dire, avec leurs avantages et leurs inconvénients... En arrivant, j'héritai de la plus petite chambre venant de se libérer. En fait, elles se composaient toutes d'un lit rectangulaire et d'une armoire en face d'un lavabo encadré d'un lino anti-humidité. Une fenêtre éclairait l'ensemble.
    « Vous ne devrez pas cuisiner compte tenu de l'étroitesse du logement, intimait la propriétaire. »

     

     

    Son bon coeur arrondissait les angles la confiance venue, mais il fallait faire ses preuves. Quoi de plus naturel ? Les murs étaient en carton : des cloisons mince de quelques centimètres, et il suffisait d'un mot trop haut pour que les habitants du rez de chaussée communient aux mêmes aventures, aux mêmes odeurs, aux même drames quelquefois. Encore novice en matière sexuelle, hors quelques flirts un peu poussés, ma libido tirait plus aux fantasmes qu'à la réalité du moment. Les cris endiablés de la voisine s'employèrent à m'enseigner quelques mystères cachés qui eussent fait rougir un bataillon de jeunesses :
    « Oh oui ! oh oui ! oh mmm ! Encore, encore ! »
    Le vendredi soir sonnait la charge lorsque l'amoureux rencontrait sa belle à partir de 22 heures jusqu'à..., je ne me rappelle plus... Et le matin :
    « Bonjour, vous allez bien ? Je ne vous ai pas dérangé hier soir ?
    « Non, non, ça va... » répondais-je, gêné.
    Hum, mon savoir vivre m'empêchait de dormir, mais que pouvais-je dire, ou faire ?

    Elle frisait les 20 ans, la voisine insouciante et vive : une fois sur deux, elle hurlait de jalousie, d'indignations, de colère et l'homme mûr de lui rétorquer l'air navré: « mais ma biche, ma femme ne voudra jamais... »

     

     

    Les autres locataires se faisaient plus discrets, comme cette esthéticienne en
    stage qui se mourait de solitude et me racontait ses déboires sentimentaux quelques soirs de cafard. Je ne sais pas pourquoi, j'ai toujours eu la vocation de confident, un homme servant de grand frère à défaut de servir d'amant. Quoique, je n'ai peut-être pas su voir, comprendre autre chose ? Elle me glissait son chagrin à devoir côtoyer un homme marié un soir de semaine, subir cette maladie presque universelle qui les touchait toutes après la libération sexuelle... Mais je suis libre moi, avais-je envie de leur dire, vous comprenez ? Libre ! M'entendaient-elles à cette époque ?
    Lorsque qu'une chambre abritait un homme, c'était souvent un marginal tel que ce Tunisien asthmatique que j'amenai une nuit en urgence à l'hôpital vers trois heures du matin sur le dos cahoteux de mon deux-roues, et qui me prédisait la libération du Maghreb un grand soir en vomissant Bourgiba et les siens. « Khadafi, kadhafi,
    répétait-il sans cesse. » Sinon il ne pensait qu'aux femmes, il fut même remercié par la propriétaire parce qu'il courtisait assidûment sa petite fille de quatorze ans en voulant l'initier au Kama-sutra... Notre logeuse n'affectionnait pas les parasites du sexe, elle tolérait plus volontiers les chômeurs comme moi qui payaient leur loyer malgré tout, même avec retard. « Vous vous en sortirez mon petit, tenez bon, va ! Me disait-elle gentiment.»

     

     

    Et puis, il y eut le Corse. Le fameux Corse.
    — Bonjour, me dit-il avec pudeur le premier jour.
    L'homme se voulait discret, petit, invisible. Dans la semaine qui suivit son arrivée, il frappa timidement à ma porte pour me demander comment trouver les administrations, prendre les bus les plus rapides vers le centre-ville, joindre tel endroit. « Merci, me disait-il, merci beaucoup, vous êtes sympa. » .
    Je ne le revis plus un temps, il semblait affairé à des tâches importantes, très occupé, très pris. Il ne m'avait pas dit quel métier il exerçait, ou quel job il cherchait. J'aurais peut-être pu l'aider, j'avais tout mon temps à cette époque de chômage attrapé, d'oisiveté existentielle, d'errance personnelle, j'étais du pays, de la région. Il faut dire qu'à cette période je vivais la nuit et rentrais me coucher sur les 6 heures du matin.  Sitôt le soir, j'enfourchais ma mobylette pour rejoindre mes copains au même sort, mes frangines un peu zonardes. Ah ! jeunesse, jeunesse...

     

     

    Son type physique avoisinait les traits nordiques : cheveux blonds et rêches de lavages au savon, visage coupé à la serpe sur une barbe mal rasée, yeux farouches, avec un corps râblé et un peu voûté, mais d'une vivacité surprenante. Ce ne fut que des mois plus tard qu'il commença réellement à me parler, se confier même. Je crus comprendre qu'il ne travaillait plus, mais il n'abordait pas ce sujet ni ceux qui le gênaient. Une atmosphère mystérieuse l'enveloppait.

     

     

    A suivre

     

     

    Dominique Biot

     

     

    Image du net (voir Album Fantaisies 5).

     

     

     


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  • Commentaires

    1
    Mardi 2 Août 2011 à 15:15
    jill-bill.over-blog.

    Histoire de colocataires... Immeuble en papier carton !  A suivire donc... Bon après-midi Dominique, Lena.... Bizzz jill

    2
    Mardi 2 Août 2011 à 15:43
    Lenaïg Boudig

    Coucou Jill ! Une nouvelle pour moi très réussie, que j'ai voulu scinder en deux parties, avec l'accord de Dominique, pour ne pas mettre trop à lire sur une page, la suite demain !

    Très agréable à lire, pour l'atmosphère, les personnages joliment croqués, la légère autodérision du narrateur. Merci beaucoup, Dominique !

    Bizzz à vous deux !

     

    Et d'ici ce soir, la première partie d'une nouvelle de RAHAR !

     

    Décidemment, mes colocataires ici sont bien actifs en ce moment ! Ah, ce ne sera pas le même genre que Dominique, j'en ai une petite idée car j'ai vu le titre mais je me réserve incessamment sous peu le plaisir de la déguster en avant-première ! Rahar, je ne t'oublie pas, oh que non, à bientôt par mail ou même par téléphone et ICI !

    3
    Mardi 2 Août 2011 à 19:17
    flipperine

    le corse de belles histoires policières en roman

    4
    Mardi 2 Août 2011 à 20:51
    Monelle

    Une nouvelle toute en douceur mais que nous réserve-t'elle ??? vite la suite !!!

    Bonne soiré - gros bisous

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