• Gargantua déporté au Québec - Par Marie-Louve - Conte

     

     



    La nouvelle tomba comme un Père Noël attendu depuis des lustres.  Gargantua
    Un édit prononcé et dûment signé par Zeus lui-même condamna
    Gargantua à la déportation manu militari au Québec. C’est bien là
    où quelques arpents de neige sauront mettre des freins à ses démesures alimentaires. Ce glouton créé par Gaia pour venger les Titans offrait à Zeus une belle occasion de se débarrasser de cette brute sans cervelle. Tous savent que Zeus et le Roi Soleil sont du même bord. Les Français lourdement affectés par ses orgies, ses colères et son indigence spirituel s’en étaient plaint auprès des seigneurs qui soutenaient leur cause craignant être détroussés eux-mêmes de leurs caves à vin capiteux. En moins de deux, Héraclès, major chevronné du souverain avait rivé Gargantua au fond de la Grande Hermine. Le voilier quitta le port aux aurores pour mener
    ce porc au bout du monde.

     

    Grâce au ciel, l’ogre souffrait du mal de mer. Le cœur au bord des lèvres, il refusait ses repas composés de  pain sec et d’eau.
    L’odeur du  hareng salé qui flottait dans l’air le vidait de ses tripes. Les pauvres moussaillons de corvée en tombèrent malades à force de nettoyage répétitifs et d’abondance colossale. Au bout d’on ne sait plus quelle mesure de temps, Chronos ne s’étant pas mêlé à cette histoire, La Grande Hermine débarqua avec grand soulagement  son fardeau aux abords du fleuve Saint-Laurent, là où ce dernier paraît davantage figure de mer. Sitôt le voilier délesté de cette peste, sitôt, il repartit sans chercher commerce d’aucune manière. Ses immenses voiles se gonflèrent et le vaisseau fila droit devant comme transporté sur les ailes des puissants vents du large le ramenant vers sa mère-patrie.  Alléluia, la France enfin débarrassée de cette gale coûteuse à faire vivre se réjouira et décorera d’une médaille olympique le grand Héraclès à son retour au port de Saint-Malo.  

     

     L’ogre reprit ses esprits si tant peu soit-il possible pour cette outre extensible d’un océan à l’autre. L’air frais pour ne pas dire glacial lui fouetta les narines qui s’emplirent d’odeurs de cocottes d’épinettes et de feuilles mouillées. Cela lui fit un petit creux au ventre. Il hurla : «J’ai faim !  À boire et à manger avant que tout cru, je ne dévore âme qui vive ici ! » 

     

    Pontiac, le chef Indien pêchait pas très loin du visage pâle inconnu. Il ne comprit rien de ce langage coup de tonnerre. Calme et silencieux, il lui jeta un regard indifférent et il releva la tête coiffée de sa couronne de plumes multicolores. Il pensa en son fort intérieur, «  Gros homme blanc, trop manger. Pas bon pour sa vie. » Sans se soucier de cet animal étrange à ses yeux, il se remit à taquiner le poisson. Juste pour le plaisir parce que dans son canot d’écorce, il y avait suffisamment de prises. Sa Perle de Rosée l’accueillerait avec ardeurs dans ses caresses en guise de reconnaissance. Elle savait dorer les meilleurs filets de truites et de saumon frais délicatement emballés dans les feuilles de maïs.

     

     Étonné, Gargantua resta bouche bée. L’homme à plumes ne semblait pas l’avoir aperçu ni entendu. Pire, il n’avait pas peur. Il resta perplexe.  Il vit courir à ses pieds de sept lieues une biche blonde comme les blés en France. Ce souvenir lui fit monter les larmes aux yeux. Ah non ! Pas de ça. Gargantua n’est pas une mauviette. « J’ai faim ! » hurla t’il une seconde fois. Impassible, Pontiac déjà sorti de son canot, le carquois sur le dos et sa besace pleine à rebord, se dirigea d’un pas assuré vers l’étranger plus haut qu’une montagne. Sans aucune peur, il toisa  de la tête aux pieds ce géant tapageur que lui envoyaient les grands Esprits, ceux des forces de la nuit  pour lui apprendre à vaincre ses ennemis en les affrontant dans la lumière du jour.   Du bonbon  pour l’épanouissement d’un vrai guerrier.  Notre grand dadais avait tellement faim qu’il suivit l’odeur de la besace accrochée à la ceinture de Pontiac.

