• Ils sont là ! Chapitre 10 - Lenaïg


    Castors - un-castor-4570207siygz - www.ushuaia.comFeuille de Tremble promenait ses petits la nuit, mi dans l’eau mi sur la rive. Sur la rive, les castors grands et petits sont patauds, mais dans l’eau, ils s’en donnent à cœur joie, ils sont faits pour cela. Pieds palmés, pelage étanche, queue plate gouvernail, il leur suffit de fermer leurs narines et leurs oreilles pour nager et leurs vifs petits yeux ronds sont recouverts d’une membrane spéciale transparente. Combien de nageurs humains souhaiteraient être équipés de ces atouts-là, pour nager en piscine ou faire de la plongée sous-marine !

    La nuit, pour « les petits frères qui parlent », comme les nomment certaines tribus indiennes, c’est la vie ! Dans la journée, ces travailleurs forcenés se reposent. Ecorce de bouleau, le mari de Feuille de Tremble, y était, au travail. Mais c’est plutôt relâche en ce moment de la saison. Il fallait juste consolider le gros œuvre, effectuer des tournées d’inspection, récolter des plantes aquatiques et cueillir des feuilles pour approvisionner le grand réfectoire. C’était facile, après l’effervescence de la construction du terrier dans la berge, pour les nouveaux couples formés, avec l’entrée sous l’eau comme il se doit.

    Soudain, Feuille de Tremble fit glisser ses petits dans l’eau car elle perçut une présence étrangère. Elle se dressa sur sa solide queue en s’apprêtant à saisir un rondin pour le brandir et intimider l’adversaire (les castors savent très bien faire cela), mais des petits cris, des soupirs, des murmures se firent entendre, oh bien maladroits mais parfaitement compréhensibles en langage élaboré de castor : « - Madame Feuille de Tremble, soyez rassurée, je suis votre amie. Voulez-vous bien m’écouter ? » « - Qui êtes-vous ? Et où êtes-vous , J’ai de bons yeux pourtant … »

    «  - Me voilà ! » et Gascarina se matérialisa devant Feuille de Tremble. Celle-ci huma une odeur agréable et nullement hostile, les marmots curieux commencèrent à regrimper sur la rive et leur mère les laissa faire. Aucune sensation de danger ne planait, bien au contraire.

    Castors - castor29 - www.fauneetflore.haplosciences.comTout en jouant avec les petits, qui lui tournaient autour, Gascarina expliqua qu’elle voulait rencontrer le conseil de la communauté, car elle avait un très grand service à demander. Le grand conseil fut réuni dans la nuit. Gascarina parla longuement ; le conseil émit des objections, se fit expliquer les intentions, et trancha : « On y va ! » Les castors dans ce débat par exemple eurent du mal à accepter l’idée d’œuvrer pour aider un humain, mais le portrait de Luther Redtimber que Gascarina leur brossa les convainquit.

    Un nouveau barrage fut ainsi petit à petit spécialement dressé pour détourner une partie des eaux de la rivière Dew et la faire gagner le lit sec du Rainbow qui traversait autrefois le village de Luther. Le barrage fit travailler ensemble des communautés de castors cousins, qui apprirent à se connaître, dans le projet commun approuvé par Ecorce de Bouleau, Feuille de Tremble et leurs pairs, mais engendré par Gascarina. La Dew eut très vite deux bras pour rejoindre le grand Missouri !

    Gascarina aida tant qu’elle put à transporter des rondins, des branchages, des brindilles, elle s’occupa de récolter le plus possible de nourriture végétale appréciée des castors pour leur réfectoire commun. Seulement, elle les déposait sur la rive, ne voulant pas se mettre à l’eau et ne sachant de toute façon pas plonger. Feuille de Tremble et les autres dames s’en chargeaient. Gascarina regrettait presque de n’être pas bâtie pour des exercices nautiques, à voir ses nouvelles amies si gracieuses et rapides dans l’eau !

    Ah si, une anecdote et non des moindres, Gascarina sauva quand même la vie à tout un groupe de castors. Ce fut au moment où un jeune fougueux venait de finir de ronger le tour d’un arbre et haletant, en oubliait le fameux signal, en se positionnant dans un angle sûr avant que le tronc ne tombe. Gascarina lui sauta carrément dessus pour le secouer puis s’assit et mima aussi bien qu’elle le put de sa queue rayée le battement attendu d’une queue de castor sur le sol. Le jeune fougueux du nom de Vif Argent se ressaisit aussitôt et le POUM POUM POUM POUM POUM de la queue du castor sur le sol permit à tout le monde présent de changer de côté par rapport à l’orientation de la chute de l’arbre. Ouf, «  no casualties » se détendit mentalement Gascarina, qui entra brièvement en contact avec Danilo, le robot « nordinateur » passionné par la série des films terriens du « Terminator ». « No problemo », bravo, lui répondit celui-ci. Donc pas de morts ni de blessés, pas de pertes castoriennes ! Puis elle pulvérisa les démons qui accouraient dans la tête du pauvre Vif Argent, il n’avait pas mérité cela, vade retro le remords ! Elle lui fit vite oublier son petit moment d’absence passager.