     

     Arrivés au campement de la communauté du grand chef, tous se rassemblèrent autour de l’envoyé du grand Esprit. Le chaman s’approcha le premier et en fit le tour en l’enfumant des volutes d’herbages magiques. Cela prit plusieurs heures avant d’avoir complété un tour complet.  Au début, Gargantua se sentit légèrement étourdi. Puis, il sombra dans une profonde  léthargie. Perle de Rosée lui fit boire une tisane au goût âcre. Là, ce fut l’euphorie. Comme un gros bêta, il s’étendit sur le tapis de mousse fraîche qu’on lui avait désigné. Le chaman dansa autour de lui en agitant de longs hochets sur lesquels pendaient de fines lanières de cuir se terminant par des osselets. Sous l’emprise de cette cure, il  somnola pendant sept lunes. Les femmes venaient à tour de rôle lui offrir la tisane des rêves. Celle qui parle avec le grand Esprit. Le matin du troisième jour, Gargantua eut une apparition. Une Louve géante, lui raconta son histoire. C’est ainsi qu’il apprit son origine. Il était né d’une vengeance pour l’honneur des Titans. En pleurant dans ses rêves, il revit ses crimes et ses abus. Son cœur se mit à battre très fort, il sentit la douleur. Mais il vit aussi pour la première fois la beauté et la bonté de la généreuse nature envers toutes les créatures.

     

    Le quatrième jour, Pontiac et le chaman lui firent fumer le calumet de paix. Ils partagèrent trois pleins fourneaux de cette pipe qui apporte le bonheur. Gargantua devenu calme et méconnaissable se vit servir deux grosses marmites de siffleux baignant dans un bouillon épicé de feuilles de menthe. Quand il eut tout englouti, il dévora douze douzaines d’épis de maïs cuits sur la braise et Perle de Rosée n’en finissait plus de lui remplir une outre de jus de pommes d’automne. Pour en finir, Pontiac le mena au verger et lui dit : Quand ta faim sera comblé, reviens au camp. On a besoin de toi pour aller à la chasse à l’ours. L’hiver approche, les femmes doivent coudre les peaux pour nous vêtir et nous protéger du froid mortel.

     

    A partir de ce jour, Gargantua ne souffrit plus jamais de la faim. Il y avait tant de forêts et d’animaux… Les pauvres, on ne leur avait pas demandé leur avis. Avec autant de bouffe à portée de dents et des calumets de paix, Gargantua se civilisa sans en prendre conscience.

     

    Plus tard, il découvrit le goût des fèves au lard et bien sûr du petit caribou. Je peux vous jurer qu’avec le petit caribou, on l’entendait chanter jusqu’à Ottawa.

     

    Un jour Pontiac traîna Gargantua jusqu’aux abords de l’Ontario pour l’initier à la rame en canot d’écorce, mais surtout pour ramener des fruits exceptionnels qu’on ne trouvait qu’à cet endroit en cette saison. Là, dans ce corridor d’air chaud poussaient des fruits ronds à la peau de velours qui cachaient un gros noyau brun dans son cœur. Bien sûr, Gargantua sentit ses papilles saliver juste à l’idée d’en goûter. Il avait reconnu la description des pêches qu’il dévorait à pleines mains en France et ailleurs avant sa déportation. C’est là que se produisit l’irréparable. À peine arrivé sur les lieux, il se goinfra de tant de fruits juteux le temps de crier « lapin » que toute une acre de pêchers avait été vidée de ses fruits. Puis ce fut la catastrophe ! Gargantua indisposé par tant de gourmandise fut pris de violentes crampes abdominales qu’il devait soulager de toute urgence. Il s’empressa de courir jusqu’au lac situé au sommet de la montagne pour y asseoir son arrière train en feu et à cet instant, le sol s’effondra sous son poids. Ainsi sont nées les Chutes Niagara. Pontiac n’en croyait pas ses yeux et regretta amèrement la conduite de son protégé. Gargantua grièvement blessé par cette chute fatale, mourut quelques heures plus tard une moitié de son corps chez les Américains et l’autre chez les Canadiens.

     

    Croyez-le ou non, cette histoire est pure vérité.

    Auteur : Marie-Louve.


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  • Commentaires

    1
    Vendredi 29 Janvier 2010 à 08:00
    Stellamaris
    Quelle imagination ! J'aime beaucoup ! Bises à toutes les deux.
    2
    Vendredi 29 Janvier 2010 à 10:01
    Lenaïg Boudig
    Je te crois, Marie-Louve, je te crois ! J'ai fait la traversée sur le grand large aussi, fouettée par les embruns et le vent glacial ! Gargantua aura passé de magnifiques moments avant de succomber. On en apprend des choses chez toi, tout en dégustant des fèves au lard et du petit caribou pour se réchauffer, chez Pontiac et Perle de rosée.
    C'est épique et superbe, merci Marie-Louve !

    Bonjour Stellamaris !
    3
    Mona l
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:58
    Mona															l
    Après avoir jeté toutes ces roches sur Huelgoat, il a aussi créé ces magnifiques chutes du Niagara donc! belle histoire qu'on se plait à croire... Bravo marie Louve!
    4
    marie-louve
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 08:58
    marie-louve
    On s'amuse bien à raconter des histoires aussi farfelues ! Merci Stellamaris et encore une fois de gros mercis à Léna qui me permets son espace sur son blogue. Bisous à vous deux !

    Mais Oui Mona, je me souviens très bien de ton Gargantua 1ier, tu devrais nous le faire relire. Il était le premier pas de celui-ci qui pour avoir commis autant de catastrophe en France comme tu les avais décrites, il fut expulsé au Québec...Je traînais à ta suite. Hi hi hi. Bonne journée à vous tous !
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