    Castors - castorld021 - www.dinosoria.comEt les phéromones allèrent bon train, papillonnèrent, se trouvèrent, s’apprécièrent. Les castors jeunes qui, cette saison, n’avaient pas eu le temps de penser à l’amour et au mariage se rattrapèrent dans l’euphorie générale. Les jeunes males courtisèrent leurs dulcinées, celles-ci, après avoir fait les coquettes, choisirent leurs fiancés et ce serait pour la vie. Chez les castors, on est fidèle, Monsieur et Madame sont unis jusqu’au bout et élèvent leurs portées et les protègent deux bonnes années. Quand l’un des conjoints meurt, l’autre ne le remplace pas et continue bravement d’assumer sa place et sa tâche dans la communauté. Gascarina, en vivant au milieu d’eux, songeait aux problèmes des humains, aux ruptures déchirantes d’amoureux, aux disputes continues de parents qui ne s’entendent plus et qui se séparent, laissant leurs enfants le cœur et la tête sens dessus dessous ; Elle soupirait sans illusion « ah si ces humains, terriens ou autres, pouvaient prendre exemple sur mes nouveaux amis. Quand je rentrerai de mission, j’espère bien moi aussi me trouver un lémurien câlin, avec qui je ferai mes premiers petits et qui ne me quittera pas ! » Mais elle évacua vite cette douce pensée, favorisée par toutes les phéromones de reproduction qui naviguaient dans le coin et qu’elle avait elle-même provoquées par sa savante maîtrise des hormones et autres réactions chimiques.

    Et Luther, le vieil indien ? Il ne fit pas une danse de la pluie comme le lui avait suggéré Gascarina, influencée par les lectures et les films qu’avait aimé Danilo. Dans la tribu dont il était issu, cela n’existait pas ! Les sioux connaissaient la Danse du Soleil, mais c’était un rituel d’hommes plutôt cruel. Les jours suivants la rencontre avec la belle "lémurienne", Luther se mit à observer autour de lui, tous ses sens en alerte. D’abord il ne découvrit rien, mais il était très patient. Un matin en sortant de sa maison, il sentit de l’humidité dans l’air, alors que le ciel était clément et il comprit que l’événement se préparait. Plusieurs jours après, Luther eut la joie d’être aux premières loges pour la grande scène du final : l’eau détournée de la Dew, après s’être imposée entre les cailloux, les rochers, après avoir évité le piège d’un marécage, après avoir gravi des côtes, esquivé de peu un nid de marmottes endormies, contourné une colonie de fourmis, tout cela sous le guidage discret de Gascarina,  faisait son entrée dans le village de Luther, un petit flot d’abord qui devint vite plus affirmé. Luther qui faisait sa ronde de surveillance et de maintenance la regarda passer, l’air impassible et muet mais, dans sa tête, c’était la fête ! Il se projeta en un éclair dans l’avenir et il est possible de confirmer que le futur lui donna raison, se développant en un bel effet papillon : la végétation repoussa, le gibier rappliqua, plus tard les gens aussi, apportant du bétail et cultivant leurs champs et jardins ; merveilleux pour Luther, Payton se réinstalla dans sa maison et ne le quitta plus.

     

    Castors - barrage-castors-7817005b83 - www.harunyahya.frConversation de Gascarina avec sa Chef :
    «  - Chef, j’ai fini, l’opération est en bonne voie ! »
    «  - Ma belle, je vais devoir insister mais d’abord toutes mes félicitations ! Luther ne doute pas que son village maintenant renaîtra, il a raison. Mais ton effet papillon n’est pas suffisant ! C’est toi qui t’es fixée d’en déclencher un, alors je considère que ta mission continue, je te demande de trouver des solutions, en tous cas de m’en proposer, pour que le Missouri et ses affluents par exemple ne charrient plus autant de limon, pour éviter l’abondance de mercure dans les lacs créés par les castors, pour … non, je m’arrête là, le reste je m’en chargerai ! Il nous faut un effet papillon à l’échelle planétaire ! »
    «  - Bien Cassandra, comptez sur moi ! » répondit la lémurienne, à la fois fière et déconfite. Mais elle oublia sa légère déception et se mit à ronronner comme un chat sous les caresses de Cassandra qui, elle-même, enfouit la tête dans la fourrure grise, pour un petit moment de tendresse, un îlot au milieu de leur dure mission loin de leurs familles.
    «  Cassandre, si tu n’étais pas si exigeante, tu ne serais pas la Chef », conclut mentalement Gascarina mais sans le formuler sur une longueur d’onde commune, en télépathe bien entraînée !

    A suivre.

     

    Lenaïg

     

    Source des illustrations : voir Castors dans l'album photos Animaux. 

     


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  • Commentaires

    1
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:58
    Mona															l
    Eh bien moi une danse inventée juste pour fêter l'arrivée de l'eau m'aurait parue normale. Je danse bien de joie le premier jour du weekend, ou des vacances et nulle part je n'ai lu que les bretons avaient ce type de réaction immédiate à la joie!
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